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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 05:55

Été 1947, à Hollywood. Billie Dixon est une jeune femme brune venue du Texas. Elle se verrait bien scénariste, mais reste consciente que le monde du cinéma n’est ouvert qu’à une poignée de personnes. Elle a accepté un job pour la Producers Releasing Corporation, une société produisant des films de série B. La PRC assure la distribution de ses films grâce à des gens comme Billie, sillonnant les Etats-Unis pour vendre leurs produits. Pas de stars à l’affiche, mais des scénarios suffisamment distrayants pour plaire au public des cambrousses américaines. C’est ainsi que Billie arrive dans l’Arkansas, dans la région des Ozarks, à Stock’s Settlement. Dans cette bourgade de quelques centaines d’âmes, on ne va guère au cinéma. Très influent, le pasteur Obadiah Henshaw y a mis son veto.

Héros de la guerre du Pacifique, dont il est revenu aveugle, l’homme d’Église prône une intransigeante moralité. Alors que le cinéma est le vecteur de tous les vices, selon lui. Il ne fait pas exception en recevant Billie, rageant contre les films. À cette occasion, Billie est immédiatement fascinée par Amberly Henshaw, la magnifique épouse du pasteur. Si l’homosexualité est réprouvée par la loi, Billie n’a aucun mal à se trouver des compagnes d’une nuit quand elle réside à Los Angeles. Il existe des clubs assez discrets où elles se rencontrent. Qu’on l’ait baptisée William, qu’elle transforma en Billie, n’explique pas forcément cette attirance sexuelle pour les femmes. Amberly et elle deviennent bientôt intimes, l’épouse du pasteur se confiant sur sa vie – qu’elle n’a pas vraiment choisie.

Une autre femme de Stock’s Settlement impressionne Billie. Lucy Harington fait office de shérif ici, même si c’est son frère Eustace – déficient mental – qui occupe le poste. Elle ne manque pas de caractère, Lucy. Pour éviter une situation malsaine et compliquée, Billie va retourner rapidement à la PRC. Sans jamais cesser de penser à Amberly Henshaw. C’est ainsi que, quelques semaines plus tard, Billie revient dans l’Arkansas. Il semble que le pasteur souhaite avoir une conversation avec elle. En réalité, Obadiah Henshaw se montre très violent, exigeant même que Billie assassine son épouse, la menaçant de gros ennuis. Dès le lendemain, sur le chemin de l’église, il se produit un accident de voiture mortel : Billie renverse le pasteur. Bien qu’un peu approximative, sa version des faits est crédible.

Sans doute la shérif sans titre Lucy Harington a-t-elle envisagé une autre possibilité. Tant qu’elle ne découvre pas le rondin de bois avec lequel Billie a achevé le pasteur, tout va bien. Et puis, d’une certaine façon, Billie est "adoptée" par les paroissiens et bénéficie de la clémence générale. Elle ne doit cependant pas s’attarder à Stock’s Settlement. Mais elle ne partira pas seule, pour ce long trajet de retour vers Hollywood. Qui ne va pas du tout se dérouler comme Billie pouvait l’espérer. Elle n’en a pas fini avec l’Arkansas…

Jake Hinkson : Sans lendemain (Éd.Gallmeister, 2018) – Coup de cœur

En entendant mes pieds frotter sur le plancher, [le pasteur] dit :
— Cela ne sert à rien de courir. Si tu t’enfuis, je dirai ce que tu as fait. Il te sera impossible de quitter l’État avant qu’ils t’attrapent. La dépravation sexuelle n’est pas seulement un péché, tu sais, c’est un crime. Et Amberly ne prendra pas ta défense. Je te le garantis. Elle dira que tu l’as immobilisée, que tu l’as forcée. Que tu lui as infligé de mauvais traitements avec… avec quoi ? Une brosse à cheveux ? Ouais, je ferai en sorte qu’elle dise ça. Une brosse à cheveux. Réfléchis. Hollywood, fini. Le travail dans le cinéma, fini. Ton portrait à côté d’une photo d’une brosse à cheveux dans le journal et une longue peine de prison au pénitencier d’Eastgate. Si j’étais du genre à faire des paris, je parierais que les gardes là-bas se relayeront pour te sauter pour que tu renonces à ton vice. Ce genre de choses à prouvé son efficacité, dans le passé.

Qu’il est délicieux de lire un authentique roman noir, digne de la plus pure tradition ! Jake Hinkson connaît ses classiques, nous présentant là une remarquable intrigue. L’époque qu’il choisit, l’après-guerre, s’y prête à merveille. Le conformisme est la règle, s’appuyant sur un strict puritanisme d’inspiration religieuse. Le maccarthysme sévit à Hollywood. Être communiste ou être lesbienne, telle Billie, c’est à peu près aussi condamnable. Il est bon de préciser que la société PRC, qui sera rachetée et rebaptisée Eagle-Lyon, exista réellement. Elle faisait partie de ces studios sans prestige surnommés "poverty row", ne produisant que des films à petits budgets, diffusant ses films comme montré ici. Pourtant, PRC eut de bonnes réalisations à son actif, tel l’excellent “Detour” d’Edgar G.Ulmer, d’après le roman de Martin M.Goldsmith (Éd.Rivages, 2018).

Le décor principal, c’est un village rural, là où s’arrête le Midwest et où commence le Sud. Billie Dixon était prévenue : “Plus on s’enfonce dans les Ozarks, plus les gens deviennent bizarres… Ces péquenauds de l’Arkansas, ils sont méchants comme des teignes.” Dominé par son "Église baptiste du tabernacle racheté par le sang", c’est un endroit typique de l’Amérique profonde. Toute forme de modernité y est bannie, puisque fatalement inspirée par le Diable pour détourner le bon peuple de la Foi. Sans oublier que le patriotisme y est une valeur majeure, la 2e Guerre Mondiale étant terminée depuis peu. Mais Billie, si elle supporte au début les invectives du pasteur, n’est pas du genre à se soumettre à ses injonctions furibardes. Très beau portrait d’une femme assumant son libre-arbitre.

