En ce neigeux hiver 1897, Elspeth Howell rentre dans sa ferme isolée du nord de l’État de New York. Elle vient de passer quatre mois en ville, exerçant son métier de sage-femme. Cinq ou six jours plus tôt, trois hommes portant des foulards rouges ont débarqué ici, tuant sans pitié toute la famille : son mari Jora et leurs enfants (Mary, Emma, Jesse et Amos) ont été massacrés. Sauf Caleb, douze ans, fils solitaire des Howell. Il a tout vu depuis le fenil, dans la grange où il passait son temps. Bien que possédant un fusil Ithaca, il n'a pas pu intervenir. Sans le vouloir, Caleb blesse gravement sa mère à son arrivée.
Fiévreuse, Elspeth reste semi-inconsciente durant plusieurs jours. Son esprit lui restitue des images de leur vie passée, entre la pieuse dureté de Jora et leur histoire familiale. C'est le feu qui va intégralement purifier le décor meurtrier. Caleb et sa mère se réfugient dans la grange. Le garçon réfléchit à la suite : “Ils auraient besoin d'un plan, et pour la première de fois depuis le drame, il envisagea la possibilité d'un avenir. La seule chose qu'il révélerait à sa mère, c'est qu'il prévoyait de tuer ces hommes. Sans doute le voudrait-elle aussi.” Après quelques jours de répit, Elspeth affaiblie et Caleb partent à pied dans la neige et le brouillard. Un long chemin de croix dans les campagnes sans vie.
Ils échouent finalement chez un couple de vieux, William H.Wood et sa femme Margaret. Ceux-ci leur procurent chaleur et réconfort. Quatre jours plus tôt, les trois tueurs ont brutalisé William, volant ce qu'ils pouvaient. Ils sont partis en direction de Watersbridge. Elspeth connaît la ville, près du lac Erié : c'est là que naquit Caleb. William et Margaret ne peuvent retenir la mère et son fils, pressés de rester sur les pas du trio criminel.
Tandis qu'ils se logent dans un hôtel, Caleb découvre la civilisation. Déguisée avec les vêtements de son défunt mari, Elspeth se voit offrir un job d'homme à la Compagnie des Grands Lacs. Un boulot difficile où elle fait équipe avec Charles Heather, au caractère plutôt bienveillant. Elle ne peut rien lui révéler dans l'immédiat. Caleb a entendu parler de la Taverne de l'Orme, un lieu mal famé. Il est engagé pour un petit job de service par le patron, London White. Il est convaincu que c'est là qu'il trouvera la trace des trois tueurs. Caleb s'est acheté un Colt, qui ne le quitte pas. À l'Orme, il croise des types comme Owen Trachte, qu'il sent animé d'une sourde colère, ou Martin Shane, un habitué paraissant énervé de nature. Mais il y a également la jeune Ellabelle, qui l'impressionne quelque peu. Elspeth reste hantée par son passé. Caleb ne renoncera pas à sa vengeance…
À la toute fin du 19e siècle, l'Amérique reste largement un décor de western, la ruralité s'appliquant toujours à de petites villes comme Watersbridge. C'est une époque rude, où le confort reste relatif pour la population ordinaire, chacun défendant ses maigres biens ou sa tranquillité. Non sans utiliser des armes, au besoin. Des notables de la classe un peu plus aisée, tels ceux qui emploient Elspeth Howell, il en existe. Ces conditions de vie engendrent une sélection naturelle au détriment des plus faibles, y compris des bébés. On se raccroche dans certains cas aux préceptes bibliques, comme le fit Jora Howell. Ou on traîne sa peine et ses secrets, telle Elspeth.
Ce que l'on retient en priorité, c'est l'écriture de James Scott, capable de faire passer cette âpreté de l'ambiance d'alors. Certes, il y a des règlements de comptes dans l'air. Au-delà de ça, c'est l'ensemble des rapports entre tous les protagonistes qui sont sous perpétuelle tension. Beaucoup de méfiance, assurément une dose de rancœur. Néanmoins, l'auteur parvient à nuancer, à travers des personnages plus modérés, lueurs humanistes perçant dans cette noirceur. Quant à l'intrigue, le massacre initial en est le moteur, bien sûr. Toutefois, c'est dans l'histoire d'Elspeth et de ses proches que l'affaire prend sa source. C'est avec une très belle maîtrise que James Scott nous raconte ces destins tourmentés.
―“Retour à Watersbridge” est disponible chez Points dès le 7 janvier 2016—