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2 février 2019 6 02 /02 /février /2019 05:55

Le señor Luis Machi a bien raison d’être satisfait de sa réussite sociale. Marié à Mira, une emmerdeuse issue d’une vieille famille riche, il a eu deux enfants, Luciana et Alan. Sa fille est fiancée à un intellectuel, tandis que son fils est homo. C’est plutôt du côté professionnel que le señor Machi est fier de sa vie. Homme d’affaires aux diverses activités, il dirige le club L’Empire. Montres Rolex, briquet Dupont, stylo Mont-Blanc, chemises Armani ou Versace, cigares Cohiba ou Montechristo, BMW dernier modèle, le señor Machi ne vit que pour le luxe. Son défunt beau-père a souvent ironisé sur ses goûts de nouveau riche. Le regretté Alejandro Wilkinson, qui fut le mentor du señor Machi, répliquait qu’ils étaient des self made men, pas des nouveaux riches.

Le señor Luis Machi commença en reprenant une simple usine, début des années 1970. En ces temps de contestation, il balaya vite ces communistes qui faisaient du tapage. Il était bon d’avoir de solides relations politiques parmi les vainqueurs. Il développa aussi la Théorie de la Faveur, consistant à faire pression sur les gens, après leur avoir accordé de menus avantages. L’excitation du pouvoir entraîne toujours plus de puissance, le señor Machi l’a compris tôt. Qu’il s’agisse de boxe, de foot, ou d’établissements de loisirs, il faut imposer sa loi. Quitte à utiliser des hommes de mains, tel Pereyra (qu’il surnomme Cloaque). Son chef de la sécurité est un tueur rustre, mais efficace et même habile dans bien des cas. Moins il y a d’adversaires commerciaux, plus on profite du pouvoir.

Le luxe, ce sont aussi les femmes. Les prostituées de Mariela, dont certaines ont manigancé bassement pour devenir la maîtresse en titre du señor Machi. Qui, lui, ne considère toute fille que pour ses capacités sexuelles. Et puis, il y a la drogue. Indispensable, lorsqu’on mène une vie aussi effrénée que celle-là. Rails de coke et pilules soutiennent sa forme… Voilà que, rentrant vers son quartier sécurisé du Barrio, le señor Machi est victime d’une crevaison. Et il ne tarde pas à découvrir un cadavre inconnu au visage fracassé dans le coffre de sa BMW. Puis il se perd dans les quartiers pauvres de Buenos Aires. Avant de s’apercevoir que le cadavre est attaché par des menottes lui appartenant. Ce qui complique la solution pour se débarrasser du corps. Quant à savoir qui a placé là le cadavre, et pourquoi, le señor Machi risque de virer paranoïaque à chercher le coupable…

Kike Ferrari : De loin on dirait des mouches (Albin Michel, 2019)

L’air pestilentiel qu’agite l’éventail de doutes charrie des noms familiers, des possibilités insoupçonnées. Machi découvre effrayé qu’il existe des ennemis potentiels là où il ne voyait que des rivaux, des emmerdeurs, des subalternes.
Mais qu’importe, cela ne règle rien. Qui parmi ces éventuels ennemis de l’ombre a la capacité de planifier et, plus encore, d’exécuter un plan comme celui-ci : voler sa voiture, trafiquer le compteur, tirer sur un type en pleine face avec son Glock, et l’attacher ensuite avec les menottes dont il se sert pour assouvir sa fantaisie sexuelle ? Pereyra, qui du reste ne connaissait pas l’existence des menottes en fourrure, n’aurait jamais imaginé quelque chose d’aussi complexe ; il l’aurait flingué lui, et voilà tout. Et parmi les autres, qui a le pouvoir, les idées ?

Succès littéraire en Argentine, “De loin on dirait des mouches ne manque pas de saveur épicée. Par son fil conducteur, sur le classique thème “un cadavre encombrant et me voilà dans le pétrin”, cette intrigue se classe en effet parmi les romans noirs. Le problème du señor Machi n’est pas insurmontable, mais lui demande beaucoup d’efforts inhabituels.

Le plus intéressant, à travers les portraits du héros et de ses proches, c’est l’image que l’auteur donne de la société argentine. Les inégalités ne se sont guère résorbées depuis la fin de la dictature, et les combines ne profitent qu’aux plus forts. Sujet universel, que Kike Ferrari décrit avec toute l’ironie que méritent ces situations. Combats de boxe truqués, pression mortelle pour racheter un concurrent, nouveaux riches étalant leur fric, star éphémère devenue maquerelle, corruption policière, quartiers déshérités face aux parcs résidentiels protégés, et bien d’autres aspects de l’Argentine actuelle.

Ce pays donne le sentiment d’être hermétique à la mémoire, aux étapes qui ont jalonné son histoire. Fatalisme latino-américain ? On a du mal à saisir cet état d’esprit. Kike Ferrari ne prétend pas apporter des réponses, juste son regard caustique Si elle est grinçante, on ne sent pas une caricature exagérée de ces milieux, le scénario restant crédible. Ces supposés maîtres du pays sont, plus simplement, risibles. Un roman satirique réjouissant.

