À la découverte des auteurs québécois, à travers la collection Coups de tête (Éd. Les 400 Coups). Voici un singulier “polar rock” de Jean-François Poupart : “Toujours vert”.
Dans l’Amérique de 2018, le détective privé Mike Burns est un junkie à peine encore vivant. Ancien soldat de la guerre d’Irak à Falloujah, ex-flic combinard le plus corrompu du pays, ce loser traîne sa carcasse de drogué. Maire d’Evergreen, musicien retraité, Ray Mazarek est un “ami de vingt ans”. Il fait appel à Burns, car un meurtre a été commis dans sa ville. Située près de Fort Lauderdale en Floride, Evergreen est une gated communauty, petite ville privée et surveillée au maximum, avec tous les services de luxe imaginables. Depuis une vingtaine d’années, elle est uniquement habitée par des stars du rock à la retraite, tous multimillionnaires. “Ils sont devenus riches avec trois accords à une époque lointaine, et ils méritent bien le repos éternel entourés de leurs comparses.” En vertu du règlement local de sécurité, Ray offre deux millions à Burns pour que les autorités américaines ne viennent pas s’occuper de ce meurtre.
La victime était Jon Lord, ancien claviériste de Deep Purple. On l’a retrouvé mort
égorgé dans la piscine de Lou Reed. Mike Burns est capable d’analyser le corps bien plus concrètement que le légiste, le Dr Manson. Sans doute Jon Lord avait-il quelques ennemis, mais ce que
souhaite Ray est clair : un simple rapport de complaisance bidonné par Mike, évoquant un décès accidentel. Malgré tout, le détective interroge Lou Reed, qui semble avoir un alibi. Au club que
fréquentait Jon Lord, Burns sympathise avec la barmaid Grace, ex-chanteuse de Jefferson Airplane. Peu après, shooté à haute dose, il a une sauvage relation sexuelle avec Debbie Harry (Blondie),
pas moins destroy que lui. Visé par un coup de feu, Burns frôle la mort. Hospitalisé, il reste plusieurs jours dans le coma, dont il se réveille mal rétabli. À la morgue de l’hôpital, il fait une
étrange découverte. Mais ce qui prime pour Burns, c’est de faire avouer à Grace ce qu’elle sait.
Affaibli par sa blessure sanguinolente, le détective ne retrouve pas la barmaid. Il assiste à un pitoyable show chez Alice Cooper. “Evergreen jubile. C’est ça, la vie éternelle. Pas vraiment se sentir jeune, mais se sentir désirant. Même joué à la vitesse des mourants, le rock donne encore toute sa déraison (…) Les lumières neutres aident vaguement à dissimuler les crevasses de tous ces vieux rockers défiant la mort.” Dans la cave d’Alice Cooper, Burns découvre des documents qui lui donne une possible piste. Accusé de troubler la tranquillité d’Evergreen, Burns est mis en prison. On va le remettre aux autorités policières, en l’accusant du meurtre de Jon Lord. Ce qui signifie automatiquement la peine de mort, dans l’Amérique de 2018. Mike Burns doit utiliser les quelques forces qui lui restent pour éclaircir cette sombre affaire…
On l’a souvent répété, rock et polar appartiennent à la même famille, celle de la culture populaire. Le québécois Jean-François Poupart nous en donne ici une très belle démonstration, une des plus convaincantes qui soit. Evergreen, repaire de stars du rock, vieillards dérisoires agglutinés dans les luxueux décors d’une cité ultra-sécurisée, entre leurs disques d’or et leurs fêtes nostalgiques. On imagine assez précisément cette ambiance. Fondée en 1620 sur l’exil des intégristes religieux du Mayflower (on appréciera la thèse de Brad Perry), l’Amérique ressemblera-t-elle dans quelques années à celle décrite ici ? Avec des exécutions de condamnés à mort aussi spectaculaires ? Quant à l’intrigue, bien noire, elle est à la fois simple et bien pensée. Dans la meilleure tradition, le destin fatal entraîne le héros tandis que ses adversaires préservent leurs secrets. Un roman court, inspiré, enthousiasmant.