Chez Rivages/Noir, “Des rats et des hommes” de Tito Topin (titre parodiant celui du roman de John Steinbeck “Des souris et des hommes”) nous présente un Paris envahi par les rats. La puanteur sévit partout. Les poubelles débordent et s’amassent. On parle de vingt-six tonnes de déchets. Grèves et manifs d’idéalistes contre la pauvreté ajoutent à la confusion.
Avec ses airs rupins et sa Bentley, Kubitschek n’est pas aussi indifférent qu’il parait à cette ambiance. Son employée de maison âgée Farida ouvre trop les fenêtres de l’appartement, ce qui laisse entrer les odeurs, tandis que son fils et sa fille sont solidaires des manifs. À soixante-sept ans, encore massif physiquement mais malade, Kubitschek n’est pas le bourgeois qu’on imagine. Ancien gaucho-anar, dénoncé par des "amis", il fit un peu de prison suite à une opération foireuse. Puis ce baroudeur se livra à de juteux trafics, hors du territoire français. Aujourd’hui, il garde la passion du jeu, la roulette du cercle Rick’s lui étant souvent favorable.
Si Kubitschek prend sous sa protection la jeune pute albanaise Olga, c’est parce qu’elle a le même prénom que sa défunte épouse. Tous deux passent la soirée au Rick’s, quand se produit un violent braquage. Pas de quoi effrayer un homme tel que Kubitschek. Non seulement il résiste, mais il reconnaît la voix du chef des braqueurs, Georges Canetti. Georges et son frère Alex sont ceux qui les ont dénoncés, bien des années plus tôt.
Flic très douteux, le commissaire Boniface suspecte Kubitschek d’être l’organisateur du vol. Du bluff, Kubitschek le sait. Il négocie afin que le policier ne l’empêche pas de se venger de Canetti. Son vieux copain Machado fut un tueur efficace, mais c’est à l’hôpital que Kubitschek le retrouve. Il s’adresse alors à Gianni, le fils de son défunt ami Ambrosino, jeune garagiste fauché affligé d’une mère péniblement acariâtre.
Bien que diminué, Machado rejoint Kubitschek et Gianni pour mener à bien leur vengeance. Le trio dispose des puissantes armes d’Ambrosino-père et d’une Pontiac plutôt voyante. Pas grave : “On ne demande pas à un feu d’artifice d’être discret” dit Kubitschek qui, ayant renoncé à se soigner, avoue qu’il éprouve “une sauvage envie de crever.” Pendant ce temps, Boniface et ses collègues flics de haut rang, discutent de leurs petites combines autour d’un pique-nique, loin des manifs et de la puanteur. Si sa famille de pleurnichards n’intéresse plus guère Kubitschek, il n’est pas insensible aux cas de Farida et de la jeune Olga. Ceux dont il doit s’occuper maintenant, ce sont Georges et son frère Alex. Il est conscient que, face à cette crapule de Boniface, il va devoir ruser pour trouver Georges…
Dans cette histoire, il est bien question de toutes sortes de rats. “L’homme a réalisé son rêve, il a enfin son clone. Il n’est pas parfait, il ne lui ressemble pas physiquement, il a un museau trop long, une queue poilue, mais il se comporte de la même façon idiote que lui […] On nous a rebattu les oreilles en nous faisant croire que nous sommes des êtres supérieurs, mais ça ne va pas durer, les rats sont en train de nous piquer la place.” On croise ici quelques humains moins respectables encore que des rats. Tel le fils de Kubitschek (“Tu n’a jamais su te servir d’un ouvre-boîte, et tu voudrais te servir d’une arme ?”) qui fréquente des militants bien peu convaincants (“La question de qui c’est tout le monde n’est pas à l’ordre du jour, dit le Grand Ordonnateur en tapant du poing sur la table”).
Les comparses de Kubitschek, et leurs adversaires, n’apparaissent pas plus reluisants. Truands vieillissants et flics véreux sont au rendez-vous, et ça va saigner ! Même Farida et Olga n’échappent pas aux portraits ironiques, avec un peu plus de tendresse toutefois (“Tu fais partie de la grande famille des imbéciles heureuses. Continue, ne change rien”). Décrit avec mordant, le contexte d’une France en plein marasme est compensé par la tonalité enjouée, et des scènes extrêmement drôles. L’écriture de Tito Topin est fluide, narquoise, d’une belle vivacité. On se laisse volontiers séduire par les mésaventures de ses personnages. Bien peu d’entre eux en réchapperont, on s’en doute.