Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Chaque jour des infos sur la Littérature Policière dans toute sa diversité : polar, suspense, thriller, romans noirs et d'enquête, auteurs français et étrangers. Abonnez-vous, c'est gratuit !

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Près de Valenciennes, dans le Nord, Wollaing fut longtemps une ville industrielle. L'usine Berga, principal moteur de l'économie, fonderie de plomb, employa jusqu'à 1150 salariés en 1969. Dans les années 1970, la situation empira progressivement. Le vieillissement des installations, la sévérité patronale, les rachats de l'entreprise, l'intransigeance syndicale, autant de causes qui entraînèrent en 1983 la fermeture de Berga. Pour les ex-employés, rares furent les reclassements réussis. Des investisseurs profitèrent des aubaines fiscales, mais leurs entreprises disparaissaient vite, plongeant leurs salariés dans une précarité de plus en plus flagrante. Certains achetèrent des bistrots. Fredéric Wallet créa une salle de musculation. Rémy Leroy devint ferrailleur. Un autre alla travailler sur le port d'Anvers. La plupart vivotèrent ainsi durant trente ans, avec peu d'espoir de boulot pour leurs enfants.

Antoine Vanderbeken est médecin à Wollaing, ville d'origine de sa famille. Il perdit un frère jumeau quand ils étaient ados. Son père fut chef du personnel de l'usine Berga. En Indo puis en Algérie, Édouard Vanderbeken (alors surnommé Douve) eut une carrière militaire chargée. Il fit même partie des commandos Delta de l'OAS, avant d'être engagé à l'usine. Au cœur des actions de la décennie 1970 chez Berga, il est décédé depuis l'époque de la fermeture. Chasseur, comme son associé Delcourt, le docteur Antoine Vanderbeken s'affiche bien plus humaniste que son père. Il n'est pas indifférent à la détresse régnant ici, chez les jeunes en particulier. Quand la junkie Pauline Leroy traverse des crises, il n'hésite pas à l'aider. Employée de la supérette de M.Haddouche, celle-ci semble vouloir prendre un nouveau départ. Son petit-ami Serge Maes et elle projettent de quitter la France.

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Mais pour tenter une vie ailleurs, ou simplement échapper à la misère ici, il faut beaucoup d'argent. Les banques sont exigeantes, heureusement que certains prêteurs via Internet se montrent plus généreux. Néanmoins, il faut rembourser, et dans une minorité de cas, l'emprunteur ne peut pas. C'est là que Freddie Wallet et son ami Gigi, Gérard Waterlos, interviennent pour le recouvrement des dettes. Carrure musclée et air menaçant suffisent souvent pour des remboursements, parfois ils cognent. Quand Pauline est retrouvée morte dans un terrain vague, son père Rémy Leroy est convaincu que ce duo a assassiné sa fille. L'enquête est conjointement menée par le commandant Erik Buchmeyer et la lieutenant Saliha Bouazem. Le premier est un quinquagénaire difficile à gérer pour sa hiérarchie. La seconde est originaire de Thionville, en Moselle, autre région où la sidérurgie fut reine.

Soupçonner Wallet et Waterlos ? Les collecteurs de dettes avaient-ils vraiment intérêt à supprimer Pauline, qui devait 50000 Euros ? Saliha privilégie l'hypothèse Serge Maes, car elle a été témoin d'une rencontre de ce petit truand avec des trafiquants, ceux de la bande des Boggaert. À moins qu'une troisième piste se dessine ? Tout en sympathisant avec les deux médecins, Erik explore quantité de documents sur l'époque de l'usine Berga, ainsi que des archives-photos familiales. Des rancœurs remontant aux luttes sociales du passé seraient-elles à l'origine de l'affaire ? Avec son collègue et ami Belge, Erik en examine toutes les facettes possibles. Saliha finit par récupérer l'essentiel de la somme empruntée par Pauline. Un nouveau meurtre est commis, pour lequel Rémy Leroy est suspecté. Au final, ce seront quatre meurtres et un suicide que le couple de policiers devra élucider…

Emmanuel Grand : Les salauds devront payer (Éd.Liana Levi, 2016)

Pour le contexte général, tout est dit dans le résumé qui précède ici. Région sinistrée, oui sans nul doute, car elle fut l'une des plus industrialisée de France. Personne ne sut freiner le déclin, relancer les activités pourvoyeuses d'emplois en grand nombre. Les politiques ne sont cependant pas seuls fautifs, une partie de la population se braquant sur ses acquis, et le patronat jouant le pourrissement tout en bénéficiant d'aides publiques. Cette part sociologique est essentielle dans ce roman, Emmanuel Grand renvoyant lucidement dos-à-dos ceux qui vécurent la fin de l'ère industrielle dans la région, qui y contribuèrent.

