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10 janvier 2016 7 10 /01 /janvier /2016 05:55

Val Plaisir est une station de Savoie, dans la Vallée de la Maurienne, non loin de Modane. Estelle et Jérémy Drillon sont des jeunes mariés, récemment installés ici avec leur bébé de cinq mois, Lilas. Ils habitent un chalet en retrait du centre. Originaire de Lyon, séduisant et jovial, Jérémy est le patron du bar-bowling. Âgée d'une vingtaine d'années, Estelle est employée à la pharmacie locale, mais elle est en arrêt pour s'occuper de Lilas. Célibataires tous les deux, la pharmacienne Claudine Ortenaz et son frère Fabien sont les seuls vrais amis de la jeune femme. Fabien est amoureux d'Estelle, mais elle ne l'encourage pas à persister. Alors que débute la saison hivernale, les affaires devraient être bonnes pour le bar-bowling. Estelle aide quelque peu son mari, en faisant le service.

Nadia, la sœur jumelle de Jérémy, est de retour des États-Unis. Elle vient de vivre pendant quatre ans à New York, où elle était barmaid. Estelle devine une femme de caractère. Puisque ce sont les vacances de Noël, Nadia va assister son frère au bowling, logeant au chalet du couple. Elle ne se montre nullement maternelle avec la petite Lilas, exprimant une totale indifférence envers le bébé. Il se produit quelques escarmouches entre Estelle et sa belle-sœur. Elle a l'impression mal explicable de “jumeaux en miroir” : plus encore qu'une ressemblance, existe entre Nadia et Jérémy une sorte de symétrie opposée. “C'est comme si l'un des jumeaux était le reflet de l'autre.” Finalement, Nadia a l'intention de rester là durant quelques semaines, avec la bénédiction de son frère.

Plusieurs incidents inquiétants se succèdent autour de la petite Lilas. Estelle ne peut en accuser Nadia, mais n'en pense pas moins. Un problème causé par Fabien lors d'une sortie en montagne ne fait qu'accentuer la paranoïa de la jeune mère. Si Estelle observe Jérémy et sa sœur, elle constate qu'ils sont proches, mais sans rien d'équivoque. Toutefois, quand Nadia fait prendre des risques à Lilas sur sa luge, s'ensuit une virulente scène de ménage entre Jérémy et Estelle. Il est décidé que Nadia s'installera dans la chambre disponible au bowling. “Des idées noires m'assaillaient sans cesse… Le doute me torturait. Et si Claudine avait raison ? Et si je surprotégeais Lilas, voyais du danger où il n'y en avait pas ?” se demande Estelle, perturbée par le rappel d'un fait dramatique de son passé.

Pourtant, d'autres incidents vont se produire, qu'elle doit logiquement attribuer à Nadia. Mettre de temps à autre Lilas à l'abri chez Claudine est insuffisant. D'autant qu'Estelle en apprend davantage sur la famille Drillon. Réagir ? “Je ne voulais plus être celle qui s'efface. Je ne voulais plus être une agnelle. Comme une louve, je défendrais mon petit jusqu'à mon ultime goutte de sang”…

Élisa Vix : Ubac (Éd.Rouergue Noir, 2016)

On a écrit des tas de choses sur la gémellité, sur la relation fusionnelle supposée entre les jumeaux, fussent-ils dizygotes comme dans ce cas. Élisa Vix a parfaitement raison de ne pas s'attarder sur l'aspect "médical" du sujet. Par contre, elle illustre le côté troublant que peuvent parfois inspirer les comportements de jumeaux-jumelles. Que ceux-ci jouent sur la ressemblance physique, c'est assez sympathique. Quand leur attitude fait penser à un couple, naît un certain malaise. D'autant plus pour Estelle, la narratrice, issue d'un milieu instable, n'ayant pas vraiment de repères auxquels se raccrocher.

À l'opposé de l'adret, l'ubac évoque le versant moins ensoleillé d'une montagne alpine, ce qui fait référence à la part sombre d'un individu. Telle est la notion qu'utilise cette intrigue, qui ne se prétend pas exactement novatrice. L'intérêt, c'est que le suspense tourne autour d'un petit nombre de personnes. Menace, vrai péril ou craintes fantasmées, mensonge ou situation mal comprise ? Des conséquences criminelles ne sont pas à exclure. Élisa Vix nous propose là un bon petit polar de tradition, qui se lit agréablement.

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8 janvier 2016 5 08 /01 /janvier /2016 05:55

Près de Valenciennes, dans le Nord, Wollaing fut longtemps une ville industrielle. L'usine Berga, principal moteur de l'économie, fonderie de plomb, employa jusqu'à 1150 salariés en 1969. Dans les années 1970, la situation empira progressivement. Le vieillissement des installations, la sévérité patronale, les rachats de l'entreprise, l'intransigeance syndicale, autant de causes qui entraînèrent en 1983 la fermeture de Berga. Pour les ex-employés, rares furent les reclassements réussis. Des investisseurs profitèrent des aubaines fiscales, mais leurs entreprises disparaissaient vite, plongeant leurs salariés dans une précarité de plus en plus flagrante. Certains achetèrent des bistrots. Fredéric Wallet créa une salle de musculation. Rémy Leroy devint ferrailleur. Un autre alla travailler sur le port d'Anvers. La plupart vivotèrent ainsi durant trente ans, avec peu d'espoir de boulot pour leurs enfants.