On peut affirmer que “Sans lendemain” est un des meilleurs polars noirs de l’année.

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4 février 2018 7 04 /02 /février /2018 05:55

À Nice, la quinquagénaire Ghjulia Boccanera est détective privé. Ses amis l’appellent Diou, ainsi que se prononce son prénom. Elle loge au quatrième d’un immeuble du Vieux-Nice, entre son colocataire Dan et son vieux voisin M.Bertolino. Elle fut la compagne du policier Joseph Santucci, cinquante-deux ans, duquel elle reste très proche. C’est le manque d’instinct maternel de Ghjulia qui les a séparés. Peut-être aussi une tension interne chez elle, qui consomme exagérément du café et qui dort mal. Un nouveau client se présente : Dorian Lasalle, vingt-cinq ans. Il était l’amant de Mauro Giannini, ingénieur employé par la société de BTP Rafaelo. Ils prévoyaient de se marier, et de s’installer à New York où Mauro avait obtenu un poste avantageux. L’ingénieur a été assassiné chez lui. Meurtre, peut-être sexuel, suivi d’un cambriolage ? Dorian ne croit pas en cette version.

Ghjulia est bien obligée de passer par l’agente immobilier Élisabeth Tordo, qu’elle n’aime guère, pour avoir les clés de la villa de Mauro Giannini. Pas grand-chose à glaner, puisque la police a déjà tout fouillé dans cette maison. Malgré tout, elle dégote une clé USB ayant appartenu au défunt. Elle contient des dossiers techniques géologiques, que Ghjulia serait bien en peine de décrypter. Il est possible que le réfugié syrien Mohamed, ou son épouse, puissent l’y aider. Est-ce que les tableaux d’un certain Toussaint Geronimi seraient une piste à suivre ? La détective ne l’exclut pas. C’est au tour de Dorian Lasalle d’être assassiné. Il a été torturé, et la médaille offerte par Mauro qu’il portait autour du cou a disparu. L’ancien petit ami de Dorian méritant d’être suspecté, Jo Santucci vérifie s’il possède un alibi. Mais ces crimes sont certainement plus complexes que cela.

Après un passage avec Jo au siège de l’entreprise Rafaelo, où ils sont reçus par une cadre peu cordiale, Ghjulia contacte le père artisan de Dorian Lasalle. Ce dernier l’engage afin qu’elle découvre la vérité sur les meurtres. Par contre, elle ne risque pas de sympathiser avec le frère homophobe de Dorian. Alors qu’elle rentre chez elle, Ghjulia est agressée par un inconnu, qui cherche à la tuer. Son voisin M.Bertolino intervient, ne ratant pas le type en question. Il s’agissait d’un policier syrien qui, selon Jo Santucci, fit naguère un stage à Nice. Ghjulia pense à Mohamed et sa famille, mais ceux-ci auraient plutôt tendance à fuir ce genre d’énergumène. Aux obsèques de Dorian, la détective retrouve les amis de celui-ci, des transformistes du club Zanzib’hard. Dont le viril Emiliano.

Peu après la cérémonie, Jo Santucci est visé par deux tireurs à moto, et très gravement blessé. L’enquête du policier et de la détective sur le double meurtre dérange fortement quelqu’un, plus de doute. Grâce à une info anonyme mais sérieuse, Ghjulia fait appel à Shérif, intransigeant inspecteur du travail, ce qui fera avancer ses investigations…

Michèle Pedinielli : Boccanera (Éd.l’Aube noire, 2018)

La lumière s’éteint. Je m’écroule à quatre pattes. Tente de me relever et d’enchaîner avec ce qu’on m’a appris : lancer le coude en direction du sternum de l’agresseur mais là, rien, j’effleure à peine une manche. Ça ne sert pas à grand-chose contre un type qui m’a explosé une épaule et se tient maintenant au dessus de moi. Je sens soudain quelque chose autour de ma gorge, une corde peut-être, qui commence à se resserrer. Je me jette en arrière par réflexe. Mauvaise idée, le type m’enfonce un genou entre les omoplates. Pour échapper à cette pression, je ne peux que basculer en avant et offrir un peu plus ma gorge au lien qui m’étrangle. J’essaie d’agripper ce qui m’étouffe mais mes doigts ne saisissent rien, je me laboure la peau pendant que mon larynx commence à s’écraser. Plus d’air. Plus d’air du tout. Ça ne peut pas. Finir comme ça. Je dois pouvoir respirer. Ce n’est pas possible de mourir…

S’extasier à la lecture d’un "premier roman", c’est une réaction souvent trop facile. En particulier dans le polar où, depuis l’origine du genre, rares sont les intrigues et leurs ambiances n’ayant pas été explorées. Pourtant, il existe réellement des talents émergents et Michèle Pedinielli en fait visiblement partie. Lorsqu’on nous propose une histoire de détective privé, comment résister ? Quand ça se passe à Nice, on est dans un décor certes ensoleillé mais propice à la noirceur, on a des chances d’adhérer. Et puisque l’enquête est menée par une femme, il ne nous reste plus qu’à la suivre dans ses tribulations. Niçoise d’origine connaissant donc son sujet, Ghjulia ne nous embarque pas trop longtemps dans une visite guidée de la ville, car c’est l’affaire criminelle qui importe.

