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Les Ardennes, une région pittoresque et sylvestre. Située dans les confins frontaliers, ça n'est pas de la contrée très guillerette, plutôt frisquette. Ce coin-là se résume à des forêts labyrinthiques et une multiplication de virages. Faut apprécier l'isolement, se résoudre à l'excentré, pour s'y accoutumer. Prenons l'exemple de Painrupt, village de soixante-dix-sept âmes, dont cinquante-huit femmes, un cul-de-sac desservi par autobus.
C'est là que vit Versus Bellum, un vieil anar aux allures de lutin décati, dans une maison qui est un véritable capharnaüm. Toutefois, cet ermite des Ardennes n'a jamais renoncé au combat contre “les gros”. Dans une commune voisine, se trouve un de ceux qu'il exècre. Environ un an plus tôt, le riche forestier Alfred Bermont a assassiné son épouse, Versus Bellum en est convaincu. Si son employée de maison Élisabeth, soucieuse de garder sa place, n'avait pas témoigné en sa faveur, “le gros” eût été inculpé. Ça le fait rager, une injustice pareille.
Versus Bellum a adressé plusieurs courriers à Gabriel Lecouvreur, dont il connaît l'esprit d'indépendance et l'opiniâtreté à s'attaquer aux salopards. L'Ardennais a même projeté un scénario pour confondre l'assassin. Puisque Bermont envisage de vendre ses propriétés boisées et tous ses biens, le Poulpe jouerait le rôle d'Amadeo Pozzi, intermédiaire au nom d'un éventuel acheteur. Ainsi, Gabriel pourrait approcher la bonne, la faire parler, dénicher des preuves contre Bermont. Versus Bellum fournit même une belle voiture américaine, pour impressionner le forestier.
À Paris, Gabriel n'est pas chaud pour s'exiler vers le pays du vieil anar, au milieu de nulle part. Son ami bistrotier Gérard souligne qu'en outre, c'est dans le même secteur qu'ont récemment disparu trois femmes, que ça mérite donc peut-être le voyage. Voila comment Gabriel débarque à Painrupt, “tout le monde descend”. Le cas des femmes disparues serait, selon Versus Bellum, des départs volontaires. Au bout du monde, elles ont fini par s'ennuyer et s'en aller. Les babillages du théâtral ancêtre anar ne sont ici compensés que par la bière locale, dont Gabriel ne tarde pas à abuser.
Sous le masque d'Amadeo Pozzi, le Poulpe s'invite chez Alfred Bermont. C'est un veuf du genre lacrymal, n'espèrant que vendre au plus vite les propriétés de sa défunte. Quant au premier contact entre Gabriel et Zabe (Élisabeth), il n'est pas des plus chaleureux. Entre sincérité et fourberie, il va falloir que le Poulpe garde les idées claires...
Créé en 1995 par Jean-Bernard Pouy, avec Serge Quadruppani et Patrick Raynal, Gabriel Lecouvreur a été le héros de plus de 280 romans, écrits (presque) à chaque fois par différents auteurs. Le Poulpe se définit comme “un personnage libre, contemporain, curieux, qui va fouiller dans les désordres et les failles du quotidien”. Proche de l'anarchie mais pas justicier, il s'efforce de mettre hors d'état de nuire ceux qui ne méritent guère de pitié. Après quantité de romanciers, c'est Franz Bartelt qui s'approprie cette fois ce héros. Car c'est à cela qu'on reconnaît les meilleurs titres de cette série, quand un auteur ne se contente pas d'en appliquer la “bible”. D'ailleurs, Chéryl, la blonde coiffeuse compagne de Gabriel, ne figure pas dans cette histoire. Et son camarade anti-franquiste Pedro n'y est que brièvement cité. Par contre, la bière coule à flot, ce qui caractérise ces romans.
Auteur d'une trentaine d'ouvrages, dont quelques-uns publiés dans la Série Noire, Franz Bartelt est Ardennais. Il peut donc se permettre de décrire avec une aimable ironie cette région où il vit. Si le Poulpe a déjà beaucoup voyagé, y compris aux abords de la Belgique, le voici donc dans un paysage inhabituel, sinueux, ombragé de denses forêts. Intérêt à garder le moral au beau fixe dans ces conditions, d'autant que sa “mission” ne lui plaît qu'à demi (de bière, oui). Ne manquant ni de péripéties, ni de carabine menaçante, le scénario est empreint de beaucoup d'humour avec des réparties de bon aloi, on l'imagine bien. Écriture maîtrisée et belle fantaisie, pour un épisode très réussi du Poulpe.