Autre cible de cette histoire : les sociétés de crédit à la consommation. À côté de celles qui ne disent pas toute la vérité sur les taux demandés sur leurs prêts, il semble qu'existent des margoulins utilisant l'anonymat d'Internet pour jouer aux usuriers. Des sommes très importantes, permettant par exemple l'achat d'une puissante voiture neuve, sont offertes. Conséquence assurée, le remboursement doit être infaillible, sinon la violence intervient. Le mirage de la fortune ne dure pas éternellement. L'auteur présente là des pratiques fort plausibles. Encore une façon, détestable et même odieuse, d'exploiter la pauvreté.

Évidemment, c'est sur une intrigue criminelle que repose ce sombre roman. Les deux enquêteurs utilisent des méthodes différentes. Le taciturne Erik Buchmeyer se fie d'abord à son instinct, se réfère aux témoignages et aux archives, se moque bien de son supérieur Delcroix et de ses visées politiciennes. La jeune Saliha aime encore son métier de policière mais un tel dossier risque de lui apporter des désillusions. Erik la rassurera : “Qu'est-ce que tu croyais ? Qu'on était des héros ? Des justiciers, des redresseurs de torts ? Non, on est juste des flics qui font leur boulot. Un petit maillon de la chaîne… Tu as tout pour être une excellente flic, Saliha.” Par ailleurs, l'ensemble des protagonistes sont dessinés avec une belle justesse, tout comme l'ambiance qui apparaît véridique.

Après “Terminus Belz” (Prix PolarLens 2015, Prix Tenebris 2015 au Québec), ce deuxième polar d'Emmanuel Grand confirme les qualités de l'auteur.

