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22 novembre 2017 3 22 /11 /novembre /2017 05:55

Killarney est une petite ville au sud-ouest de l’Irlande. Comme chaque été, elle reçoit un grand nombre de touristes, surtout en ce week-end ensoleillé. Certains vont s’offrir une balade en calèche, conduite par un "jarvey". Par exemple, ils peuvent s’adresser à Bernard Dunphy, qui a presque trente ans et vivote de ce métier. Avec sa vieille jument Ninny et son éternel manteau noir, ce "jarvey" fait couleur locale. Bernard est plus causant qu’il ne l’a été pendant très longtemps. Il est le fils de John Dunphy, qui s’est noyé quand il était encore gamin, et de Brigid. Sa mère l’a toujours choyé, car c’était un enfant différent. Un peu simplet ou juste exagérément renfermé, souffrant d’un syndrome particulier ou plutôt sans envie de tant communiquer avec les autres ? Bernard vit dans son monde à lui.

S’il s’est amélioré depuis quelques années, c’est grâce à la musique. De son père John, il a hérité la passion du blues, et de la collection de disques paternelle. Il connaît tout sur le sujet, admire les Américains qui ont développé ce style musical. Il compose lui-même des chansons, à la manière du blues. Sans doute pas pour faire carrière, mais il adresse des cassettes de ses créations à Marian Yates, une des plus jolies jeunes femmes de Killarney. Il en est amoureux, de façon évidemment platonique. Malgré son léger handicap, Marian n’a rien à craindre de lui. Même si Bernard ne l’attire pas du tout, elle est tolérante envers lui. Ce qui n’est pas le cas de Cathy et Mags, les amies de Marian, célibataires et quasi-trentenaires elles aussi. Pourtant, ces péronnelles ne sont pas exemplaires, non plus.

Bernard subit encore les insultes et les brimades de quelques imbéciles du cru. Il a même été sévèrement cogné par Jim, le cousin de Marian, et sa bande d’alcoolisés. Depuis leur enfance, Bernard compte néanmoins un ami, Jack Moriarty. En fait, ce dernier supporte le "jarvey", mais ils sont d’une nature totalement opposée. Jack est un séducteur, un sportif, un macho égoïste. Il a tout pour plaire à des filles comme Mags ou Cathy. Cette dernière est sexuellement accro, soumise aux désirs dominateurs de Jack, mais cache la situation à ses copines. Leurs pulsions pourraient d’ailleurs mal tourner. Car, même dans cette région d’Irlande, existent des adeptes du "dogging". Ces voyeurs pervers regardant, en extérieur, des couples faisant l’amour, Jack les détestent plus que tout.

Il arrive que Bernard, depuis qu’il est plus ouvert, sympathise avec la clientèle. Surtout si on le laisse évoquer sa passion du blues. C’est le cas de Laura, une jeune touriste venue du Texas. Elle ne trouve pas contradictoire qu’un Irlandais adore cette musique. Étonnant au pays du bodhrán, de l’accordéon et du violon, mais Laura admet que ça peut sembler exotique à un homme pas tellement ordinaire tel que Bernard. Le dimanche soir, c’est rendez-vous au pub pour les trentenaires de Killarney. Linda et Mike animent le spectacle, la fête se doit d’être arrosée. Cette fois, Bernard y aura-t-il sa place, comme les autres ?…

Colin O’Sullivan : Killarney blues (Éd.Rivages, 2017) – Coup de cœur –

Bernard ne ment pas. Il l’adore. Il est fier quand [Killarney] grouille de monde en été. On dit qu’il y a moins de touristes, mais ils disent toujours ça, ils minimisent toujours. La ville est plutôt animée. Il aime voir les étrangers errer dans ‘ses’ rues, entrer dans les magasins qu’il connaît, respirer son air. Il adore les entendre chanter les louanges des montagnes quand ils passent devant, ou raconter à quel point ils ont aimé s’asseoir près de la cascade de Torc, apprécié la vue depuis Aghadoe, combien ils on adoré les cerfs imperturbables qu’ils ont vus au terrain de golf, leurs yeux doux, leurs flancs délicatement tachés de blanc. Ça lui hérisse les poils de la nuque. Cette fierté. Ce cœur qui gonfle. Il aime vraiment sa ville. Absolument. Il ira sans doute un jour à Chicago, ou à La Nouvelle Orléans pour Mardi gras, peut-être qu’il ira même voir B.B.King jouer en concert avant que ce grand homme ne s’éteigne, mais il reviendra toujours.