Il est souhaitable que les auteurs soient aussi des lecteurs, qu’ils connaissent les rouages narratifs autant que les codes du polar. On peut penser que Michèle Pedinielli a apprécié quelques maîtres en la matière, dont le créateur du shérif Walt Longmire. En outre, un détective qui ne prendrait pas de mauvais coups, qui interrogerait sans jamais se mettre en danger, ce serait manquer à la tradition. Que l’on se rassure, l’intrépide Ghjulia étant confrontée à forte partie, ses aventures seront mouvementées au fil d’un récit fluide. Pour notre plus grand plaisir, on l’avoue volontiers. On ne peut qu’espérer la revoir dans de futures enquêtes, aussi toniques et palpitantes.

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2 février 2018 5 02 /02 /février /2018 05:55

Cécile est âgée de vingt-sept ans. C’est la fille d’un défunt musicien de jazz, qui a fini dans la dèche. De santé précaire, Cécile ne manque pas d’énergie dans ses activités sociales. Elle est employée par le Samu social. Toutefois, les maraudes nocturnes commencent à lui peser, aussi va-t-elle sans tarder changer de job. Prendre en charge les miséreux, même si c’est quasiment une vocation, c’est souvent être confronté à des situations compliquées. Et ça limite la vie sociale personnelle. Copiner avec Fifi d’Anvers, c’est sympa mais ça ne débouchera évidemment pas sur une relation intime. Il y a bien ce flic, Steve Legrand, avec lequel elle est en contact, mais elle est réticente quant à son métier.

Changeant d’association, Cécile va se consacrer aux biffins. Il s’agit de ces vendeurs en tous genres qui étalent leur marchandise – sans grande valeur, souvent – à côté des puces de Saint-Ouen. C’est le quartier où elle habite avec sa coloc. Ces biffins se sont organisés. Le rôle du groupe de Cécile est de veiller à la paix sociale dans ce carré. Parmi eux, on trouve des sans-papiers à régulariser et autres sujets relevant des services sociaux. Telle cette Nadia, plus toute jeune et très malade. Il y a aussi des personnages insolites, comme l’orateur Lothaire. Tout ce petit monde est globalement plus calme que ce qu’elle a connu jusqu’ici. Presque trop routinier et mollasson à son goût, d’ailleurs.

Par ailleurs, Cécile s’interroge sur la mort d’un sans-abri, Samouraï, un ami de Fifi. Il se peut qu’il ait aperçu un pyromane ayant récemment incendié un hôtel du secteur. “On sait comment ça se passe à Barbès. Les habitants ne veulent pas lâcher leurs logements, alors les proprios leur balancent des rats dans les couloirs, déversent des poubelles dans les escaliers, cassent la gueule à ceux qui s’accrochent.” Malgré tout, rien ne prouve que cet incendie ait été volontaire. Fifi d’Anvers s’est renseigné sur le passé de Samouraï, qui fut militaire en Afrique. Pourtant, une vengeance paraît improbable, car c’est d’une overdose – provoquée ou pas, jamais facile à déterminer – dont est mort Samouraï.

Cécile se demande si elle a trouvé le grand amour, avec ce technicien en informatique qui opère dans le quartier. “C’est pas le gars compliqué, genre à se poser des questions sur sa capacité à faire jouir.” Néanmoins, côté sentiments, Cécile est quelque peu complexe. Elle continue à suivre le cas désespéré de Nadia, et à vouloir comprendre la mort suspecte de Samouraï…

Marc Villard : Les biffins (Joëlle Losfeld Éditions, 2018)

Je passe la matinée à repérer les sauvettes qui se glissent régulièrement dans le carré. Il faut les prendre par le bras et les écarter gentiment. En fait, ils sont tous dans le même bain, mais certains ont la carte et d’autres pas. Les vendeurs à la sauvette sont plus jeunes que la moyenne des biffins du carré. Ils emballent leur matos dans un carton ou un drap sale et sont capables de disparaître en trente secondes chrono. Les filles préfèrent s’installer en dehors du carré pour éviter l’évacuation. L’une d’elles, une Asiatique, a noué ses cheveux en chignon, et son peignoir en éponge, composé de carreaux noirs et blancs, glisse sur son sein droit. Deux allumés roumains assis de l’autre côté de la travée sont comme hypnotisés par le mamelon offert. Elle relève la tête et tire vivement sur son vêtement. Un peu plus loin, une femme de soixante ans au bas mot a compilé une dizaine de sacs-poubelles éventrés dans lesquels sa vie fermente dans l’odeur de frites et de sardines avariées. Mais comme elle n’est pas du quartier, je laisse glisser. Je ne suis pas la brigade d’intervention, faut pas confondre.

On le sait, Marc Villard est un des plus grands experts en matière de nouvelles. Il excelle tout autant dans le roman court. Car son écriture précise fait mouche, évacuant les détails parasites pour ne retenir que le cœur palpitant d’une histoire. Ce qui ne l’empêche pas d’évoquer aussi finement les états d’âmes sentimentaux de son héroïne, que le curieux petit univers de ces biffins vivotant en vendant toutes sortes de produits, dont l’origine peut s’avérer douteuse. C’est le portrait de cette population, à la marge de notre société, qu’il met en évidence, sans jugement ni complaisance. Quant à l’aspect polar, il concerne les mystères autour de l’incendie d’un vieil hôtel, rue Polonceau. Les règles du genre sont respectées, avec une belle maîtrise là encore. Un roman court, certes, mais ne manquant pas d’une densité certaine. Jolie réussite à l’actif de Marc Villard.

