Parmi les romans mettant en scène l’éternel Sherlock Holmes, voici une des plus singulières aventures du héros créé par Conan Doyle, “La vendetta de Sherlock Holmes” d’Ugo Pandolfi (Albiana, 2010).
À la fin du 19e siècle, Ugo Pandolfi est un ingénieur géologue corse réputé. Il fut un proche du défunt Guy de Maupassant, dont il vénère la mémoire. En cet automne 1893, Pandolfi a rendez-vous à Montpellier avec un nommé Sigerson, un Scandinave ayant besoin d’un guide pour visiter la Corse. L’homme dévoile bientôt son identité : c’est le fameux Sherlock Holmes, disparu depuis quelques mois. Il invite Pandolfi à une réunion secrète, regroupant les membres d’un comité qui vise l’élimination du Professeur Moriarty. Tous ces prestigieux experts européens savent que l’ennemi personnel de Holmes ne cesse d’étendre ses activités illégales. Certes, en Corse où le criminel s’est réfugié, le commissaire Le Villard a mis en place un réseau de surveillance autour de Moriarty. Encore faut-il l’approcher, être sûr de ne pas le rater. C’est une mission dangereuse, que seul Holmes peut accomplir. Pandolfi accepte immédiatement de l’assister.
Arrivés à Ajaccio, le duo peut essentiellement compter sur deux personnes. Ors’Anto, l’agent local de Le Villard, est un
homme de confiance, efficace et discret. Le jeune policier irlandais O’Near dirige l’opération sur l’île. Les
rapports qu’il a reçu du mystérieux Reouven l’ont beaucoup aidé, mais cet agent ne donne plus signe de vie. On sait que Moriarty aurait un complice asiatique, un Annamite, dont le rôle reste
encore obscur. En outre, les notaires de l’île sont actuellement très actifs, achetant de nombreuses propriétés pour la mafia de Moriarty. Celui-ci réside dans deux endroits, selon les jours,
soit à Sartène, soit à Cardo près de Bastia. Toutefois, il se déplacerait bien vite sur les chemins peu commodes entre ces lieux. Comme l’a toujours pensé Sherlock Holmes, il existe certainement
deux Moriarty. Pandolfi et le détective se rendent près de Sartène, dans un poste d’observation d’où l’on peut surveiller la maison de Moriarty.
Le duo voit effectivement l’Annamite aller et venir. Leur cible se montre peu, sortant brièvement de chez lui. Ayant cherché le meilleur moyen d’approcher, s’abritant derrière un dolmen à la réputation maléfique, Holmes finit par utiliser son fusil spécial contre Moriarty. Ainsi qu’il le craignait, ce n’est qu’une doublure du criminel. Toujours davantage animé par l’esprit de vengeance, guidé par cette haine qu’il éprouve depuis vingt et un ans contre Moriarty, Holmes entraîne Pandolfi à Bastia. C’est depuis une grotte que l’on épie la propriété de Cardo où se trouve l’adversaire. Même s’il parvenait à supprimer Moriarty, il resterait quelques questions mal expliquées. Telle cette hécatombe parmi les brebis à travers toute l’île. Pour Pandolfi et Holmes, c’est évidemment à Londres que se terminera leur aventure. L’ingénieur y découvrira même d’incroyables révélations sur le héros Corse par excellence, Pascal Paoli…
Voilà un “polar historique” particulièrement bien documenté. Ce roman fourmille d’une multitude de détails, qu’un simple résumé ne saurait restituer. Soulignons d’abord un bel hommage à Guy de Maupassant, grand amoureux de la Corse. Celui-ci n’aimait guère les ingénieurs et les politiciens : “Nos hommes politiques se querellent plus qu’ils ne délibèrent. Quant aux ingénieurs, le mépris qu’avait pour eux Maupassant n’avait pas de limite (…) [Il] était revenu à Ajaccio en affirmant que ces gens étaient plus dangereux que le choléra. Ce mal, disait-il, ne détruit que les hommes, tandis que les ingénieurs détruisent la nature elle-même, après l’avoir rendue grotesque.” Holmes n’est pas moins cinglant envers les politiciens : “Le seul mot de politique (…) semble être devenu le synonyme de mauvaise foi, d’arbitraire, de perfidie, de ruse et de délation.”
Holmes ne mène pas ici une enquête de celles que nous les ont décrites ses hagiographes, le Dr Watson et Conan Doyle. Quand on vient pour se venger, pour la vendetta, le raisonnement passe forcément au second plan. C’est un périple à travers la Corse qu’il va vivre, ce qui est l’occasion de décrire maintes beautés de cette île, d’en rappeler plusieurs éléments historiques. Parmi les moments intéressants, notons la réunion des initiateurs de la criminologie moderne (Bertillon, Lacassagne, Lombroso…). Clin d’œil aux admirateurs du détective, le personnage énigmatique de Reouven, du nom du meilleur continuateur de l’œuvre de Conan Doyle, l’écrivain René Reouven. Précisons, toujours dans l’esprit holmésien, que Ugo Pandolfi est ici sous le charme de la fille du Dr Bell, dont Conan Doyle s’inspira largement. Ce voyage nous permettant d’accompagner Sherlock Holmes en Corse est un vrai plaisir, et une belle manière de découvrir certains aspects de l’île.
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