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4 janvier 2017 3 04 /01 /janvier /2017 06:12

Dans le Missouri, le comté de Gasconade possède assez d’atouts pour qu’il y soit agréable de vivre. Aujourd’hui veuf, le fermier Olen Brandt – quatre-vingt-un ans – n’a-t-il pas vécu une existence à peu près équilibrée jusqu’ici ? Certes, il y eut le cas de son fils Wade, un repris de justice emprisonné. Et Olen est sans illusion sur son neveu junkie Jackson Brandt qui ne vaut guère mieux. Si le comté est gangrené, c’est à cause de la méthamphétamine, constituant un bizness florissant. Il suffit de quelques ingrédients choisis pour en cuisiner. Bon nombre de ces caravanes insalubres, de ces mobile homes délabrés, à peine planqués dans le paysage, servent principalement à la préparation de cette drogue. Les trafiquants ne craignent pas tellement le shérif Herb Feeler et ses adjoints, même s’ils interviennent.

Avec son faciès abîmé par les coups, ses tatouages grossiers, et son air amorphe dû à la surconsommation de méth, Jerry Dean Skaggs est à lui seul un brillant exemple de ces fabricants-dealers-junkies qui végètent dans la région. S’il a amassé dans sa planque un pactole dépassant les cinquante mille dollars, ce fric appartient davantage à ses associés qu’à lui-même. Outre Jackson Brandt, il fricote avec un junkie incontrôlable, Kenny Fischer (dit Fish). Quand ce dernier s’aperçoit qu’il est cocufié par sa compagne, il rumine ses malheurs d’enfance remontés à la surface. Et ne tarde pas à exercer des violences sur sa femme. Même si on le met en prison pendant un temps, quand Fish en sort, il risque de disjoncter complètement, de causer pas mal de morts brutales.

Le plus cinglé parmi les relations de Jerry Dean Skaggs, c’est Butch Pogue. À Goat Hill, il s’est autoproclamé Révérend de sa propre religion. "Propre", ce n’est pas le mot, car son univers est assez sanguinolent. Son clan ressemble à une secte, aux règles aussi bizarres que violentes. Mais “frère Jerry” est bien obligé de le côtoyer, puisque Butch Pogue fournit lui aussi de la méth. Après tout, il y a bien un banquier du comté qui participe au trafic de drogue, pourquoi pas ce soi-disant Révérend. Leur tas de fric ayant disparu, Jerry Dean va devoir en référer à son complice Bazooka Kincaid, partenaire concernant ce pactole volé. Il faudrait le récupérer, sachant que c’est sûrement un policier qui a dérobé le fric.

Pesant cent trente-cinq kilos, Dale Banks est un des adjoints du shérif. Il forme une bonne équipe avec le jeune et sportif Bo Hastings. Pour tous les deux, l’essentiel est de rentrer chez eux vivants, après leur service. Dale Banks se revendique avant tout père de famille, puis fermier et accessoirement policier. Avec son épouse Jude, ils ont trois enfants : Steph l’aînée, Jake un gaillard de quinze ans, et la petite Grace, six ans, handicapée. Banks n’a pas vraiment de projet quant au fric qu’il a pris chez Jerry Dean. Le shérif-adjoint est resté proche du fermier Olen Brandt, figure symboliquement paternelle pour lui. Quand le vieux bonhomme est agressé, sa chienne abattue, et son véhicule volé, Banks enquête. Secouer Jackson, le neveu de la victime, lui confirme que le coupable est bien Jerry Dean…

Matthew McBride : Soleil rouge (Éd.Gallmeister, 2017)

L’achat de pseudo-éphédrine était la dernière des tendances illégales relatives au commerce de la drogue. Les junkies passaient leur journée à aller d’une station-service à l’autre pour acheter des médicaments contre le rhume, de la pseudo-éphédrine, le principe actif dans la fabrication de la méthamphétamine. Sur le marché noir, ça se revendait très cher. Cent dollars la boite, ou bien ça s’échangeait contre de la méth. La plupart préféraient ce genre de troc.
Un mois auparavant, au Fuel Market, ils avaient appréhendé une camionnette pleine d’étudiants. En fouillant le véhicule, ils avaient trouvé des centaines de cachets achetés dans des station-services et des pharmacies. Les jeunes avaient gardé toutes les factures, ce qui avait simplifié la tâche de Banks…

