Pour fêter ses 30 ans, la collection Spécial-Suspense publie deux romans de très belle qualité. Voici celui de Lisa Gardner : “Sauver sa peau” (Albin Michel, 2009). À ceux qui imaginent que le petit résumé suivant raconte toute l’histoire, il convient de répondre qu’ils se trompent. Ce n’est là qu’un survol, à travers les grandes lignes du scénario concocté par l’auteur. Tortueuse à souhait, l’intrigue est bien plus dense encore, plus intense.
Aujourd’hui âgée de 32 ans, Annabelle est revenue vivre à Boston. Ses parents et elle ont fui le Massachusetts vingt-cinq ans plus tôt. Elle a connu une enfance chaotique, son père décidant souvent de changer de ville. Il lui apprit à se méfier des inconnus, lui fit suivre des cours de boxe. Annabelle ne sut jamais ce que son père, universitaire ayant quitté son poste, redoutait réellement. Ce mode de vie, autant que l’alcool, furent fatals à sa mère. Quelques temps après leur retour à Boston, sous des faux noms, le père d’Annabelle mourut dans un accident. Restant en permanence sur la défensive, la jeune femme vit seule avec sa chienne Bella. À part le livreur d’UPS lui apportant des colis à domicile pour son métier, Annabelle ne cherche pas à communiquer avec quiconque.
Ancien tireur d’élite mêlé à une affaire mal éclaircie, Bobby Dodge est désormais policier. Son amie D.D.Warren, commandante de la police de Boston, fait appel à lui. Dans le quartier de Mattapan, juste à côté de l’ex-hôpital psychiatrique, on vient de faire une macabre découverte. Dans une caverne creusée et aménagée, on a trouvé les corps momifiés de six fillettes dans des sacs. Il s’agit d’enfants enlevés un quart de siècle plus tôt. Ce qui rappelle à Bobby Dodge l’affaire Umbrio. En 1980, ce type kidnappa la jeune Catherine Gagnon. Celle-ci ayant pu s’en sortir, le coupable (mort depuis) était en prison à l’époque où les six fillettes furent enlevées. Par la suite, Bobby et Catherine eurent une relation trouble. La mort brutale du mari de Catherine obligea Bobby à changer de métier.
Annabelle est censée faire partie des six victimes. En réalité, c’est son amie Dori Petracelli qu’on a découverte à sa place. Est-ce l’enlèvement de cette gamine qui alimenta la paranoïa du père d’Annabelle ? La jeune femme explique son cas à Bobby Dodge et D.D.Warren. Les policiers acceptent qu’elle visite “la tombe de sa meilleure amie”. Un témoin s’adresse au trio. Ancien employé de l’hôpital psychiatrique, Charlie Marvin relate quelques cas singuliers qu’il a connus. Il cite notamment celui de Christopher Eola, un cinglé particulièrement fourbe. Cette piste intéresse la police. Ils apprennent que l’introuvable Eola fut trop vite remis en liberté, et qu’il bénéficie d’une rente de sa riche famille. Bobby s’interroge aussi sur le protecteur père d’Annabelle, possible suspect pédophile.
Annabelle revoit les parents de son amie Dori, qui n’ont jamais compris le déménagement express de sa famille, ni la disparition de leur propre fille. Puis, la jeune femme et les deux policiers rencontrent Catherine Gagnon dans sa belle propriété d’Arizona. Elle confirme que son kidnappeur était bien Umbrio, pas un autre. Hospitalisée, elle fut questionnée par le père d’Annabelle qui se faisait passer pour un agent du FBI. Or, l’affaire se passait deux ans avant l’enlèvement de Dori et des fillettes. Au retour, D.D. Warren trouve un message menaçant sur sa voiture. Malgré l’efficacité de Bobby, elle va être exposée à un grave danger. Annabelle reste méfiante, étant certaine que le criminel rôde non loin d’elle. Seul l’ancien supérieur de son père connaît tous les détails et les causes…
La complexe expérience de vie d’Annabelle dès l’enfance, les mystères entourant son père, le cas de Dori Petracelli différent de celui de Catherine Gagnon, ou la situation de Bobby Dodge, rien ici n’est jamais limpides. Quant au meurtrier, inspiré par l’affaire Umbrio ou pas du tout, il serait prématuré de le désigner trop rapidement. L’équipe de policier est active, mais l’adversaire est habile, toujours présent. Personnage central, la dynamique et prudente Annabelle s’avère attachante, car elle n’a jamais un comportement de victime. Savoir si elle doit détester son père, pour avoir perturbé ses jeunes années, reste une des clés de l’énigme. La force de l’auteur consiste à mesurer la tension, sans tomber dans des effets faciles, des schémas attendus. C’est dire que ce roman est idéalement maîtrisé. Un suspense de qualité supérieure.