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4 août 2017 5 04 /08 /août /2017 04:55

Dans les services secrets britanniques, il y a les "costards" de Regent’s Park, le gratin des agents, tels Diana Taverner ou Spider Webb. Dans un immeuble plus modeste, on trouve une équipe dirigée par Jackson Lamb, naguère espion expérimenté. C’est le "Placard des Tocards", où l’on a exilé des agents déclassés. Ils ne sont pas incompétents, mais ils ont commis au moins une grosse erreur. Jackson Lamb s’amuse à les malmener, histoire de passer son ennui. La plupart du temps, ces espions-là végètent dans ces bureaux oubliés. Webb vient de faire appel à deux d’entre eux, Louisa Guy et Min Harper, pour encadrer un oligarque russe lors de sa prochaine visite. Une sorte de baby-sitting pour milliardaire, car un duo de sbires slaves assurera déjà l’essentiel de la sécurité pour ce Pachkine.

Dickie Bow était un espion de la génération de Jackson Lamb. Tous deux furent autrefois agents à Berlin, qu’on surnommait alors le Zoo des Barbouzes. Ce Bow était largué depuis un certain temps déjà. Il vient de mourir dans un bus, au fin fond de l’Oxfordshire. Simple crise cardiaque, ou poison indécelable ? Jackson Lamb estime que ça mérite une enquête, à l’insu de ses services. Dans le fameux bus, il retrouve le portable de Bow et un chapeau égaré par un voyageur, des indices très vagues. Le défunt a laissé un ultime message sur son téléphone, "cigales". Un mot de code qui ravive quelques souvenirs chez Lamb. Ça remonte à la fin de la Guerre Froide. Le maître-espion russe Alexandre Popov aurait mis sur pied un réseau "d’agents dormants" en Angleterre, en vue de futures opérations.

Jackson Lamb n’ignore pas que c’était de l’intox, que ce Popov était une invention du KGB pour exciter l’espionnage britannique. Jeu de dupes, qui marchait dans les deux sens. Il imagine mal que le FSB, qui a succédé au KGB, lance une improbable offensive. Encore qu’il soit difficile de prévoir les projets de Poutine. C’est d’ailleurs pourquoi, de son côté, Webb (de Regent’s Park) espère que de bonnes relations avec l’oligarque Pachkine, futur chef d’État russe potentiel, soit un atout favorable. L’équipe de Jackson Lamb tient une piste, en la personne d’un chauve qui serait l’assassin de Dickie Bow. On sait qu’il est allé à Upshott, un petit village sans grand intérêt, si ce n’est qu’il y eût une base d’aviation américaine là-bas. Lamb y envoie son jeune agent River Cartwright, en immersion.

Il s’est produit un contre-temps dramatique : l’agent qui pistait les sbires de Pahckine est mort dans un accident de la circulation. Il était ivre, et la conductrice qui l’a heurté semble sans reproche. Quand arrivera l’oligarque russe, l’autre agent poursuivra néanmoins leur mission. Jackson Lamb a compris que ce n’était pas un simple accident. Avec Catherine Standish, sa collaboratrice, ils étudient le profil des habitants d’Upshott. Peu en sont originaires, beaucoup de semi-retraités, quelques-uns font partie du club d’aviation. Des suspects ou pas ? Tout cela ne serait-il pas un leurre, Lamb estimant avoir remonté trop aisément certaines pistes ? Pourtant, la situation va devenir réellement explosive…

Mick Herron : Les lions sont morts (Actes Noirs, 2017)

Katinsky est un sous-fifre, reprit [Diana] Taverner. Un agent de chiffrage qui ne nous a apporté aucune information que nous n’ayons pas obtenue d’autres sources mieux informées. Nous l’avons seulement gardé au cas où nous aurions eu besoin de monnaie d’échange. Tu veux vraiment me faire croire qu’il t’intéresse ?
— Alors, tu t’es renseignée sur lui ?
— Quand j’ai appris que tu chassais les pions des âges sombres, bien sûr que je me suis renseignée. C’est parce qu’il a parlé d’Alexandre Popov, hein ? Bon sang, Jackson, tu t’ennuies au point de déterrer de vieux mythes ? Quelle que soit l’opération que Moscou ait eu en tête à l’époque, elle est aussi pertinente aujourd’hui qu’une cassette audio. Nous avons gagné cette guerre, et nous sommes trop occupés à perdre la suivante pour la rejouer. Retourne au Placard et remercie le ciel de ne plus être sur la ligne de front.

Pour les autorités anglaises, la Guerre Froide est restée un épouvantail jusqu’à la chute du Mur de Berlin (novembre 1989). Il est vrai que plusieurs affaires d’espionnages causèrent des scandales au sein de l’élite du pays, dont les Cinq de Cambridge. La Grande-Bretagne a-t-elle continué à être un “terrain de jeu” par la suite pour les services secrets russes. On le pense sérieusement chez les Anglais, d’autant que des empoisonnements suspects et des cas “d’agents dormants” ont été établis jusque dans les années 2010. Un fantasme entretenu par des services secrets anglais, en parallèle de l’anti-terrorisme islamique dont les résultats sont moyennement convaincants ? Possible, mais les incertitudes planant sur les objectifs du pouvoir russe actuel font qu’ils entendent rester vigilants.

Bien sûr, ce roman n’est pas un documentaire, c’est une fiction se basant sur un contexte d’espionnage traditionnel. Après “La maison des tocards” (disponible en format poche chez Babel Noir), c’est le deuxième volet des aventures de Jackson Lamb et de son équipe. Des agents secrets probablement plus efficaces que ne le pense leur hiérarchie. L’instinct de Lamb et sa lucidité ne sont pas émoussés, les souvenirs du grand-père ex-espion de River Cartwright ont une valeur certaine, les qualités de Louisa Guy, de Catherine Standish et des autres font que l’enquête est bien plus cohérente qu’il y paraît. Qui manipule qui, et dans quel but ? Telle a toujours été la principale question des affaires d’espionnage.

En suivant tour à tour chacun des agents du "Placard des Tocards", le récit n’a rien de linéaire, alternant les scènes avec une belle logique. Et avec de l’humour, grinçant de la part de Jackson Lamb, souriant quelquefois autour de ses agents. Malgré tout, le danger existe même confusément, et cette équipe y est directement confrontée. Excellent roman qui a été, à juste titre, récompensé en 2013 par un Gold Dagger Award, prix littéraire britannique de grand prestige. Un suspense très réussi.