Matthew McBride décrit sa région natale dans cette fiction. Un foutu pays où, hormis les gens honnêtes, des junkies-dealers de méth font la loi, où règne la violence au mépris de la vie humaine, où les règlements de comptes tiennent lieu de justice. Prier un Dieu n’a guère de sens dans ces contrées, puisque certains y inventent leur religion personnelle, et qu’aucune morale ne guide les actes d’une large partie de la population. S’emparer du fric des délinquants, on finirait par trouver ça légitime. Bousculer des témoins, lorsqu’il s’agit de minables junkies, ce serait aussi presque logique. Se protéger soi-même et les siens, parfois tenter de le faire pour de rares amis, c’est l’unique solution pour survivre dans une telle ambiance. Très noire, la vie dans le comté de Gasconade.

Alors oui, sans doute, c’est une thématique souvent traitée dans les romans noirs actuels. Bien sûr, qu’évoquant la cambrousse américaine – ses péquenots blancs qui se prennent pour des cadors du trafic de drogue – ou des aspects sombres de la ruralité française, le sujet n’apparaît pas novateur. Du moins, pour ceux qui lisent surtout des romans noirs dans cette catégorie. Malgré tout, Matthew McBride a le mérite de relater une des réalités sociales des États-Unis, la moins glorieuse, ces drogues de synthèse faisant des ravages monstrueux pour le profit de quelques-uns. Sans oublier des portraits annexes, tel celui de Fish, montrant jusqu’à quel point ces racailles-là tombent dans la dèche. C’est pourquoi ce “Soleil rouge” est à placer parmi les très bons romans traitant de ces questions.

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3 janvier 2017 2 03 /01 /janvier /2017 06:12

En décembre 1835, la France est dirigée par Louis-Philippe, "roi des Français". Époque de grande instabilité politique, où les mouvements républicains sont réprimés par le pouvoir. Des attentats visent le monarque, dont celui commis par Fieschi le 28 juillet 1835. Grâce à ce climat malsain, l’escroquerie et le meurtre sont courants dans le pays. Pierre-François Lacenaire est le plus célèbre criminel de son temps. À l’occasion de son procès, il a cultivé sa propre médiatisation. Emprisonné à la Conciergerie, il rédige ses Mémoires et reçoit des visiteurs, en attendant son exécution. C’est un prisonnier privilégié, auquel on n’interdit ni les repas gastronomiques, ni d’adresser des lettres à l’extérieur. Parmi ses amis, se trouve Pierre Allard, policier de la Sûreté à Paris, âgé de quarante-cinq ans.

L’inspecteur principal Louis Canler, trente-huit ans, exerce ses fonctions de manière bien plus stricte que son supérieur Allard. Témoin de l’attentat de Fieschi, qui continue à la perturber de longs mois plus tard, Canler fut un des enquêteurs qui arrêtèrent Lacenaire. Il ne cache pas sa détestation de ce criminel, jalousant la relation d’estime mutuelle entre lui et Allard. Les idéaux républicains de Lacenaire qui, sans remords, n’espère plus que “le suicide par la guillotine”, n’indiquent pour Canler que le cynisme du personnage. Dans ce contexte, plusieurs enfants sont assassinés selon un mode opératoire rappelant les crimes de Lacenaire. Qui n’a jamais éliminé d’enfants, lui. Ce sont d’abord la tête d’une fillette, puis le corps d’une autre gamine qui sont retrouvés, et placés à la morgue.

Interrogé par les policiers Allard et Canler, Lacenaire suggère que “la Flotte”, une bande de malfaiteurs qui furent ses complices, peut être impliquée dans l’affaire. Canler procède à une vague d’arrestations chez ces bandits, mais ils disent probablement la vérité quand ils nient être concernés. Les autorités ont fait appel à la population pour tenter d’identifier les deux gamines tuées. Un garçonnet de sept ans est la troisième victime du tueur. Copieur de Lacenaire, ou un de ses admirateurs ? Les enquêteurs se posent la question. En plus de gros effectifs de police, Allard demande au préfet que Lacenaire contribue officieusement à les aider. Ce qui fait enrager son collègue Canler. Après observation détaillée des corps à la morgue, Lacenaire présente certains indices aux policiers… avant de s’échapper.

