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Le qualificatif de roman noir est parfois galvaudé, englobant de bons romans d’enquête ou des aventures à suspense. À ces histoires-là, aussi sympathiques et convaincantes soient-elles, il manque un élément crucial. Car un véritable roman noir comporte une vision sociétale, un regard sur la réalité du monde. L’intrigue criminelle, plus ou moins présente, est liée au contexte social. Parmi les nouveautés en format poche, deux titres répondent impeccablement à cette idée.
Marin Ledun : "Les visages écrasés"
À Valence, dans la vallée du Rhône, cette plate-forme d’appels conseille et vend des produits téléphoniques et des forfaits Internet. Une forte pression
s’exerce ici sur les salariés, dans ce secteur économique très concurrentiel. Âgée de quarante-deux ans, le docteur Carole Matthieu est le médecin du travail intégré à cette société. Chaque jour,
elle reçoit des employés surmenés, des patients au bout du rouleau. Elle suit de près chaque cas, mais n’a pas empêcher plusieurs tentatives de suicide, ainsi qu’une mort par pendaison.
Fragilisée elle-même par cet univers sous tension, Carole Matthieu se gave de pilules sédatives. Sauver ces gens est devenu une mission sans fin, au détriment de sa relation avec sa fille. Elle
doit souvent s’opposer à l’intransigeante direction de la plate-forme, ainsi qu’aux représentants syndicaux, trop “dans la négociation” à son avis.
Vincent Fournier était exemplaire de l’incapacité des salariés à surmonter leur stress. Rétrogradé dans ses fonctions, il devint suicidaire. Tenter de soutenir le moral de Fournier ne servait plus à rien, il était fichu. Ce vendredi soir, Carole l’a abattu par arme à feu. Pour le soulager définitivement, comme pour dénoncer les méthodes de management de l’entreprise. Le vigile Patrick Soulier n’a trouvé le cadavre que dans la journée de dimanche. Le lundi s’annonce particulièrement difficile pour Carole. Elle a bien songé à avouer le crime, avec ses motivations. Elle doit encore tenir, grâce aux pilules, pour aider les autres employés. Pour la direction pas question de stopper l’activité de la plate-forme. Le policier Richard Revel est chargé de l’enquête sur le meurtre de Vincent Fournier. Il ne cache pas son attirance envers Carole. Celle-ci en joue pour ne pas être inquiétée, puis pour qu’il prenne connaissance des dossiers médicaux des employés les plus touchés. Également proche du suicide, Hervé Sartis fait partie de ceux que Carole tente de sauver. Une solution trop tardive sans doute, car il risque fort de récidiver…
Ce roman a été récompensé en 2011 par le Trophée 813 et par le Grand Prix du roman noir de Beaune.
Eric Miles Williamson : "Bienvenue à Oakland"
Pourquoi T-Bird Murphy végète-t-il dans un garage individuel de Warrensburg, Missouri, planqué au milieu de nulle part ? Ça ne vous regarde pas. À travers
cette histoire, il vient vous raconter son existence et celle du petit peuple d’Oakland. D’origine irlandaise, né entre les Noirs et les Mexicains des pires quartiers de la ville, il revendique
cette promiscuité. Jouer de la trompette avec un orchestre mexicain lors d’un quinceanera, voilà un aspect qu’il aimait à Oakland. Et la solidarité entre pauvres quand, alors gamin, il se
fit arnaquer par FatDaddy Slattern, ça c’était quelque chose.
Les privilégiés de l’Amérique idéale, T-Bird leur crie sa rage. Sa détestation de leur conformisme, de leur décor trop propre, de la certitude de leur puissance. Ça le met en colère de savoir qu’ils liront ce livre. Ces lecteurs érudits vont-ils percevoir ce qu’est la dureté de la vraie vie d’en bas ? Où les salaires minables ne satisfont les besoins qu’au jour le jour. Peuvent-ils comprendre pourquoi on a le droit à la vulgarité, quand on trime dans les plus sales boulots et, qu’après, on se réunit pour se saouler dans le bar de Dick ? Tout est si parfait dans les Etats-Unis de l’élite. Sauf qu’aucune vie de couple n’est plus possible, estime T-Bird. Il a bien tenté d’accéder à la supposée normalité, métier stable, gentille petite famille, maison proprette, et tout ça. Mais autour de lui, rien que des épouses n’ayant d’autre but que de gruger les maris. L’exemple le plus éloquent, ce fut Blaise et Ashley. En le quittant, Lashley ruiné tout espoir chez leur pote Blaise. T-Bird et ses amis de chez Dick ont fait appel à Jorgensen, pour savoir ce qui n’allait pas avec Blaise. Une mission menée avec la rigueur militaire indispensable, mais Jorgensen a quand même échoué.
T-Bird ne garde que bons souvenirs des Hell’s Angels. Faut dire que sa mère était diablement accueillante avec ces motards. Donc, lui, il était un peu leur fils, à tous. Les Mexicains aussi, ils ont toujours été amicaux avec T-Bird. Il respecte avant tout leur tradition musicale : “Leur musique, c’est pas un truc qu’ils ressortent une fois par an des archives ou d’un musée, non, elle est vivante, là, à notre époque, et elle fait absolument partie de leur vie.” Il évoque encore le vieux Duke Hammerback, septuagénaire comme Myrtle. Si elle s’est réfugiée dans les croyances religieuses, l’ironique Duke a une conception plus personnelle d’une heureuse fin de vie. T-Bird a également été conducteur de camion-poubelle, un job très chic. C’est encombrant comme engin, mais ça peut servir de domicile…