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30 janvier 2018 2 30 /01 /janvier /2018 05:55

Au nord de l’État de New York, se trouve la ville de Promise Falls, avec ses trente-six mille habitants. L’activité n’y est guère florissante. Le journal local a cessé de paraître. Le parc d’attractions a fermé ses portes. Il n’y a que l’ancien maire Randall Finley qui s’en sort bien en commercialisant son eau de source. Il vaut mieux avoir un job du côté de Boston, métropole la plus proche. David Harwood y a été reporter. Mais, pour s’occuper de son fils de neuf ans Ethan, ce veuf a pensé rebondir à Promise Falls. Habitant chez ses parents, il cherche du boulot. Quant à Barry Duckworth, inspecteur de police de cent trente kilos, ça fait tout juste vingt ans qu’il est flic. Marié à Maureen, il essaie de surveiller son régime alimentaire, tout en exerçant son métier consciencieusement mais sans trop se fatiguer.

Marla Pickens est la cousine de David. Depuis qu’elle a perdu son bébé alors qu’elle était enceinte, elle vit en recluse et n’a plus toute sa tête. Sa mère Agnes, énergique directrice de l’hôpital de Promise Falls, et son père Gill n’y peuvent pas grand-chose. Pas plus que le médecin Jack Sturgess, d’ailleurs. Quand David débarque chez Marla, elle lui annonce qu’un "ange" lui a livré un bébé la veille. Si elle n’a pas kidnappé ce nourrisson, il faut que David retrouve quand même d’urgence les véritables parents. Il s’agit du couple Gaynor. Arrivé chez eux, il trouve le cadavre de Rosemary Gaynor, poignardée. Rentrant de Boston, le mari est surexcité par la situation. Agnes, la mère de Marla, est alertée. Très vite, elle convoque une avocate qualifiée, car sa fille va fatalement être soupçonnée.

Barry Duckworth est par ailleurs occupé par une affaire d’agressions sur le campus du collège de Promise Falls. Ces tentatives de viol, le chef de la sécurité de l’établissement prétend les régler. Certes, c’est un ex-flic, mais ses méthodes sont discutables. Barry se demande en quoi ça peut avoir un lien avec les vingt-trois écureuils morts pendus non loin de là. Peut-être, plaisir de psychopathe dans ces méfaits. Et maintenant, il va devoir enquêter sur le meurtre de Rosemary Gaynor. C’est bien le bébé de la victime qui a été "confié" à Marla. Il serait essentiel de savoir où est passée Sarita Gomez, la "nounou" que Rosemary employait officieusement. Barry déniche son adresse, mais cette femme est en fuite. Le mari de la victime, souvent absent, n’a pas d’autres infos sur Sarita.

Tandis que le père de David est recontacté par son "ami" Walden Fisher, qui a traversé un double drame ces dernières années, l’ex-journaliste est approché par l’ancien maire. Finley espère reconquérir son poste et a besoin d’un assistant pour sa communication. David doit y réfléchir. Pendant ce temps, dans le parc d’attractions vide, la responsable découvre une étrange mise en scène. Barry y envoie un de ses adjoints, mais pas sûr qu’une explication apparaisse aisément. Ayant fait une tentative de suicide, Marla est hospitalisée. Le docteur Sturgess semble plutôt incompétent, estime David qui ne le connaissait pas encore. Au collège, l’opération montée par le chef de la sécurité pour attirer et coincer le violeur ne prend pas une bonne tournure. Est-ce que le nombre 23 serait la clé de ces événements ? Barry ne sait quoi penser. Pour protéger sa cousine, David mène sa propre enquête…

Linwood Barclay : Fausse promesses (Éd.Belfond, 2018)

Je n’entrai pas dans les détails, et je ne pris pas l’initiative de raconter l’histoire du bébé que Marla avait tenté de kidnapper à l’hôpital de Promise Falls. Je me doutais ben qu’il le découvrirait tôt ou tard, mais ce n’était pas moi qui allais le lui apprendre.
Ce n’était pas que je craignais la colère de ma tante si je divulguais cette information. Enfin, d’accord, peut-être un peu. Mais c’était vraiment Marla que je cherchais à protéger. Ce qu’elle avait fait à l’hôpital était absolument accablant dans les circonstances présentes, et je n’étais pas sûr que Duckworth ou qui que ce soit d’autre dans la police de Promise Falls ressente le besoin de mener une enquête très approfondie, une fois cette information connue. Marla avait tué Rosemary Gaynor et pris la fuite avec le bébé. C’était aussi simple que ça. Affaire classée. Allons boire une bière.
Je ne pensais pas que ce soit aussi simple. Mais ça pouvait l’être.

Une évidence s’impose : Linwood Barclay possède l’art et la manière de construire et de raconter une histoire, de la rendre franchement excitante. Le tempo est sans doute un des principaux atouts, cette intrigue se déroulant sur seulement deux journées. Ce qui permet de suivre tour à tour chacun des protagonistes. Si le policier et l’ex-reporter sont au cœur du mystère, bon nombre d’autres personnes interviennent. Pas de problème pour situer chacun d’entre eux, tous ayant leurs caractéristiques (le père et la mère de David, sa cousine et ses parents, le mari de la victime, le médecin, l’ancien maire, etc.) Normal, l’idée étant de nous présenter l’ambiance d’une petite ville de l’Est des États-Unis. Si on y trouve des quartiers plus chics, comme chez les Gaynor, la population est diverse.

L’intrigue inclut évidemment de sombres évocations. Outre le meurtre, Marla se souvient de la perte de son bébé, Walden Fisher et son ex-futur gendre Victor ne se sont pas remis d’un drame, par exemple. À la base, les circonstances criminelles ne tourne-t-elles pas autour du bébé de Rosemary (allusion au film Rosemary's Baby”) ?