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30 janvier 2019 3 30 /01 /janvier /2019 05:55

Cette nuit-là, un détenu condamné à mort parvient à s’évader de la prison de la Santé, à Paris. Sous l’œil bienveillant du commissaire Maigret, en présence du juge Coméliau et du directeur de la prison, l’observant discrètement. C’est une initiative de Maigret, qui ne croit pas (ou plus) à la culpabilité de Joseph Heurtin, le détenu de vingt-sept ans pourtant condamné à la peine de mort. La peine capitale se justifiait par les dix-huit coups de couteau assénés aux victimes. Deux inspecteurs ont pris l’homme en filature, tandis que Maigret patiente toute la nuit dans son bureau, relisant le dossier. “Des rapports, des coupures de journaux, des procès-verbaux, des photographies, avaient glissé sur le bureau, et Maigret les regardait de loin, attirant parfois un document vers lui, moins pour le lire que pour fixer sa pensée.” Hurtin fut notamment trahi par ses chaussures.

Le commissaire espère que l’évadé va le mener sur la piste du véritable assassin. Heurtin ne semble trop savoir où se réfugier. C’est finalement à La Citanguette, un bistrot pour mariniers qui loue des chambres, qu’il va faire halte et se reposer. Quelques heures plus tard, le commissaire s’installe à son tour dans un hôtel face à La Citanguette, afin de surveiller l’homme. À l’origine, pour Maigret, l’affaire paraissait simple. À Saint-Cloud, Mme Henderson, riche veuve américaine, et sa femme de chambre, Élise Chatrier, ont été assassinées dans leur villa. Pas de vol. Un double meurtre sanglant. Il s’avère qu’Heurtin, livreur de son métier, était présent sur les lieux. Mais le policier comprit que le crime ne correspondait pas au suspect.

C’est presque par hasard que Maigret remarque, dans le quartier de Montparnasse, un jeune homme interpellé pour grivèlerie. Jean Radek, vingt-cinq ans, est un Tchèque né à Brno de père inconnu, d’une mère domestique. Il a beaucoup voyagé à travers l’Europe, suivi des études en France. Le commissaire réalise bientôt être face à personnage hors norme, un orgueilleux au cerveau complexe : “Vous connaissez comme moi la psychologie des différentes sortes de criminels. Eh bien ! Nous ne connaissions ni l’un ni l’autre celle d’un Radek. Voilà huit jours que je vis avec lui, que je l’observe, que j’essaie de pénétrer sa pensée. Huit jours que je vais de stupeur en stupeur et qu’il me déroute. Une mentalité qui échappe à toutes nos classifications. Et c’est pourquoi il n’aurait jamais été inquiété s’il n’avait éprouvé l’obscur besoin de se faire prendre.” Cerner ce Radek et son degré de responsabilité criminelle s’annonce compliqué, mais la tête d’un homme est en jeu…

Georges Simenon : La tête d’un homme (Omnibus, Tout Maigret 1 – 2019)

Georges Simenon (1903-1989) est l'auteur francophone le plus traduit à travers le monde, l'un des plus adaptés au cinéma et à la télévision. Il publia ses premiers romans sous pseudonyme dès 1921, acquit la notoriété grâce à Maigret dès 1931, publiant son dernier titre en 1972, cinquante ans durant lesquels il décrit la société en s’attachant aux personnages. “L'homme  en tête à tête avec son destin [qui] est, je pense, le ressort suprême du roman." ("Le romancier", 1945). Sous son nom, Simenon est l’auteur de 192 romans, 158 nouvelles, plusieurs œuvres autobiographiques et de nombreux articles et reportages. Omnibus réédite en dix volumes "Tout Maigret", agrémenté de couvertures originales créées par Loustal. Biographe de Simenon, Pierre Assouline signe une préface inédite. Maigret, ce sont 75 romans et 28 nouvelles. Le tome 1 regroupe les huit premiers Maigret parus en 1931. La préface du Tome 2 est de Franck Bouysse, celle du Tome 3 de Philippe Claudel.

Le Dictionnaire des Littératures Policières (Ed.Joseph K, 2007) nous présente un portrait de ce policier ordinaire, né au château de Saint-Fiacre où son père était régisseur :“Sous son allure toujours plébéienne, le fis de paysan devient fonctionnaire et petit bourgeois. Les lecteurs le découvrent dans la quarantaine, pesant, massif sous son chapeau melon (il passera plus tard au feutre mou) et son gros pardessus noir, la pipe au bec, mains dans les poches…” On nous explique que Maigret, même s’il ne dédaigne pas les indices scientifiques, s’empreigne surtout des ambiances autant que des caractères qu’il discerne chez ses interlocuteurs. Plutôt avare de paroles, il ne s’affiche pas frontalement en adversaire, mais cherche la personnalité psychologique des suspects.

Les partisans du pur roman noir ou du thriller ont souvent ironisé sur Simenon. Pourtant, la sociologie est assez équivalente à celles des grands auteurs de ces catégories. Dans “Le polar pour les Nuls” (First Ed, 2018), Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat soulignent : “Si les enquêtes chez les aristocrates ou les grands bourgeois sont moins nombreuses, celles qui emmènent le lecteur dans les classes moyennes ou laborieuses couvrent un champ social considérable, justifiant la boutade de Marcel Aymé : "Un Balzac du 20e siècle, sans les longueurs." Pour autant, les mobiles changent peu d’une classe à l’autre : l’amour, la jalousie, l’argent, la vengeance.” Les auteures citent encore cette explication de sa manière, par Georges Simenon :“J’essaie de faire les phrases le plus simples avec les mots les plus simples. J’écris avec des mots-matière. Le mot vent, le mot chaud, le mot froid. Les mots-matière sont les équivalents des couleurs pures.” (in Le Monde, 1965)

Maigret reste un des héros incontournables de la littérature policière, témoin de son époque. C’est avec un infini plaisir que l’on redécouvre son œuvre.