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26 juillet 2017 3 26 /07 /juillet /2017 07:00

À vingt-six ans, Elizabeth Hampton est étudiante à Dover, sa ville natale, dans l’Ohio. Elle est célibataire, bien qu’ayant eu une relation avec Dan, un copain étudiant. Sa famille se résume à trois personnes, son père étant décédé voilà quelques années. Il y a sa mère, Leslie Hampton, âgée de soixante-neuf ans. Celle-ci s’occupe toujours de Ronnie, vingt-sept ans, le frère d’Elizabeth. Ronnie est trisomique, assez autonome pour avoir un petit boulot, et plutôt intelligent malgré son handicap. Il a parfois des crises d’agressivité, que sa mère sait globalement gérer. Il y a aussi l’oncle Paul McGrath, frère de Leslie Hampton, retraité de l’Enseignement. Il est très compréhensif envers Ronnie. Suite à une dispute, Elizabeth s’est éloignée depuis six semaines de sa mère, au caractère souvent exigeant.

La police alerte Elizabeth lorsque Leslie Hampton est retrouvée morte à son domicile. Elle présente des hématomes, ce qui rend le décès suspect. Quelques jours plus tard, il se confirme que la mère d’Elizabeth a été étranglée. La police embarque Ronnie, le plaçant dans un institut psychiatrique. Cette strangulation peut être le fait du jeune trisomique en crise. La pragmatique Mme Hampton avait préparé les documents nécessaires en vue de ses obsèques, ainsi qu’un testament. L’oncle Paul est désigné tuteur de Ronnie, Elizabeth et son frère héritant des quelques biens de leur mère. La jeune femme confie à son ami Dan son sentiment de culpabilité, et ses rapports un peu difficiles avec sa maigre famille. Elle reprend les cours à la Fac, tout en rendant visite à son frère à l’hôpital psychiatrique.

Une femme inconnue est aussi venue voir Ronnie, ce qui perturbé le jeune homme. Paul ne semble pas savoir qui est cette personne. De retour à son logement, Elizabeth croise un homme mûr et trapu qui est entré par effraction dans son studio. Un toxico, estiment les agents de police qui constatent les faits. C’est peu probable, selon Elizabeth et les enquêteurs. Par ailleurs, une femme a téléphoné à l’avocat de Mme Hampton, au sujet de son testament. En effet, la mère d’Elizabeth en avait rédigé un nouveau récemment. Avec certaines modifications, incluant cette inconnue. Le médecin suivant Ronnie se veut rassurant sur son état psychologique. Elizabeth se demande pourquoi, depuis peu, sa mère s’est intéressée aux traumatismes infantiles, commandant un livre sur ce sujet.

Lorsque Ronnie avoue finalement le meurtre de sa mère, Elizabeth ne comprend pas et n’y croit pas. La jeune femme s’entend bien avec le lycéen Neal Nelson, dont le père est une sorte de détective privé. Neal se sent également des talents en la matière. Peut-être saura-t-il trouver la trace de l’inconnue, qui paraît s’appeler Elizabeth Yarbrough ? Quand un homme prend contact avec la jeune femme, il lui révèle tout un pan de la vie de Leslie Hampton dont Elizabeth n’avait jamais entendu parler. Toutefois, l’oncle Paul n’accorde guère de confiance à cet homme. Il est désormais impératif pour Elizabeth d’explorer le passé et la personnalité de sa défunte mère…

David Bell : Ne reviens jamais (Actes Noirs, 2017)

J’avais supposé que Ronnie ne m’appréciait pas plus que ça, surtout parce que j’avais conscience d’avoir érigé un mur entre nous. Je l’avais laissé à la charge de ma mère ces dernières années, gardant mes distances, allant jusqu’à prendre le large chaque fois qu’il y avait des problèmes. J’imaginais qu’il s’en était aperçu- il était trop intelligent pour ne pas le faire – et qu’il avait décidé d’adopter la même approche avec moi.
"Il a chanté vos louanges aujourd’hui. Je crois qu’il se rend compte de ce qui est arrivé à votre famille, et de la position dans laquelle ça vous place tous les deux" a dit le médecin. Puis il a ajouté une phrase toute simple, peut-être celle que j’avais le plus besoin d’entendre. Et peut-être que je l’entendais d’autant mieux qu’elle venait d’une personne extérieure à la famille, une figure d’autorité indépendante : "Vous êtes sa plus proche parente"…

Il faut reconnaître que le "suspense psychologique" peut s’avérer d’un moindre intérêt, en particulier quand les ambiances nous apparaissent artificielles, alourdies par des mystères rendant le récit carrément pesant. Pourquoi ajouter une inutile noirceur énigmatique, alors qu’il est plus logique de camper naturellement les situations auxquelles sont confrontés les protagonistes ? C’est effectivement l’atout majeur de cet excellent roman de David Bell. Au centre, une jeune femme ordinaire, qui n’est pas encore sûre de ses choix de vie. Elle n’a que peu de famille, n’a jamais senti la nécessité de se faire beaucoup d’amis. Tant que sa mère s’en est chargée, le cas de son frère handicapé restait un peu abstrait, d’autant que sa trisomie n’est pas une pathologie extrême. Quantité de famille à travers le monde vivent la même chose dans la réalité, ce qui n’est pas un problème insurmontable.

Ce contexte est parfaitement suggéré par l’auteur, de façon crédible. Au décès de la mère, la vie continue avec les adaptations que cela suppose. Mais plusieurs "grains de sable" ne font que compliquer les faits. Les fameux secrets de famille ! Ils ne sont pas forcément honteux, scandaleux, mais dépendent souvent des époques où ils remontent. C’est ce que David Bell souligne, montrant notamment qu’environ quarante ans en arrière, c’est à la fois loin et proche. Sans être stricte de caractère, la mère d’Elizabeth éluda une part de son passé que ses enfants, il est vrai, n’avaient pas vraiment à connaître. L’image qu’elle donnait d’une femme tranquille n’avait pas a être ternie pour ces souvenirs.

David Bell ne cherche jamais le spectaculaire, les effets exagérés. C’est ce qui fait la force de cette histoire, racontée avec fluidité. Ce qui permet au lecteur de partager les états d’âme et les questions que se posent l’héroïne. Une intrigue absolument convaincante.

