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Emmanuelle Heidsieck : À l'aide ou le Rapport W (Éd.Inculte, 2013)

Ne racontons pas cette histoire au futur, car ça se passe probablement dès maintenant au sein d'un de nos ministères ou dans un club de réflexion politique occulte. On a chargé deux technocrates de concevoir et de rédiger le rapport ADS, “Aide Don Service”. Âgé de quarante-deux ans, le chef est appelé A. Père divorcé, c'est un arriviste acharné, ayant adopté tous les codes de la société actuelle. Servile avec son supérieur P, il méprise avec agressivité son adjoint B. À cinquante-quatre ans, B est un fonctionnaire sans avenir, qu'on a recasé sur ce projet. Si B fournit l'essentiel du rapport, c'est fatalement A qui en tirera le bénéfice. “Aide Don Service”, que signifie ce dossier sur lequel nos dirigeants vont avoir à légiférer un jour, dont il faut déjà prévoir les contours ?

Le bénévolat, c'est terminé ! L'altruisme, ça suffit ! Tout acte de la vie courante doit être impérativement rémunéré. Finie la gratuité, qu'il faut au plus tôt déclarer illégale. Le bon sens impose d'interdire tout ce qui n'est pas payant. Condamner les bénévoles heureux de rendre service aux autres, telle ne peut qu'être la solution. Criminaliser tout esprit de charité, voilà comment on pourra éradiquer ce qui nuit à notre société. D'abord, prévoir un lexique où seront bannis les mots et expressions litigieuses, tels que “Merci”, “S'il vous plaît”, “Très volontiers”, “Pas de problème” et autres billevesées aimables. Faire preuve de la moindre cordialité envers quiconque, fut-ce par le langage basique, c'est ouvrir la voie à des relations personnelles. Chacun sait quelle perte de temps ça signifie.

À proscrire en premier, le conseil d'ami. À l'heure où toutes sortes d'officines en font leur métier, où le coaching sévit dans toutes les branches de la vie sociale, il est intolérable de se contenter de l'opinion d'un ami. C'est même assez suspect, donc ça doit tomber sous le coup de la loi. Et ce qu'on qualifie d'Aide à la Personne, il y a tant d'abus. Voyez cette dame qui invite en vacances une voisine lui ayant rendu service. Un séjour gratuit, c'est effectivement insensé, répressible si l'on creuse quelque peu l'affaire. Quant aux gardes d'enfants par les grands-parents, n'est-ce pas aberrant ? Il est urgent de décourager ces accommodements, alors qu'il y a des services payants pour ça. Au besoin, ne craignons pas d'influencer, de manipuler les populations pour que cessent ces pratiques.

Pour les technocrates A et B, une épineuse question se pose sur l'Encyclique papale du 29 juin 2009, régulièrement rappelée aux catholiques : “Caritas in veritate”, l'amour dans la vérité. Certes, le paroissien se fait rare, et les prescriptions de l’Église sont peu écoutées, mais cet appel à la générosité fait tache. Il faut encadrer les associations, limiter le budget des plus utiles, bien sûr. Offrir des cadeaux aux autres, héberger des proches, et autres initiatives délictueuses qu'il faut contrer sans pitié. Révisons encore le sens de l'amitié, qui n'a pas lieu d'exister dans notre monde. Finis l'échange qui vous rend redevable, ou la gentillesse qui est une forme évidente de faiblesse. Des brigades réprimeront, des indics les informeront, des médiateurs feront appliquer la loi du “tout service payant”...

Emmanuelle Heidsieck : À l'aide ou le Rapport W (Éd.Inculte, 2013)

Vous continuez à faire preuve de politesse ? Il vous arrive d'offrir un coup de main ? Vous ne demandez qu'à faire plaisir ? Votre naïveté frise la stupidité. La dégradation sociale vous guette. Dans quel univers croyez-vous vivre, braves gens ? Certes, quelques vains idéalistes prônent encore l'harmonie du “bien vivre ensemble”, voire même défendent la charité comme un acte utile à la société. C'est de la folie, voyons ! En quoi l'idée de donner serait-elle naturelle, alors qu'on peut logiquement faire payer. Des sociétés facturant leurs services existent pour tous vos besoins. Si vous encouragez le bénévolat, vous verrez que bientôt, par exemple, un certain nombre de blogs vont donneront des conseils de lecture gratuitement. Avouez que ce serait honteux, non ?

Plutôt que d'écrire un essai sur le thème, Emmanuelle Heidsieck a choisi une forme plus fictionnelle. C'est un roman, animé par des personnages dépeints selon leurs caractères. Toutefois, il s'agit bien de mettre le doigt sur un déplorable phénomène de société. À cause de l'individualisme qui nous guide en permanence, nous ne savons plus réfléchir, décider, vivre au quotidien, sans recours à l'argent. Être solidaires dans la simplicité ? Le geste d'offrir est suspect, pousse à la méfiance. Donner est anormal, et ça deviendra assurément condamnable en justice d'ici quelques années. Voilà ce que montre, avec ironie et dérision, Emmanuelle Heidsieck dans ce livre sociologique. Qui, par certains aspects, est sans doute un cri d'alarme. Lisez-le et offrez-le autour de vous... tant que ça n'est pas interdit.

