“Travail soigné” et “Robe de marié”, ces deux romans de Pierre Lemaitre ont séduit tous les amateurs de suspense. En ce début 2010, il nous a concocté un scénario aussi dense que les précédents : “Cadres noirs” (Calmann-Lévy).
Voilà quatre ans qu’Alain Delambre est au chômage. À 57 ans, cet ancien cadre a conservé son volontarisme, mais doit se contenter de petits jobs. Sa tendre épouse Nicole est son meilleur soutien. Adultes, leurs filles Mathilde et Lucie mènent leurs propres vies. Quand Delambre est retenu pour des tests organisés par BLC Consulting, il n’a pas l’intention de laisser passer cette chance. Il se prépare, étudiant le langage actuel des entreprises. Le jour venu, sur les onze sélectionnés, Delambre est évidemment le plus âgé. Il n’a rien à perdre, car un incident vient de lui faire perdre son dernier job. Ça semble un miracle qu’il soit retenu parmi les quatre qualifiés. Le consultant Bertrand Lacoste le reçoit. Il lui précise la mission des postulants. Il s’agit d’une simulation de prise d’otages, qui permettra d’évaluer en même temps la réaction des cadres concernés. Choquée, Nicole désapprouve ces méthodes, mais Delambre est décidé à tout.
Pour affiner une stratégie, il doit d’abord déterminer quelle est la société qui recrute, cliente de BLC. Grâce à une petite enquête, il devine que c’est le groupe pétrolier Exxyal. Ensuite, il n’a pas de mal à cibler les cadres qui seront soumis à la fausse prise d’otages. Pour obtenir des renseignements plus précis sur eux, Delambre va s’adresser à une agence de détectives privés. Ça coûte cher, aussi manœuvre-t-il sa fille Mathilde pour qu’elle lui prête la somme. Voulant être préparé à la situation, Delambre paie encore les services du nommé Kaminski. Cet ancien du RAID, viré pour défaillances, connaît tous les mécanismes d’une prise d’otages. Mathilde est furieuse d’avoir été bernée. Delambre ment à Nicole, prétendant que cet argent est un pot-de-vin qui lui garantit d’obtenir le poste. Pas convaincue, son épouse s’éloigne de lui. Durant la période précédant la simulation, Delambre opère un fichage complet du groupe pétrolier.
Baroudeur au passé trouble, Fontana organise l’opération pour BLC Consulting et Exxyal. Loin du jeu de rôle classique, il a scénarisé la prise d’otage dans chaque détail. Quand Delambre arrive, Fontana le sent particulièrement tendu. Pourtant, il y a moins de concurrence que prévu. L’action démarre, les cadres d’Exxyal ignorant le jeu cruel auquel ils sont confrontés. Pourtant, dès que le premier otage est interrogé par les supposés ravisseurs, les règles du jeu vont changer de façon spectaculaire. Fontana se croit capable de faire face, de s’opposer à l’escalade de la tension. S’il pense comprendre la psychologie de l’adversaire, il se trompe à plus d’un titre. Avec deux blessés légers et un otage ayant fui, la situation atteint un pont de non-retour. La suite des évènements n’est pas du tout favorable à Delambre. À moins qu’il ait encore des cartes en main…
Cette excellente intrigue s’inscrit dans la réalité socio-économique ultra-libérale, montrant les dérives perverses d’un
système cynique : “Les candidats à un poste sélectionnent les candidats à un autre poste : je me dis que décidément le système entrepreneurial est drôlement au point. Il n’a même plus besoin
d’exercer l’autorité, les salariés s’en chargent eux-mêmes. Ici le coup est assez puissant : avant même d’être embauchés, nous pourrons quasiment licencier les cadres en place les moins
performants. Les entrants créent les sortants. Le capitalisme vient d’inventer le mouvement perpétuel.” Des méthodes extrêmes qui en rappellent d’autres, bien réelles et dévastatrices. Delambre
garde “l’esprit cadres”, espérant appartenir à nouveau à ce milieu. Il ne rejette pas le principe, mais par-dessus tout il veut sa revanche. Il commence par duper sa famille, avant d’aller bien
plus loin. À une longue mise en place du contexte, succèdent les parties mouvementées du récit. La tension se fait plus vive, le jeu devenant dangereux. Par ses précédents romans, on a pu
constater que Pierre Lemaitre est un expert en scénarios à suspenses, fertiles en faux-semblants et en rebondissements. Avec “Cadres noirs”, il prouve encore une fois sa parfaite
maîtrise d’une histoire fort excitante.
Cliquez ici pour lire ma chronique sur "Robe
de marié" de Pierre Lemaitre.