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Une nouvelle page se tourne dans le monde de l'édition. À partir de janvier 2014, Fleuve Noir devient Fleuve Éditions. Ce n'est pas la première évolution de cet éditeur. Créé en 1949 par Armand de Caro, le Fleuve Noir fusionna dès 1962 avec les Presses de la Cité, dirigées par Sven Nielsen, chacun gardant alors sa liberté éditoriale. Une trentaine d'années plus tard, la famille de Caro ayant cédé la place, une nouvelle structure succéda au groupe Presses de la Cité. Désormais, le Fleuve Noir se diversifie, ne publiant plus uniquement de la littérature populaire, misant sur 100% d’inédits grand format. Les polars et thrillers qui ont jalonné l’histoire de la marque seront, nous dit-on, regroupés dans la collection qui gardera l’appellation Fleuve Noir. Place à Fleuve Éditions, donc.
Ce n'est pas sans un léger pincement au cœur que les passionnés de polars d'antan, qui admettent leur part de nostalgie, accueillent cette nouvelle. Spécial-Police, Espionnage, Anticipation, Angoisse, l'Aventurier, et autres Grands Romans, autant de collections qui font partie de l'univers du lecteur passionné. Avec San-Antonio pour locomotive, le Fleuve Noir nous a fait connaître quantité d'auteurs pour la plupart français, souvent d'une qualité artisanale bien meilleure que l'affirmaient certains. Ce n'est pas en quelques mots que l'on va retracer le parcours exemplaire de cet éditeur. On ne peut que conseiller la lecture de “Fleuve Noir, 50 ans d'édition populaire” de Juliette Raabe, publié par la Bibliothèque des Littératures Policières (BiLiPo) en 1999.
Il serait stupide de comparer la production de polars d'hier et celle d'aujourd'hui, de dire que l'une est plus intéressante que l'autre. Néanmoins, le Fleuve Noir répondit longtemps à un état d'esprit, que résumait fort bien Georges Rieben, créateur du Prix Mystère de la critique : “Le Fleuve Noir, lui, s'étalait dans toutes les directions. Il redonnait une place aux méandres de la France profonde. Il sinuait dans les petits commissariats de quartier. Il s'engageait à contre-courant dans des romans d'énigme pure, à la Agatha Christie ou à la Steeman. Il redonnait une existence à l'aventure et aux amours qui perdurent et dont le langage populaire dit si bêtement qu'elle finissent bien. Il faisait même des incursions, parfois réussie, dans le comique.
Ses auteurs, il est vrai, provenaient de milieux très différents, pas forcément intellectuels. L'officier ayant assisté à la mort de Himmler côtoyait le traducteur surdoué, le cadre d'une entreprise automobile, le boucher épris d'évasion, le sous-préfet en proie à l'ennui, le coureur automobile en rupture de machine ou le juriste d'une compagnie pétrolière. Le Fleuve Noir méritait son nom. Il était en crue constante...” (in “Fleuve Noir, 50 ans d'édition populaire”)
Littérature populaire, une formule souvent dénigrée. Les auteurs majeurs du Fleuve Noir la revendiquaient. En témoigne cet interview de Georges J.Arnaud, par Robert Bonaccorsi en 1983 : “J'accepte d'être défini comme un auteur de roman populaire. Au départ, il y a une question de présentation matérielle des livres. Ils paraissent dans des séries bon marché, avec une périodicité, un papier qui n'est pas extraordinaire. Dans le temps, au Fleuve Noir, l'illustrateur Michel Gourdon dessinait les couvertures avec grand talent et donnait plus ce côté populaire que les photographies qui l'ont remplacé. Voilà pour le côté matériel de la chose.
Ensuite, pour le roman populaire, c'est un roman qui fait plus appel à l'intrigue qu'au style, c'est un roman à rebondissements ; en général, un chapitre se termine par un coup de théâtre qui relance l'action. Ensuite, il fait appel à des sentiments beaucoup plus accessibles au public, aux lecteurs, qu'une psychologie trop élaborée ou qu'une psychanalyse trop difficile. Il y a aussi des références à une littérature populaire du 19e siècle, c'est comme une suite dans le contexte du monde actuel et en utilisant d'autres théâtres d'action...” (in “Fleuve Noir, 50 ans d'édition populaire” de Juliette Raabe).
À travers ces deux extraits, on comprend probablement ce qui anima cette génération d'auteurs, et cet éditeur populaire que fut le Fleuve Noir. Le monde bouge, change, mais c'est cet état d'esprit qui a permis le succès immense des collections d'alors. On espère que Fleuve Éditions conservera quelque peu cet esprit-là.