Chez Rivages/Thrillers, Pascal Dessaint vient de publier son nouveau roman “Le bal des frelons”. Il a pour décor un village qu’on suppose endormi dans sa ruralité tranquille, au cœur d’une vallée de montagne. Voilà pourquoi l’apiculteur Maxime s’est installé depuis dix ans dans cet endroit isolé. Il a quitté sa compagne et Paul, le fils de celle-ci, pour s’occuper de ruches et d’abeilles. Malgré ses aléas, c’est une activité assez rentable, qui lui permet de ne pas côtoyer grand monde. Autre cas, Rémi s’est fixé dans ce village par hasard. Il y a rencontré Mariel, infirmière de quinze ans son aînée. Ils ont vécu ensemble, sans trop s’occuper du regard des gens. Et puis Mariel est décédée à cause d’une chute accidentelle. Difficile pour Rémi, dont le cerveau est un peu dérangé, de se passer de la présence de Mariel.
Il y a aussi Antonin, qui fut gardien de prison durant trente ans. Il pense s’être
montré bienveillant avec les détenus, mais ceux-ci pouvaient ressentir un certain mépris dans ses taquineries. Aujourd’hui retraité, Antonin passe le temps en circulant dans la région ou en
glandant sur un banc. Marié à Martine, il commence à ne plus apprécier son épouse et ses manies. Celle-ci vient de retirer toutes leurs économies de la banque. Un beau pactole, dont Martine ne
veut pas lui dire où elle l’a caché. Elle aussi, elle en a marre de la présence de son mari retraité. Le maire du village, Michel, a été naguère son amant. Cet homme cupide pourrait l’aider à se
débarrasser d’Antonin, si elle lui offre ses faveurs et une part de son magot.
Certes, effectivement intéressé par le fric, Michel a été chasseur. Quand il s’amuse à tirer désormais, tout ce qu’il réussit à cibler, c’est une paisible vache dans un champ. Celle du paysan roublard Jacques, dont le cousin est gendarme. De quoi frôler les ennuis pour Michel, même si le gradé Charles est du genre magnanime. Coralie, l’employée de mairie, a surpris le projet de Martine et de Michel. Cette quadragénaire frustrée est amoureuse du maire. Elle a posé les conditions de son chantage. Elle prend deux jours de congés afin de se préparer à son propre dépucelage.
Martine n’est pas la seule à vouloir supprimer Antonin. Loïk et Baptiste, deux anciens taulards vivant maintenant en couple, ont aussi des griefs contre l’ex-gardien de prison. Surtout Loïk qui, tout en cajolant son hérisson domestique, mûrit sa vengeance. Le moment approche pour le duo, qui se rend en voiture au village. De son côté, Antonin projette également d’éliminer son épouse. Bien entendu, ça paraîtra accidentel, afin que le gendarme Charles n’ait pas idée de le soupçonner. Mais il doit d’abord savoir où elle a planqué le magot.
Quant à Martine, sa détermination meurtrière commence à faiblir : “Nous nous supportions tout de même depuis un certain nombre d’années. Il y avait eu de bons moments, surtout au début. Nous avions partagé la plus effroyable des douleurs. Tout cela n’aurait-il aucun sens, aucune valeur ? Étais-je réellement prête à l’effacer d’un revers de main ?” Tandis que Maxime organise la transhumance des ruchers, Charles le gendarme a bien raison de ne pas trop s’éloigner du village…
C’est une fort agréable comédie noire qu’a concocté ici Pascal Dessaint. Dans ce récit à plusieurs voix, nous faisons connaissance avec des personnages assez insolites. Rémi est vraiment déjanté, Coralie n’est guère plus équilibrée, Michel se réfugie dans l’ivresse, Maxime préfère sa solitude. Plusieurs autres ont des projets criminels. On ne parierait pas sur leur réussite, pourtant il y aura des victimes. Évidemment, on retient d’abord l’aspect souriant de cette histoire. S’il existe une large part de caricature, elle est bien dessinée. Comme dirait le paysan Jacques : “C’est pas parce qu’on est des bouseux qu’on est des attardés.” La drôlerie est donc très réussie, avec une tonalité enjouée. On apprend aussi bien des détails sur le métier d’apiculteur, puisque telle est l’origine de ce “Bal des frelons”. Le rôle de Maxime apporte un contrepoint psychologique à l’intrigue. Humour et suspense, pour un roman extrêmement agréable à lire.