Antoine Vanderbeken est médecin à Wollaing, ville d'origine de sa famille. Il perdit un frère jumeau quand ils étaient ados. Son père fut chef du personnel de l'usine Berga. En Indo puis en Algérie, Édouard Vanderbeken (alors surnommé Douve) eut une carrière militaire chargée. Il fit même partie des commandos Delta de l'OAS, avant d'être engagé à l'usine. Au cœur des actions de la décennie 1970 chez Berga, il est décédé depuis l'époque de la fermeture. Chasseur, comme son associé Delcourt, le docteur Antoine Vanderbeken s'affiche bien plus humaniste que son père. Il n'est pas indifférent à la détresse régnant ici, chez les jeunes en particulier. Quand la junkie Pauline Leroy traverse des crises, il n'hésite pas à l'aider. Employée de la supérette de M.Haddouche, celle-ci semble vouloir prendre un nouveau départ. Son petit-ami Serge Maes et elle projettent de quitter la France.

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Mais pour tenter une vie ailleurs, ou simplement échapper à la misère ici, il faut beaucoup d'argent. Les banques sont exigeantes, heureusement que certains prêteurs via Internet se montrent plus généreux. Néanmoins, il faut rembourser, et dans une minorité de cas, l'emprunteur ne peut pas. C'est là que Freddie Wallet et son ami Gigi, Gérard Waterlos, interviennent pour le recouvrement des dettes. Carrure musclée et air menaçant suffisent souvent pour des remboursements, parfois ils cognent. Quand Pauline est retrouvée morte dans un terrain vague, son père Rémy Leroy est convaincu que ce duo a assassiné sa fille. L'enquête est conjointement menée par le commandant Erik Buchmeyer et la lieutenant Saliha Bouazem. Le premier est un quinquagénaire difficile à gérer pour sa hiérarchie. La seconde est originaire de Thionville, en Moselle, autre région où la sidérurgie fut reine.

Soupçonner Wallet et Waterlos ? Les collecteurs de dettes avaient-ils vraiment intérêt à supprimer Pauline, qui devait 50000 Euros ? Saliha privilégie l'hypothèse Serge Maes, car elle a été témoin d'une rencontre de ce petit truand avec des trafiquants, ceux de la bande des Boggaert. À moins qu'une troisième piste se dessine ? Tout en sympathisant avec les deux médecins, Erik explore quantité de documents sur l'époque de l'usine Berga, ainsi que des archives-photos familiales. Des rancœurs remontant aux luttes sociales du passé seraient-elles à l'origine de l'affaire ? Avec son collègue et ami Belge, Erik en examine toutes les facettes possibles. Saliha finit par récupérer l'essentiel de la somme empruntée par Pauline. Un nouveau meurtre est commis, pour lequel Rémy Leroy est suspecté. Au final, ce seront quatre meurtres et un suicide que le couple de policiers devra élucider…

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Pour le contexte général, tout est dit dans le résumé qui précède ici. Région sinistrée, oui sans nul doute, car elle fut l'une des plus industrialisée de France. Personne ne sut freiner le déclin, relancer les activités pourvoyeuses d'emplois en grand nombre. Les politiques ne sont cependant pas seuls fautifs, une partie de la population se braquant sur ses acquis, et le patronat jouant le pourrissement tout en bénéficiant d'aides publiques. Cette part sociologique est essentielle dans ce roman, Emmanuel Grand renvoyant lucidement dos-à-dos ceux qui vécurent la fin de l'ère industrielle dans la région, qui y contribuèrent.

Autre cible de cette histoire : les sociétés de crédit à la consommation. À côté de celles qui ne disent pas toute la vérité sur les taux demandés sur leurs prêts, il semble qu'existent des margoulins utilisant l'anonymat d'Internet pour jouer aux usuriers. Des sommes très importantes, permettant par exemple l'achat d'une puissante voiture neuve, sont offertes. Conséquence assurée, le remboursement doit être infaillible, sinon la violence intervient. Le mirage de la fortune ne dure pas éternellement. L'auteur présente là des pratiques fort plausibles. Encore une façon, détestable et même odieuse, d'exploiter la pauvreté.

Évidemment, c'est sur une intrigue criminelle que repose ce sombre roman. Les deux enquêteurs utilisent des méthodes différentes. Le taciturne Erik Buchmeyer se fie d'abord à son instinct, se réfère aux témoignages et aux archives, se moque bien de son supérieur Delcroix et de ses visées politiciennes. La jeune Saliha aime encore son métier de policière mais un tel dossier risque de lui apporter des désillusions. Erik la rassurera : “Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'on était des héros ? Des justiciers, des redresseurs de torts ? Non, on est juste des flics qui font leur boulot. Un petit maillon de la chaîne… Tu as tout pour être une excellente flic, Saliha.” Par ailleurs, l'ensemble des protagonistes sont dessinés avec une belle justesse, tout comme l'ambiance qui apparaît véridique.

Après “Terminus Belz” (Prix PolarLens 2015, Prix Tenebris 2015 au Québec), ce deuxième polar d'Emmanuel Grand confirme les qualités de l'auteur.

- Lire aussi la chronique de Pierre Faverolle sur ce roman (ci-dessous) -

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7 janvier 2016 4 07 /01 /janvier /2016 05:55

Franck Bouysse : "Grossir le ciel" (Le Livre de poche, 2016)

Les Cévennes ne se résument pas à des sites accueillant le tourisme. Vers les sommets de Lozère, on trouve encore certains villages et hameaux où la population n'a guère d'estime pour la modernité. Les émissaires du Crédit des Agriculteurs sont bien vite renvoyés à leurs banques citadines. Certes, il y a des gens qui s'enrichissent. Tel l'exploitant agricole Jean Paradis qui rachète toutes les terres du coin, ou le maire du Pont-de-Montvert avec sa scierie. À l'inverse, le hameau isolé Les Doges abrite les fermes de deux ours, des solitaires bien heureux que le monde ne s'occupe pas d'eux.