Les chansons de blues expriment la douleur, les facettes sombres de la vie, le mal-être qui peut aller jusqu’à l’autodestruction. Avoir le sentiment d’être né sous une mauvaise étoile, que les ennuis sont l’essence du quotidien, que la dépression ira de mal en pis… Le blues, c’est la voix du solitaire, de l’exclu, de l’incompris, du mal-aimé. Des gémissements, des plaintes, la folie guette peut-être, l’avenir est mort. C’est le vagabond qui ne va plus nulle part, c’est l’amoureux délaissé par sa belle, c’est la malchance ou la fatalité. Parfois, une lueur incertaine redonne un peu de force au pauvre bougre. Mais, au final, son destin n’est pas de rencontrer le bonheur. "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots" écrivait déjà Alfred de Musset.

S’il aime la tonalité du blues, Bernard Dunphy n’est ni dépressif, ni désespéré. Son regard sur le monde n’implique pas qu’il se sente concerné par la complexité des caractères et des rapports humains. Il compose des chansons pour une jeune femme dont il sait qu’elle ne s’intéressera jamais à ses sentiments ; que son "ami" Jack soit un type prétentieux et violent, ça n’est pas l’image qu’il veut avoir de lui ; le métier de "jarvey" avec une jument à bout de souffle est plus que précaire… Tout cela, Bernard l’a enfoui dans un recoin de sa tête. C’est vrai aussi pour ce qui touche à son défunt père. Sa mère veillant sur lui, il se réfugie dans ‘sa’ musique, c’est plus simple et plus vibrant à la fois.

Le pays du blues, c’est l’Amérique. Rien n’empêche Bernard de l’idéaliser. Mais quand on vit dans un décor naturel magnifique, à son propre rythme, entouré de natifs comme soi-même, pas la peine d’aller chercher ailleurs l’aventure. Cette histoire conte l’attachement à la terre d’Irlande, autant qu’une passion pour un genre musical, et l’évolution mentale de Bernard. Que l’aspect criminel ne soit pas essentiel, ça n’a aucune importance. Si des scènes s’avèrent plus agressives, Colin O’Sullivan a surtout écrit un roman d’une belle finesse, empreint d’humanisme. Peut-être quelquefois, y a-t-il quand même un brin d’espoir dans le blues ?

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20 novembre 2017 1 20 /11 /novembre /2017 05:55

Quadragénaire, Isabelle Mayet est capitaine de police à la brigade criminelle de Nantes. Elle a un compagnon, Jérôme, mais pas encore d’enfant. Isabelle est secondée par Hugo Esservia, spécialiste informatique, et une équipe d’enquêteurs. Une nouvelle commissaire vient d’être nommée ici. C’est le premier poste de Ludivine Rouhand, âgée de vingt-six ans. Son manque d’expérience inquiète un peu Isabelle. Les policiers sont alertés sur le cas d’un double décès suspect. Les jumeaux Audric et Jules Pelland étaient codirigeants de la société AI Climate, une start-up en informatique. Ils étaient munis d’un stimulateur cardiaque chacun, souffrant tous deux de la même déficience. Ces appareils ont cessé de fonctionner simultanément, provoquant leur décès. Ce n’est pas une coïncidence.

Selon l’entreprise Epiotronic diffusant ces stimulateurs, il n’y a pas eu de précédent, ni aucune anomalie justifiant cet arrêt des appareils. Isabelle et son équipe envisagent sans tarder un piratage du système connecté aux stimulateurs. Parmi les hackers locaux, la tentative de fuite de Yannick Jadas indique qu’il a été complice de l’affaire. S’agissant à n’en pas douter d’une cyberattaque, il est à craindre qu’un virus – encore actif dans les stimulateurs cardiaques des victimes – ait infecté le système de connections. Le problème pourrait s’étendre bien au-delà du réseau internet en question. Le second suspect est un étudiant, qui fut stagiaire à la société Epiotronic. Il était parfaitement compétent pour copier en toute discrétion les données d’exploitation du système. Il est bientôt arrêté.