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24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 05:55

L'excès d'enthousiasme et les superlatifs peuvent paraître exagérés à celles et ceux qui consultent les commentaires sur un livre. Pourtant, l’enthousiasme est de mise ici, “Les disparus du phare” méritant d'exprimer sans nuance le plaisir que l'on éprouve à sa lecture. "Excellentissime" n’est pas excessif. Auteur chevronné et productif, récompensé par plusieurs prix littéraires, Peter May nous présente une intrigue exemplaire. D'abord, on entre dès le départ dans le vif du sujet. L'amnésique qui doit retrouver son identité et va bientôt s'interroger pour savoir s'il est un assassin, c'est un postulat assez classique du roman policier. Encore faut-il ne pas embrouiller inutilement les faits, opacifier une énigme déjà complète. L'auteur fait preuve d'une parfaite maîtrise, d'une sacré habileté pour nous inviter à "accompagner" les découvertes de son personnage central. Et il y en aura énormément.

Évidemment, les décors jouent aussi un rôle certain dans le récit. Ces îles écossaises d'une rude beauté, ces villages et ces petits ports traditionnels, ces mystères et ces mythes d'antan (telle "la route du Cercueil") planant sur les populations, tout cela contribue à l'ambiance. Il est aussi question des lobbies de l'agrobizness, producteurs de pesticides et de tant de poisons, dont on n'ignore pas le poids politique et financier international. Que les abeilles soient indispensables à la vie, ils s'en moquent bien. Aspect sociétal qui s'ajoute en toute légitimité à cette histoire criminelle aux multiples péripéties captivantes, et aux dangers encourus par le héros. De la première à la dernière ligne, on se passionne pour ce remarquable suspense : un "coup de cœur" s'impose !

Peter May : Les disparus du phare (Babel Noir, 2019)

Gunn ne put s’empêcher de poser la question. "Vous pouvez me dire depuis combien de temps il est mort ?"
Le professeur lui lança un regard noir puis reprit l’examen du corps. Il souleva un bras et le plia au coude avant de le lever et de l’abaisser en faisant jouer l’articulation de l’épaule. Il se saisit ensuite de la mâchoire de l’homme qui était suffisamment lâche pour qu’il puisse ouvrir et fermer la bouche sans rencontrer de résistance. Les lèvres paraissaient vaguement enflées. Gunn l’observa ensuite défaire la ceinture du pantalon, descendre la braguette et remonter le pull ainsi que le tee-shirt qui se trouvait dessous pour exposer le ventre.
— L’abdomen présente une teinte verdâtre, annonça le légiste. Et il est légèrement ballonné, probablement des gaz. Ceci dit, il y a de la graisse par-là, et il se peut que le foie soit gonflé. Aidez-moi à le retourner.

Quand il reprend connaissance, il vient d'échouer sur une plage, rejeté par la mer. Il est amnésique, ignorant son identité, n'ayant gardé que des bribes de mémoire. Il regagne le cottage qu'il loue depuis dix-huit mois, retrouve son chien Bran. Une lettre lui apprend son nom et son adresse : Neal Maclean, au village de Luskentyre, sur l'île de Harris dans les Hébrides, archipel à l'ouest de l’Écosse. Un couple d'amis voisins en visite lui donnent de vagues éléments supplémentaires. Neal est ici pour écrire un livre sur la disparition de trois gardiens de phare, sur un îlot des environs, en décembre 1900. Un mystère local devenu mythe historique. Son ordinateur lui apprend qu'il n'écrit aucun livre, en réalité.

Neal se sent tel un fantôme. Sally n'est autre que sa maîtresse. Elle ajoute des précisions, qui ne réveillent en rien les souvenirs de Neal. Depuis qu'il est ici, il fréquente souvent "la route du Cercueil", correspondant à une carte qu'il a trouvée. Sally et lui s'y rendent, et y découvrent dix-huit ruches dissimulées, qui doivent appartenir à Neal. Si sa voiture est au port de Rodel où il l'a laissée, plus de traces de son bateau. Il a probablement coulé, ce qui expliquerait son retour houleux. Peu après, Neal est agressé dans son cottage. Une tierce personne inconnue intervient, chassant l'intrus. C'est sur une des îles Flannan, où se situe le phare des trois gardiens, que Neal pense dénicher des éléments utiles.

Dans la chapelle en ruine de cet îlot, il découvre le cadavre d'un homme tué récemment. Il est incapable de savoir de qui il s'agit, mais peut imaginer l'avoir tué avec violence. S'en retournant en urgence au cottage, Neal trouve une mallette cachée contenant des liasses de billets, des documents sur son passé et son adresse supposée à Édimbourg. Malgré les difficultés, car il va passer pour un fuyard, et payer en billets devient suspect, il se rend dans cette ville afin d'approcher son épouse et sa fille. Mais elles ne le reconnaissent pas. En s'adressant aux archives écossaises, il trouve l'explication : il n'est pas Neal Maclean, ne peut absolument pas être cet homme.

Par ailleurs, Karen est une jeune fille de dix-sept ans arborant un look "gothique". Depuis le suicide de son père, elle se heurte souvent avec sa mère. Celle-ci compte refaire sa vie, le nommé Derek étant déjà son amant avant la disparition de son mari. Karen ressent le besoin d'en savoir davantage sur son père, chercheur dans un institut spécialisé financé par la multinationale Ergo. Elle s'adresse à son parrain, perdu de vue, le meilleur ami de son père. Il étudiait les effets, apparemment sans conséquences sur la nature, de certains produits de l'agrochimie. Mais, peu avant son suicide, il fut viré de cet institut, à cause d'une étude pointue autour des abeilles.