Quinquagénaire célibataire, le paysan Gustave Targot (dit Gus) vit dans la ferme héritée de sa famille, avec son chien Mars. Dix-sept vaches Aubrac et huit veaux, c'est bien assez de travail pour lui, sans compter l'entretien de ses terres. Son voisin, c'est le veuf Abel Dupuy, septuagénaire. Tous deux sont un peu chasseurs. Ils ne se fréquentent pas tant, juste pour échanger des outils agricoles, parfois boire un verre ensemble. Leurs familles ont été longtemps en bisbille pour des motifs oubliés. La méchanceté des parents de Gus, père buveur et mère agressive, était notoire. Seule la grand-mère lui apporta, jadis, un peu d'affection.

Ce mois de janvier est particulièrement rude. Ce jour-là, il entend cris et coups de feu du côté de chez Abel. Il y a des traces de sang dans la neige. S'il est intrigué, ce n'est pas son voisin qui lui fera des confidences. Tracassé, Gus surveille quelque peu Abel, au risque de laisser des signes de son passage dans la neige. Après tout, il se peut que par accident, Abel ait tué son chien, comme il le dit. Ça pourrait raviver les tensions entre eux, ce petit mystère. Ayant chopé la crève, Gus n'a pas besoin de telles complications. Gus n'ait jamais été pratiquant. Quand un Évangéliste se présente dans sa ferme, même si ce “suceur de Bible” n'est pas antipathique, Gus le reçoit avec son habituelle rudesse…

 

Un monde en voie d'extinction, sûrement. Néanmoins, notre ruralité vaut bien celle d'ailleurs. “Ici, les lignées [familiales], elles s'éteignent toutes les unes après les autres, comme des bougies qui n'ont plus de cire à brûler. C'est ça le truc, la mèche, c'est rien du tout s'il n'y a plus de cire autour, une sorte de pâte humaine. Si bien que l'obscurité gagne un peu plus de terrain chaque jour ; et personne n'est assez puissant pour contrecarrer le projet de la nuit.” Paysages enneigés et ombreux, conservant une étincelle de vie, fut-ce à l'ancienne. Dans la tradition des taiseux où même les silences ont un sens. Gestes ancestraux et ambiance au ralenti, voilà ce que décrit admirablement Franck Bouysse. Pas moins violent qu'ailleurs, juste d'une autre nature, le crime a aussi sa place dans ces petits univers-là. Belle intrigue pour un roman fort bien écrit, un suspense à découvrir. (Disponible le 6 janvier 2016)

Polars format poche janvier 2016 : Franck Bouysse et James M.Cain

James M.Cain : "Bloody cocktail" (Folio policier, 2016)

Âgée de vingt-et-un ans, Joan vit à Hyattsville, au cœur des années 1950. Elle a un fils d'environ trois ans, Tad, né de son mariage avec Ron Medford. Fils d'un notable de cette petite ville du Maryland, le mari de Joan était un bon à rien, qui brutalisait Joan et Tad. Après une dispute conjugale, Ron a trouvé la mort dans un accident de voiture. C'est Ethel Lucas, la sœur du défunt, qui a pris provisoirement en charge le petit Tad. Elle cache mal son intention de le garder, elle qui ne peut avoir d'enfant. Ethel accuse sa belle-sœur d'avoir provoqué la mort de Ron. Le sergent de police Young ne gobe pas ces affirmations. Son collègue l'agent Church est plus sceptique.

Veuve désargentée sans métier, Joan doit trouver au plus vite de quoi vivre, afin de récupérer son fils. Le sergent Young lui conseille de s'adresser au Garden of Roses, le restaurant de Mme Bianca Rossi, situé non loin de chez elle. Joan étant une fort jolie femme, elle est immédiatement engagée au bar à cocktails de cet établissement. Avec sa collègue plus âgée Liz et le barman Jake, tout va bien. Dès le premier jour, le riche habitué Earl K.White III est séduit par la nouvelle serveuse. Ses premiers pourboires servent à Joan pour renflouer quelques dettes, mais elle va être trop occupée pour récupérer Tad. Peu après, White fait don d'une grosse somme à Joan, qui règle tous ses impayés, et place l'argent en achetant une maison qu'elle met en location.

Ami de Bianca Rossi, Tom Barclay est un beau jeune homme, promis à un bel avenir si ses idées se concrétisent. Quand son ami Jim Lacey a des ennuis avec la Justice, Tom cherche quelqu'un pour couvrir la caution de celui-ci. Bénéficiant désormais d'une certaine aisance, Joan accepte de les aider. Lacey va causer des embrouilles risquant de pénaliser financièrement Joan. Puisque la police ne paraît pas très active pour retrouver le fuyard, la jeune femme et Tom doivent s'en occuper…

 