Toutefois, ces deux hackers n’ont été que des exécutants, aussi habiles soient-ils. Le vrai "cerveau" va se manifester en bloquant le fonctionnement des ordinateurs de la police de Nantes. Grâce à un autre complice, il va même en détruire. En utilisant cette forme de chantage, il exige que l’enquête sur la mort des jumeaux Pelland soit abandonnée. Tout ce que les policiers obtiennent de l’étudiant arrêté, c’est le pseudonyme du commanditaire : M4STER SHARK. Isabelle et son équipe se mobilisent plus que jamais, avec l’aide de la DGSI. Comme ils l’avaient compris, il existait une complicité interne au sein de la police, le pirate informatique faisant pression sur ce collègue. Dans l’ombre, le responsable de ces attaques a mis au point un programme informatique très sophistiqué. La police ne trouve que l’ancienne adresse de celui-ci, qui ne se laissera pas prendre sans résister…

Sylvain Forge : Tension extrême (Éd.Fayard, 2017) – Prix du Quai des Orfèvres 2018

Les explications que son collègue avait livrées dans sa dernière audition étaient précises : "Une boîte aux lettres mortes" planquée dans un ancien manomètre, une machine couleur ocre avec une cuve, dans la salle principale. La clé se trouvait derrière "le cadran qui n’avait plus d’aiguille".
Elle s’arrêta à la lisière d’une pièce immense. Au-dessus, la grande verrière était brisée et des éclats parsemaient le sol. Le faisceau de sa lampe les faisaient scintiller. Isabelle s’engagea dans la salle, des tessons de verre crissèrent sous ses pas. ‘Qu’est-ce que tu cherches exactement ?’ Elle l’ignorait. La machine était là avec ses compteurs, enveloppée dans un linceul de poussière. Elle pensa avoir trouvé la fameuse cachette. Sa torche en explorait tous les détails, ses mains gantées fouillaient à l’intérieur. Rien. Elle allait ressortir quand ses yeux tombèrent sur un étrange symbole dessiné à la bombe…

Notre début de 21e siècle est placé sous le signe des connections informatiques. Même si nous n’avons pas acquis le dernier modèle de smartphone ou le must des ordinateurs, on en est partiellement tributaire, fut-ce pour un simple téléphone portable. Notre Wi-Fi est sécurisée, nos anti-virus sont actifs, mais il est probable que nous soyons moins protégés qu’on ne le croit. De savants algorithmes nous pistent dans la navigation sur internet, nul ne l’ignore. Tous nos appareils sont vulnérables, quelles que soient nos précautions.

Quant à la cybercriminalité, elle est multiforme, omniprésente sur les réseaux, si l’on en croit les experts en la matière. On pense au Darknet, qui permettrait certains "échanges" illégaux, de la vente d’armes aux opérations terroristes, entre autres. Mais un hacker quelque peu doué semble déjà en mesure de créer des systèmes presque indécelables. Jusqu’où peut-on exploiter les ressources de l’envahissante Intelligence Artificielle ? Entre commandes vocales et codages inextricables, pour ceux qui maîtrisent la chose, il paraît facile de lancer des opérations malfaisantes. Au niveau international, les autorités de chaque pays ne sont pas sans réagir, mais fatalement avec un temps de retard.

Les failles technologiques de l’informatique, tel est le contexte de ce roman, récompensé par le Prix du Quai des Orfèvres 2018. Néanmoins, la dimension humaine reste essentielle dans cette intrigue. À travers le personnage de l’enquêtrice principale, Isabelle, dont la vie personnelle est évoquée, mais aussi dans les motivations du criminel. Comme dans toute enquête, on finira par connaître les raisons profondes des coupables. Romancier confirmé, ayant par ailleurs cinq titres à son actif, Sylvain Forge n’oublie pas que le flic solitaire est un mythe, les policiers travaillant en équipe. Il a construit une histoire solide dotée d’une narration fluide, sur un thème complètement actuel.

