Il est probable que la première édition de ce livre, écrit par Jean-Bernard Pouy avec la collaboration de Stéfanie Delestré, ait surtout été remarquée par les amateurs de littérature policière. Heureuse initiative de le proposer en format poche chez Points (dès le 24 mars 2016 ). Ceux qui l'ont côtoyé dans des festivals et salons du polar savent que l'écrivain Pouy est aussi un lecteur assidu. S'il "connaît ses classiques", il est ouvert aux titres récents, actuels, de qualité. S'il fait, par exemple, l'éloge de “Manhattan Grand angle" (2007) de Shannon Burke, c'est qu'il a su y déceler toute l'âme du roman noir.
Qu’écrit un passionné comme lui s’il doit évoquer l’un des maîtres du genre, Raymond Chandler ? Il ne se lance pas dans une rhétorique verbeuse, ni dans une analyse nébuleuse. Il exprime avec simplicité sa lecture : Dans Chandler, la langue débridée reprend ses droits. Marlowe est un causeur impénitent, il insiste toujours, se moque parfois, même quand il s’en prend plein la tête. On ne la lui fait pas, il est totalement incorruptible, car définitivement désabusé. Il marche d’abord à l’intuition, mais supporte mal qu’on lui mente ou qu’on l’emmène en bateau, ce qui arrive bien sûr souvent. C’est grâce à cette obstination qu’il parvient à ses fins. Il ne s’agit pas, là non plus, d’un retour du psychologisme. C’est surtout à travers les mots que le détective trouve les failles des gens qu’il côtoie ou interroge. En cela, l’écrivain est d’une incroyable modernité.
C’est avec clarté que Jean-Bernard Pouy présente aux lecteurs son approche personnelle de ce genre littéraire, sujet à maintes et maintes explicitations, explications et définitions. Ni un catalogue des meilleurs titres, ni une étude tellement pointue qu’elle en deviendrait rébarbative. Pouy revendique sa partialité comme ses oublis, citant avec passion les auteurs l’ayant marqué. Tel un infatigable pèlerin, voilà des années que J.B.Pouy porte la bonne parole du roman noir à travers conférences et débats. Ce présent essai est une sorte de synthèse de ses exposés en public.
Sophocle et M.G.Lewis furent des précurseurs. Féval, Gaboriau, et peut-être Zola, ont autant créé les codes de ce genre littéraire que John Steinbeck ou W.R.Burnett. Puis arriva la génération décisive de Dashiell Hammett et de Chandler, de James Cain et d'Horace Mc Coy, qui figurent au Panthéon des pionniers. Leurs successeurs sont nombreux, différents et opposés sans doute, mais animés du même esprit.
C’est de réalisme social, des tares de nos sociétés comme des imperfections humaines, dont nous parle le roman noir. Univers où l’on croise des détectives égarés dans une labyrinthique affaire, des traumatisés par les guerres ou leur expérience de la vie, de doux dingues assez malins pour duper tout le monde, des désespérés en route vers l'enfer, et toute une galerie de héros maudits dont nous partageons le destin le temps d'un livre.
On vibre autant grâce à Giorgio Scerbanenco, Manuel Vazquez Montalban, Leonardo Padura, Manchette, Ken Bruen, Didier Daeninckx, Donald Westlake, Pascal Garnier, Jean Amila, Caryl Férey, et tant d’autres : les historiques aiguilleurs du genre, les forcenés, les pessimistes, les allumés, les étoiles filantes, les intellos, les auteurs actuels. On ne s’étonnera pas que J.B.Pouy prenne un plaisir particulier à lire les plus déjantés d’entre eux…
Il conclut avec une nouvelle : “Sauvons un arbre, tuons un romancier !” Un tueur à gages est chargé de supprimer un romancier besogneux, dont la prose est caricaturale. L’assassin, qui l'attend chez lui, ne connaît pas d'états d'âmes. Mais sait-on jamais ?
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Jean-Bernard Pouy : Tout doit disparaître (Série Noire, 2015) - Le blog de Claude LE NOCHER
À l'occasion des 70 ans de la Série Noire, cette collection réédite en un seul volume cinq titres de Jean-Bernard Pouy : Nous avons brûlé une sainte (1984) - La pêche aux anges (1986) - L'ho...
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