Tandis que l’assassin, qui vient de tuer un quatrième enfant, adresse un courrier au journal républicain “le National”, Lacenaire fixe rendez-vous à Allard dans un cabaret. De son côté, son supérieur ayant été écarté, Canler mène les investigations à son gré. Il suit une piste indiquée par Lacenaire : un coup de filet aux Halles aboutit à l’interpellation d’un suspect, bientôt battu à mort. Néanmoins, un nom apparaît, qui pourrait être celui du tueur d’enfants. Il faut s’attendre à une arrestation mouvementée…

Michael Mention : La voix secrète (Éd.10-18, 2017) – Inédit –

— Et il est le premier à donner un sens politique à des crimes d’ordinaire crapuleux. Il prétend expliquer les siens dans ses mémoires.
— Expliquer… C’est la mode. À trop réfléchir le crime, on risque de le rendre acceptable.
Allard acquiesce, partageant ses craintes. Tandis que la police est sans cesse critiquée, la criminalité est de plus en plus analysée, évaluée, banalisée par les phrénologues mais aussi par les bureaucrates. En premier lieu, le Compte général de l’administration de la justice criminelle avec ses statistiques annuelles. Et de la curiosité à la fascination, il n’y a qu’un pas que la presse a déjà franchi…

Sous le règne de Louis-Philippe, entre 1830 et 1848, la France est encore loin d’accéder à un régime républicain et démocratique. Tandis qu’une bourgeoisie fortunée a émergé et que le pays s’industrialise, l’essentiel de la population reste pauvre et inculte. Telle est la toile de fond de cette fiction, située durant les derniers jours de Pierre-François Lacenaire. Provocateur doté de charisme, assassin désinvolte, rebelle et mégalomane ? Ces diverses facettes se complètent chez lui, sûrement. On l’apprécie, comme le policier Allard, ou on le déteste, à l’image de son collègue Canler. Modifiés sous la pression des autorités, ses Mémoires ne donnent de lui qu’un portrait partiel. Quoi qu’il en soit, un pareil personnage ne peut qu’inspirer, donner envie de le faire "revivre".

En quelques années d’écriture acharnée, Michael Mention s’est imposé parmi l’élite des auteurs actuels de romans noirs et de polars. Il le doit à son style narratif vif (rock’n’roll, dirait-il certainement) : on sent son envie de secouer le lecteur. La tonalité pétaradante de “La voix secrète” le démontre une fois de plus. Logique, puisque une évidente nervosité habite les protagonistes de l’époque, au niveau des autorités. Parvenir à nous immerger dans cette partie du 19e siècle, à nous faire adhérer à ces aventures, cela suffit à prouver le talent de Michael Mention. Il continue à explorer des sujets diversifiés, non sans retenir leur côté social, pour notre plus grand plaisir.

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2 janvier 2017 1 02 /01 /janvier /2017 06:12

Boris est né en 1991. À l’âge de huit ans, sa mère Laure Sieger le confia à son amie Rose, militante prolétarienne, qui éleva ensuite l’enfant. Connaissant l’instabilité de Laure, on ne s’interrogea guère sur sa disparition. À peine majeur au décès de Rose, Boris hérita de son logement parisien, dans le 14e. Désormais employé municipal dans une ville de banlieue, Boris est un solitaire à la sexualité hésitante. Par hasard, il entre en contact avec le jeune Oussama Mouiri, dit Oussa. Si lui-même est un musulman pratiquant "a minima", Oussa a plusieurs copains partis en Syrie comme djihadistes. Son meilleur ami, Français converti, pose sur une photo au côté d’un certain Abou Hatem, un émir du djihad. Boris est obligé d’admettre son trouble, car cet homme pourrait être son sosie – ou un frère inconnu.