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23 juillet 2017 7 23 /07 /juillet /2017 04:55

Camille Magnin est l’épouse de Paul, officier de police au commissariat de Quimper. Ils ont deux jumelles âgées de dix ans, Nina et Pauline. Étant occupé par diverses enquêtes, Paul Magnin a organisé pour Camille un voyage à Londres. Il a réservé dans un hôtel de grand standing, sur Piccadilly. Il sait que Camille apprécie l’œuvre du peintre William Turner. Elle pourra ainsi visiter l’exposition qui lui est consacrée à la Tate Britain, célèbre musée londonien. Faire du shopping et flâner dans cette ville, aussi. Mais, peu après son arrivée, Camille ne répond plus aux appels téléphoniques de Paul. Selon les responsables de l’hôtel, il semble qu’elle n’ait pas passé la nuit précédente dans sa chambre. Paul ne tarde pas à contacter son collègue et ami John Adams, de Scotland Yard. Sans attendre un feu vert officiel, ce dernier entame l’enquête sur la disparition de Camille.

En effet, la jeune femme a été enlevée, sans doute droguée. Elle est séquestrée dans une pièce où est diffusée fortement une chanson agressive. De temps à autres, des personnes portant des sortes de scaphandres l’alimentent. Peu à peu, elle se remémore le début de son séjour à Londres. Elle a retrouvé des quartiers qu’elle connaissait, avant d’aller à la Clore Gallery. Devant les tableaux de Turner, Camille a croisé par hasard une journaliste, Deborah Keynes. Pour le reste, ses souvenirs sont très flous. Elle se demande la raison de son enlèvement, de cette musique, de ce crucifix dans la pièce. Pendant ce temps, John Adams est aussi occupé par une pollution mal explicable aux colorants dans la Tamise. On va bientôt découvrir dix gros rats d’égouts morts, exposés dans la Tate Britain. Mauvaise plaisanterie ou mise en scène à prétention artistique, ces faits ont évidemment un sens.

À l’hôtel, Paul s’est installé dans la chambre retenue pour Camille. Les traces du passage de sa femme ne lui offrent guère de piste sérieuse. Il apprend qu’à l’emplacement du musée, se trouvait au 19e siècle une vaste prison, destinée en particuliers aux déportés. Y a-t-il un lien avec la disparition de Camille, et avec les méfaits commis autour de la Tate Britain ? En ce qui concerne les rats morts, John Adams et lui découvrent la référence à un tableau connu de William Turner. La pollution peut également s’associer à cette toile. Alors que des vêtements de Camille apparaissent, étalés près du musée, le tableau en question de Turner est dérobé. À sa place, une sinistre photographie immense en noir et blanc, et un message indiquant une date. Une précision qu’Adams exploite, cherchant un événement ayant pu se produire le jour indiqué.

Même si Camille est libérée, elle n’aura pas pu voir les visages de ses ravisseurs, ni savoir ce qu’ils lui voulaient alors qu’ils n’ont pas exigé de rançon. Une mort suspecte – meurtre ou suicide – en rapport direct avec le musée relance les investigations de John Adams, et d’une jeune policière de ses services…

Marie Devois : Turner et ses ombres (Éd.Cohen & Cohen, 2017)

Le directeur marchait d’un pas d’automate. Il était blanc comme neige. Lequel de ses salariés s’était-il rendu complice de cette mise en scène ? Il avait visité à plusieurs occasions le blog des employés du musée pour connaître leur ressenti. La plupart de ceux qui s’y exprimaient confiaient qu’ils aimaient la Tate car on y travaillait dans une très bonne ambiance, et ils côtoyaient des artistes et des gens pleins de talent. Certains évoquaient l’extraordinaire et fort divertissant "jeu des questions". Andrew Pill avait soudain l’impression d’avoir été trompé. Humilié. Il était là depuis plusieurs mois et n’avait pas remarqué que le navire prenait l’eau de tous côtés.
Subtilement l’image de la femme qu’il avait vu à différentes reprises à la télévision et sur les clichés qu’on lui avait présentés s’imposa à lui. Était-elle morte quelque part dans une des réserves ? Au point où ils en étaient, il n’était plus convaincu que cela serait impossible. Seulement imprévisible. Il sentit son estomac se serrer…

Dans cette collection Art Noir, aux Éd.Cohen & Cohen, Marie Devois a utilisé en filigrane l’univers de plusieurs peintres : Van Gogh en 2014 (Van Gogh et ses juges), Velàsquez en 2015 (La jeune fille au marteau), Gauguin en 2016 (Gauguin mort ou vif). Cette fois, c’est l’artiste britannique Joseph Mallord William Turner (1775-1851) qui est à l’honneur. Sans doute est-il bon de souligner qu’il ne s’agit pas d’un polar historique, qui replacerait Turner en son époque. L’intrigue est contemporaine, dans le Londres actuel, tournant autour de la Tate Britain (que l’on appelait naguère la Tate Gallery) sur Millbank, face à la Tamise. Un haut-lieu de l’Art, qu’il faut avoir eu la chance de visiter au moins une fois dans sa vie.

Qui dit police, dit enquête. Et dès que c’est Scotland Yard qui s’en charge, cela ne peut qu’exciter notre imaginaire. La Metropolitan Police londonienne conserve une réputation d’efficacité. Toutefois, Marie Devois aime cultiver les ambiances où plane le mystère, non sans une dose de noirceur. C’est ainsi que nous observons Camille durant sa séquestration avec toutes les questions qu’elle se pose. Son mari Paul est loin de se montrer inactif, de même que son confrère anglais. Mais ne faut-il pas s’interroger sur le policier quimpérois, le mieux placé pour faire kidnapper son épouse ? Énigmatique et bien maîtrisée, cette histoire nous offre une très agréable lecture.

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20 juillet 2017 4 20 /07 /juillet /2017 04:55

Le lundi 27 juillet 1981, David Umber fut témoin d’un drame. Étudiant en Histoire âgé de vingt-cinq ans, il patientait à la terrasse d’un bar d’Avebury, où il avait rendez-vous. Un certain Griffin devait lui fournir des révélation sur un mystère historique, le cas Junius. Par ailleurs, le passé mégalithique de la petite ville d’Avebury, dans le Wiltshire, n’intéressait pas vraiment David Umber. Ce jour-là, la jeune nounou Sally emmène en promenade les trois enfants de Jane et Oliver Hall. Jeremy a dix ans, Miranda sept ans, la petite Tamsin, deux ans. Cette dernière est soudainement kidnappée par un ou deux inconnus. Sa sœur Miranda meurt en tentant de s’interposer. Brian Radd, un pédophile tueur d’enfants, a finalement avoué l’enlèvement et le meurtre de Tamsin. Probablement enterré, le cadavre de la petite kidnappée ne sera jamais retrouvé. Oliver et Jane Hall se sont séparés.