Toutefois, l’auteur utilise aussi une plaisante tonalité, légère et souriante. L’accumulation de mauvaises surprises autour de David relativise la noirceur, il faut bien le dire. Et lorsqu’un incident se produit avec son fils Ethan, la conséquence pour l’ex-journaliste pourrait être plutôt positive. La bonhomie du brave policier Barry Duckworth, malgré tout perspicace, contribue à limiter la tension. Un roman très entraînant et captivant, premier tome d’une trilogie, nous dit-on. On attend la suite avec impatience.

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28 janvier 2018 7 28 /01 /janvier /2018 05:55

Le docteur Séverine Dombre est néphrologue à l’hôpital Tenon, à Paris. Un métier exigeant qui n’explique pas vraiment que sa vie soit un désert affectif. Ça remonte sans doute au décès suspect de son père, quand elle était toute petite. Depuis, elle ne montre plus guère ses émotions. Séverine est la mère de Vincent, seize ans, mais c’est le père qui élève leur fils par ailleurs. Sa relation intime avec Hubert Pélissié, chef d’entreprise âgé de soixante-six ans, n’est que ponctuelle et pourrait sembler œdipienne. Gardant une certaine distance envers les autres, elle apparaît satisfaite de faire passer sa profession avant sa vie privée.

Séverine reçoit un nouveau patient ayant besoin d’une greffe de reins. Cet Albanais est accompagné de deux sbires, plutôt gardes-du-corps que traducteurs. Elle souligne que les procédures médicales et les règles légales sont strictes en France, que les délais d’attente sont généralement longs. Ce qui ne déroute pas du tout ses interlocuteurs, prêts à payer de grosses sommes pour accélérer les choses. Ils obtiennent tous les justificatifs exigés, non sans faire peser une pression forte sur Séverine. Elle va devoir répondre d’une fausse accusation devant la Répression des Fraudes. Puis il se produit un incident, quand sa carte bancaire est dérobée. Peu après, le voleur est abattu dans un règlement de comptes. Hospitalisé à l’hôpital Tenon, il ferait un donneur d’organes compatible avec l’Albanais.

Surtout, Séverine s’inquiète pour son fils Vincent. L’entourage du patient étranger est très bien renseigné sur ses proches et elle-même, y compris sur les moyens de la contacter hors du milieu hospitalier. Elle pense que ça peut résulter d’une vengeance contre elle, au sein de son service. Lorsque Séverine assiste à l’exécution d’un nommé Marmont, qui fait partie de la sphère médicale, probable complice des Albanais, c’est bien la preuve que la menace plane aussi sur elle. Séverine se rapproche de son fils, emmenant Vincent en week-end sur la côte normande. Outre les sites du Débarquement, c’est le petit village de Delaiseville qui intéresse la jeune femme. C’est de là qu’était originaire son père, qu’elle n’a quasiment pas connu. Une bourgade qui traversa des heures sombres à la Libération.

L’équipe des policières Claude Chaudron et Nathalie Machaut, de la Criminelle, a lancé son enquête sur le meurtre de Roger Marmont. Étant une des dernières à l’avoir rencontré, Séverine est interrogée, et bientôt mise sous surveillance. Si on y ajoute le cas du voleur de carte bancaire, trop de morts violentes autour d’elle, estime la police. Dans le même temps, les Albanais sont de retour dans le service de Séverine, disposant d’un "donneur vivant" pour la greffe. Tout serait en ordre, mais le patient est trop faible et elle est obligée de reporter l’intervention. Face à ce retard, les Albanais vont augmenter la pression, s’en prenant à Vincent – c’était à craindre. Si Séverine doit réagir en prenant les bonnes décisions, les policiers ne sont pas inactifs non plus…

Olivier Kourilsky : Marche ou greffe ! (Éd.Glyphe, 2018)

Le technicien, qui semblait porter tous les malheurs du monde sur les épaules, se dirigeait vers l’avenue Parmentier. Il allait sûrement prendre le métro. Séverine accéléra le pas pour l’aborder. Elle avait prévu de l’attaquer de front, comme si elle était au courant de tout, pour le déstabiliser. Ce Roger ne lui paraissait pas bien solide.
Au moment où elle arrivait à quelques mètres de lui et s’apprêtait à l’appeler par son nom, une moto chevauchée par deux individus portant un casque intégral s’approcha du trottoir. Le passager arrière tendit un bras vers Roger. Séverine entendit deux violentes détonations. La tête du technicien explosa, le sang jaillit et l’homme s’effondra. "Sûrement pas un calibre 22", eut-elle le temps de se dire. La moto repartit dans un rugissement et disparut en quelques secondes sans qu’elle puisse relever son numéro. Des cris s’élevèrent.
Séverine s’éloigna au plus vite du lieu de l’assassinat. Elle n’avait pas du tout envie d’être interrogée. Roger était mort et elle savait qui étaient les commanditaires.

Voilà un roman qui fourmille de qualités. Le lecteur de polars apprécie quand l’auteur s’est attaché à soigner la construction de l’intrigue. Avec Olivier Kourilsky, le perfectionnisme est de rigueur en la matière. D’autant que, s’agissant ici de son 9e titre, il maîtrise les rouages de l’histoire avec l’aisance qu’apporte une expérience certaine. Avec limpidité, il présente les portraits des protagonistes, et les faits auxquels est confrontée son héroïne. L’esquisse psychologique, basée sur son passé, est amplement suffisante pour que l’on entre rapidement avec elle dans l’action, pour partager sa dose d’anxiété.