James M.Cain (1892-1977) fait partie des grands noms du roman noir, des précurseurs du genre. “Le facteur sonne toujours deux fois”, “Mildred Pierce” ou “Assurance sur la mort” figurent parmi ses grands succès. Il restait au moins un roman inédit de James Cain, dont l'éditeur américain nous raconte dans la postface comment il l'a retrouvé. Il ne s'agit pas d'un ouvrage inachevé, mais bel et bien d'une histoire dont il fallait composer la version finale (car il y en avait plusieurs). Le moins qu'on puisse dire, c'est que le remarquable résultat est digne des meilleurs titres de James M.Cain. Un magnifique roman noir “de tradition”, parfait exemple d'intrigue de qualité supérieure, en particulier par la souplesse narrative et les portraits des protagonistes. (Disponible dès le 14 janvier 2016)

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6 janvier 2016 3 06 /01 /janvier /2016 05:55

Quelques semaines après les attentats du 11-Septembre, rendez-vous est pris à New York entre Paul Crane, agent secret néophyte, et le vieux Thomas Danforth. Ce dernier est né en 1910. Fils d'un homme d'affaires ayant fait fortune dans les importations, Danforth hérita de sa société dès la fin des années 1930. C'était alors un dandy parlant plusieurs langues, voyageant à travers le monde pour son métier, fiancé à une Cecilia qui serait une épouse parfaite. Début 1939, son ami Robert Clayton le contacte pour contribuer à une mission d'espionnage baptisée "le Projet". Danforth est intrigué, mais modérément convaincu. Il s'agit de prêter sa propriété du Connecticut, pour l'entraînement d'une jeune espionne. Il fait la connaissance de cette Anna Klein, plus polyglotte que lui encore. Son allure fragile, son air décidé, et ses origines incertaines fascinent bientôt Thomas Danforth.

Un nommé LaRoche, pas Français malgré son nom, initie Anna Klein : “Elle avait appris le morse et comment utiliser et réparer une TSF, avec la même dextérité qu'elle avait maîtrisé le maniement d'une arme à feu et, pour l'heure, elle apprenait à fabriquer une bombe. Il avait remarqué son étonnante capacité à changer d'identité… Mais c'était le don qu'elle avait pour les langues étrangères qui impressionnait le plus Danforth.” C'est l'ancien communiste Ted Bannion qui met en place la mission d'Anna, avec Clayton pour adjoint. Tous deux doivent être sûrs de l'entière fiabilité de la jeune femme. Troublé par le passé brumeux d'Anna, probablement Juive, Thomas Danforth s'est demandé s'il faisait preuve d'antisémitisme. Demandant à “faire partie du Projet”, tandis qu'Anna entre en clandestinité, il va subir l'apprentissage de la torture. Il se montre capable de résister.

En mai 1939, Danforth est à Paris, soi-disant pour son métier d'importateur, en compagnie d'Anna. Ils vont tous deux se déplacer vers le camp de Gurs, dont les réfugiés espagnols pourraient servir de renforts. Encore que cela reste flou. Ils font un détour par Londres, où ils retrouvent Clayton. Un de leurs contacts en Allemagne, un certain Rache, annonce que la situation se complexifie, et qu'il faudrait agir vite. Mais Anna reste lucide sur leur rôle : “Nous ne sommes que de petits espions.” Au retour à Paris, le contact français Christophe a été assassiné. Le couple se réfugie un moment à Orléans, ce que leur offre l'occasion d'assister à un meeting d'Eugène Deloncle, chef fasciste.

Il est encore temps pour Anna et Danforth d'approcher la cible : Adolf Hitler en personne. Toujours sous le prétexte des affaires, ils entrent en Allemagne et arrivent à Berlin. Ils ne sont pas plus suspectés que d'autres quand ils trouvent le moyen d'être en présence du chancelier nazi. Mais tous les attentats visant le Führer ont été soit déjoués, soit annulés. Et Danforth va perdre de vue Anna, réalisant qu'il serait trop imprudent de rester dans ce pays à l'orée de la guerre. Par la suite, il restera impliqué dans les services secrets. Afin de savoir ce qu'est devenue Anna, se refusant à croire en sa mort sacrificielle. Son autre but, c'est de comprendre pourquoi et par qui cette mission a été faussée…

Thomas H.Cook : La vérité sur Anna Klein (Éd.Points, 2016) –Inédit–

Comme dans “Le crime de Julian Wells” (Éd.Seuil, 2015), Thomas H.Cook se sert d'une affaire d'espionnage pour base du récit. C'est un moyen pour retracer la grande Histoire, autour de la Seconde Guerre Mondiale. “Nous avons des décennies à parcourir, Paul, des continents à traverser. Vastes étendues pour une petite parabole” dit Thomas Danforth à son interlocuteur novice. En alternance, la conversation de 2001 à New York entre eux deux, cède la place aux scènes vécues par le vieil agent secret à partir de 1939. Une expérience que Danforth ne peut qu'associer à “la perte de l'innocence”, face à la cruauté et à la complexité des enjeux d'un conflit mondial. Ce qui a une résonance particulière ici, cet entretien ayant lieu dans le New York post-attentats du 11-Septembre.

Certains milieux en sont déjà conscients : l'Europe politico-militaire est en ébullition quand s'achève la guerre d'Espagne. Les Russes temporisent avec le pacte germano-soviétique. Américains et Anglais ne sont pas prêts au combat. La France écoute les populistes. Seule l'Allemagne nazie peut imposer sa force. Comploter contre Hitler alors que la tourmente est inéluctable, en est-il encore temps ? Les sentiments de Danforth le poussent à suivre Anna dans ce défi. Pourtant, s'il tient à "rester avec elle", ce n'est pas du pur romantisme. Les parfums de mystère autour de la frêle jeune femme sont si envoûtants pour lui.