David et Sally vécurent ensemble, s’éloignant le plus souvent possible de leur pays. Vingt-trois ans après les faits, David est enseignant et guide touristique à Prague. Encore minée par l’affaire, Sally s’est suicidée voilà cinq ans chez son amie Alice, à Londres. Le policier George Sharp est retraité depuis longtemps. Il n’a jamais été convaincu par l’issue fort incertaine de "l’enquête Hall". Dans son combi VW, il va jusqu’à Prague pour renouer avec David Umber. Car Sharp a reçu un curieux courrier anonyme, qui présente un lien avec le mystère Junius. En mémoire de Sally, David accepte de reprendre l’enquête avec Sharp. Même s’il y a peu d’espoir de glaner des éléments nouveaux auprès des parents et des témoins, le duo retourne à Avebury et Marlborough, à cinquante miles de Reading. Quant à enfin identifier le fameux Griffin, qui donna rendez-vous à David, c’est assez illusoire.

Témoin d’alors, Percy Nevinson n’accepte de parler qu’à David, pas à Sharp. Sa théorie sur des forces cosmiques extra-terrestres complotistes ne mérite même pas d’en rire. Le duo rencontre le second mari de Jane Hall, puis la mère des victimes en personne. Jane a choisi de s’en tenir à la version officielle, afin de faire le deuil de ses filles. Un soi-disant Walsh dérobe les archives de David sur le cas Junius. Puis c’est Brian Radd qui est tué en prison par un co-détenu. Du coup, il n’est pas interdit de s’interroger sur le suicide de Sally. David contacte leur amie Alice, qui lui conseille de rencontrer la psychothérapeute qui suivait Sally. Remarié avec la belle Marilyn, Oliver Hall vit à Jersey. Il fixe rendez-vous à David, lors d’un séjour à Londres. Comme son ex-épouse Jane, il a adopté la version officielle du dénouement. Quant à la psychothérapeute, elle admet le suicide de Sally.

David a repris ses recherches historiques sur le cas Junius, peut-être une clé de l’affaire. Oliver Hall engagea à l’époque un détective privé, Alan Wisby, aujourd’hui retraité vivant sur une péniche. Quand David tente de le voir, il tombe sur le fameux Walsh, qui fait preuve d’agressivité. L’ex-policier Sharp s’est rendu à Jersey, mais il a été immédiatement arrêté, victime d’un piège. David se déplace à son tour jusqu’à Jersey, où il rencontre Jeremy et son amie Chantelle. Le jeune homme l’attendait, comme pour clore un chapitre de sa vie. Si les infos du "privé" Wisby lui sont utiles, c’est seul que David devra résoudre cette affaire datant de vingt-trois ans…

Robert Goddard : Les mystères d’Avebury (Éd.Sonatine, 2017)

Walsh avait défait la corde et poussé le bateau loin de la berge. Mais l’autre extrémité de la péniche était toujours attachée, si bien qu’elle commençait à se mettre en travers du canal. Elle était déjà trop éloignée de la rive pour sauter de là où il était. Umber devait rejoindre jusqu’à la poupe s’il voulait regagner la terre ferme. Mais il ne croyait pas un instant que Walsh lui en laisserait la possibilité.
— Vous n’avez rien à faire là, cria Walsh en secouant la tête. Vraiment, vous n’avez rien à faire là.
Son regard se détacha subitement d’Umber. Au même moment, il y eut des bruits de pas sur le toit de la cabine. Umber se tourna juste à temps pour voir un homme athlétique, en treillis, qui le surplombait. Une batte de base-ball décrivait un arc de cercle au-dessus de lui. Il leva le bras pour protéger son visage, la torche serrée dans son poing. La batte visait sa tête, mais c’est le corps en caoutchouc de la torche qui prit le gros de l’impact. De tout cela, Umber n’eut pas véritablement conscience. Quelque chose l’avait frappé avec une force foudroyante. C’est tout ce qu’il savait. Puis son crâne cogna contre le sol quand il s’effondra. Et il plongea dans les ténèbres.

Il est logique qu’un pur roman d’enquête tel que “Les mystères d’Avebury” comporte des rouages complexes. Puisqu’il s’agit de revenir sur un dossier mal résolu, c’est sûrement que les faits d’origine n’étaient pas aussi évidents, que les conclusions étaient fausses. Ce postulat, le lecteur l’accepte d’autant plus volontiers que l’on nous décrit la scène initiale du kidnapping. Ainsi, nous comprenons la psychologie des protagonistes, marqués à vie par un pareil drame. D’autant qu’il se passe dans un décor paisible et charmant, que cela touche une famille plutôt ordinaire. Depuis, les parents ont refait leur vie chacun de son côté, et le fils rescapé s’est éloigné de l’Angleterre. De même que David Umber, un patronyme qui peut se traduire par "l'Ombre". Il convient donc de s’immerger dans cette intrigue, de suivre les investigations de David, les péripéties de ses recherches.

On n’est pas obligés de se passionner pour les arcanes du cas Junius, avouons-le. Ce n’est là qu’un des points du récit, d’autres énigmes attendent leur solution. Celle imaginée par le témoin Percy Nevinson est plutôt destinée à sourire. D’autres aspects s’avèrent plus sombres, voire dangereux, car il apparaît que quelqu’un pèse pour empêcher que la vérité éclate. Si le tempo narratif n’est pas tellement rapide – ce qui n’est pas indispensable, l’auteur compense en variant les lieux (Prague, Avebury, Marlborough, Londres, Jersey). Romancier chevronné, Robert Goddard maîtrise son sujet avec aisance, comme il se doit dans la bonne tradition des enquêtes à suspense.

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16 juillet 2017 7 16 /07 /juillet /2017 04:55

Il s’agit d’un recueil de nouvelles, dont le titre indique la thématique : il existe toujours un rapport avec un Musée. L’excellent Richard Migneault, apôtre de la littérature québecoise et fervent admirateur du polar francophone, a coordonné cet ouvrage qui réunit dix-huit auteures : Barbara Abel, Claire Cooke, Ingrid Desjours, Marie-Chantale Gariepy, Ariane Gélinas, Karine Giebel, Nathalie Hug, Catherine Lafrance, Claudia Larochelle, Martine Latulippe, Geneviève Lefebvre, Stéphanie de Mecquenem, Florence Meney, Andrée A.Michaud, Elena Piacentini, Dominique Sylvain, Danielle Thiéry et Marie Vindy. Pour ces rendez-vous avec les Musées, ce sont uniquement des femmes qui démontrent leur talent. Des Québécoises et des Européennes, car ce livre est conjointement publié en France par les Éd.Belfond et au Québec par les Éd.Druide.

