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Aux Éditions du Masque, “Adieu Gloria” est le deuxième titre publié en français de Megan Abbott. J'ai attribué un "Coup de cœur" au précédent. Celui-ci mériterait tout autant ce petit signe de qualité, car c'est un remarquable roman (disponible dès le 23 février).
Comptable dans un petit club de la ville, cette toute jeune femme vit chez son père et poursuit des études de comptabilité. Elle est bientôt repérée par Gloria Denton. Dame mûre sinon âgée, Gloria conserve un charme troublant et une force de caractère qui impressionnent la petite comptable. Son bizness consiste à rendre divers services, collecter les gains des paris, verser quelques pots-de-vin, transmettre des enveloppes dans les casinos, sur les champs de course, les clubs et bars. Un rôle de confiance, pour des commanditaires qui ne plaisantent pas. Il faut être d’une fiabilité absolue, comme c’est le cas de Gloria depuis plusieurs décennies. Elle a choisi la jeune femme pour la former au job, en faire son assistante. Bénéficiant d’un nouvel appartement et d’une voiture, l’apprentie est testée sur quelques livraisons. Puis Gloria va la relooker sobrement, car une parieuse d’hippodromes ne doit pas être trop remarquée.
La jeune femme est à la hauteur, snobant les hommes, sachant se montrer prudente, trouvant vite sa place dans le bizness. Elle apporte même un tuyau pour un fructueux cambriolage. Jusqu’à là, l’éducation de sa protectrice porte ses fruits. Hélas, l’héritière de Gloria va croiser Vic Riordan, un joueur invétéré, un pigeon qui perd bien plus qu’il ne gagne mais se croit toujours sur le bon coup. C’est plus que de l’amour, c’est de la passion que la jeune femme ressent pour son amant. Pas question de révéler cette relation à Gloria, évidemment. Elle a appris à masquer ses actes, autant que les bleus issus de ses étreintes sexuelles féroces. Vic Riordan est dans la panade, lourdement endetté. Valeur montante du Milieu local, le caïd Mackey ne sera plus patient longtemps. Son dernier avertissement est violent. Comme si des sirènes d’alarme retentissaient de toute part, la protégée de Gloria sait déjà qu’elle a tort de vouloir aider Vic.
Certes, il y a une solution, arrêter de voir le joueur endetté. Elle est trop éprise pour s’y résoudre. Le temps presse, Vic est aux abois. Il a un plan sûr, des paris truqués très rentables, mais il lui faut une mise importante. Détourner du fric qui appartient à ses patrons ? Extrêmement risqué, d’autant que Gloria a des indics partout, ce qui est la base même de son réseau. Aux courses, la jeune femme va justement être en possession d’une somme conséquente, le double des mises ordinaires. Gloria étant absente, la comédie d’une agression autour de l’hippodrome passerait plus facilement. Surtout si Vic n’hésite pas à la cogner fortement, afin qu’on ne doute pas de sa version. Pourtant, rien ne dit que l’incorrigible Vic rembourse Mackey avec ses nouveaux gains. La suite pourrait finalement attirer l’attention de la police…
Ils sont rares, les véritables continuateurs du roman noir traditionnel américain, les descendants de Dashiell Hammett et Raymond Chandler. Avec “Absente”, Megan Abbott prouva qu’elle faisait partie de ce petit cercle. Elle le confirme grâce à ce nouveau roman. Premier atout favorable, le décor. En ne situant ni la ville, ni l’époque précise, elle donne un côté universel et intemporel à cette histoire. Au lecteur d’ajouter son propre imaginaire. Contexte peut-être des années 1950, ou 1960 si l’on préfère, ou plus récent si telles sont nos références. Idem pour cette ville riche en trafics autour du jeu, qui peut se positionner où l’on veut. C’est diablement malin.
Le second atout, c’est bien sûr le portrait des héroïnes, deux femmes similaires, deux générations d’ambitieuses. Elles sont un amalgame réussi de femmes fatales et de dures à cuire, telle Lauren Bacall. L’aînée est respectée, organisée, incontournable, encore séduisante. Si elle cesse d’accumuler les erreurs, la cadette le deviendra peut-être à son tour. On ne nous incite pas à choisir notre camp, l’une ou l’autre gagnante du duel, entre le visage de l’expérience et celui de l’avenir. Quant à l’intrigue, traîtrises et manipulations en tous genres sont au programme. Dans un monde baignant dans l’illégalité avec ses aspects malsains, le récit idéalement fluide apporte une impression de normalité alors que la mort rôde. Megan Abbott est probablement la plus subtile et la mieux inspirée dans le roman noir actuel.
Cliquez pour ma chronique sur "Absente" de Megan Abbott.