- Lire aussi la chronique de Pierre Faverolle sur ce roman (ci-dessous) -

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> J'imagine que vous cuisinez avec des champignons à l'occasion ? Que vous n'en êtes pas dissuadé par le fait de savoir que c'est le goût de votre homonyme l'empereur romain entre Caligula et Néron pour les champignons qui a donné l'idée à Agrippine - sa femme, pas l'héroïne de BD de Claire Brétecher ( née à Nantes il me semble ), encore que l'une soit l'inspiration du nom de l'autre - de lui servir un plat de champignons arrosé de poison ? Histoire de voir son fils Néron devenir calife - pardon, empereur - à la place du calife ! Vous savez que Néron ne sera guère reconnaissant à sa mère qui, voyant plus tard les sbires envoyés par son fils pour la tuer, leur aurait dit " Frappez au ventre ! "<br /> ( Je signale qu'un nouvel album d'Iznogoud est paru récemment, où le grand vizir qu'est Iznogoud voit débarquer son père. )<br /> <br /> http://www.parislibrairies.fr/detaillivre.php?gencod=9782915732887<br /> <br /> Iznogoud t.30 ; De père en fils<br /> Nicolas Tabary, Laurent Vassilian<br /> Imav<br /> Parution : 8 octobre 2015<br /> <br /> Je me souviens que voici deux ans vous aviez dit beaucoup aimer le feuilleton anglais de 1976 " Moi, Claude, empereur " avec Derek Jacobi dans le rôle.<br /> Ces propos pour vous raconter un hasard de lecture. Hier je regardais un livre américain que j'ai : Agent of Death, par Robert Elliott et le journaliste Albert Beatty, paru aux éditions Dutton en 1940, peu après la mort d'Elliott en octobre 1939. <br /> Elliott était le principal exécuteur ( des peines capitales ) aux Etats-Unis de son temps. Il était personnellement opposé à la peine de mort, mais ne voyait - et je n'en vois pas - de contradiction avec le fait d'exercer le métier de bourreau. Car il estimait que la peine de mort ne serait pas abolie de son vivant du moins dans tous les Etats américains. Ce en quoi il avait raison.<br /> Ce n'est qu'aujourd'hui - voir le site Death Penalty Information Center - qu'une telle évolution est envisageable, la peine de mort n'étant aux Etats-Unis plus pratiquée que par une poignée d'Etats.<br /> Donc Elliott s'appliquait à causer aux condamnés la mort la plus rapide et la moins douloureuse possible. On sait depuis longtemps que la méthode d'exécution par chaise électrique, celle qu'Elliott utilisait, est horrible, ce qui a conduit à son remplacement dans tous les Etats américains qui l'utilisaient. Au profit de l'injection léthale, qui elle aussi à ses ratés, qu'on connaît, je n'y reviens pas ici.<br /> Toujours est-il qu'Elliott, ingénieur en électricité, parvenait à infliger une mort rapide.<br /> <br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_G._Elliott<br /> <br /> C'est lui qui exécuta Sacco et Vanzetti, Ruth Snyder ou Bruno Richard Hauptmann.<br /> Il eut le courage d'admettre qu'il avait probablement exécuté des innocents victimes d'erreurs judicaires. Ce qu'il reconnaissait qu'il ne pourrait pas savoir.<br /> <br /> Ceci pour dire que sur la jaquette du livre, au dos, figure une liste de titres des éditions Dutton parus aussi en 1940.<br /> J'ai eu la curiosité de rechercher la disponibilité d'exemplaires d'occasion. <br /> Mais surtout j'ai cherché l'auteur Pamela Frankau.<br /> <br /> https://en.wikipedia.org/wiki/Pamela_Frankau<br /> <br /> Et je vois que son roman le plus connu, The Willow Cabin, est paru en français sous le titre " La Hutte de saule " chez Hachette en 1953. Avec une traduction de Suzanne Pairault.<br /> Suzanne Pairault, un auteur que les jeunes lecteurs de la Bibliothèque Verte, Rose, ou de l'Idéal-Bibliothèque, surtout des années 1950 aux années 1980, identifient avec les livres sur la chienne Lassie, ou Sissi d'Autriche, ou la série " Jeunes filles en blanc " mettant en scène une infirmière différente dans chaque titre.<br /> Je ne sais que depuis quelques années que Suzanne Pairault était assez âgée, née en 1897, pour avoir été infirmière pendant la Première Guerre mondiale, expérience dont elle s'inspirera pour la série précitée. Rappelons que les infirmières de cette guerre ( relire " L'Adieu aux armes " d'Ernest Hemingway ) eurent à faire face à des situations extrêmes, de nouveaux types de blessures, pensons aux gueules cassées.<br /> <br /> http://www.parislibrairies.fr/detaillivre.php?gencod=9782364800236<br /> <br /> La vraie histoire des infirmières <br /> (Préface d'Ali Afdjei)<br /> Philippe Duley<br /> Chronique<br /> Parution : 14 juin 2012 <br /> <br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/Suzanne_Pairault<br /> <br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeunes_filles_en_blanc<br /> <br /> Je souligne les paragraphes de cet article qui m'étaient restés en tête après l'avoir lu :<br /> <br /> " Suzanne Pairault (1897-1985) a elle-même servi un temps comme infirmière de la Croix-Rouge dans un hôpital anglais, vers la fin de la Première Guerre mondiale, à une époque où la dévotion des infirmières envers leurs malades était sans borne, d'où la présence dans les romans de l'auteur - bien qu'écrits à partir de 1968 - de sentiments d'abnégation chez les infirmières qui peuvent paraître exagérés, voire peu plausibles, aux yeux du lectorat adulte d'après 1970. La même dévotion se retrouve dans les romans étrangers sur le monde infirmier, tels que la série Cherry Ames aux États-Unis, série des années quarante et cinquante.