Parmi les auteures choisies ici, certaines sont plus connues que d’autres. C’est pourquoi Richard Migneault dresse, après la nouvelle, un portrait personnel de chacune. Un regard à la fois précis et tout en nuances, sur ces dix-huit femmes. Sans oublier un hommage à une pionnière du polar québécois, Chrystine Brouillet, et une pensée pour notre défunte amie Patricia Parry. Toutes ces auteures possèdent un style et un imaginaire différents. À chacune sa tonalité, et son univers muséologique. Si ces lieux peuvent sembler austères, ils ont parfois un lien avec le crime. Voici quelques exemples de ces nouvelles, diverses et très réussies.

 

Danielle Thiéry – L’ombre d’Alphonse : Pionnier de la criminologie, Alphonse Bertillon a été agressé à son bureau. La première sur les lieux, c’est Alice, la guide du Musée de la police parisienne, au commissariat du 5e. Le décor dérangé, rien de bien grave. Alice découvre sitôt après le cadavre de Violette, assassinée. La victime était employée du Musée, mais surtout l’épouse du commissaire Malet. Peu avant qu’on retrouve le corps, l’agente de police Agathe a remarqué des détails pas si anodins. Toutefois, elle n’est pas enquêtrice. Comme la mort de sa femme ne va pas modérer l’irascible Malet, Agathe estime qu’il vaut mieux garder profil bas. Pourtant, elle risque bel et bien d’être confrontée à l’assassin…

Elena Piacentini – Dentelles et dragons : Trentenaire, Simon vit dans le Nord de la France. En privé, il est fasciné par les ouvrages en dentelle, autant que par les préparations culinaires sucrées. Si c’est héréditaire, Simon n’en sait rien, car il fut un enfant adopté. Ce dont il se fiche depuis toujours. Mais les hasards de l’existence s’en mêlent, quand la jeune Ania le contacte. Judith, la mère biologique de Simon, est moribonde. Il est encore temps pour qu’elle lui révèle ses origines. Outre le coup de foudre entre Ania et Simon, la situation aura des conséquences plus dramatiques. À Caudry, un Musée symbolise l’obscur passé que Simon se doit d’éliminer. Peu de danger qu’il soit suspecté.

Andrée A.Michaud – Mobsters Memories : Quand vous êtes pourchassé par le caïd Latimer et ses sbires, pour une histoire de femme fatale, mieux vaut se planquer. Par exemple, à l’intérieur de ce Musée présentant une expo sur le grand banditisme américain et ses mafieux légendaires. Al Capone, Meyer Lansky, Bugs Moran, toute une époque ! Il y a là une animation pleine de bruit et de fureur, à l’image de la vie de ces truands d’autrefois. Une ambiance digne des romans de Raymond Chandler. Latimer restant à ses trousses, il doit se comporter tel un dur-à-cuire, ne pas lésiner sur les coups violents. Au risque de causer des victimes collatérales, c’est sûr. Finalement, pourquoi ne pas rêver d’être l’égal d’Humphrey Bogart ?…

Dominique Sylvain – Le chef-d’œuvre : Au Japon, Jungo Hata a une longue carrière de yakuza derrière lui. Cet exécuteur de sang-froid vient d’apprendre qu’un cancer va très prochainement l’emporter. Ce n’est pas tant sa fin qui le tourmente, c’est sa peau. Car Jungo est, en quelque sorte, une œuvre d’art sur pieds. Il est ami depuis leur enfance avec Katsu, qui l’a tatoué sur tout le corps. Katsu figure parmi les meilleurs experts japonais en la matière. Malgré tout, Jungo a peut-être une chance d’obtenir une notoriété post-mortem, grâce à la jeune Annabelle. Finir dans un Musée, ce n’est pas un projet si saugrenu qu’il y paraît. Mais un meurtre va changer le cours des choses…

Crimes au Musée (Éditions Belfond, 2017)

En sortant du taxi, à l’aéroport Montréal-Trudeau, Duquesne aperçut un véhicule de la Sécurité du Québec et deux ou trois autres voitures de la Gendarmerie royale du Canada. Voilà le comité d’accueil, se dit-il. Qu’attendaient-ils ? À moins qu’il se trompe complètement, ils étaient ici non pas pour cueillir les "objets de grande dimension" comme lui avait dit son contact, mais pour parler à ceux qui transportaient ces objets, et il y avait fort à parier que c’étaient les gars de Da Vinci. Les enquêteurs étaient donc arrivés aux mêmes conclusions que lui, ce qui accréditait sa thèse. Il passa les portes. À l’intérieur, il se retrouva face-à-face avec Latendresse qui faisait les cent pas, un téléphone rivé à l’oreille. Voilà pourquoi il n’était pas parvenu à le joindre. Le journaliste n’avait aucunement l’intention de se faire discret. Il se planta devant lui. En l’apercevant, le policier raccrocha. (Catherine Lafrance, “Le Christ couronné d’épines”)

Stéphanie de Mecquenem – La mystérieuse affaire du codex maya : Tiphaine Dumont est coroner au Québec. Elle accompagne à Venise son ami et complice sir James Jeffrey, pour un congrès d’épigraphistes, la passion de ce dernier. Lors d’une visite au Palais des Doges, Ferdinand de Brassac – président de ce congrès – semble pris d’un malaise et fait une chute mortelle. En réalité, c’est un empoisonnement à l’arsenic qui est cause de sa mort. Dès la veille au soir, Tiphaine et sir Jeffrey avaient senti une certaine tension autour de la victime. Le cahier où figurait sa théorie sur un codex maya avait été égaré. En outre, le décryptage de codex est une activité fort coûteuse. Pour quels vrais motifs l’a-ton tué ?…

Barbara Abel – L’Art du crime : Grande soirée de vernissage au Musée d’Art Contemporain, où sont exposées les nouvelles œuvres de Vera Charlier. Si c’est la consécration pour cette artiste, son amie Louise n’éprouve aucun plaisir à participer à l’événement. Elle n’est là que pour accompagner son mari Denis Moretti, maire de la ville. Que Denis ait été l’amant de Vera Charlier par le passé, c’est une secret de polichinelle dans la région. Le trio qui s’affiche ensemble, ça fera sûrement jaser. Toutefois, Louise a une autre sérieuse raison de se sentir mal. Si elle en parle à Denis, cela aura des conséquences désastreuses pour elle. À cause de l’ambiance oppressante, il est préférable que Louise s’isole quelque peu…