Ayant lu une lettre posthume adressée par son père, Karen quitte son foyer afin de poursuivre ses investigations, de Londres à Glasgow, et plus loin encore. Le cadavre de la chapelle en ruine ayant été découvert, le policier Gunn mène l'enquête du côté de Luskentyre. Il s'intéresse rapidement à Neal Maclean, absent. La propriétaire du cottage, Sally et Jon, la postière, le loueur de bateau, confirment le comportement suspect de Neal ces derniers jours. Obtenir l'autorisation de perquisitionner n'est qu'une formalité, dans ces conditions. De retour sur l'île, "Neal" ne peut échapper aux questions du policier…

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20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 05:55

Automne 1954 aux États-Unis. Le shérif Nick Corey est en poste dans le désertique comté de Garfield, dans l'Utah. Lors d’une ronde nocturne, il découvre une voiture abandonnée. On ne vient pas s’égarer dans cette contrée par le simple fait du hasard, il le sait bien. Dans le même temps, Nick Corey voit atterrir un avion de chasse Sabre, sans aucune lumière, ni pilote — ce qui apparaît impossible pour ce genre d’appareil. À moins d’imaginer une intervention des Martiens : si beaucoup de ses compatriotes croient à une invasion prochaine des OVNI, pas Nick Corey. L'armée et le FBI sont immédiatement informé de l’atterrissage improbable du chasseur Sabre vide. Des troupes et des moyens conséquents sont déployés sur le périmètre concerné.

L’agent du FBI qui va chapeauter l’affaire n’est pas le premier venu : Jack White est un conseiller spécial du Président. Simple shérif, observateur sans pouvoir dans le cas présent, Nick Corey n’a nullement l’intention d’entraver son enquête. Il ne doute pas que, vu la position de Jack White, celui-ci progresse assez rapidement. En effet, le pilote du Sabre est vite identifié, ce qui ne dit pas où il est passé. Le plus inquiétant, c’est que l’appareil transportait cent tonnes de TNT, de quoi commettre un sacré attentat. Peut-être dans le cadre d’un plan d’une plus vaste ampleur. Pour le shérif, ce qui importe, c’est cette voiture abandonnée. Les arômes d’un parfum sont subtils, mais il subsiste des fragrances de ce produit de luxe dans le véhicule. La victime est donc une femme.

L’assassin – car Corey est sûr qu’il y a meurtre – n’a pas cherché à masquer les indices. Au contraire, peut-être. Ce qui ramène le shérif à son propre vécu. Avant guerre, un tueur en série supprima ses parents. Pas encore adulte, Nick Corey fit un séjour en prison, accusé de ce crime. À l’époque du conflit mondial, il se comporta brillamment, en véritable héros, non sans séquelles. Mais une telle épreuve ne peut que laisser de profondes traces dans la vie d’un homme tel que lui, exacerber sa sensibilité. Depuis, il croit deviner des signes — comme les interventions de ce fantomatique indien Cherokee, dont il ne comprend pas les messages. Dans son comté, si cet autre indien qu’il a surnommé Stone est bien réel et sans agressivité, il ne l’aidera nullement, ne prononçant jamais un mot.

Nick Corey est convaincu que c’est bien l’assassin de ses parents qui est de retour, tant d’années après. Tandis que l’agent du FBI Jack White poursuit ses investigations, non sans risques, Nick Corey se met sur les pas de celui qu’il a surnommé Le Dindon. Toutefois, le tueur en série – par jeu ou par défi – garde en permanence plusieurs jours d’avance sur lui…

Richard Morgiève : Le Cherokee (Joëlle Losfeld Éditions, 2019) — Coup de cœur —

Il s’est souvenu d’une autre forêt, du Cherokee aux pommettes barrées de deux traits de peinture blanche, qui lui était apparu la nuit où ses parents avait été assassinés. Bien sûr qu’il avait pensé que ce gars pouvait être fin soûl ! Ou fou, fou et soûl, défoncé. Mais il ne pouvait s’interdire d’imaginer qu’il était venu le prévenir. Et il avait remis ça. Oui, il avait remis ça. Il était revenu le voir quand il était dans le coaltar à Guadalcanal, sur une civière avec une blessure à la tête, au ventre, avec une jambe brisée… Le Cherokee lui avait parlé et Corey n’avait rien compris, rien de rien.
Après cinq opérations, Corey s’était mis à voir de temps en temps en noir et blanc. On lui avait dit que c’était impossible et il n’avait pas insisté. C’était impossible d’être accusé du meurtre de ceux qu’on aimait. Impossible de voir simultanément un Sabre atterrir sans pilote et un puma blanc.
Corey avait connecté les deux histoires, celle du Cherokee au visage peint en blanc et celle du puma blanc. C’était interdit par le code de l’enquêteur : tant pis. Il les avaient connectées parce que c’était la même satanée histoire en vérité. La même histoire parce que c’était lui, Nick Corey, qui les vivait, lui le trait d’union.

Comment ne pas se montrer enthousiaste ? Il s’agit d’un roman policier d’excellence, comme seuls les meilleurs auteurs savent en écrire. Une histoire fluide qui ne cherche pas à embrouiller les lecteurs par des détours fallacieux. Pour autant, le scénario ne manque pas de péripéties, évoluant sur un rythme impeccable – qui n’a nul besoin d’ajouter des effets spectaculaires ou inutilement violents, une tension artificielle, des mystères s’imbriquant les uns dans les autres. Trois lignes narratives : l’énigme de l’avion de chasse Sabre, celle de la disparue au parfum français, et le meurtre jamais résolu des parents de Nick Corey. C’est bien ainsi que le fait Richard Morgiève qu’on raconte un tel roman, peaufinant le personnage central et son univers au fil des événements.

