Le journaliste Léo Tanguy possède ses propres méthodes, son environnement personnel. Les sujets qui l’intéressent sont principalement humanistes. Il nous le montre une fois encore dans cette aventure signée Arnaud Le Gouëfflec : “Mon nom est Person” (Coop Breizh, 2010).
Si le cyber-journaliste Léo Tanguy rejoint Brest, ce n’est pas pour chroniquer le bulletin météo de la tempête
monstrueuse qui est annoncée. Certes, le nouveau préfet Viager argumente sur la sécurité des citoyens, mais avec une sale arrière-pensée en tête. Soutenues par des militants favorables aux
sans-papiers, des familles de clandestins ont installé un camp sur le port de Brest. Le préfet et le commissaire Giroud espèrent les déloger, sous prétexte de ne pas les exposer à la tempête à
venir. Depuis qu’il est retraité, Jean Person s’est passionné pour la cause des sans-papiers aspirant à s’intégrer en France. Pas avare
de déclarations et d’actes spectaculaires, il apparaît intouchable pour les autorités. C’est Jean Person qui a alerté Léo Tanguy sur la situation brestoise actuelle. Sur place, Léo est logé et
renseigné par son ami Yves, journaliste d’Ouest-France.
Quand Léo se présente au camp des sans-papiers, il est reçu par la dynamique retraitée Mathilde. Elle exprime clairement leur combat : “On n’est pas des idéologues, on n’a pas de solutions à proposer. Juste des gens normaux qui ne peuvent pas supporter d’en voir crever d’autres sous leurs fenêtres. Y en a qui comprennent jamais ce qui est évident. Ces gens-là, il leur manque une case dans le cœur. Et le problème, c’est qu’en ce moment, c’est eux qui font les lois.” Jean Person a disparu depuis peu. Pas le genre à lâcher ceux qu’il défend dans une période aussi critique, pourtant. Le lendemain, Léo fait avec Mathilde la tournée des planques à clandestins. Le cas du vieux Josset, qui héberge trois hommes bien différents, est déjà exemplaire. Surtout, il y a Kondo, qui vit dans une caverne bétonnée, véritable musée d’art brut. Malgré la sympathie, le vieux Noir ne livre sans doute pas tout ce qu’il sait.Ce n’est pas Suzie, la copine de Léo employée à la Préfecture, qui défendra ce Grand Inquisiteur qu’est son actuel patron Viager. Quant au commissaire Giroud, il a déjà repéré Léo.
Notaire et ancien élu, maître Toqueduc ne cache pas son hostilité contre Jean Person. Même si ses discours fascisants n’impressionnent plus guère, il reste inquiétant. La police surveille toujours le camp : “C’est fou ce que ça peut prendre patience, un pandore. Comme les alligators le long des berges du Nil : une apparence de tronc d’arbre et une détente mortelle. Pour l’instant, ils s’économisent.” Léo enquête chez Person, dans un bar spécialisé en spectacles rastas. On confirme qu’il n’aurait pas disparu sans raison. Si Person n’est pas sorti en mer, il est passé s’occuper de son petit bateau. La police daigne vérifier l’info. Mais c’est du côté de la famille Toqueduc que les pistes se dirigent. Kondo a disparu, sa caverne a été saccagée. Pas de hasard, estime Léo. Tandis que l’énorme tempête arrive sur Brest, le préfet sévit et les militants réagissent. Malgré la météo et le danger, Léo poursuit l’enquête…
Comme tous les héros secoués par les éléments déchaînés, Léo Tanguy a besoin d’une bouée de survie. Cassandre Draguénnec est océanographe à Ifremer, une mystique attachée aux signes du destin et autres concepts spirituels. Des idées pas si éloignées de celles du vieux Kondo, finalement.
Bien sûr, c’est la cause des clandestins qui est une fois encore au centre de l’enquête de Léo. Si on le traite de naïf, il n’oublie pas qu’aucune de ces personnes n’a fui son pays de gaîté de cœur, et que beaucoup veulent s’intégrer. La désobéissance citoyenne contre de mauvaises lois n’est pas une faute, c’est un honneur. Évitant toute lourdeur démonstrative, l’auteur s’amuse souvent des clichés, sur les fachos peu convaincants autant que sur les utopistes gauchistes intransigeants. Tonalité enjouée, que l’on apprécie toujours. L’affaire est mouvementée à souhaits, pleine de péripéties, cultivant un bon suspense. Voilà encore un épisode très convaincant des pérégrinations du cyber-journaliste de l’Ouest. Plus que jamais dénonciateur d’injustes répressions, il apparaît tel un proche cousin de Gabriel Lecouvreur (Le Poulpe). Arnaud Le Gouëfflec donne du corps, une singularité supplémentaire à cet excellent personnage.
Mes chroniques sur d'autres enquêtes de Léo Tanguy (cliquez sur les titres):
Martial Caroff "Liberté pour la libertine" - Jean-Bernard Pouy "Rosbif saignant" - Isabelle Amonou "VAL sans retour" - Jean-Noël Levavasseur "Irish confit" .