Tout est d'une splendide habileté dans un roman de Thomas H.Cook. Même les digressions d'un personnage ont du sens, tel un artiste-peintre rajoutant çà et là une pointe de couleur indispensable. Au centre de l'histoire, il nous présente deux héros, culturellement proches, mais aux parcours infiniment éloignés. Celui de Danforth est classique de la bonne société américaine d'alors, qui se laissait parfois tenter par l'aventure. Le trajet de vie d'Anna Klein s'avère bien plus obscur, avant leur rencontre, et donc aussi ensuite. Courage ou traîtrise de son côté dans cette affaire, possible duplicité féminine ? Pour expliquer cette éventualité, on notera une référence au roman “Le faucon maltais”. Cet inédit, d'une écriture impeccable et d'une grande richesse en péripéties véridiques, ignore les frontières des genres littéraires : un roman de qualité supérieure, tout simplement.

- Ce roman inédit est disponible chez Points dès le 6 janvier 2016 -

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5 janvier 2016 2 05 /01 /janvier /2016 05:55

Sidney Chambers est le chanoine de la paroisse de Grantchester : “...un homme grand et mince qui avait un peu plus de la trentaine. Amateur de bière chaude et de jazz hot, passionné de cricket et lecteur insatiable, il était connu pour sa discrète élégance cléricale. Son grand front, son nez aquilin et son menton assez long étaient adoucis par des yeux noisette et un aimable sourire qui donnaient à penser qu'il était toujours enclin à voir le meilleur chez les gens.” Sidney est né à la Saint-Valentin 1921. Grantchester n'est pas loin de Cambridge, où il donne des cours de théologie. Il circule à bicyclette dans les alentours, participe aux activités locales, et s'avoue davantage amateur de whisky sec que de xérès.

Quant à son ami policier, son univers privé et professionnel est plutôt différent : “L'espace personnel de l'inspecteur George Keating n'avait rien du centre méthodique où opérait une force organisée pour la lutte contre la criminalité ; c'était un capharnaüm de dossiers dans des enveloppes en papier kraft, de documents, de notes, de schémas, de sacs en papier et de vieilles tasses de thé recouvrant absolument tout l'espace disponible […] Sa cravate était de travers, ses chaussures éraflées, et les cheveux blond-roux qu'il commençait à perdre ne fréquentaient pas aussi souvent le peigne qu'ils auraient dû. Les exigences du métier, trois enfants au foyer et une épouse qui surveillait de près les dépenses familiales commençaient peut-être à peser.” Néanmoins, c'est un policier consciencieux…

James Runcie : Sidney Chambers et l'ombre de la mort (Actes Noirs, 2016)

En octobre 1953, sitôt après les obsèques de Stephen Staunton, notaire alcoolique et dépressif qui s'est suicidé dans son bureau, Sidney est contacté par Pamela Morton, épouse de l'associé du défunt. Elle lui confie que Staunton était son amant depuis quatre mois, qu'ils projetaient de fuir ensemble. Dans ces conditions, elle ne croit pas au suicide : certaine qu'il a été assassiné, Pamela demande à Sidney de l'aider à le prouver. Selon l'inspecteur Keating, même sans lettre d'adieu, l'affaire est claire et le dossier clos. Malgré tout, Sidney rend visite à Hildegard, l'épouse d'origine allemande du défunt. Cette musicienne songe à rejoindre son pays natal. À l'étude notariale, l'associé et la secrétaire de Staunton confirment que cet homme brouillon et irascible n'a pas laissé de testament. Encore trop peu d'éléments, estime Keating, même si la secrétaire finit par produire un document pouvant être un ultime message. Dans l'agenda du notaire, le chanoine ne trouve d'abord rien de particulier. Sauf cette habitude de gommer une partie de son emploi du temps…

À la Saint-Sylvestre 1953, Sidney dîne avec un groupe de connaissances chez un politicien de leurs amis. Il y a entre autre sa sœur cadette Jennifer et Johnny Johnson, copain de celle-ci, passionné de jazz comme Sidney. Leur riche amie d'enfance Amanda Kendall, employée à la National Gallery, se voit offrir une bague de fiançailles par son soupirant Guy, ce qui ne semble guère l'exciter. Bague qui disparaît peu après. Fils d'un ancien voleur de bijoux, Johnny passerait facilement pour suspect. L'épouse kleptomane du politicien peut aussi être soupçonnée. Les autres invités sont-ils vraiment hors de cause ? L'inspecteur Keating recommande à Sidney d'opérer une reconstitution de la scène. Le prêtre devine où fut caché la bague, avant le départ des invités…

À Pâques 1954, époque où Amanda offre à Sidney le jeune labrador Dickens, se produit un décès douteux. Une dame opposée au mariage de sa fille avec un docteur local vient de mourir. Ce qui permettra au couple de s'unir officiellement. Le fiancé était le médecin traitant de la mère de sa fiancée. Erreur de traitement, volontaire peut-être ? Les rumeurs vont bon train. Peu après, un autre septuagénaire décède bizarrement, alors qu'il était suivi par le même docteur. D'abord ferme, le coroner devient plus compréhensif envers le médecin. Keating confie à Sidney qu'il vaut mieux régler discrètement l'affaire…