Boris entreprend de chercher des traces de sa mère Laure, aperçue en dernier du côté d’Honfleur, plus de quinze ans auparavant. L’hôtelière Dinah et sa fille Mary lui apportent un peu d’aide. Grâce à elles, il obtient le témoignage du gendarme retraité qui enquêta vainement sur la disparition de Laure. On l’aurait vue peu avant avec un Maghrébin, vague silhouette non identifiée. De retour à Paris, rendez-vous est pris via Oussa avec le nommé Abou Hatem, en Turquie, à Antioche. La perspective d’un voyage n’enchante guère Boris, sédentaire par nature. Mais cette forte ressemblance l’intrigue. Il est déjà prévu qu’Oussa l’accompagne. Arrivant d’Honfleur, Mary s’invite dans cette aventure. Le trio s’envole vers Istanbul, courte halte avant de passer par Izmir et de rejoindre Antioche.

À Oran, le commissaire Kémal Fadil est le chef de la police du quartier de la Marine. Il est assisté par le jeune et efficace Saïd. Il peut aussi compter sur son vieil ami Moss, médecin légiste et séducteur impénitent. Le policier reste proche de sa mère Léla, handicapée en fauteuil mais à l’esprit vif. Kémal est quasiment fiancé à Fatou, future infirmière, d’origine nigériane. Son enquête en cours concerne une série de meurtres insolites par leur mise en scène, semblant correspondre à un rituel étrange. Après le cadavre d’un guérisseur para-religieux analphabète, c’est le corps d’une femme ayant pratiqué la sorcellerie qu’on a retrouvé. On repère un autre cadavre, probablement le premier de la série. Les théories de la psy Mériem sur les djinns et la médecine occulte aident utilement Kémal.

Pendant ce temps, faute de pouvoir rencontrer Abou Hatem, c’est l’ami français d’Oussa qui au rendez-vous fixé à Boris. S’il est endoctriné, il est lucide quant au djihad, résigné sur sa situation. Surtout, il apporte des révélations inattendues à Boris, preuves à l’appui. Lui qui se croyait sans famille, il va de surprises en surprises. C’est en direction d’Oran que se poursuit le périple de Boris, Mary et Oussa. S’ils sont "en règle", ils auront malgré tout la chance d’y faire la connaissance du policier Kémal Fadil…

Ahmed Tiab : Gymnopédie pour une disparue (Éd.l’Aube noire, 2017)

Les échanges entre Oussa et Mary étaient vifs, mais je notai qu’ils finissaient toujours par une concession, une fois d’un côté, une fois de l’autre. Ça ne m’étonnerait guère qu’ils finissent par s’entendre, ces deux-là. Ils étaient pareils, même s’ils s’efforçaient de faire saillir ce qui les opposait. Mon premier sentiment s’en trouvait démenti – heureusement car je n’avais pas envie de jouer les arbitres […]
L’impression positive que j’avais sur Oussa se confirmait à mesure du temps qu’on passait ensemble. Je ne le croyais pas capable de ce genre d’humour, et je m’en voulais pour ça ; en effet, l’autodérision n’est pas à la portée du premier venu. Je l’avais mis d’emblée dans une case. Préjugés.

Après “Le Français de Roseville” et “Le désert ou la mer”, ce troisième opus confirme la qualité des romans d’Ahmed Tiab. Outre l’intrigue, son regard sur le fonctionnement de la société algérienne permet d’en comprendre les nuances, les contradictions, le fatalisme. Si l’époque islamiste autour de 1990 déstabilisa le pays, la corruption à tous les étages, la contrebande et le commerce parallèle restent très actifs en Algérie. Plus un charlatanisme fort lucratif entre religion et médecine, étonnant alors que les soins sont gratuits dans une large mesure. Observer n’est pas condamner : ces réalités d’hier et d’aujourd’hui nous sont racontées d’une façon plutôt enjouée, bienveillante mais ironique.

Le thème apparaissant en filigrane est totalement d’actualité : le djihadisme qui motive de jeunes égarés à combattre au nom d’une religion. “Les révolutionnaires avaient changé de visage ; ils avaient troqué sexe, drogue et rock and roll contre selfies avec la mort dans le désert moyen-oriental.” Il n’y a assurément pas de raison de légitimer le choix du djihad, issu d’une manipulation bien orchestrée. Contexte de fanatisation kamikaze, qui exclut un retour à la normalité. Quant aux soi-disant "repentis", ils ne trompent personne.