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18 novembre 2017 6 18 /11 /novembre /2017 05:55

Les Éditions 10-18 proposent de redécouvrir une célèbre détective, Maud Silver, dans un recueil rassemblant ses trois premières enquêtes, de Patricia Wentworth (1878-1961). Coup d’œil sur “Le Masque gris”, où Miss Silver apparaît pour la première fois…

Suite à l’annulation de son mariage avec sa fiancée Margaret Langton, Charles Moray partit faire le tour du monde pendant quatre ans. En cette fin des années 1920, il est de retour à Londres. À sa grande surprise, il découvre qu’une réunion secrète se tient dans sa propre maison. Ces comploteurs sont dirigés par un homme mystérieux, le Masque Gris. Charles les a observés sans se montrer. Il avertirait la police si, parmi les conspirateurs, ne figurait son ex-fiancée Margaret. Le gardien de la demeure, Lattery, est incapable de donner une explication à Charles. Plus tard, par son ami Archie Millar, joyeux dilettante, il va apprendre que ces obscures manigances visent certainement une jeune fille, héritière d’une grosse fortune.

Âgée de dix-huit ans, vivant jusqu’alors en Suisse, la blonde Margot Standing revient à Londres après le décès de son riche père. Edward Standing s’est noyé en Méditerranée, en chutant de son yacht du côté de Majorque. Pour sa fille, il semble logique d’hériter de l’argent paternel, mais il se présente des complications. Car tout n’est pas clair dans la filiation, un flou entretenu de longue date par le défunt millionnaire. Faute de testament et de certificats, c’est au navrant neveu Egbert Standing que reviendrait l’héritage. D’autant que ce dernier produit une lettre de son oncle évoquant “la naissance irrégulière” de Margot Standing. De son côté, Charles Moray espère renouer avec Margaret Langton, qui ne paraît pas mariée, mais elle reste un peu distante.

Sur le conseil de l’ami Archie, Charles s’adresse à une détective privée afin d’obtenir des infos sur les individus s’étant réunis chez lui. Il faut bien qu’il fasse confiance à cette Maud Silver. Peut-être plus perspicace qu’elle ne semble, cette dame d’âge mur est une vieille fille qui reçoit sa clientèle en tricotant. C’est dans un simple cahier qu’elle note tous les éléments relatifs à l’enquête en cours, ses renseignements étant toujours fiables. Margot Standing a réalisé que son cousin Egbert lui voulait du mal. Aussi disparaît-elle, optant pour une fausse identité : Esther Brandon, un nom qui a peut-être rapport avec sa mère qu’elle n’a pas connue. Mal préparée à cette fuite, la jeune fille est bientôt retrouvée dans la rue, plutôt égarée, par Charles et Margaret.

Tandis que Margot Standing est hébergée chez Margaret, qui refuse d’avouer à son ex-fiancé son rôle dans la bande du Masque Gris, Charles suit les pistes envisagées par Miss Silver. Jaffrays, homme de confiance du défunt Edward Standing, et William Cole, employé au service du milliardaire, figurent en tête de liste. Pendant ce temps, Archie Millar fait la connaissance de Margot, chacun d’eux n’étant pas insensible à l’autre. Si elle ignore qui il est exactement, le Masque Gris est un puissant malfaiteur auquel Maud Silver a été confrontée plusieurs fois ces dernières années… 

Patricia Wentworth : Les premières enquêtes de Miss Silver (Éd.10-18, 2017)

Ils atteignirent bientôt Knightbridge, il faisait de nouveau sombre, les phares des voitures étaient à peine visibles et les bruits du trafic leur arrivaient étouffés par le brouillard. Avant de s’engager sur la chaussée, Charles s’arrêta un instant, mais Margaret n’hésita pas et continua de marcher droit devant elle. Aussi, quand le jeune homme voulut poursuivre sa route, il ne la revit plus : elle avait été happée par le brouillard.
Il se précipitait à sa recherche quand il entendit une voix rauque hurler : "Faites donc attention !" Au même instant, une voiture lui heurta violemment l’épaule avec son rétroviseur et ce fut avec un réel soulagement qu’il atteignit le terre-plein central […] Charles se demandait où il avait déjà vu ce costume bleu et ce cache-nez, lorsqu’une pensée traversa son cerveau comme un éclair : c’était dans le cabinet noir de Thorney Lane le soir où, dissimulé, il avait assisté, plein de curiosité et de colère, à l’étrange complot criminel ! Cet homme était le numéro 40, le gardien sourd qui ouvrait la porte aux visiteurs du Masque Gris.