En mai, le chanoine et le policier passe une soirée dans le club de jazz de Johnny Johnson. Claudette, la sœur de celui-ci, est étranglée pendant le spectacle de Gloria Dee et de son groupe de jazz. Celui qui s'inquiète le plus, c'est l'étudiant Sam Morris, petit ami officieux de la jeune fille assassinée. Il était présent, mais s'avère peu suspect. Par contre, il craint des réactions violentes du père de Johnny et Claudette, et de ses amis malfrats. Car, il est vrai que le passé de truand de celui-ci est chargé, et que certaines de ses relations dans le banditisme fréquentent le club de jazz où s'est produit le crime…

Pour des raisons fiscales, lord Teversham souhaite céder de précieux tableaux. Grâce à Sidney, son amie Amanda Kendall (de la National Gallery) vient estimer sa collection. Une toile aurait eu une valeur colossale : c'était une œuvre oubliée de Hans Holbein le Jeune. Ce portrait d'Anne Boleyn s'avère historique pour l'Angleterre. Restauré dix ans plus tôt, il a été remplacé par une très bonne copie. Freddie Wyatt, qui se chargea de la restauration de la toile, a disparu depuis. À la recherche du vrai tableau, Amanda va traverser de marquantes mésaventures dans cette affaire…

Sidney n'a qu'un modeste rôle dans une pièce de théâtre amateur, inspirée du Jules César de Shakespeare. Le soir de la représentation, un meurtre est commis en scène. Enquête de circonstance pour le policier Keating, qui dispose d'une demie-douzaine de principaux suspects à interroger. Pourquoi poignarder lord Teversham ? Motivation sociale, vengeance ou question d'honneur ? Probablement les trois. Des rumeurs d'homosexualité de la victime avec son ex-associé circulent vite. C'est là un sujet qui agite la société anglaise des années 1950. Côté cœur, Sidney observe un statu-quo entre son amie Amanda et la possible alternative, Hildegard…

James Runcie : Sidney Chambers et l'ombre de la mort (Actes Noirs, 2016)

Ce roman présente six cas mystérieux, résolus par le jeune révérend Sidney Chambers. Il est bon de préciser que l'ensemble de l'histoire est parfaitement homogène. Ce ne sont pas des nouvelles, mais une suite d'affaires à traiter. D'ailleurs, elles s'étalent sur un peu plus d'un an, d'octobre 1953 à novembre 1954. Autant d'étapes dans la vie du chanoine-détective, en somme. Nous observons également son quotidien, avec la gouvernante du presbytère Mme Maguire, le vicaire Leonard Graham, le labrador Dickens, les rendez-vous hebdomadaires au pub de Sidney et du policier Keating, une incursion chez les parents du prêtre, et bien sûr ses relations platoniques avec certaines femmes.

Énigmes, oui, mais qui se placent dans un contexte plus large autour du personnage central : c'est bien ce qui fait le charme de ce roman. Entre Cambridge et Londres, à Grantchester, nous sommes plongés dans l'Angleterre traditionnelle, en cet Après-Guerre où le pays hésite encore à adopter la modernité. Quoi de mieux qu'une bourgade pour illustrer cette ambiance ? Une lecture extrêmement agréable !

Grantchester” a été adapté à la télévision, une première série en six épisodes, avec James Norton (Sidney Chambers) et Robson Green (Keating) dans les rôles principaux. Elle a été diffusée sur France3 durant l'été 2015. Il est évident que ce roman très réussi bénéficiera d'une suite.

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 17:55

En 1996, Michel Galabru publia une autobiographie intitulée “Je l'ai perdue au 18”. Si l'on a aimé le personnage qu'il incarnait, avec son exubérance, ce livre nous renseigne davantage sur l'homme qu'il fut. Sans doute en rajoutait-il sur son enfance de cancre. Il évoque dans ce livre des souvenirs d'alors qui l'ont marqué. L'épisode le plus étonnant de sa vie, et certainement le moins connu, se place durant la guerre. Envoyé au STO, il échoua en Yougoslavie. Il fut libéré par les Partisans de Tito, avec lesquels il passa plusieurs semaines, période très singulière qui ne lui laissa pas une mauvaise impression.

Le jeune Galabru fut récompensé par un Premier Prix du Conservatoire, et entra à la Comédie Française. Étape trop souvent oubliée dans son parcours. Il décrit dans ces mémoires le petit monde en question, d'une façon délicieusement ironique. Outre ses premiers succès, Galabru décrit ses amitiés professionnelles (dont celle avec Louis de Funès), ses admirations (Sacha Guitry, Michel Simon), et évoque ses amitiés de toujours (le comédien et réalisateur Jean Pignol, 1924-1990). Une autobiographie permet de mieux connaître l'intéressé. Celle-ci est, en plus, fort bien écrite : on navigue entre l'enfance, son métier, ses réflexions, de manière non-linéaire, sans jamais être confuse ni brouillonne. Réalisme, sens de la dérision, absence d'hypocrisie, Galabru n'avait pas la "grosse tête". C'est sûrement pour cela qu'il était populaire.

Michel Galabru : Je l'ai perdue au 18 (Éditions Harca, 1996)

Le texte de 4e de couverture de “Je l'ai perdue au 18” :

« Quand j'étais jeune, ça m'aurait bien dit d'être écrivain. Mais j'avais le complexe du cancre. J'avais la syntaxe flottante, l'orthographe incertaine. Et puis, il fallait inventer des histoires, créer des personnages. Peut-être n'en avais-je pas le talent. C'est plus facile, l'âge venant de réinventer sa vie, d'écrire ses "mémoires". Moi j'avais l'impression de m'être fait baiser ; d'abord par les profs, par les parents, par les curés, puis par les femmes, les agents du fisc, les metteurs en scène. A la relecture, je me rends compte aujourd'hui combien ce sentiment était justifié. Mais je n'avais pas perçu à quel point tout cela était une farce énorme : "Une histoire de fou racontée par un ivrogne". En fait, seules les incandescences, les étincelles, sont intéressantes, le reste n'est pas là que comme remplissage, une sorte de sauce qui a le même goût pour tout le monde, qu'on soit clown ou plombier. Mes mémoires c'est ça : "Du Ketchup avec des étincelles".