On retrouve dans cette histoire Kémal Fadil et son entourage, héros des précédents titres de l’auteur. Il "situe" avec aisance ces protagonistes, même si l’on a pas lu les romans en question. Mention spéciale à Moss, le légiste. Toute la structure est impeccable, on le remarquera : l’affaire criminelle (à part entière) dont se charge le policier donne l’occasion de souligner cette construction très habile du récit. Le point commun avec tout le reste est bien plus direct qu’on aurait pu le penser. Au centre de l’intrigue, la quête de Boris Sieger – quelque peu dépassé par tous ses aléas, est très convaincante et le rend attachant. Personnages crédibles, péripéties agitées, et aspects sociétaux offrent du caractère aux excellents romans d’Ahmed Tiab. Un auteur qu’il est grand temps de découvrir, si ce n’est pas encore le cas.

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29 décembre 2016 4 29 /12 /décembre /2016 06:01

Est-ce qu’un écrivain est lucide quand il se raconte, lorsqu’il retrace son parcours depuis l’adolescence jusqu’à près de cinquante ans (Caryl Férey est né le 1er juin 1967) ? On pourrait craindre que ce ne soit pas le cas, qu’un passionné de fiction enjolive sa réalité. D’ailleurs, est-il logique qu’un "petit gabarit" élevé à Montfort-sur-Meu accède à une belle notoriété en écrivant des livres. Il y a sûrement tromperie quelque part. Aussi malin soit-il, ce freluquet doit berner son monde. Dans sa folle jeunesse rock’n’roll, n’était-il pas un suicidaire, un punk-destroy-no-future ? Sa manière perso d’être romantique, en adepte de David Bowie, dit-il. Bande de copains à moto et scarification, rêves hallucinés de voyages, poursuite des études sans chercher à les rattraper, Caryl ne fut pas un modèle de stabilité. Un fou d’écriture, grattant des quantités de pages indigestes, ça ne prouve nullement qu’on a une once de talent. N’est pas qui veut Joseph Kessel, écrivain-voyageur.

Bien qu’il ait déjà publié, outre des petits romans inaboutis, “Haka” (Éd.Baleine) et “Plutôt crever” (Série Noire), il n’y avait pas foule à le solliciter en cet été 2002 quand il dédicaça ses livres à l’Interceltique de Lorient. Mais puisque des éditeurs avaient confiance en son potentiel, autant garder un œil sur cet auteur trentenaire. N’avait-il pas fait le tour du monde avec un pote quand il n’avait que vingt-et-un ans ? De ces tribulations en Océanie et en Asie (Nouméa, Sydney, l’Indonésie, Singapour, le Sri Lanka), c’est une longue étape en Nouvelle-Zélande qui marqua le jeune aventurier. Ses amours compliquées avec la belle Francesca, compagne d’un caïd local jaloux, source d’inspiration trop classique. Mais plus tard, après un périple calamiteux avec un ami hypocondriaque gaffeur en Israël et en Jordanie, naîtra son premier roman vraiment construit, “Haka”.

© photo Claude Le Nocher

© photo Claude Le Nocher

Je n’intellectualise pas beaucoup ce que je fais ou vis. En voyage, je prévois un minimum de choses – des contacts à rencontrer, des lieux qui fixeront les étapes du périple – et attends de voir ce qui arrive. Nous sommes ce qui arrive. Au fond c’est de cela qu’il s’agit. Le "personnage" de l’araignée n’aurait jamais vu le jour si le gardien du parc ne m’avait pas parlé de celles qui peuplent le désert. On peut ficeler une intrigue, apprendre dans des livres ou en suivant des cours spécialisés comment tirer un récit au cordeau, mais il est susceptible d’exploser à la vue d’une simple araignée. C’est elle qui m’a donné l’ultime ressort de "Zulu".

Émule de René Char, Jacques Brel, Joseph Kessel, Jean Moulin, Lawrence d’Arabie, Che Guevara, c’est très bien, mais ça ne nourrit pas son écrivain débutant. Une porte qui s’est entrouverte chez Gallimard, ça encourage beaucoup, à condition de frapper fort. Retour en Nouvelle-Zélande, un peu décevant jusqu’à ce qu’il entre en contact avec des Maoris : la genèse de “Utu”, premier véritable succès. Puis viendra pour le baroudeur Caryl, en 2007, la découverte de l’Afrique du Sud. L’icône Mandela masque un pays toujours violent. Entre des gros Afrikaners ruraux, le splendide désert de Namibie, les quartiers pauvres de Cape Town où soigner la population tient du miracle, il y a de la matière et des personnages. Au final, “Zulu” consacre Férey, bientôt transposé au cinéma. Forest Whitaker est sympa et humain, il nous le confirme (on n’en doutait pas). Le Festival de Cannes, passée la maladresse sur le tapis rouge des marches, c’est à pleurer d’émotion (sûrement, oui).