Si l’ambiance de ce "polar médical" est 100 % crédible, c’est avant tout parce que Olivier Kourilsky connaît parfaitement le contexte. Sa biographie nous rappelle qu’il fut longtemps l’assistant du professeur Gabriel Richet à l’hôpital Tenon avant de prendre, en 1982, la direction du service de néphrologie-dialyse du tout nouvel hôpital d’Évry. Le métier du docteur Séverine Dombre et l’univers hospitalier n’ont donc pas de secret pour lui. C’est un atout non négligeable, pour évoquer un milieu avec réalisme. Ensuite, viennent des situations issues de la fiction, improbables mais néanmoins imaginables. Concernant l’épisode dramatique au village de Delaiseville, on est également proches d’événements qui se sont vraiment déroulés, en Normandie ou ailleurs en France.

Un suspense solide, riche en péripéties et en risques encourus, raconté avec une fluidité exemplaire. Un roman que l’on prend grand plaisir à lire !

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26 janvier 2018 5 26 /01 /janvier /2018 05:55

Lauréat du Grand Prix de Littérature Policière en 2011 pour “Le poète de Gaza”, Yishaï Sarid avait précédemment publié dans son pays “Une proie trop facile”, en 2000. Ce titre est désormais disponible en format poche, chez Babel Noir. L'aspect enquête est bien présent. Une accusation de viol n'est jamais à prendre à la légère. Dans toutes les armées règne une certaine omerta qui ne facilite pas les investigations. Surtout quand le militaire impliqué jouit d'une bonne opinion générale. Quant à la victime, elle ne fait pas le poids, sa candeur et sa religiosité affichées n'étant pas de véritables arguments. Dans un pays éternellement sur la défensive, compliqué de mener à bien une affaire délicate comme celle-là…

 

À Tel Aviv, à la fin du 20e siècle, cet avocat trentenaire vivote de son métier, sans ambition. Il fut employé par un grand cabinet, avant d'exercer en solo. Heureusement que Shabtaïl, puissant mais obscur en affaires, est assez généreux. Célibataire, sa vie privée n'est pas plus reluisante. Sa colocataire Niva, une artiste dont il est amoureux sans espoir, est trop désargentée pour payer les factures. Fille d'un cinéaste incapable de financer ses films, Niva compte repartir un jour tenter sa chance à New York. Lieutenant-colonel dans les services juridiques de l'armée, Ofra est une amie fidèle de l'avocat. Elle lui propose de traiter une affaire de viol : une ex-jeune soldate a porté plainte contre un capitaine.

Le sergent Koby de la police militaire, homo de dix-neuf ans, sera l’assistant de l'avocat. Le capitaine Erez, visé par la plainte, apparaît comme un brillant élément de Tsahal. Il est sur le départ, vers un poste avancé de l'armée au-delà de la frontière libanaise. Il dirige une compagnie d'élite, où son sens du commandement et son charisme sont appréciés. Erez affirme ne pas être concerné. Koby et l'avocat se rendent dans le village d'Ofakim, au sud du pays, afin d'y rencontrer la victime. Réformée pour cause psychologique, dépressive recluse chez ses parents, Almog (Corail, en hébreu) se contente de réciter sa version des faits. En présence de sa famille hostile, les enquêteurs ne peuvent espérer mieux.

Le journal intime de la jeune fille indique sa foi tourmentée. Almog accepte de parler à l'avocat dans les bureaux d'Ofra. Cette fois, elle raconte précisément l'intégralité des faits. Son récit semble parfaitement crédible, dénotant d'un excès de candeur chez Almog. Des indices confirment que l'ex-soldate ne ment pas, mais le capitaine Erez a toujours le soutien de sa hiérarchie. En place dans un fortin sur le front, il ne compte pas revenir témoigner. Rejoindre la zone de conflit n'enchante guère l'avocat, même s'il est officier de réserve et bon tireur. Un trajet dans un camion de ravitaillement le conduit jusqu'au secteur militaire. Tandis que l'avocat expérimente la vie sur le front, Erez finit par se montrer plus cordial. Mais il faudra bien plus d’éléments au sergent Koby et à l’avocat pour cerner le caractère du militaire et de sa supposée victime…

Yishaï Sarid : Une proie trop facile (Babel Noir, 2018)

— Il vous a obligée à monter avec lui ? ai-je demandé dans l’espoir de trouver quelque chose qui puisse cadrer avec un paragraphe du Code pénal.
— Non, pas obligée. Une Jeep s’est arrêtée à ma hauteur, un modèle tout récent et dedans, il y avait un officier qui m’a invitée à monter. J’étais tellement troublée que je n’ai pas tilté que c’était lui, je ne l’ai pas reconnu avec tous ses galons et son uniforme. Je lui ai demandé s’il allait vers Ofakim et c’est quand il m’a répondu : "On a rendez-vous, non ?" que là oui, je l’ai reconnu. Je me suis installée devant. Il a voulu savoir pourquoi je n’étais pas venue, et je lui ai dit que j’avais oublié. C’était la première fois que je me retrouvais en tête à tête avec un gradé et que je pouvais lui parler simplement.

Les principaux atouts de ce roman noir ne résident pas seulement dans l'intrigue. C'est une image beaucoup plus complète de l’État d'Israël que présente Yishaï Sarid. Contraste entre l'urbanisme galopant de Tel Aviv (qui masque le front de mer, tant apprécié par cet avocat) et la ruralité de l'essentiel du pays ; entre Israéliens ambitieux s'éloignant du pays et patriotes attachés à leurs fonctions militaristes ; entre ce modeste avocat (dont la mère apparaît plus dynamique que lui) et le prestigieux cabinet où il fut employé. Le regard sur les Arabes d'Israël diverge, avec nuances, également. Le besoin de liberté reste inassouvi ou imparfait chez quelques-uns des protagonistes, dont notre avocat anonyme. La part sociologique et l'enquête se complétant, cette histoire racontée avec souplesse offre donc un double intérêt.