Par delà les mythes sous lesquels on a parfois caché son vrai visage, Michel Galabru écrit là son premier livre, et quel livre ! Pour un coup d'essai c'est un coup de maître, un véritable bonheur pour le lecteur, avec une qualité d'écriture qui en surprendra plus d'un.»

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4 janvier 2016 1 04 /01 /janvier /2016 05:55

Âgée de trente-cinq ans, Claire DeWitt est native de Brooklyn. Elle avait onze-douze ans quand elle se passionna pour la résolution de mystères. Sa bible fut le seul livre du détective français Jacques Silette, “Détection”. Un ouvrage obscur, qui dit tout et son contraire, mais qui guide toujours les enquêtes de Claire DeWitt, devenue détective privé. Jacques Silette, dont la fille Belle fut kidnappée et jamais retrouvée, était lui-même énigmatique. Une des copines ados de Claire disparut elle aussi sans laisser de traces. Quittant sa famille dès qu'elle eut dix-sept ans, le parcours de Claire fut cahoteux, avec casier judiciaire et curieux tatouages.

À La Nouvelle-Orléans, elle poursuivit sa formation de détective privé, grâce à Constance Darling. Qui ne vivait que pour les investigations, interprétait aussi sûrement les signes ésotériques que les indices. Constance mêlait augures extra-lucides et philosophie asiatique. Comme son ex-ami Mick Pendell, reconverti prof de criminologie en Louisiane, Claire apprit beaucoup avec Constance Darling. Fumer quelques joints l'aide parfois à se concentrer. En Californie, Claire a été perturbée par une récente enquête. Elle a dû suivre une cure, genre retour à la vie naturelle. Quand on la contacte pour une enquête à La Nouvelle-Orléans, Claire apparaît de nouveau en forme.

Ce n'est pas la ville la plus sécurisante qui soit, elle ne l'a pas oublié. Les crimes y sont rarement résolus, les accusés sont généralement vite libérés. Pourtant, “un suspect dans une affaire d'homicide à la Nouvelle-Orléans avait davantage de chance de se retrouver lui-même à la morgue plutôt qu'au tribunal.” On est en janvier 2007, un an et demi après l'ouragan Katrina. Partout subsistent des séquelles de la tempête qui sema la mort et détruisit des quartiers modestes, où les trafics ont déjà repris. C'est durant la catastrophe Katrina que semble avoir disparu Vic Willing, qui habitait au bout de Bourbon Street.

Ce riche magistrat était honnête et généreux, un peu hautain sans doute par sa fonction de District Attorney. Claire inspecte son appartement, sa bibliothèque et son bureau. “Vic n'avait sûrement pas été tué chez lui. Pas de sang, pas de balle, aucun détail suspect.” Elle prend des empreintes, et remarque un perroquet vert aux alentours. Les empreintes sont celles de Andray Fairview, jeune délinquant afro-américain qui vient d'être incarcéré à l'Orleans Parish Prison, au cœur de la ville. Quand Claire l'y rencontre, il nie avoir tué Vic Willing. Fairview aurait sympathisé avec le magistrat, qui avait une passion pour les oiseaux. Claire note une incongruité : Fairview possède un exemplaire de “Détection”, le livre de Jacques Silette. Le criminologue Mick Pendell parvient à faire sortir le délinquant de prison. Peu après, Fairview, son ami Terrell (dit Dreadlocks) et Claire sont la cible de tirs dans des rues mal famées…

Sara Gran : La ville des morts (Éd.Points, 2016)

Avec “Dope” et “Viens plus près”, Sara Gran imposait une tonalité aussi personnelle qu'originale. Serait-ce ici une banale enquête d'une détective privée qu'elle nous propose ? Certes non, il y a toujours ce refus de la bien-pensance qui la caractérise. Tous les "privés" ont un vécu, ayant traversé tant d'expériences qui ont été des épreuves. Dans le cas de Claire DeWitt, on sent très vite que son hyper-sensibilité s'est amalgamée avec sa volonté de devenir enquêtrice. Pourtant, son parcours n'a rien de larmoyant. Au contraire, l'ironie est perceptible dans son regard sur les autres, sur tout ce qui l'entoure. Ses retrouvailles avec son ancien ami Mick Pendell en sont un bon exemple. Ce sourire décalé est présent tout au long de l'aventure.

Il est aisé de comprendre que Katrina a marqué les Américains. À la fois par le manque de "réponses" rapides et flagrantes pour venir en aide aux populations. Aussi, parce que cette partie de la Louisiane a toujours été éloignée des règles en vigueur aux États-Unis. Sara Grant ne cache pas que police et justice, Blancs et Noirs, se sont toujours mutuellement accusés de tous les maux. Comme un statu-quo permettant à chacun d'évoluer au mépris de toute paix sociale, fric et trafic dominant tout.