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T
Bonjour,<br /> <br /> Ne suis-je pas déjà dans l'illégalité en te saluant ?? D'ailleurs, afin d'éviter tout problème, je vais te rémunérer pour ta chronique et les conseils que tu nous donne. ;)<br /> <br /> Ensuite, je me ferai payer pour mes articles sur mon blog !!
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C
Bonjour Cannibal<br /> De telles lois restent hypothétiques, on peut encore en rire. Mais si on réfléchit à leurs conséquences, aïe aïe aïe ! Un livre qui donne à réfléchir. Tant qu'on ne m'y oblige pas, aucune publicité ni rien de payant chez Action-Suspense... <br /> Amitiés.
B
Bonsoir Claude, Puis-je ? Ce qui m'interpelle dans ce dossier, c'est cet embryon de réflexion que vous avez détecté dans les ministères ou autres clubs politiques... Si le phénomène se confirme, je comprends les inquiétudes. Amitiés. Blud.
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C
Bonsoir Blʌdʒən <br /> Je réponds par l'exemple. Evoquons un instant les DSP, Délégations de Service Public... En somme, les travaux et services à des fins publiques, réalisées par des entreprises ou des associations rémunérées. En fait, notre mémé chérie n'est plus prise en charge par le Centre Communal d'Action Sociale (CCAS) mais par une &quot;structure&quot; payante. Idem pour le Parc de la Liberté, en centre-ville, entretenu non pas par des employés municipaux mais par des entreprises ou des trucs d'insertion...<br /> Ces petits exemples qui montrent le passage du (relatif) gratuit au (tout) payant, qui en a décidé ? Nous autres, électeurs et contribuables ? Non, ce sont bien des &quot;conseillers&quot; auprès de ministres, de politiciens, autant de gens non élus du peuple. Ouais, je sais, c'est fastoche de désigner des décideurs fantomatiques. Mais bon, ils existent.<br /> Je fus l'un des premiers à faire appliquer la loi Evin là où j'étais employé, à l'époque. Les &quot;évolutions&quot; strictes de cette loi ont viré au dictatorial. Qui en a décidé, dans quels milieux, that is the question, non ? Gare aux prochaines décisions occultes qui, pour revenir à notre sujet, nous priveront du bénévolat.<br /> Amitiés.
N
Salut Claude,<br /> Tu ne t'en es peut-être pas rendu compte sur le moment, mais la fin de ta chronique est trouble et pourrait te desservir devant les tribunaux, au cas où. Voilà pourquoi, afin que ce soit clair et net, je te pose cette question : combien je te dois pour ce conseil de lecture ?
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C
Quoi, on nous aurait menti sur le nuage de Tchernobyl ? <br /> Oui, &quot;Utopia&quot; décrit les mêmes réalités à venir à peu près partout dans le monde. Pour le moment, les mentalités restent &quot;sectorielles&quot; : on se bat pour conserver son job, plus ou moins ensemble, mais on est prêt à se bagarrer avec des employés non virés de la même société et on fait du chantage à la prime de licenciement (exemples récents). Il ne faut donc pas s'attendre à un héroïsme ni personnel, ni général. <br /> Pour ce qui est des multiples interdictions, ce qui est fascinant c'est de voir qu'on les présente comme &quot;raisonnables&quot;, &quot;dans le bon sens&quot;, &quot;logiques car la société évolue&quot;, etc. Si on est bien d'accord pour faire appliquer ce qui existe (genre Code de la Route, ou horaires au boulot) il n'est pas si normal de tout régenter dans nos vies, non. D'ailleurs, quel que soit notre âge, nous avons survécu jusqu'ici sans certaines lois censées nous protéger, continuons donc sans elles.<br /> Amitiés.
N
Tu sais quoi ? Pour revenir aux livres, tu as lu &quot;Utopia&quot; de Ahmed Khaled Towfik tout comme moi. Cet écrivain a écrit notre futur. La casse organisée des classes moyennes est déjà planifiée par les technocrates de Bruxelles et autres mondialistes à tout crin. J'espère seulement que l'espoir qu'il se dégage dans la dernière page du roman se réalisera plus tôt. Car ce n'est pas parce que c'est un roman égyptien qu'il ne s'adresserait qu'à des pays non-occidentaux. La preuve aujourd'hui par la Grèce et l'Espagne, et croire que la France y échappera revient à croire que le nuage de Tchernobyl s'est bel et bien arrêté à nos frontières (par amabilité ? peur de déranger ? qui sait... rires)
C