<br /> <br /> Pour mieux comprendre les sentiments de l'auteur, qui s'est servi de son expérience d'infirmière pour l'écriture de la série, il est utile de rappeler que les écoles d'infirmiers n'ont été créées qu’à la fin du XIXe siècle (1878 en France). Dans l'Hexagone, ce n'est qu'en 1922 que les écoles débouchèrent sur un « brevet de capacité d’infirmier professionnel », transformé en 1938 en « diplôme d’infirmier hospitalier » et seulement en 1951 en diplôme d’État infirmier.<br /> <br /> Avant cela, c'étaient les ordres religieux féminins et masculins qui soignaient les malades, à domicile et dans les hôpitaux, selon des critères en lien avec la charité et l'amour de Dieu. Le soin est alors une activité bénévole et « sacrée ». Il faudra attendre la laïcisation et l'émergence d'infirmières et d'infirmiers laïques et la Première Guerre mondiale pour que se mette en place un mouvement vers la constitution d'un nouveau groupe social. Ainsi, à l'époque où Suzanne Pairault travaille comme infirmière (Première Guerre mondiale), la profession est encore fraîche, connote de hautes valeurs morales et humaines, et est auréolée de quasi sainteté. "<br /> <br /> Mais donc, j'ai remarqué que comme traductrice :<br /> <br /> 1939 : Moi, Claude, empereur : autobiographie de Tibère Claude, empereur des Romains de Robert Graves — Plon. Réédition en 1978 (Éditions Gallimard) et 2007 (Éditions Gallimard, D.L.).<br /> <br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/Moi,_Claude<br /> <br /> https://en.wikipedia.org/wiki/I,_Claudius<br /> <br /> Cordialement
Répondre
C
Bonjour Philippe<br /> Le métier d'infirmière en hôpital est historiquement récent, à peine une centaine d'années, en effet. C'était le temps des « salles communes », d'une hygiène médicale assez relative, qui succédaient à la compétence très relative des « sœurs ». Mais, c'est vrai qu'existait un esprit de dévouement chez les « soignants » (comme on dit aujourd'hui) probablement plus fort que de nos jours. Hautes valeurs morales et humaines, quasi sainteté ? Relativisons, mais on peut admettre une « conscience de leur mission » omniprésente. Il faut bien avouer qu'on est plus sceptique sur la vocation d'une large partie du personnel hospitalier depuis quelques décennies. Leur principale idée, c'est de se couvrir en cas de dysfonctionnement éventuel. Voire de nous accuser alors qu'ils n'ont pas correctement fait leur boulot. Je peux témoigner que, dans plusieurs cas d'hospitalisation concernant des proches, ce fut vraiment n'importe quoi. À tel point que je fus souvent obligé de sacrifier mon temps pour régler des situations où personne ne « se mouillait ». Quelques rares cas de personnels efficaces, mais la majorité ne l'était pas. Et qu'on ne me réponde pas « manque de moyens », car c'est archi-faux.<br /> La peine de mort n'a jamais empêché les actes criminels, on le sait. Aux États-Unis, on compte plus d'un meurtre par arme à feu toutes les heures, soit plus de 27 homicides par jour, près de 10000 meurtres par an. En France, c'est moins de 2 meurtres par jour, environ 700 par an (oublions le contexte des attentats). Pourtant, on nous recommande de « prendre des leçons » de la part des Américains, en terme de sécurité. Risible, non ? <br /> Amitiés.
S
J'avais bien aimé le premier, malgré quelques petits défauts, mais c'était bien ( les bandits serbes, j'ai adoré ! ) , et puis rencontré aux QDP, un type sympa, ça ne gâche rien ! Alors c'est parti pour casser la tirelire !
Répondre
C
Bonjour<br /> Ambiance très différente de "Terminus Belz", bien sûr, mais c'est un auteur que l'on continue à suivre avec plaisir.<br /> Amitiés.
P
Salut Claude, habituellement, je ne lis pas tes avis quand je suis en train de lire le livre, ou avant d'avoir écrit mon avis. Celui-ci, je le finis ce soir. Je suis impressionné par la justesse des descriptions de cette région sinistrée par les fermetures d'usine. Impressionné par la peinture des personnages. Impressionné aussi par le style, la forme, qui prend son temps pour construire son histoire. En fait, l'enquête (du moins là où j'en suis) a peu d'importance par rapport à tout le reste qui est décrit. C'est une autopsie d'une région, d'une société d'une justesse remarquable. Un vrai roman social remarquablement bien écrit. Un dexième roman qui m'impressionne. Fichtre, je viens de commencer mon avis ! Amitiés
Répondre
C
En effet, Pierre, l'aspect "criminel" est le support scénaristique, mais c'est le contexte régional qui importe sans nul doute davantage. On se rapproche un peu de "Aux animaux la guerre" de Nicolas Mathieu. Ici non plus, l'auteur n'est pas dans la complaisance. Je crois fermement que dans toute situation de crise, il y a "faute collective", et il me semble qu'il l'illustre. Un roman qui donne matière à réflexion, à témoignage, c'est très important.<br /> Amitiés.