Chaque jour des infos sur la Littérature Policière dans toute sa diversité : polar, suspense, thriller, romans noirs et d'enquête, auteurs français et étrangers. Abonnez-vous, c'est gratuit !
En 1956, dans l’est des États-Unis. Patti Fraser –“vingt-cinq ans, cheveux courts, poitrine menue, et cerveau légèrement supérieur à ceux qu’on rencontre en Nouvelle-Angleterre” – est originaire du Vermont. Vivant alors dans le Maine, Patti se montre rassurante avec sa mère Rachel au téléphone. Pourtant avec son frère aîné Dan et un ami à lui, Steeve, ils ont formé un petit gang à trois. Ce jour-là, c’est une banque de la ville de Bingham qu’ils vont braquer. Pas vraiment de résistance de la part des employés et clients présents. Le trio dérobe environ 38.000 dollars en billets – marqués, qu’il sera difficile d’écouler. Plus deux tableaux se trouvant dans la salle des coffres. Après avoir buté un policier, Steeve est lui-même blessé, sans que ça gêne de trop leur fuite à tous les trois.
Patti se renseigne par téléphone auprès de sa mère, amatrice d’œuvres d’art, sur la valeur des deux toiles volées. Rachel connaît parfaitement la célébrité de leur auteur, Jackson Pollock. Dont chacun des tableaux abstraits obtient une cote faramineuse. Si les billets de la banque sont inutilisables en l’état, les toiles de Pollock sont invendables. À moins de les négocier en s’adressant au peintre ? se dit Patti Fraser. Mais il y a belle lurette que Pollock a sombré dans l’alcool, dont il n’émerge qu’en de rares moments. Comme quand il explora en 1951 les rites indiens et les arts navajos, son ami Edgar Dashee lui ayant servi de guide sur leur territoire. Encore que, cette fois-là, Pollock s’étant alcoolisé à son habitude, il se laissa entraîner à des jeux d’argent qui ne furent pas sans conséquences.
Évidemment, les deux tableaux volés par Patti Fraser à la banque de Bingham ont un propriétaire. Et non des moindres, car il s’agit de Dee Gorman. Ce vieux caïd indien, au cœur de bien des trafics, n’est pas de ceux qui se laisse entourlouper. Le directeur de la banque ayant failli, il le paiera cher. Le premier sbire qu’envoie Gorman sur la piste de la petite bande est un Asiatique. Il va rapidement dégoter la trace des voleurs, grâce au maillon faible du trio. Entre-temps, Patti cherche toujours la meilleure solution pour se débarrasser avec profit des tableaux de Pollock. Mais le trio a par ailleurs des soucis avec le fils de Dan, le neveu de Patti. Et un repli stratégique chez Rachel n’est peut-être pas la solution, car un deuxième sbire de Gorman y a pensé également…
Elle récupère son verre de bière et avale goulûment le houblon. Au moment où elle va pour payer, elle remarque sur la table mitoyenne la une du Portland Press Herald. Un titre se détache au centre de la page : « Hold-up de Bingham, la police piétine. »
‒ Depuis bientôt quinze jours, le trio de braqueurs de la Camden Bank de Bingham court toujours. Le butin est estimé à 500.000 dollars, sans compter le contenu des coffres. Rappelons que l’agent Fred Malloney, héros de la guerre en France, a été tué dans l’exercice de sa mission […] Monsieur Dickinson, directeur de la banque, a été grièvement blessé et sera immobilisé durant plusieurs mois, ainsi que l’époux d’une employée présent sur les lieux et qui a eu le tort de résister aux tueurs. Ceux-ci seraient dirigés par une femme et, de sources sûres, le trio n’aurait pas quitté le Maine…
Est-il encore besoin de rappeler que Marc Villard est un virtuose français de la nouvelle et du roman court, sans doute le meilleur de ces catégories ? L’Amérique et ses mythes l’ont depuis longtemps inspiré, en particulier tout ce qui concerne le jazz. Cette fois, l’époque des débuts du rock’n’roll lui permettent d’évoquer en filigrane Bill Haley et Elvis Presley.
Toutefois, c’est le peintre Jackson Pollock qui reste le pivot de cette histoire. Après des œuvres "classiques" ne rencontrant qu’un très modeste succès, à partir de 1947 Pollock innove. Il déverse la peinture directement des pots, contrôlant la fluidité et l’épaisseur des lignes obtenues, et surtout l’égouttement de la peinture sur les toiles à plat. La technique du "dripping" séduit le monde artistique, et les acheteurs.
Ne nous y trompons pas, ce n’est pas une énième biographie de Jackson Pollock que nous présente Marc Villard. L’intrigue à suspense relève du polar, avec des personnages qui ne manquent pas de singularité, ni d’une noirceur certaine pour quelques-uns d’entre eux. Il suffit au styliste qu’est l’auteur de quelques descriptions ciselées pour décrire chacun des protagonistes – ainsi que les lieux et les situations. Puisqu’il n’y a nullement nécessité à emberlificoter un tel scénario, jusqu’à un dénouement épatant, Marc Villard concentre admirablement son écriture pour nous livrer un roman court subtil et convaincant.