New-yorkais natif du Queens, Harry Bloch est écrivain. Pas un best-seller, ni une star des milieux intellos. Autrefois, quand il vivait avec Jane, Harry imaginait une carrière sous le signe de la poésie. En attendant, il signait des chroniques dans un magazine porno, d'improbables conseils aux lecteurs. Jane étant partie voguer dans les sphères de l'édition, et Internet ayant supplanté les publications pornos, Harry devint auteur de romans populaires. Sous pseudonyme, il a écrit une série de SF, puis des polars ayant pour héros un détective afro-américain. C'est avec des romans alimentaires signés Sybilline Lorindo-Gold, des histoires mêlant érotisme et vampires qu'il connaît un modeste succès. Harry visualise mal le lectorat appréciant ses élucubrations, l'essentiel est que ça se vende.
Claire Nash est une ado pragmatique, d'une riche famille de la ville. Grâce à elle, Harry a gagné un peu d'argent en rédigeant les devoirs de ses amis étudiants. Maintenant, Claire est son associée, son agent officieux qui peut faire appel aux meilleurs avocats de New York. Harry reçoit une proposition d'un détenu de Sing Sing, le tueur en série Darian Clay, condamné à mort pour le meurtre de quatre femmes. Il les photographiait, avant de les démembrer. On n'a jamais retrouvé leurs têtes. Clay passe pour un type limité. Il reçoit un abondant courrier d'admiratrices. En échange d’histoires pornos exclusives, le tueur livrera des révélations sur ses crimes. Claire imagine déjà la fortune et la gloire.
Ayant rencontré Clay, Harry hésite. Il a croisé les proches de trois des victimes, qui ont eu vent du projet. Moralement, l'écrivain sait que l'idée est discutable. Dani Giancarlo, sœur jumelle de la quatrième victime, l'incite à accepter. L'avocate de Clay, et son assistante Theresa Trio (lectrice des romans de vampire d'Harry), semblent modérément approuver. Leur client doit être exécuté sous peu, mais elles espèrent un recours. Malgré tout, Harry remplit sa mission. La situation se complique sévèrement pour lui, quand on s'attaque à trois admiratrices de Clay. De quoi être suspecté par la police. Townes, l'agent du FBI qui arrêta le criminel, attend la retraite pour écrire son propre best-seller sur l'affaire. Devenu intime avec Dani, malgré la jalousie de Claire, Harry tente de jouer au détective, aidé de ses amies. C'est aller droit vers le danger, sans garantie de découvrir la vérité…
Pour tout vous dire, je préfère le suspense à l'ancienne, avec un assassin qui meurt à la dernière page, sans détails à l'eau de rose sur la vie privée du héros. Quand un détective apprend qu'il a une tumeur, ou que des terroristes ont enlevé sa femme, je me dis que la série est sur le déclin, ou que l'auteur est au bord du gouffre. Arrêtez de nous emmerder avec vos problèmes personnels. Faites votre boulot, un point c'est tout. Dans ses premiers romans, Dashiell Hammett, le maître de la vieille école en personne, ne s'embêtait pas à donner un nom à son détective. Le narrateur n'était qu'un type un peu courtaud avec un flingue et un chapeau, qui fumait trop de Fatimas. Il débarquait en ville dans un costume froissé, résolvait l'affaire et repartait par le train suivant...
Désormais disponible en format poche, “Polarama” figurait en 2013 parmi mon palmarès des meilleurs titres de l’année.
Ce survol n'aborde que l'aspect suspense, mais ce roman de David Gordon est surtout un hommage aux artisans de la littérature populaire. À tous ceux qui, d'Edgar Poe jusqu'à Simenon, en passant par Agatha Christie ou Dashiell Hammett et bien d'autres, ont écrit des romans policiers. Sans que ça nuise au récit, bien au contraire, l'auteur nous livre sa réflexion sur ce genre littéraire. Sur la fonction sociale et l'intention du romancier populaire, sur la construction d'une intrigue, sur l'attente des lecteurs et le rapport de l'auteur avec son lectorat. À travers le parcours du narrateur, ayant connu plus de déboires que d'honneurs, on retrouve le sort de tous ces bons écrivains (tel David Goodis) longtemps mal reconnus par les élites culturelles.
On sent combien David Gordon respecte ces auteurs. D'ailleurs, comme une preuve, des extraits de supposés livres d'Harry Bloch (science-fiction, enquête de détective, sexe et vampires) sont insérés dans ce roman. David Gordon n'écrit pas selon le principe béhavioriste, qui veut que le récit s'en tienne aux faits, sans exprimer les états d'âmes des protagonistes. Néanmoins, il connaît ses classiques. On souligne encore la fascination qu'exerce sur le public (souvent féminin) les plus cruels tueurs en série, et la même admiration glauque envers les histoires érotiques extrêmes (parfois sataniques).
Toutefois, ce n’est pas une thèse sur ces questions. C'est une fiction, jouant (non sans ironie) sur l'idée commerciale du concept “inspiré de faits réels”. Non, ce qui est proche du “vrai”, ce sont quelques-uns des portraits. Dont celui de Jane, belle arriviste du monde artistique ; celui de Claire, trop lucide gosse de riche qui retrouvera un peu plus d'humanité; ou celui de Theresa, dure contre l'injustice et lectrice émue des œuvrettes du héros. L’intrigue est évidemment pleine de rebondissements agités, même quand on croit le dénouement arrivé. “Polarama” est un régal, à tous points de vue. Les passionnés de littérature policière ne s'y tromperont pas.