Outre “Le Masque gris”, paru en 1928, ce recueil présente aussi “L’affaire est close” (1937) et “Le chemin de la falaise” (1939). Ces trois premières enquêtes de Maud Silver, détective imaginée avant Miss Marple d’Agatha Christie, baignent dans l’ambiance britannique de leur époque. Il faut souligner que l’écriture ne manque pas de style, avec des descriptions soignées et des dialogues qui font mouche. Même si les traducteurs d’autrefois avaient leurs mérites, ces romans bénéficient de traductions récentes, dans un langage plus souple et actuel. Ce qui met le texte en valeur, à l’évidence. Par sa méthode personnelle de travail, l’auteure innovait encore en présentant des chapitres courts, offrant un bon tempo au récit. Ce qui compense le fait que Maud Silver soit une dame paisible, résolvant les mystères sans trop quitter son confortable fauteuil. Des romans délicieusement énigmatiques, teintés d’un brin de romance, qui se lisent toujours avec grand plaisir.

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16 novembre 2017 4 16 /11 /novembre /2017 05:55

Toujours à l’affût d’infos sur les dysfonctionnements de notre époque, Léo Tanguy est un cyber-journaliste qui sillonne en priorité l’Ouest de la France. C’est ainsi que ce grand rouquin alimente son site internet, suivi par de nombreux abonnés. Cette fois, il se dirige vers la baie de Saint-Efflam, sur la côte nord de la Bretagne. Marc, un ami artiste peintre, y a été retrouvé mort. Certes, les paysages maritimes étaient le sujet préféré de Marc. Mais c’est dans une petite crique où croupissent de puantes algues vertes nocives, un cul-de-sac fangeux que le corps a été découvert. Émanations létales de gaz, ou résultat de la vie effectivement dissolue de Marc ? C’est Louise, l’ancienne compagne du défunt, qui a alerté Léo Tanguy. Toutefois, le journaliste ne peut pas lui accorder pleine confiance, car il n’ignore pas ses rancœurs envers Marc, à cause de la nouvelle copine de celui-ci, Janny.

Les enquêteurs tiennent un suspect, Alain. Il s’agit d’un militant écologiste "ultra". Même si Marc était aussi défenseur de l’environnement, ils avaient de nets désaccords. Une dose de violence pour dénoncer des situations néfastes à la nature, c’est discutable. D’ailleurs, il y a le cas de cette truie morte, échouée dans le secteur. Elle n’était pas "piégée", ainsi qu’on cru, mais ce peut être une action militante au crédit des écolos virulents. Ou pas, car il faut se méfier des manipulations, de quelque bord qu’elles viennent. Des employés de la société EuroPlages, proche du groupe SA March, nettoient les lieux après l’affaire de la truie. Léo Tanguy est méfiant concernant ces entreprises soi-disant vertueuses dans le domaine de l’écologie. En théorie, elles apportent du "mieux" pour les algues vertes, mais leurs pratiques sont-elles concrètement aussi saines qu’elles l’affichent ?

Léo se renseigne d’abord auprès du Ceva, Centre européen de valorisation des algues, non loin de là. Oui, leur exploitation est promise à un bel avenir, y compris pour remplacer un jour le pétrole, à condition de mener des projets solides. L’algoculture vaudrait mieux que le recyclage des algues vertes. Ce qui est la spécialité de la SA March. Léo s’informe de ce côté aussi. Communication positive, sans nul doute, mais laissant perplexe le journaliste. Selon eux, la mort de Marc n’est qu’une affaire privée, probablement causée par la jalousie d’une de ses compagnes. Il est vrai que l’univers de Janny est très particulier. La jeune femme est actuellement introuvable, pas sûr qu’il s’agisse d’une disparition volontaire. Cet ex-baroudeur qui rôde dans les parages mérite d’être soupçonné. Il est vraisemblable qu’il soit au service d’un commanditaire. L’enquête de Léo peut devenir assez dangereuse…

René Péron : La mort dans l’algue (Éd.La Gidouille, 2017)

Léo récolte le matériau qui lui sera nécessaire pour nourrir son prochain papier. Des images lui reviennent de l’agriculture bretonne d’antan. Surchargées de goémons de fond, des charrettes, qui ont creusé des ornières encore visibles dans le granit des rochers, n’existent plus que sur les cartes postales des boutiques de souvenirs.
Il se dit que c’est quand même un comble de voir les [chevaux de] traits bretons au travail, là, ramassant les immondices de l’agro-business. Ils seraient bien plus utiles employés au binage dans les champs d’artichauts, d’endives, de choux-fleurs, entre les rangs d’échalotes. Ou à promener les amoureux en calèche.