Marie Vindy – Charogne : Même une policière expérimentée, près de vingt-sept ans de métier, peut s’avouer troublée par une scène de crime. Ça se passe dans le logement de fonction d’un minuscule Musée, dans une bourgade rurale. Un couple a été abattu en plein acte sexuel. Aline et Samuel, amants tragiques trentenaires, font penser à une estampe de Rodin. Elle était mariée à un notable local. Lui état le conservateur de ce tout petit Musée. Unis dans la mort, romantisme meurtrier. Duo beau et émouvant. Tableau obsédant qui méritera une séance chez la psy. Pour la policière, impossible de chasser de son esprit cette funeste scène, de se concentrer sur l’enquête. D’autant que le principal suspect possède un très bon alibi…

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12 juillet 2017 3 12 /07 /juillet /2017 04:55

Dans le New Jersey, le comté de Bergen est tout proche de New York, au nord-ouest de la métropole. Basé à Hackensack, le shérif Robert Heath y est chargé du maintien de l’ordre en cette année 1915. Parmi ses adjoints, il emploie une femme, Constance Kopp. Avec ses sœurs Norma et Fleurette, elle a récemment vécu une aventure mouvementée. Ce qui lui a valu d’être engagée par le shérif. Mais les femmes dans la police, ça ne plaît pas à tout le monde. Y compris au sexiste John Courter, un des adjoints d’Heath, qui ne cache guère son hostilité. Le statut de Constance étant contesté, le shérif lui attribue un poste de gardienne de prison en attendant. Deux mois passent, et rien n’évolue. La surveillance des femmes incarcérées n’est pas déplaisante, mais ce n’est pas le métier que vise Constance.

Parmi les prisonniers se trouve Herman Albert von Matthesius, un vieil Allemand qui se dit médecin, baron et pasteur. Il est vrai qu’il dirigea une sorte de clinique-sanatorium à New York. Ses pratiques entraînèrent des plaintes de la part de trois de ses jeunes employés. En prison, il parle principalement sa langue d’origine, que Constance Kopp connaît assez bien. Von Matthesius vient d’être hospitalisé en ville dans un état délirant. Difficile de savoir s’il simule, car la prison n’a pas de médecin sur place, ce que déplore le shérif. Lors d’une nuit d’orage, alors que règne une grande agitation à l’hôpital à cause d’un grave accident, von Matthesius s’enfuit. Il était sous la garde de Constance Kopp, qui s’en veut car la situation met le shérif Heath dans l’embarras. Il tente le maximum pour le rattraper.

N’étant pas officiellement adjointe, Constance Kopp ne sait pas comment l’aider : “Je ne demandais pas de pardon. Tout ce que je voulais, c’était voir mon prisonnier de nouveau enfermé dans sa cellule comme il le méritait.” À New York, elle se rend à l’adresse de Felix von Matthesius, le frère du fugitif. Des adjoints du shérif l’y ont précédé vainement, et le logement est vide. Un ami photographe lui donne quelques conseils avant que, dans un hôtel de luxe réservé aux femmes, Constance ne sympathise avec un trio d’amies, dont l’une est journaliste. Elle recherche les trois jeunes plaignants afin d’obtenir plus de détails sur les faits reprochés à von Matthesius. Dans les mêmes quartiers new-yorkais, se trouve l’ancien sanatorium. Elle le visite clandestinement, sans y découvrir le moindre indice.

Faisant des allers-retours du comté de Bergen jusqu’à New York, elle trouve une possible piste en la personne du docteur Milton Rathburn. C’est au Murray’s, un grand restaurant new-yorkais, que Constance repère Felix von Matthesius. Elle parvient à l’alpaguer, non sans complications. Le shérif et elle ramènent le frère du fuyard à Hackensack, mais il n’a aucune intention de se montrer coopératif. Pour Constance, la chasse continue…

Amy Stewart : La femme à l’insigne (Éd.10-18, 2017) – Inédit –

— Mais ce n’est pas vrai du shérif Heath, protestai-je. Il est resté dehors toute la nuit à traquer von Matthesius. Et il est obligé de le capturer ! Saviez-vous qu’un shérif peut se retrouver en prison s’il laisse s’échapper un détenu ?
— Oui mais, en attendant, il doit gérer sa prison et s’occuper d’une centaine d’autres prisonniers, tout en pensant aux élections de l’automne prochain, qu’il devra remporter s’il est encore libre à ce moment-là. Et puis chaque jour de la semaine amène son lot de cambriolages, d’incendies criminels et de jeunes filles disparues, non ? Voilà de quoi est faite son existence ! Pour un détective en revanche, c’est différent. Vous, vous avez la possibilité de poser des questions que personne d’autre ne posera. Vous pouvez vous mettre dans la peau du criminel et comprendre son mode de pensée. C’est de cette façon que vous parviendrez jusqu’à lui…

C’est dans “La fille au revolver” (Éd.10-18, 2016) qu’Amy Stewart crée le personnage de Constance Kopp, que l’on retrouve dans ce deuxième épisode également inédit. En réalité, cette pionnière de la police criminelle s’inspire d’une femme ayant vraiment existé. Elle fut la première shérif-adjoint des États-Unis, au début du 20e siècle. S’agissant d’une fiction, l’auteure nous raconte son parcours à sa manière. En fin d’ouvrage, elle explique les bases de plusieurs parts du récit. L’affaire von Matthesius se produisit vraiment, et on imagine volontiers que Constance Kopp persévéra jusqu’à mettre la main sur ce bonhomme. Afin d’obtenir ce statut officiel et cet insigne d’adjoint au shérif.

Si, faute d’apprentissage du métier, la jeune femme manque de méthode rationnelle, cela ne nuit en rien à l’intrigue criminelle. Au contraire sans doute, car ses investigations la conduisent dans divers endroits. Pour Amy Stewart, une excellente manière de dessiner le portrait de l’Amérique d’alors. La condition féminine reste nettement inférieure, car il n’est pas question de rémunérer des femmes pour des "métiers d'hommes". Le bénévolat est juste toléré pour elles. Quant à la situation des repris de justice, le shérif progressiste la résume parfaitement : “Nous devrions pouvoir soigner au moins leurs petits maux, et pas seulement par charité chrétienne, mais parce que nous avons ici l’occasion de les remettre dans le droit chemin en leur faisant mener une vie saine. Donnez une douche et un repas chaud à un homme, une bible pour l’étude et des corvées difficiles pour tenir ses mains occupées, et vous transformerez un criminel en bon citoyen. Ça, ce n’est pas en l’enfermant dans un cachot que vous y parviendrez.”

Ambiance américaine du début du 20e siècle donc, mais aussi histoire personnelle de Constance Kopp et de sa famille. Leur mère est décédée, leur frère Francis s’est éloigné. Sa sœur Norma est une colombophile aux idées quelque peu "baroques", et la jeune Fleurette cultive l’espoir de devenir artiste. Elle se sent responsable de leur foyer, mais le goût de l’aventure est encore plus puissant pour Constance. Une véritable héroïne, dans la plus belle tradition. “La femme à l’insigne”, un suspense parfaitement réussi, un roman de grande qualité à ne pas manquer.

