Recueil de nouvelles.
Mon âme au diable : C’est en 1932 qu’une sorte de magicien fit son apparition dans la ville de Saint-Brieuc, un émule du roi Midas capable de transformer en or tout ce qu’il touchait. Alex Kepler s’affichait conseiller financier. Il avait du panache, séduisait aisément, circulait à grande vitesse dans sa puissante automobile conduite par son chauffeur, inspirait les meilleurs placements aux nantis et parfois à des gens plus modestes. Un tel personnage ne pouvait sûrement pas continuer ce jeu longtemps, sans croiser un assassin.
Siam : Existe-t-il des œuvres maudites ? Tout porte à le croire quand on connaît l’itinéraire chaotique d’un petit tableau de Gauguin datant de 1895, peint à Pont-Aven. Dès le début du 20e siècle, son propriétaire est victime d’une mort singulière. Et chacun de ceux qui le posséderont ensuite dans les Côtes-du-Nord, durant cinq décennies, vont également périr brutalement. Ce fut quelquefois par miracle que l’on retrouva le précieux tableau, qui était autant passé entre les mains de notables que de repris de justice.
Cantique des ardents : Ce vieux médecin n’est pas prêt d’oublier Noël 1948. À l’époque, dans la région d’Erquy, tout le monde connaissait le capitaine Fabre. Sur son cheval, cet officier de gendarmerie en imposait. C’est lui-même qui découvrit le corps crucifié d’un jeune homme, et qui fit appeler le médecin. Il avait besoin de lui pour que fonctionne son plan. Si bien des années plus tard subsistent des zones d’ombre sur l’affaire, le médecin qui en fut témoin peut affirmer que ce diable d’officier appliqua une certaine justice.
La chambre du bouc : En ce temps-là, l’honorable M.Cambon habitait un manoir de la région. Il ne formula pas d’objection quand des gendarmes vinrent inspecter sa propriété autour de la vieille demeure. Une fillette appartenant à une famille de romanichels, alors de passage, pouvait s’y être cachée. On ne trouva nulle trace de la petite disparue. Quant à accuser M.Cambon ? Le père de la gamine et quelques villageois le firent, mais absolument rien ne confirmait cette hypothèse.
L’appel du ventre : Au début du 20e siècle, la belle Hortense tenait une mercerie dans la paisible ville de Lamballe. Si plusieurs hommes de son entourage s’entre-tuèrent, cela pouvait passer pour un fâcheux concours de circonstances. Dont on ne songea guère à la tenir pour responsable. Pourtant, n’y eut-il pas au moins une autre mort violente à porter au crédit d’Hortense ? En quelque sorte, cette jeune femme avide d’une vie luxueuse était une habile joueuse de billard.
La chair et l’horizon : La plantureuse Mme Mansart vécut une mésaventure qui, si elle ne fut que choquante et non pas criminelle, entraîna dans la foulée l’arrestation d’un voyeur. On dénombrait plusieurs victimes dans cette modeste affaire. Parmi ces femmes, toutes pourvues de rondeurs, l’une d’elle refusa d’accabler le fautif. Atteinte à la pudeur, ce qui constitue un fait à sanctionner, mais point de maltraitance. Alors que certains maris sont bien plus rustres dans l’intimité des couples.
Honoris causa : Quand, dans la région du Cap Fréhel, sont commis plusieurs meurtres très violents, le nommé Léopold n’a aucun doute sur l’endroit où trouver le coupable. Selon lui, c’est un de ceux qui sont logés à l’Institut. Il s’agit là d’une propriété où Désiré Langres, un Parisien féru de sciences qui se dit docteur, et son épouse Anna, hébergent quelques malades mentaux. Contactées par Léopold, la gendarmerie et les autorités se montrent très prudente envers Désiré Langres, qui n’est effectivement pas un criminel…
Je me suis tourné vers Fabre, à cet instant. Vous pourriez l’imaginer plein de haine pour ceux qu’il décrivait de la sorte, et vous auriez tort. C’est juste qu’il se dressait parmi nous comme un rempart contre nos faiblesses et nos turpitudes. Il était là pour la justice, afin qu’elle soit rendue quoi qu’il advienne […] Fabre avait, à cette seconde, le regard dont parlent encore aujourd’hui ceux qui l’ont croisé. Cet inexplicable alliage de mélancolie, de panache et de froideur. Cette jubilation dans les yeux, qui s’éclaircissaient soudain quand son devoir – ou du moins ce qu’il estimait l’être – prenait le pas sur le cours des choses…
Ils ne sont pas si nombreux, les auteurs français dont on peut conseiller les recueils de nouvelles. Beaucoup présentent des textes correctement écrits ou même plaisants à lire, mais bien plus rares sont ceux qui incluent un "supplément d’âme" dans leurs nouvelles. Notion abstraite ? Non, car c’est en s’appuyant sur leur mythologie personnelle que des auteurs tels Marc Villard, Didier Daeninckx, ou Nadine Monfils dans ses contes pervers, pour ne citer qu’eux, concoctent des textes courts enthousiasmants. Or, Alain Émery fait partie des créateurs de nouvelles animés du même état d’esprit.
Sa propre mythologie se base sur des images d’autrefois. Celles d’un monde pas plus idéal qu’aujourd’hui, mais où un observateur pouvait sentir les choses. Parce que le temps s’écoulait au rythme de chacun, sans précipitation. Parce que l’on connaissait son décor quotidien, et la population avec ses figures marquantes ou plus insignifiantes. Sans être plus simples, pour peu qu’on prenne un certain recul, les affaires plus ou moins criminelles devenaient possibles à décrypter. Alain Émery se plaît à décrire ces ambiances-là, à dresser le portrait de ces personnages d’antan, à revisiter par la fiction la vie de nos aïeux. Faut-il traduire que l’auteur est un nostalgique ? Probablement trouve-t-il plus de charme dans ce passé que notre époque préfère trop facilement oublier.
La qualité de ces nouvelles ne se borne pas à la thématique. D’une fluidité toute en souplesse, l’écriture reste l’atout essentiel de ces textes. Avec finesse, ne négligeant pas les détails, choisissant son tempo, c’est cette écriture de perfectionniste qui exprime la tonalité du récit. Alain Émery est un conteur-né, dont chaque nouvelle fait mouche.