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25 janvier 2018 4 25 /01 /janvier /2018 05:55

Jefferson Petitbois n’est pas un détenu lambda. À l’automne 1980, âgé de dix-sept ans, il vient d’être condamné à la peine capitale. Ce jeune Noir a commis des crimes violents, qu’il ne nie pas. Pour lesquels il n’éprouve aucun remords, non plus. Ce qui a pesé dans l’issue du procès, Jeff en est conscient. Comment aurait-il pu expliquer les circonstances, lui qui manque de culture et de vocabulaire, lui qui sait à peine lire et écrire ? Jeff a peur de la mort, c’est d’autant plus normal qu’il ignore quand interviendra son exécution. À quoi lui serviraient des visites de l’aumônier de la prison de Fresnes ? Il n’a foi en aucune croyance. Du moins, dans le sens religieux traditionnel, car avec son ami et mentor Max, il a testé d’autres pratiques s’inspirant de vieux rites africains.

Max n’est plus là. Derrière les barreaux, la solitude est la seule compagne de Jeff. Quant à sa demande de grâce présidentielle, compte tenu du contexte électoral, le président de la République actuel ne prendra pas de décision. Son successeur va tenir une promesse de campagne, la fin de la peine de mort. Si Jeff est soulagé, sa peine étant commuée, il ne se leurre pas : la perpétuité, c’est interminable. Surtout quand on reste considéré comme un détenu à haut risque, réduit à un isolement permanent, généralement enchaîné. Et puis, il y a l’aggravation de ses conditions de détention suite à l’agression sur le gardien Durance, gravement blessé. Jeff n’éprouve pas de regrets pour son acte, les conséquences n’ayant fait que confirmer son statut de condamné hors normes.

Les dix premières années ont passé, dans un quotidien qui ne l’a pas conduit à la folie. Il a apprivoisé une souris, Germaine. Il a résisté aux provocations racistes du Chef Martin. Il a suivi les conseils du gardien Jean Dumont, qui l’a incité à lire et à écrire. Toutefois, pas si évident de raconter sur le papier son parcours d’enfant abandonné, cette violence qu’il contrôlait mal, son envie suicidaire, le rôle de Max. Ce dernier aurait pu simplement être un père de substitution, mais c’était un personnage mystique et pervers. Raconter sa vie à la psychiatre quinquagénaire Marie-Jeanne ? Faire comprendre le lien entre son premier geste de nature criminelle à sept ans, sa vengeance huit ans plus tard, et les autres meurtres ? L’espoir qu’un rapport favorable entraîne pour lui plus de liberté est mince.

La clé de son destin, c’était Max. Et l’initiation de Jeff, dès l’âge de quatorze ans, à l’iboga. Même avec le recul des années, il lui est toujours difficile d’analyser les faits, l’influence de ce produit hallucinogène. Plus de deux décennies maintenant que Jeff est détenu. Avec un nouveau gardien, un Noir qui garde ses distances, et d’autres incidents provoqués par le Chef Martin. Si Jeff a évolué, c’est en grande partie grâce à Jean Dumont, mais celui-ci a quitté la Pénitentiaire. Néanmoins, ils sont encore en contact. À quoi mènerait un assouplissement du régime carcéral de Jeff ? Peut-être à un retour au point de départ…

Christian Blanchard : Iboga (Éd.Belfond, 2018)

La seule personne qui m’a réellement perçu comme un être humain. Sauvé des eaux, je me suis retrouvé devant cet homme qui m’a adopté. Je n’ai pas été ‘placé’ chez lui. C’est Max qui m’a choisi. Et pour la première fois de ma vie, j’ai eu un véritable chez moi. La chapelle : mon sanctuaire.
Pas d’électricité. On s’éclairait aux bougies… plutôt avec des cierges. Max en avait trouvé tout un stock lorsqu’il avait découvert cette chapelle abandonnée. Éparpillées un peu partout, leurs flammes créaient des ombres sur les murs bruts. Je les trouvais rassurantes. Reflets apaisants. De temps en temps, Max allumait des tiges d’encens. Leur fumée et leur parfum accentuaient l’étrangeté du lieu.
Max : le bien et le mal. Max : un être hybride.
De trente ans mon aîné, il m’a montré le chemin…

Afin de ne pas se tromper de lecture, il est prudent de préciser qu’il ne s’agit pas d’un plaidoyer contre la peine de mort, même si l’auteur utilise un contexte qui suscita en son temps des débats enflammés. Le héros de cette histoire assume ses meurtres, encore qu’il ne les considère pas comme des crimes ordinaires. Il n’affirme pas non plus que son parcours chaotique depuis le début de sa vie eût mérité davantage de clémence. Le sujet premier, c’est ici l’enfermement – avec la solitude que cela cause. L’idée de ne plus sortir de prison, est-ce concevable dans l’esprit d’un détenu tel que lui ? Sachant que le concept de "vie normale" n’a jamais existé dans son cas. Enfant, il fut un sauvageon, et il reste inadapté à toute vie sociale durant ses premières années sous les verrous.

Quand on connaît Christian Blanchard, qui n’est nullement un romancier néophyte, on sait qu’un de ses thèmes de prédilection, c’est la dépendance. Comment un individu, quelles que soient ses failles, accepte-t-il un engrenage forcément négatif ? Des facteurs tels que l’alcool ou les stupéfiants offrent une réponse, largement imparfaite. La résilience de chacun, sa force mentale, devrait pousser à lutter contre ce qui est destructeur. Mais l’âme humaine ne fonctionne pas selon une mécanique précise, une programmation impeccable. Ce portrait magistral d’un prisonnier d’exception vise à fouiller dans les tréfonds de son cerveau, pour y détecter les racines de la noirceur. Le récit évoque également certains faits saillants, dans la société française depuis près de quarante ans.