Héros d’une série de romans écrits par plusieurs auteurs, à l’instar du Poulpe initié par Jean-Bernard Pouy, le sympathique Léo Tanguy se penche ici sur un sujet très sensible. Les algues vertes, et leurs émanations de gaz mortel, on en parle ponctuellement dans les médias. Souvent pour montrer que de gros efforts sont consentis afin d’éliminer l’énorme tonnage de ces algues toxiques. Pour rappeler aussi que des gens, tel Thierry Morfoisse en 2009, sont décédés après intoxication au gaz H2S. Malgré l’évidence d’un problème de santé publique, les autorités veillent à tempérer les arguments de chacun. L’agriculture et l’élevage intensifs ne sont pas responsables de tous les maux, c’est sûr. Mais il serait vain de nier qu’ils contribuent très largement à cette pollution. Le ramassage et le recyclage des algues vertes sont bien réels, mais coûtent des fortunes à la collectivité.

L’agro-business suscite passions et controverses. René Péron en donne une excellente illustration, suite à l’article où Léo Tanguy interpelle les officiels et les protagonistes de la filière. Impossible de concilier une industrie nécessaire et des militantismes divers, qui s’écartent quelquefois du raisonnable. Néanmoins, face aux intérêts des uns et des autres, on ressent une lenteur dans les solutions mises en œuvre. Pourtant, c’est aussi souligné, les algues serviront à de multiples applications dans les décennies à venir, on le sait déjà. S’il s’agit d’un roman d’enquête à suspense, la thématique socio-économique captive tout autant dans cette intrigue documentée. Et suivre Léo Tanguy est toujours un plaisir.

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14 novembre 2017 2 14 /11 /novembre /2017 05:55

Rescapé d’Hiroshima, Mas Arai est un jardinier septuagénaire d'origine japonaise qui vit près de Los Angeles. Il est veuf depuis dix ans, sa fille Mari habite New York avec son mari hakujin Lloyd. Travaillant encore pour quelques clients, Mas reste proche du couple Lil et Tug Yamada, ainsi que de son vieil ami Haruo, qui s’est dégoté une petite amie appelée Spoon. Il fréquente des générations plus jeunes, tel l’avocat George Hasuike, surnommé G.I. Ce dernier vient de faire parler de lui. Une de ses relations a gagné le pactole à Las Vegas, un demi-million de dollars. Habitant Hawaï, ce Randy Yamashiro vient d’une famille originaire d’Okinawa. Pour célébrer ça, l’avocat a invité beaucoup de membre de la communauté nippo-américaine à une fête, dont Mas Arai.

Pour l’occasion, Randy Yamashiro n’est guère enthousiaste, constate le vieux jardinier. Il se produit même une altercation, dont Mas ignore les circonstances. Dans la soirée, Randy est assassiné avec une baïonnette, de celles qu’on utilisa au Vietnam. L’avocat pourrait fort bien être soupçonné. Sa compagne Juanita Gushiken est détective privé. Elle tient à enquêter sur le meurtre. George Hasuike demande à Mas de l’aider, car il a confiance en lui et connaît sa capacité à démêler des cas nébuleux. En outre, il parle japonais ; ce n’est pas le cas de Juanita, qui est d’une famille qui fut exilée au Pérou autrefois. Un shamisen gainé en peau de serpent, instrument de musique japonais, trouvé abîmé près du corps de Randy peut offrir une piste intéressante.