Le nom du héros l’indique : c’est un homonyme du shérif de Pottsville, bourgade de 1280 habitants, le shérif (faussement débonnaire) créé par Jim Thompson. Richard Morgiève connaît fort bien ses classiques : ce roman est également – ou avant tout – un hommage d’une belle intelligence aux intrigues d’autrefois, à leur contexte, écrit dans une tonalité actuelle personnelle. Même la présentation des femmes n’est ici pas éloignée de celle de l’époque, avec sa part de clichés. Il n’oublie pas que si perdure le mythe américain, les États-Unis d’alors n’ont pas que de bons côtés (soucoupes volantes ou communisme, c’est un peu la même menace d’invasion : parfait pour favoriser le maccarthysme). Ce n’est pas un hasard non plus s’il situe l’action dans un État désertique peuplé quasi-intégralement de Blancs. L’Amérique des grands espaces ne serait-elle qu’un grand vide ? Ce remarquable roman est, à l’inverse, riche de qualité supérieure.

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18 janvier 2019 5 18 /01 /janvier /2019 05:55

Bertram Wooster est un jeune aristocrate anglais. Dans son immeuble londonien, le voisinage est carrément excédé par la passion de Bertram, qui joue sans arrêt du banjo. Il est prié de quitter les lieux. Son indispensable majordome Jeeves, fatigué lui aussi par la musique de son maître, en profite pour démissionner. Bertram peut compter sur le baron Chuffnell, ancien camarade d’études qu’il surnomme Chuffny, pour lui prêter un cottage sur sa propriété campagnarde. Le temps de rénover l’habitation, il pourra loger à Chuffnell Hall, le château de son ami. C’est là qu’il retrouve bientôt le majordome Jeeves, que le baron s’est empressé d’engager. Au château, habitent aussi la tante Myrtle et son fils, le jeune Seabury, qui a l’esprit dérangé.

Le château de Chuffnell Hall et ses dépendances, Chuffny voudrait bien s’en débarrasser – ainsi que de la tante Myrtle et de son fils. Homme de loi, sir Roderick Glossop semble lui avoir trouvé un acheteur. Sir Roderick déteste profondément Bertram Wooster, au point d’avoir récemment fait capoter les fiançailles du jeune homme à New York – et d’avoir viré avec plaisir Bertram de son immeuble de Londres. Or, le client potentiel pour la propriété du baron Chuffnell n’est autre que le fortuné Washburn Stoker, père de Pauline Stoker, qui évinça Bertram il y a peu. M.Stoker, sa fille et sir Roderick arrivent au château. Bertram et Jeeves ne sont pas sans remarquer que Chuffny et Pauline formeraient un beau couple. D’ailleurs, l’attirance a été immédiate entre le baron et la jeune femme.

En partie à cause des élucubrations de Seabury, mais aussi parce que M.Stoker est un caractériel, la vente de Chuffnell Hall est bien vite compromise. Les fiançailles possibles entre Pauline et Chuffny aussi, par voie de conséquence. Jeeves va tenter d’arranger l’affaire. Mais lorsque Pauline débarque au cœur de la nuit dans la chambre de Bertram, ayant fui le yacht de son père, ça risque de compliquer la situation pour le jeune aristo et pour Chuffny. Et ce n’est pas Brinkley, le ténébreux majordome engagé à la place de Jeeves, qui aidera Bertram à solutionner les problèmes – au contraire. Quant à sir Roderick Glossop, on peut parier qu’il embrouillera lui aussi le cas de Bertram. Voilà une affaire qui risque fort de devenir incendiaire…

P.G.Wodehouse : Merci, Jeeves (Éditions 10-18)

— Bertie, es-ce que vous êtes ennuyé ?
— Ennuyé ?
— Vous avez l’air ennuyé. Et je ne peux pas voir pourquoi. Je pensais que vous seriez très heureux de la chance de pouvoir m’aider à rejoindre l’homme que j’aime, avec ce cœur d’or dont ont parle tant.
— La question n‘est pas de savoir si j’ai un cœur d’or ou non. Des tas de gens ont des cœurs d’or et seraient quand même ennuyés de trouver des jeunes filles dans leur chambre au petit matin. Ce dont vous n’avez pas l’air de vous rendre compte, vous et votre Jeeves, ce que vous avez omis de considérer dans vos calculs, c’est que j’ai une réputation à conserver, un nom sans tache à garder dans sa pureté originelle, ce qui ne peut pas être fait en accueillant les jeunes filles qui entrent au beau milieu de la nuit sans se demander du tout si cela vous convient, et qui vous fauchent froidement vos pyjamas héliotrope…
— Vous pensiez que j’allais dormir dans un costume de bain trempé… Et surtout dans votre lit ?

Il ne s’agit pas de roman policier, mais de pure comédie. C’est avec une sacrée maestria que P.G.Wodehouse mène son intrigue, chassé-croisé de scènes hilarantes. Si Bertram Wooster est un personnage sympathique, c’est l’intelligent et cultivé majordome Jeeves qui (plus ou moins dans l’ombre) fait évoluer les choses. Pour le meilleur et pour le pire, il faut bien l’avouer. Lire et sourire, ça fait diablement du bien. Avec les mésaventures de ce duo-là, on s’amuse énormément.