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10 juillet 2017 1 10 /07 /juillet /2017 04:55

Le nouveau client de l’avocat Perry Mason se nomme J.R.Bradbury. C’est un notable d’une quarantaine d’années, venu de la ville de Cloverdale. Un certain Frank Patton y a escroqué bon nombre de gens, autour d’un prétendu projet de film hollywoodien. Ce n’est pas le genre d’affaires qui passionnent les District Attorneys de Cloverdale, ni de Los Angeles, ces arnaques devant beaucoup à la crédulité des victimes. Patton fit miroiter un rôle à une jeune femme de la ville, âgée de vingt-quatre ans, Marjorie Clune. Elle est restée dans l’anonymat depuis qu’elle l’a suivi à Los Angeles. Bradbury engage Perry Mason pour qu’il la retrouve, et au besoin soit son défenseur, car il n’exclut pas d’épouser cette Marjorie.

L’avocat charge le détective privé Paul Drake de collecter des renseignements sur Frank Patton. À Cloverdale, ce n’était sûrement pas sa première escroquerie. Qu’il ait commis d’autres méfaits pourrait les aider. Un autre homme est à la recherche de Margy. Robert Doray est un jeune dentiste peu fortuné de Cloverdale. Il semble très épris de la jeune femme, et prêt à tout pour elle, lui aussi. Paul Drake ayant trouvé l’adresse de Patton, l’avocat se rend à l’appartement de l’arnaqueur. Il y découvre le cadavre fraîchement poignardé de Frank Patton. Une voisine ayant entendu une altercation dans ce logement, entre une femme et l’occupant, a appelé un agent de police. Perry Mason fait semblant de n’être jamais entré dans l’appartement, se plaçant dans une mauvaise situation.

L’avocat déniche l’endroit où se cache Margy. C’est chez son amie Thelma Bell, elle aussi victime des promesses mensongères de Patton. Toutes deux nient l’avoir tué, mais elles ne peuvent qu’être fortement suspectées. Thelma a un alibi, mais Mason doute. Quand il interrogera l’homme en question, des petits détails relativiseront le témoignage favorable. Pour Bradbury, aucune hésitation sur l’identité du coupable : c’est le Dr Robert Doray. Il est, de son point de vue, essentiel de préserver l’innocence de Marjorie. Les inspecteurs de police Riker et Johnson s’invitent au bureau de l’avocat, afin de déterminer le rôle de celui-ci. Perry Mason s’en tient à sa version : il n’est pas entré dans l’appartement.

Une soi-disant Vera Cutter s’est adressée au détective Paul Drake. Elle a décrit Bob Doray comme un type irritable et brutal, jaloux de Patton, venu à Los Angeles pour supprimer son rival. Mais l’identité de cette Vera Cutter est carrément incertaine, de même que son témoignage. Drake apprend que le couteau ayant service d’arme du crime appartenait bel et bien à Robert Doray. Ce qui le rend plus suspect que jamais. Pour les policiers Johnson et Riker, l’avocat l’est tout autant. Perry Mason peut espérer que le sergent O’Malley, de la Criminelle, soit moins obtus…

Erle Stanley Gardner : Jeu de jambes (Perry Mason L’avocat justicier, Omnibus, 2017)

Ce qui est notre plus grand handicap, expliqua Mason, c’est ce concours. Aux yeux de l’Américain moyen, une fille qui n’hésite pas à se faire photographier les jambes et les cuisses nues est un être sujet à caution. Vous me direz que ces concours sont répandus chez nous, qu’ils sont presque devenus une institution nationale. N’empêche. En son for intérieur, chaque homme, chaque femme considère que les lauréates d’un tel concours sont plus ou moins des jeunes filles perdues.
— Je vois, répéta Bradbury. D’ailleurs, je tiens à vous prévenir que vous n’avez pas besoin de vous justifier à mes yeux. Vous entreprenez ce que vous voulez pour arriver au résultat que je désire. Je ne vous sous-estime pas non plus. Vous êtes probablement le meilleur avocat de cet État et je sais que, quoi que vous fassiez, ce sera au mieux des intérêts dont vous aurez été chargé. La seule chose que je vous rappelle, c’est qu’en aucun cas Margy ne doit payer pour ce crime. Et pour la sauver, je n’hésiterais pas à impliquer qui que ce soit. Vous entendez, Maître ? Qui que ce soit…

Erle Stanley Gardner : Jeu de jambes (Perry Mason L’avocat justicier, Omnibus, 2017)

Piqûre de rappel pour cet ‘Omnibus’ rassemblant sept romans d’Erle Stanley Gardner, avec pour héros l’avocat Perry Mason : Cœurs à vendre, La prudente pin-up, Jeu de jambes, L’Hôtesse hésitante, Gare au gorille, La nymphe négligente, La vamp aux yeux verts. Le titre évoqué ici, “The Case of the Lucky Legs”, la troisième enquête de Perry Mason, fut publié en 1934. Il parut en français sous le titre “Jambes d'or” aux Éditions Arthaud en 1949. Puis il fut publié en français dans une nouvelle traduction d’Igor B.Maslowski, sous le titre “Jeu de jambes”, dans la collection Un Mystère des Presses de la Cité, en 1956. C’est de cette traduction qu’il s’agit ici.

En postface de ce dernier ‘Omnibus’, Jacques Baudou recense les adaptations cinéma et télé des enquêtes de Perry Mason. Il évoque les comédiens qui incarnèrent ce personnage à l’écran. “The Case of the Lucky Legs” fut adapté au cinéma en 1935, par le cinéaste Archie Mayo. Warren William était Perry Mason, et Geneviève Tobin tenait le rôle de Della Street. Avec Patricia Ellis (Margie Clune), Lyle Talbot (Bob Doray), Peggy Shannon (Thelma Bell), Porter Hall (Bradbury), Craig Reynolds (Frank Patton), Allen Jenkins (Drake). De 1934 à 1936, Warren William endossa le personnage de l’avocat dans quatre films. Selon Jacques Baudou, Geneviève Tobin fut une excellente Della Street, son unique prestation dans ce rôle. De 1957 à 1966, furent tournés 271 épisodes de 60 minutes dans la série Perry Mason. En décembre 1959, fut diffusée aux États-Unis une adaptation-télé du même roman, avec Raymond Burr (Perry Mason), Barbara Hale (Della Street), et William Hopper (Paul Drake).