Jacques Silette, détective français exemplaire pour Claire DeWitt ? Ça fait penser au chevalier Dupin, l'enquêteur d'Edgar Allan Poe. Adapté par Sara Gran, c'est un théoricien de l'investigation criminelle un peu fumeux, dont on peut interpréter les conseils de maintes façons. Un des personnages-clé de l'histoire. Claire est une dure-à-cuire. Du moins dans l'image qu'elle veut afficher... Chapitres courts, non-conformisme, témoignage sur une ville hors norme, multiplication de péripéties, voilà ce qui rend réjouissant cet excellent suspense de Sara Gran.

- Disponible chez Points dès le 7 janvier 2016 -

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3 janvier 2016 7 03 /01 /janvier /2016 05:55

En Grèce, au début du 20e siècle. Âgé de vingt-trois ans, Nikos Molochanthis se présente comme étudiant. En vérité, ce blond fluet au teint pâle se contente de dilapider l'héritage de son père à Athènes. Il fait la fête avec différentes bandes d'amis, qui voient en lui un généreux mécène. Nikos apprécie le jeune Stéphanos, et la sœur de celui, Phrosso, dont il est vaguement épris. Pour lui qui adore les films policiers et les romans à suspense, la fiction est plus excitante que le quotidien. “Dans cet univers empli de chimères, il rêvait de se signaler et de se couvrir de gloire, de la même façon que les jeunes gens de son âge ambitionnent de se distinguer dans le monde réel. Ainsi, les frontières entre la fiction et la réalité s'étaient quelque peu brouillées dans son esprit...”

Un crime a été commis dans le quartier athénien de Psychiko. On a retrouvé dans un petit ravin le cadavre d'une jeune femme poignardée, grossièrement masqué par des pierres. Il s'agirait d'une belle aristocrate, dont on ignore l'identité. Le vol n'apparaît pas le mobile du crime. Les journaux évoquent l'affaire, à grands renforts d'hypothèses hasardeuses. De criantes zones d'ombres persistent, néanmoins. Les autorités promettent une arrestation rapide, mais l'enquête s'enlise vite. Pour accéder à la gloire, Nikos envisage d'endosser le crime. Projet chimérique auquel souscrit son ami Stéphanos qui, afin de le disculper, sera là pour produire un alibi le moment venu. Au final, il ne court pas grand risque.

Nikos bâtit le scénario de la soirée du meurtre, crée des pièces à conviction contre lui-même, donne procuration à Stéphanos pour qu'il gère sa fortune durant son incarcération. L'arrestation de Nikos se produit quasiment par hasard. Les journaux accablent bientôt le suspect, la presse étant ravie de relancer l'affaire de Psychiko. Nikos a prévu de bonnes photos à leur transmettre. Le voilà mis au cachot : en présence de cette mauviette, ses codétenus endurcis ne manquent pas d'ironiser. Niant le crime, n'expliquant rien du tout, Nikos devient aussitôt la star de la prison, avec des journalistes venant l'interviewer, et une flopée d'admiratrices empressées de le complimenter. 

Membre de la haute-société athénienne, adepte d'Oscar Wilde et de Thomas de Quincey, Lina Aréani entreprend de sauver Nikos avec l'aide de cinq amies. Son soutien financier est le bienvenu. Dans les milieux aisés, des dames font circuler des rumeurs sur l'identité de la victime, avec un scénario rocambolesque. N'obtenant pas de confessions de sa part, Lina risque de rompre avec Nikos. Avant qu'il puisse s'évader, son procès approche, et une condamnation à la guillotine fait peu de doutes. “Il aurait beau avouer son rôle dans cette farce macabre, personne ne le croirait. Le couteau sanguinolent et la veste couverte de taches rouges que les enquêteurs avaient trouvés dans sa malle suffisaient en effet à établir sa culpabilité. Et, bien sûr, personne ne pourrait croire que quelqu'un, même fou ou déséquilibré, fut capable d'inventer ce type de canular tragique.”

 

Paul Nirvanas : Psychiko (Mirobole Éditions, 2016)

Ce “Psychiko” est une véritable curiosité, à plus d'un titre. Il fut publié en 1928, époque où la littérature policière est inexistante en Grèce. La criminalité d'alors dans ce pays, ce sont des "crimes d'honneur" où le mari trompé abat l'épouse, et des bandits récidivistes rattrapés après quelques méfaits. Imaginer des meurtres organisés selon un plan précis, une machination assassine, ça ne correspond sans doute plus à l'esprit grec. Si “Œdipe roi” de Sophocle figure depuis 1994 au catalogue de la Série Noire, le présent roman est très certainement à classer parmi les pionniers du genre en Grèce.

Deuxième aspect plus qu'intéressant : la mégalomanie teintée de naïveté du personnage central. Pour devenir un "héros", il est prêt à endurer une situation périlleuse. Pendant un temps, du moins, à la condition incertaine d'en profiter de son vivant, donc de s'en sortir. Un cas psychiatrique entre Nietzsche et Freud, allusif à Oscar Wilde et Thomas de Quincey (“De l'assassinat considéré comme l'un des Beaux-Arts”). Si les maladies mentales ont été beaucoup exploitées dans le polar dès la fin du 20e siècle, c'était moins habituel en 1928.

Il convient également de souligner le regard de l'auteur sur la bonne société hellénique, avec des langues de vipères semant le venin de la calomnie, et sur les journaux toujours friands de spectaculaire, accusateurs non sans parti pris. Enfin, atout essentiel destiné à provoquer la complicité du lecteur, c'est sur le ton de la comédie que cette aventure nous est racontée. Il serait fort dommage de ne pas découvrir ce roman original.

 

— “Psychiko” est disponible dès le 7 janvier 2016 —

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