La destination suivante, ce sont les repérages en Argentine pour “Mapuche”. Troublant et ambigu, ce pays qui n’a jamais désavoué sa dictature militaire. Où l’ESMA, de sinistre mémoire, se visite avec neutralité. Il lui faudra un autre voyage, deux ans plus tard, pour mesurer le combat des Grands-mères de la Place de Mai, pour comprendre la place infime laissée au peuple indien Mapuche, tant en Argentine qu’au Chili voisin. Là encore, bien des aléas à surmonter pour approcher la population chilienne et les Mapuches. Tout ça pour un résultat – une première mouture du roman – beaucoup trop désespérément noir. C’est là que l’esprit de saint-David Bowie apportera une petite dose de légèreté à l’histoire. Caryl Férey n’en aura pas fini avec l’Amérique latine, car il y retournera avec sa bande pour trouver les protagonistes et les ambiances de “Condor”.

Caryl Férey : Pourvu que ça brûle (Éd.Albin Michel, 2017)

Caryl Férey apporte le même soin pour concevoir “Les nuits de San Francisco”, que les amateurs de romans noirs auraient grand tort de mésestimer. Car c’est au hasard d’un voyage à l’Ouest des États-Unis qu’il va toucher du doigt les réalités américaines. Et, une fois de plus, croiser les personnes existantes qui deviendront ses héros de fiction. Rester un "auteur en vue", ça signifie ne pas décevoir, ne pas bâcler… et pour Caryl Férey, conserver la méthode qui permet le réalisme quasi-journalistique de ses intrigues. Il pense dès maintenant à de prochains romans, pas moins durs que les précédents.

Quand il retrace les épisodes de sa vie ayant (ou pas) amené l’écriture de ses livres, il nous entraîne dans son sillage, sourire aux lèvres, légitimement fier du chemin parcouru. Il nous agace bien un peu avec les surnoms attribués à ses amis, façon totems-scouts, car il en abuse. Rien de dramatique, toutefois. En tant qu’écrivain, ce sont les arcanes de son métier (tel qu’il le conçoit) que nous raconte Caryl Férey. On aperçoit quelques aspects de sa sensibilité intérieure, de son caractère : “Oui, j’ai tendance à m’emporter dans ces moments-là, et je me fous de savoir ce qu’on peut en penser […] J’ai l’empathie dans mes tripes, c’est ma douleur et ma force.” Sa complicité n’est pas "intime" : il a autant besoin d’amis avec lesquels s’afficher, se montrant vachard ou agréable selon les cas, qu’il a un besoin vital d’écrire, d’exprimer. Ce récit hybride n’est pas une confession, plutôt un "état des lieux" qui prend à témoin les lecteurs (et son éditrice). Idéal pour compléter la lecture des romans de cet auteur.

© photos Claude Le Nocher

© photos Claude Le Nocher

Je ne réfléchis pas beaucoup à la méthodologie de mes livres, comme si, à l’instar de mes personnages, les actes primaient sur la psychologie. Ou alors est-ce l’influence du cinéma, où l’on montre plutôt qu’on ne dit les choses, qui conditionne ma perception ? […] J’ai tendance à agir de la même façon dans le vie, et dans mes romans. Mes personnages s’affinent à mesure que je rencontre leur avatar dans le réel : je ne les quitte jamais. Du moins le temps du livre. Certains surgissent au hasard du voyage, d’autres se construisent petit à petit. Mes héros en particulier. D’abord ébauches, ils deviennent mouvants, mobiles, puis familiers, presque réels. Quand le personnage est réussi, ce n’est plus le cerveau qui dicte les mots, mais les mains. Un moment rare. Une quête.

- "Pourvu que ça brûle" est disponible dès le 5 janvier 2017 -

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