La sociologie m'intéresse autant que le polar noir, justement parce que ce genre en comporte une part importante. <br /> Nous sommes déjà dans des &quot;dictatures light&quot;, puisque le fameux contrat entre le peuple et les élites (base de toute démocratie) ne fonctionne plus guère. Encore faut-il identifier ces élites fautives. Tel élu national qui détourne des sommes colossales, tel conseiller présidentiel qui exige des primes au noir, OK nous savons qu'existe cette corruption. Le poids européen a de très mauvais côtés, favorisant par exemple une Allemagne pratiquant le protectionnisme, mais l'interdisant à la France ou à l'Espagne. Ciblant la Grèce ou l'Italie, comme &quot;mauvais élève&quot;, alors que d'autres pays d'Europe ne valent pas mieux. L'Europe a aussi son utilité, car beaucoup de projets locaux ne verraient jamais le jour sans apport budgétaire européen. Idem pour les formations professionnelles qualifiantes ou certains échanges estudiantins. <br /> Quant aux élites financières internationales, qui visent à exploser toujours plus le marché mondial, au profit de quelques actionnaires... il ne serait pas absurde de se révolter contre eux, car ce sont eux nos seuls vrais ennemis. Et ce n'est pas en fermant nos frontières aux importations que ça suffirait à calmer cette imposture : au contraire, la France serait marginalisée en peu de temps sur le marché mondial. La catastrophe assurée. Dernières élites néfastes, tous ces lobbies (genre agricole, avec la FNSEA) qui ne servent pas les intérêts qu'ils sont censés défendre (dans cet exemple, les paysans) ni l'intérêt général de la population. Cela vaut aussi pour les &quot;lobbies moraux&quot;, élites qui militent contre tout, masquant mal leur passéisme obtus. <br /> Sommes-nous dans une &quot;crise de société&quot; pour autant ? Même pas. Mais on a cultivé l'égocentrisme, l'individualisme, le chacun pour soi, la négation du bien-vivre en groupe, que l'ouverture d'esprit humaniste, la tolérance mutuelle et autres valeurs sont des repères presque perdu. On nous incite à nous diviser, on joue sur les rancœurs, au besoin on invente des mécontentements, alors que la plupart d'entre nous veulent juste vivre en bonne entente avec &quot;l'autre&quot;, quelle que soit son origine, d'ailleurs. <br /> Bon, j'ai l'impression de faire un discours, là. Mais j'ai été élevé selon des valeurs de tolérance, que je respecterai toujours.<br /> Amitiés.
N
Bien d'accord avec toi - sur le bouquin mais surtout sur l'avenir qui se dessine...<br /> N'as-tu pas parfois l'impression qu'on s'achemine peu à peu vers une sorte de &quot;dictature molle&quot;, un Etat quasi-totalitaire qui cherche à s'ingérer de plus en plus dans la vie, y compris privee, des gens, notamment pour mieux la légiférer ? Mais le tout sous une espèce de &quot;vernis démocratique&quot; alors même que toutes ces &quot;élites&quot; démocratiques sont pourries (et corrompues) jusqu'à la moelle... Aujourd'hui où le vrai pouvoir de décision n'est même plus à Paris mais au sein de la technocratie &quot;européenne&quot;, qu'en sera-t-il demain, quand sera ouvert ce fameux &quot;marché commun transatlantique&quot; avec les Etats-Unis, dont ils viennent de valider une nouvelle étape dans l'ombre de l'une de leurs réunions ?...
C
C'est exactement l'esprit de ce livre, mon cher Norbert ! <br /> Chez moi, tout est bénévole, partage en toute sympathie. Nous en plaisantons aujourd'hui, mais qu'en sera-t-il demain ? On m'obligera un jour (c'est quasi-certain) à inclure de la publicité dans ces pages. A tout monnayer, à commencer par des abonnements payants ? Voilà un bouquin qui, même s'il ne s'agit pas d'un polar, a du sens et qu'il faut faire connaitre. <br /> Amitiés.
P
Bonjour M. Le Nocher,<br /> <br /> Ce n'est pas vraiment une réaction à ce livre - quoique là aussi l'occasion de parler de fraternité, de tolérance, de paix, donc ce n'est pas sans rapport avec les idées de gratuité, de gentillesse, d'être charitable - , mais après avoir lu votre chronique et en regardant autre chose je suis tombé sur ces articles sur la guerre de 14-18 et son évocation dans la littérature de jeunesse. Un peu longs pour que je les lise dans le détail maintenant.<br /> Mais je vous les indique, je crois que vous les trouverez intéressants.<br /> <br /> http://centenaire.org/fr/pistes-pedagogiques/la-premiere-guerre-mondiale-travers-la-litterature-de-jeunesse<br /> <br /> La Première Guerre mondiale travers la littérature de jeunesse<br /> <br /> http://www.ricochet-jeunes.org/magazine-propos/article/157-guillaume-ecrire-guerre<br /> <br /> Ecrire la Grande Guerre aujourd'hui<br /> <br /> Cordialement
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C
Bonjour Philippe<br /> En effet, il n'est pas mauvais que la littérature jeunesse s'empare également du sujet, à l'occasion du centenaire de 1914. La banalisation du thème guerrier, donc de la violence souvent peu expliquée, doit impérativement être compensée par des textes plus didactiques. Aux enseignants comme aux parents de comprendre cet enjeu. Amitiés.