Oliver Cross débute comme ambulancier à la Station 18 de Harlem, en 1993. Il compte de nouveau tenter l'examen d'entrée en médecine. Ce qui lui vaudra d'être surnommé “Le Légiste” par les autres. Ollie admet être moins combatif que sa fiancée Clara, déjà admise en médecine. Chez les urgentistes new-yorkais, il va devoir s'accrocher. Éviter d'abord d'être éjecté comme le jeune Phelps, venu du Tennessee rural, jamais inséré au groupe. Sauver un vieil asthmatique dominicain, ne pouvoir rien faire pour une fille tombée d'un immeuble, écarter un clodo alcoolo d'un restaurant propre, appeler les flics si des toxicos mineurs les menacent, tel est le quotidien de leurs interventions. Ollie a de la chance d'opérer en duo avec Gene Rutkovski. Cet ex-militaire est un urgentiste expérimenté, fonceur mais bien moins brutal que leur collègue LaFontaine.
Après quelques erreurs pardonnable, Ollie finit par être mieux apprécié dans leur groupe, quand il réussit à mâter un chien très méchant. Il réalise que savoir doser son altruisme est indispensable dans ce job. D'autant qu'Harlem dans ces années 1990 reste un quartier violent, où l'on ne respecte guère les ambulanciers. Comme le flic Pastori, il convient parfois de férocement rappeler à l'ordre des petits voyous. Imaginer rester indifférent à ce qui les entoure est impossible. Surtout en découvrant un cadavre dans sa vermine, ou même en calmant un jeune suicidaire d'un milieu clean. Ollie risque d'être surnommé “La Mère Teresa de Harlem” s'il montre trop d'empathie. À la Station 18, l'ambulancier confirmé Reggie Verdis, qui faillit devenir prêtre, joue déjà ce rôle de Bon Samaritain.
Sa relation avec Clara devient tendue, car elle éprouve de l'animosité pour Rutkovski, et ne comprend guère que c'est un métier où il faut s'impliquer à fond. S'il reste discret sur sa vie privée, Rutkovski a sa part de problèmes. Il conseille à Ollie de ne pas s'éterniser dans ce job, s'il veut une vie équilibrée. Ce n'est pas le mordant LaFontaine qui calme l'ambiance au boulot. Entre Mitch Green, boxeur du niveau de Mike Tyson qu'il faut maîtriser, et un concert des Fugees qui vire vite à l'émeute, peu de répit pour les urgentistes en cet été caniculaire…
Ce "Coup de cœur" figure dans le peloton de tête des meilleurs romans noirs lus depuis quinze ans. Shannon Burke utilise un contexte new-yorkais proche dans son premier titre paru en français, “Manhattan Grand-Angle” (Série Noire, 2007). Cette fois, se servant de sa propre expérience d'ambulancier à New York, il va très loin dans le réalisme. D'abord, le Harlem décrit ressemble d'assez près à l'enfer : “Des rues sales, des stations de métro délabrées, des poubelles qui débordent, des rats, des terrains vagues un peu partout... Les districts les plus violents étaient le 32e à West Harlem et le 34e à Washington Heights. C'était précisément la zone que notre unité quadrillait, et nous en étions fiers.” Dans de pareilles conditions, une sérieuse force de caractère est indispensable pour tenir.
Cette histoire est puissante, sans lyrisme excessif, par la tonalité de son témoignage. Chez les urgentistes, existe un panel de comportements. Ça va du plus soucieux des autres comme Verdis, au plus cynique tel que LaFontaine, en passant par des pros compétents genre Rutkovski, pouvant finir par éprouver des états d'âme négatifs. Plus qu'une vocation, leur métier devient addictif chez la plupart de ces ambulanciers, primordial tout en étant conscients qu'ils ne sauvent pas tant de gens. S'il avait cherché à nous apitoyer, Shannon Burke serait passé à côté de son sujet. Bien au contraire, il montre que vivre à Harlem en ce temps-là, c'est accepter d'être en marge. Y compris pour ces urgentistes mal considérés de tous. Toute la dimension sociale du roman noir, dans cet univers où règne l'incessante présence de la mort.
Remarquable !
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