Pour situer l’avocat et son état d’esprit, voici deux courts extraits qui en disent long. Une clarification face à son client : “Vous m’avez engagé pour représenter vos intérêts, mais je suis votre avocat et non votre employé. Ma situation pourrait se comparer à celle d’un chirurgien. Si vous en aviez un, que vous avez chargé de vous opérer, vous ne lui diriez certainement pas comment s’y prendre…” Par ailleurs, Della Street s’inquiète que son patron prenne trop de risques : “Mais vos confrères ne jouent pas au détective. Ils attendent que la police débrouille le mystère et se contentent ensuite de défendre l’accusé qui fait appel à eux. — Question de tempérament, Della. — Avec le vôtre, vous vous trouvez souvent impliqué dans des crimes… C’est vrai, si vous n’étiez pas comme ça, vous ne seriez pas Perry Mason.” Un professionnel, aux méthodes souvent hors normes, donc.

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8 juillet 2017 6 08 /07 /juillet /2017 04:55

Avec ses décors typiques, ses splendides paysages côtiers ou plus montagneux, la Corse a des aspects paradisiaques. Même quand, au cœur de l’été, sévit la canicule. Le tourisme fait partie intégrante de la vie des insulaires. Néanmoins, il leur arrive de s’interroger sur la quantité de riches Russes, peut-être mafieux, prenant l’habitude de fréquenter l’Île. Un grand maître des échecs, qui semble proche de Poutine et des services secrets russes, fait partie de ces nouveaux "amoureux de la Corse". Toutefois, il reste des villages comme ceux du Haut-Nebbiu, majoritairement peuplés d’une population locale. Quelles que soient les éventuelles divergences d’opinion, les chasseurs y pratiquent toujours des battues aux sangliers. Qui entraînent parfois des accidents de tirs mortels, toujours explicables.

Âgé de quatre-vingt-quatre ans, Ferdinand Squaglia fait figure de patriarche dans cette région de Corse. S’il n’est plus guère fringant, c’est dû à la vieillesse autant qu’à une vie qui ne l’a pas épargné. Quarante ans plus tôt, l’été 1976 fut aussi caniculaire que celui-ci. Surtout, les esprits s’échauffaient, et les autonomistes s’organisaient pour démontrer leur force. Éleveur bovin, Ferdinand n’approuvait pas cette agitation de jeunes excités. Son fils Stefanu n’y était pas indifférent, lui. D’ailleurs, il était l’ami d’Antoine Rimigni, plus engagé que lui dans la lutte indépendantiste armée. C’est ainsi que Ferdinand et Stefanu finirent par avoir des ennuis avec les autorités. Tous deux furent incarcérés durant de longs mois, ce qui occasionna fatalement la ruine de leur élevage laissé entre-temps à l’abandon.

Certes, un soutien financier de leurs concitoyens les aida à rebondir. Et Félix Rimigni, père d’Antoine, accepta d’acquérir des terres sans grande valeur appartenant aux Squaglia. En quelques années, Ferdinand perdit son fils Stefanu, puis son petit-fils Étienne. De famille, il ne lui reste plus que son arrière-petit-fils Pierre-Baptiste et Maryline, la veuve d’Étienne. Pas facile de s’entendre avec la jeune femme, qui n’ignore pas que les décès de Stefanu et de son mari avaient certainement un lien avec le mouvement autonomiste corse. Car le contexte nationaliste a évolué en quatre décennies, écartant des activistes, en supprimant d’autres. Ferdinand a récemment engagé un détective privé afin de déterminer les responsabilités de quelques personnes dans les malheurs qu’il a traversés.

Ancien flic, le détective Firmin Lagarce y voit l’occasion de décrocher le pactole, laissant son jeune assistant arabe mener l’essentiel des investigations. S’il existe un rapport avec les remous meurtriers autour des Russes envahissant l’Île, ça peut même avoir un sacré retentissement. Mais c’est principalement parmi la population du Haut-Nebbiu que l’on compte plusieurs victimes en cet été 2016…

Olivier Collard : Sulleone (Éditions du Cursinu, 2017)

— Quand les dissensions ont commencé à miner le mouvement nationaliste, Stefanu a profité d’une réunion politique pour dire à certains leurs quatre vérités. Il est revenu sur cette affaire, disant à qui voulait l’entendre que vingt ans auparavant, il y avait déjà des falsacci parmi eux. Que c’était à cause de ces faux-frères que l’organisation était au bord de l’implosion. Qu’il était temps de prendre des mesures pour séparer le bon grain de l’ivraie. Il a dit ça devant toute la clique, avec le franc-parler qu’on lui connaissait. Fidèle à ses convictions, Stefanu avait parlé avec son cœur, sans mesurer les conséquences.
— Quelles conséquences ?
— Peu de temps après, le mouvement a connu une épuration. Certains l’ont tenu pour responsable, à cause des propos très explicites qu’il avait tenu peu de temps avant. Contre les traîtres.

Cet authentique roman noir s’appuie sur une intrigue criminelle, comme il se doit. La mort et la vengeance, thèmes intemporels des histoires policières à suspense. Quand le récit a pour décor la Corse, viennent à l’esprit les vieux clichés, entre omerta et vendetta. Sans doute n’est-ce pas absolument inexact : l’auteur évoque lui-même des silences et autres témoignages fallacieux, permettant de "couvrir" des morts suspectes ou certains méfaits. Les forces de l’ordre n’ont pas à se mêler d’affaires concernant les Corses. Une manière de préserver l’identité forte des habitants-natifs, estiment-ils.

Le véritable sujet traité par Olivier Collard, c’est l’évolution de l’Île depuis une quarantaine d’années. Au cours de la décennie 1970, on magouillait sur les cheptels pour obtenir des aides de l’Europe, avant que ne grossisse l’idéologie indépendantiste. Un activisme radical naquit bientôt, ponctué d’affrontements violents, d’attentats, de conférences de presses cagoulées, ainsi que de divisions chez les nationalistes corses. Sincérité des uns, objectif plus financier pour d’autres, éventuelle rivalité de pouvoir, les arcanes de ce mouvement restent encore obscurs. Les conflits générationnels n’expliquent pas tout.

Il est probable que toutes les rancœurs ne soient pas éteintes, même si une sorte de "normalisation" est intervenue depuis. Car les gagnants s’enrichissent généralement au détriment de moins retors qu’eux-mêmes. Une facette plus sombre, moins glorieuse de la Corse. Telle est l’ambiance, polluée par des ambitions diverses, que décrit Olivier Collard dans “Sulleone”. Un roman à découvrir.

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