Puisque “Bonjour, Jeeves” et “Au secours, Jeeves” sont réédités en ce début 2019 chez 10-18, c’est sans doute le bon moment pour celles et ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir les romans de P.G.Wodehouse.

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16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 05:55

Louis Dames est un jeune retraité passionné de nature, en particulier de l’étude des insectes. Il vient tout juste de s’installer dans une des vallées du Vercors, qu’il estime propice à l’entomologie. S’il part à la découverte du milieu, c’est bientôt tout autre chose qui attire son attention. Autour d’une grande maison d’architecture actuelle, Louis assiste à une scène bizarre, qu’il est incapable de décrypter. Il apprend que cet endroit est habité par un artiste coréen, Krim Lee, et sa compagne Ceril, elle-même artiste. Louis est comme aimanté par cette maison, et revient rôder à proximité. Ça ne l’empêche pas d’explorer la nature et les insectes de la vallée. Dans un premier temps, il ne paraît pas aisé d’entrer en contact avec Ceril, qui n’a pas manqué de remarquer sa présence.

Louis finit par lier connaissance avec le couple d’artistes. Il est même invité à séjourner chez eux. Krim Lee n’est guère loquace, soupçonnant Louis de les surveiller. Intransigeant sur son art, le Coréen n’apprécie que l’isolement favorable à la création. La relation entre Ceril et Krim Lee apparaît à Louis conflictuelle. Clairement, il existe une forte tension entre eux, avec une violence certaine. Même s’il se trouve au plus près du couple, l’entomologiste a beaucoup de mal à cerner leurs caractères, bien qu’ils le fascinent. Ce n’est pas au Chalet du Vercors, seul commerce par ici, “point de rencontre des maisons isolées et des hameaux avoisinants, situé à l’intersection de trois routes et à douze kilomètres de la première bourgade”, qu’on le renseignera tellement plus.

Quand Ceril disparaît, difficile de comprendre s’il s’agit ou non de l’acte volontaire d’une artiste fantasque. Néanmoins, cela entraîne une enquête de gendarmerie. D’autant que des traces de sang peuvent se traduire par des faits criminels. Le gendarme Gilbert et sa hiérarchie sont-ils, pas plus que Louis Dames, en mesure de cerner le comportement de personnes telles que Ceril et Krim Lee ? Tandis que Louis reste proche du Coréen, qui ne semble pas inquiet du sort de sa compagne, la gendarmerie suisse sera bientôt concernée par cette affaire, elle aussi…

Philippe Rouquier : Rires de poupées chiffon (Éd.Carnets Nord, 2019)

Comme souvent avec les histoires très originales telles que celle-ci, il ne faut pas se tromper de lecture. Nous ne sommes pas dans un polar rythmé et trépidant privilégiant l’action, mais dans un "roman d’atmosphère". Témoin des faits et de l’ambiance, Louis Dames est un "candide", très éloigné de l’état d’esprit du couple d’artistes. Il constate que la nervosité qui règne se fait plus tendue au fil des jours. Sur quoi peut déboucher ce genre de situation, c’est à la fois trop opaque, trop confus et trop intense pour envisager une explication qui serait logique pour le commun des mortels. Peut-être qu’en restant dans cette sphère, Louis Dames se met-il en danger ? À moins que tout cela ne soit finalement qu’un jeu d’illusion artistique ?

Voilà un roman déstabilisant pour le lecteur qui, par sa thématique et sa tonalité, sort totalement de l’ordinaire. C’est le second titre de Philippe Rouquier dont “Tant pis pour le Sud” (Le Masque) a été récompensé au Festival de Beaune par le Prix du Premier roman.

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8 janvier 2019 2 08 /01 /janvier /2019 05:55

Au centre de l’Angleterre, Peterborough est une ville sinistrée économiquement. La seule qui tire parti de la crise, c’est l’agence de recrutement Pickman Nye. On y emploie des salariés sous-payés, en majorité originaires des Pays de l’Est et des Balkans. Marié à Anna, père du petit Milan, l’inspecteur Dushan Zigic dirige la Brigade des crimes de haine, assisté de la policière Melinda Ferreira, avec l’inspecteur Wahlia et leur équipe. Ils sont sous l’autorité du commissaire Riggott, qui n’est pas du tout un homme de terrain. Au petit matin, il se produit un accident de la circulation pouvant concerner leur groupe. Un véhicule a foncé sur trois personnes : Jelena Krasic est décédée, sa sœur Sofia est blessée et hospitalisée. Un homme qui se trouvait près de l’arrêt de bus voisin est mort, lui aussi. On n’identifiera que tardivement ce Polonais qui, ce matin-là, partait vers son pays natal.

Compliqué de savoir qui était l’acheteur de la voiture d’occasion restée sur les lieux après l’accident, le véhicule ayant été vendu en dépit des règles habituelles, par négligence. Mais Sofia ne tarde pas à accuser l’ex-petit ami de sa sœur Jelena. La police qui débarque chez cet Anthony Gilbert le trouve mourant. Il semble s’agir d’une tentative de suicide, mais il peut avoir aussi bien été la cible d’un empoisonnement. Si le commissaire Riggott souhaite que l’affaire ne fasse pas de vagues – le suspect décédera peu après – c’est que ce n’est pas le premier cas récent de crime raciste à Peterborough. Outre un nommé Didi, sur lequel on ne sait quasiment rien, la seconde victime était Ali Manouf, dont la demande d’asile était en cours de traitement. Le meurtrier s’est affiché, masqué, devant une caméra de surveillance après son crime, faisant le salut nazi.