Un suspense puissant, à découvrir absolument.

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24 janvier 2018 3 24 /01 /janvier /2018 05:55

Dans le Mexique actuel, ce quatuor de quadragénaires se connaît depuis leur adolescence. À l'époque de leur scolarité, ils se surnommaient les Bleus. Il y avait Jaime Lemus, élevé dans une famille aisée, fils de Don Carlos Lemus, magistrat lié à la politique. Désormais, Jaime est responsable d'un service de sécurité d’État qui fait le lien entre le Mexique et les Américains. Il y avait Mario Crespo, le plus neutre des quatre mais le plus fidèle en amitié depuis ce temps-là. Il est devenu prof, s'est marié avec Olga, formant un couple normal. Leur fils Vidal est un passionné d'informatique. Il y avait Tomás Arizmendi, qui aurait pu devenir un brillant journaliste, mais qui a plutôt suivi la spirale de l’échec.

Et puis, il y avait Amelia, au centre du groupe des Bleus. La rebelle et cultivée Amelia, si attirante pour Jaime et Tomás. Elle est devenu la présidente d'un des partis politiques d'opposition. Non pas qu'ils aient un poids contre le PRI, qui gouverne quasiment sans discontinuer depuis des décennies. Néanmoins, le parti d'Amelia et celui du sénateur Ramiro Carmona peuvent représenter un contre-pouvoir. Quand ils étaient ados, Don Carlos initia les quatre amis à la politique, en prenant exemple sur “1984” de George Orwell. La fascination d'Amelia pour le père de Jaime la conduisit à devenir sa maîtresse durant plusieurs années, malgré une différence d'âge évidente. S'il s'est éloigné de la politique, et de son fils Jaime, Don Carlos reste un homme de bon conseil.

Tomás a bâclé un article sur le meurtre de Pamela Dosantos, une artiste très connue, dont le cadavre démembré a été retrouvé. Tomás y citait une adresse proche de l'endroit ou fut découvert le corps – celle du bureau officieux de Salazar, Ministre de l'Intérieur. Rien n'indique le moindre lien entre Pamela et lui, mais l'article de Tomás est plébiscité par le public. La victime eut quantité de puissants amants… dont Salazar ? Il est indispensable que les Bleus d'autrefois fasse corps autour de Tomás, car il s'expose à de graves ennuis. Mario demande à son fils Vidal (et à son ami hacker Luis) de pirater tout renseignement sur Pamela Dosantos. Pour Tomás, voilà une bonne occasion de renouer avec Amelia.

En attendant de savoir si Salazar est impliqué, le quatuor et Don Carlos doivent trouver une stratégie pour affronter le pouvoir. Menacé, Tomás doit autant se méfier des taxis que d'éventuels poursuivants en 4x4 blancs. La première réunion des ex-Bleus est interrompue par une alerte, malgré leurs précautions. Le rôle de Jaime n'est pas vraiment clair dans cet incident. Pour se contacter, Don Carlos confie à chacun d'eux un téléphone direct, censé éviter la surveillance. Tomás discute avec le vieux journaliste Don Plutarco, qui rencontra Pamela Dosantos. Le rôle de celle-ci n’était pas si futile qu’on pourrait le croire…

Jorge Zepeda Patterson : Les corrupteurs (Babel Noir, 2018)

Tomás comprit pourquoi Jaime leur avait donné rendez-vous à cet étage. Les suites communiquaient entre elles, et celle qui était contiguë donnait sur un autre couloir qui menait directement à l’issue de secours.
Amelia regretta les talons qu’elle avait choisi de mettre ce soir-là. Mario serrait l’ordinateur dans ses bras et Tomás dévalait l’escalier quand il vit qu’Amelia prenait du retard. Ils entendirent une rafale de coups de feu en provenance de l’étage qu’ils venaient de quitter. Jaime avançait en tête du groupe, pistolet au poing. Deux étages plus bas, ils trouvèrent plusieurs hommes munis d’armes automatique et Tomás crut qu’ils allaient être criblés de balles ; il s’élança sur Amélia et la renversa sur les marches, la protégeant de son corps.

La politique intérieure de chaque pays est forcément complexe. Vu d'Europe, le Mexique apparaît comme une nation ayant réussi à établir une stabilité rassurante. Il semble que le principal parti, le PRI, ait le soutien du voisin américain. Quand on entend parler de gangs criminels, ça reste plutôt confus dans nos esprits. On ignore qu'ils causèrent jusqu'à près de mille morts par mois. La corruption dans les cercles du pouvoir central et à la tête des provinces fédérées, on suppose qu'elle existe. Être dirigeant politique au Mexique, c'est plus qu'ailleurs être assis sur un siège éjectable, donc autant profiter des avantages et bénéfices que ça peut apporter. Tant que l'opposition se cantonne à réclamer vainement davantage de transparence dans la gestion politico-économique, tout va bien pour les élites au pouvoir.

Un grain de sable dans les rouages gouvernementaux bien huilés, voilà comment sont perçues les révélations de Tomás Arizmendi. S'il n'avait autour de lui un groupe d'amis bien placés, il devrait vite quitter le Mexique. Outre l'enquête du journaliste, chacun d'eux glane des renseignements sur la victime et, si possible, sur les arcanes politiques. Car la thématique de ce roman noir, c'est – sous couvert de fiction – de nous présenter le fonctionnement institutionnel de ce pays, au plus près de la réalité. Aspect documentaire, qui ne nuit nullement à l'intrigue, non dénuée d'une paranoïa troublante. Un suspense qui nous informe et suscite notre curiosité, c'est encore mieux. Désormais disponible en format poche chez Babel Noir, “Les corrupteurs” est un roman à ne pas manquer.

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