Richard Shotton est un politicien d’extrême droite, de l’English Nationalist League. Des élections étant proches, ces assassinats d’étrangers ne servent pas ses intérêts. Il ne tient pas à être associé à l’image de ces brutes vociférantes, de ces chien hurleurs dont les exigence vont bien plus loin que le programme de l’ENL. Entre son conseiller Marshall, assez modéré par rapport à leurs idéaux, et son propre chauffeur Christian Selby, qui fut proche de l’extrême droite radicale, comment éviter que s’envenime la situation. Pas sûr qu’il puisse compter sur Ken Poulter, fanatique de leur cause, se qualifiant de défenseur des "valeurs" au-delà des grosses sommes qu’on peut lui offrir. Connu des services de police, c’est un ancien hooligan, un de ceux qui éprouvent un besoin viscéral de violence, profitant généralement de l’effet de groupe pour éructer, voire se battre.

Sortie sans autorisation de l’hôpital, Sofia est bientôt agressée. Quand un nouvel Étranger est assassiné et martyrisé, la méthode est semblable aux cas de Didi et d’Ali Manouf. Les voisins ont immédiatement réagi, retenant le tueur. Si celui-ci observe le silence, on peut penser qu’il avait un complice ayant fui. Spontanément, ses amis de l’ENL se sont rassemblés. Une émeute est à craindre, s’agissant de militants déterminés. D’autant que les médias sont vite arrivés pour filmer l’affaire. Ça non plus, ça n’est pas bon pour le politicien Richard Shotton, ni pour son parti. On lui demande de redresser la situation, mais il n’a plus prise sur Poulter. Exécutant lobotomisé, Pouter est sûrement guidé par d’autres, plus haut que lui. Il se peut que l’enquête de Zigic et de la policière Melinda Ferreira doivent prendre une autre tournure pour éclairer les faits…

Eva Dolan : Haine pour haine (Liana Levi, 2019)

La forme politique ne suffit plus aux activistes radicaux complotistes d’extrême droite. Au discours nationaliste, s’est substituée une violence visant le chaos intégral et permanent. Il ne s’agit même plus de populisme, avec son argumentaire basique. Dans leur esprit, c’est une guerre de résistance qu’ils mènent sans complexe contre tout Étranger, d’une "reconquête patriotique" contre des envahisseurs. Racisme ou formatage des cerveaux ? Personne ne les empêche de brailler "On est chez nous", mais jusqu’où iront ceux d’entre eux qui sont parfaitement organisés, en brigades ou en milices ? Jusqu’aux meurtres ? Au nom d’une "identité nationale" bien relative, ils s’inspirent plutôt de la propagande des suprémacistes américains et du lobby international de l’extrême droite.

Contester, se rebeller n’est ni casser, ni tuer : pour eux, tout ça n’était que l’étape politique précédente, ces "guerriers" sont dans l’action – criminelle au besoin. C’est ainsi que les frontières entre banditisme, terrorisme et chaos d’extrême droite existent de moins en moins, tous ayant besoin du désordre pour mener leurs combats. Avec “Haine pour haine”, son deuxième roman noir, Eva Dolan nous met en garde, autant pour la réalité anglaise actuelle que pour l’ensemble des pays où s’est développée l’extrême droite. Elle nous raconte en détail et avec justesse le quotidien de son couple de héros, Zigic et Ferreira. Ce ne sont assurément pas des "super-flics", et il n’est pas toujours aisé de discerner un crime raciste d’un acte privé. Ce sont là des personnages que l’on suit avec sympathie, après “Les chemins de la haine” (2018), Grand Prix des lectrices de ELLE.

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6 janvier 2019 7 06 /01 /janvier /2019 05:55

Né en Argentine en 1959, Carlos Salem vit en Espagne depuis plusieurs décennies. Dans les salons du polar et autres festivals du livre, il est facile à repérer avec son bandeau sur le crâne. Mais ce n’est pas la principale singularité à noter chez cet écrivain, auteur de six romans traduits en français depuis 2010 : Aller simple ; Nager sans se mouiller ; Je reste roi d'Espagne ; Un jambon calibre 45, Le Plus Jeune Fils de Dieu ; Attends-moi au ciel. Tous sont publiés chez Actes Noirs. Ce dernier titre est désormais disponible chez Babel Noir, en format poche.

Carlos Salem, c’est avant tout une tonalité. Si l’on a une préférence pour les intrigues froides, les investigations strictes, les enquêtes confiées à des experts pointilleux, il vaut mieux ne pas lire ses suspenses, mais c’est se priver de grands plaisrs. Ses romans sont placés sous le signe du sourire, de la fantaisie, avec un cynisme amusé et une délicieuse amoralité revendiquée. Pour autant, il serait absurde de croire que les scénarios sont bancals ou négligés. Bien au contraire, le mystère est omniprésent derrière l’humour affiché. À l’origine, dans “Attends-moi au ciel”, un meurtre entraîne une situation vraiment complexe, avec un fort aspect criminel. Les péripéties s’annoncent nombreuses.

Je secoue la tête, me love dans la veste d’Amor, et demande à JR de me faire un café. Quand elle se dirige vers la cuisine, je sais que j’ai au moins un quart d’heure devant moi pour m’éclaircir les idées. JR est un génie des relations publiques et privées, mais elle est aussi capable de confondre une cafetière et une planche à repasser.
Pourquoi est-ce que je devrais lui faire confiance ? Après tout, elle a été la maîtresse de Benito et il se peut que, avant que mon défunt mari lui préfère les jeunes Russes, ils aient prévu de m’évincer de la même façon. D’un autre côté, elle sait se débrouiller dans le monde réel : avant d’enchaîner les mariages, elle a même fini ses études de droit. Et puis, c’est ma seule amie.
Je me rappelle quelque chose, et me lève lentement. Amor n’avait pas menti. Sur le meuble, derrière le sofa, il y a la bouteille. Je déchiffre la marque de la liqueur de bourbon et retourne m’asseoir avec elle. Pendant que JR arrive avec du café qui sent le pneu brûlé, j’effleure ma bouteille de Southern Comfort cachée sous les coussins. Maintenant, j’ai deux amies.

Carlos Salem : Attends-moi au ciel (Babel Noir, 2019)

À Madrid, Piedad de la Viuda aura cinquante ans d’ici quelques jours. Bien qu’ayant étudié les sciences économiques à un très bon niveau, la pieuse Piedad se maria et devint une épouse oisive et bigote. S’occuper de protection des animaux, présider la copropriété de leur résidence, rappeler à tous propos des citations de personnages célèbres, et aller se confesser, voilà ce qui occupe son temps. Avec la musique, car elle adore les boléros. Sa seule amie, c’est Juana Ramona Benavídez (dite JR), avec laquelle Piedad ne peut rivaliser pour la séduction. Les parents de Piedad étaient d’origine modeste et rurale. Ils surent faire fructifier un bel héritage. Antonio de la Viuda créa une grosse société, qu’il légua à sa fille. Elle en est la dirigeante en titre, mais c’est son mari Benito Casado qui s’en occupe.

Piedad est veuve depuis un mois, son époux étant mort dans un accident de voiture. C’est ainsi qu’elle découvre que sa société est quasiment en faillite. Ce que lui confirme Juan Ortega, ami de jeunesse du couple et actionnaire mis sur la touche par Benito. Il lui confie un dossier soulignant l’ampleur des dettes. Certes, Piedad touchera une assurance-vie, qui sera loin de renflouer l’entreprise. Ouvrant enfin les yeux, elle réalise que JR fut sûrement l’amante de Benito. Deux billets d’avion pour le Brésil témoignent que son mari avait programmé un départ imminent. Avec la jeune Svetlana, une blonde Ukrainienne étudiant le portugais en Espagne. Le commissaire Bermúdez et son séduisant adjoint Ricardo Amor révèlent à Piedad que la voiture de Benito a été sabotée, ce qui provoqua l’accident.

Une petite voix intérieure l’incite à réagir. Dans un crucifix creux, elle découvre une lettre posthume de Benito qui pourrait indiquer où il a caché le pactole qu’il détourna. Ou bien s’agit-il juste de venger son défunt époux ? Des obstacles se dressent sur son chemin : un tueur-à-gages au service d’un mafieux russe jouant au gourou para-religieux ; le gardien de la résidence qui veut exercer un chantage sexuel. Piedad ne tarde pas à les éliminer. Elle entre en contact avec Raúl Soldati, un drôle d’Argentin vivant à Madrid, qui s’avère plutôt habile quand il se prend pour un détective. En allant se frotter aux Russes, Soldati risque d’être malmené, mais ça ne le fera pas renoncer. Piedad va se trouver une autre alliée : la jeune et belle Nati, employée de sa société, n’est pas si potiche qu’elle paraît.

Grâce à la très compétente Nati et en réintégrant Ortega, Piedad commence à restructurer l’entreprise. Elle possède un atout supplémentaire : le policier Ricardo Amor devient son amant. Toutefois, Piedad peut se demander si cet Apollon n’est pas avant tout intéressé par les millions détournés de Benito. Quant à la jeune Svetlana, elle fait sa connaissance dans un ascenseur. Elles sont sous la menace d’un sbire russe, que Piedad supprime bien vite. Néanmoins, il vaut mieux essayer de mettre la jolie Slave à l’abri. Constatant la disparition de plusieurs protagonistes, le commissaire Bermúdez imagine cette affaire telle une sorte de match de football. Les indices laissés par Benito sont toujours obscurs, et le mafieux-gourou reste dangereux. La vérité n’est sans doute pas si évidente…

Dénicher un énorme magot caché et retrouver un assassin, tout en affrontant des Russes malfaisants, pas si simple pour l’héroïne de cette histoire. Jusqu’à là, Piedad menait une vie éthérée, ignorante des plaisirs charnels et des sombres réalités de l’existence. Heureusement, une voix intérieure s’est réveillée en elle, qui l’autorise à se comporter de façon moins sage qu’à l’ordinaire. Écraser ce qui entrave son parcours, ça ne lui pose plus de problème. Une mise au point pleine de fermeté avec des proches, dont son amie JR, ça ne l’effraie pas non plus. Quant à exploiter son charme de presque-quinquagénaire, elle le fera désormais sans complexe. De bonnes rasades de Southern Comfort, ça motive.

Au cours de ses aventures, Piedad va croiser une galerie de savoureux personnages. Dont Raúl Soldati, un des singuliers héros de “Aller simple”, premier roman de Carlos Salem traduit en français. L’employée sexy Natalie (dite Nati) est également étonnante à bien des égards. Grâce à une narration enjouée, on suit avec grand plaisir les tribulations de la combative Piedad. Carlos Salem ne déçoit jamais ses lecteurs !

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