Ni le couple Yamada, ni Haruo et Spoon, n’ont rien remarqué de bizarre au cours de la fête de Randy. Très apprécié dans la communauté japonaise de Los Angeles, mais pas spécialement aimé par Mas, le juge Edwin Parker ne fait pas non plus un bon témoin. Plusieurs amis du vieux jardinier ont été victimes d’une escroquerie, mais Mas doit se concentrer sur le crime. Juanita et lui obtiennent des infos sur les particularités des îles d’Okinawa et sur les fameux shamisen – appelés sanshin là-bas. Kinjo, joueur de cet instrument, anima avec son fils la soirée festive. Il affirme que le shamisen près du cadavre est le sien, qu’on lui vola jadis. Par ailleurs, le frère de Randy est ici pour organiser les obsèques, mais son indifférence affichée agace un peu Mas.

Selon une dame âgée, qui ne se fait pas prier pour témoigner, Yamashiro n’est pas le véritable nom de famille de Randy et de son frère. Juanita doit remonter aux années 1950 pour vérifier que c’est exact. Mas et elle retrouvent même un témoin de cette époque, qui confirme. Bien que l’inspecteur de police Alo ne contrarie pas l’enquête de Mas, et que l’affaire d’escroquerie semble sans rapport, la situation pourrait devenir critique pour l’avocat et sa compagne…

Naomi Hirahara : Le shamisen en peau de serpent (L’Aube Noire, 2017)

Mas, lui, pouvait le comprendre. Il se souviendrait toujours des années cinquante. C’était la décennie pendant laquelle il avait acquis les outils essentiels à son métier : sa camionnette Ford et puis sa tondeuse Trimmer.
"Quand on possède quelque chose comme ça, on ne l’oublie jamais." Kinjo était revenu au japonais. "J’ai été frappé par un dorobo, un bon à rien de voleur. Ce sanshin m’appartient ; je peux le prouver." Il ouvrit un tiroir de la table basse et en sortit un paquet de photos. "Tenez".
Kinjo jeta sur la table un cliché en noir et blanc où on le voyait en compagnie de deux autres hommes japonais. Tous trois tenaient des shamisen dans leurs bras et posaient devant des baraquements recouverts de papier goudronné. Celui de Kinjo était le seul en peau de serpent ; les deux autres étaient faits d’une boîte à cookies et d’un moule à gâteau.

Après “La malédiction du jardinier kibei” et “Gasa-gasa girl”, cette troisième aventure de Mas Arai a été récompensée par le prestigieux Prix Edgar Allan Poe 2007. Voilà une distinction méritée, car cet opus est franchement réussi. Avec son pick-up Ford déglingué de 1956, le vieux jardinier nippo-américain est un personnage adorable. Il compte bon nombre d’amis, mais il n’entretient de relations avec eux que par la force des choses, presque par obligation. Bien qu’Américain, Mas est bien conscient que ses congénères et lui sont surtout des Asiatiques, malgré la réussite sociale de beaucoup d’entre eux. Mas a mené une vie ordinaire qui lui convenait parfaitement.

Quant à ses talents de détective amateur, il préférerait qu’on les oublie. Mais son regard sur les autres et sa double culture sont d’excellents atouts dans une enquête. Cette intrigue évoque l’archipel d’Okinawa, une partie du Japon qui se différencie du reste du pays. Cet endroit a développé un mélange culturel interne, avec autant de références chinoises que japonaises, et des coutumes propres à Okinawa. Il existe un lien assez direct avec les États-Unis, puisque les Américains l’occupèrent, établissant là-bas des bases militaires. En outre, à travers la famille de Juanita Gushiken, l’auteur revient sur les méandres de l’expatriation dont furent victimes certains Japonais.

Baignant dans une ambiance socio-culturelle spécifique, c’est une affaire criminelle qui sert évidemment de moteur à cette histoire. Mais Mas Arai n’est pas de ceux qui se précipitent pour désigner un coupable. C’est en approchant le contexte, en observant l’état d’esprit de plusieurs protagonistes, que se dessinent les explications. Un roman fort séduisant.

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12 novembre 2017 7 12 /11 /novembre /2017 05:55

Le boxeur Sonny Liston fut consacré champion du monde poids lourds le 25 septembre 1962, après avoir mis KO son adversaire au 1er round. S’il portait un nom britannique, il était héritier d’une lignée d’esclaves noirs. Ses origines confuses se situaient dans l’État du Mississippi, mais c’est en Arkansas qu’il naquit autour de 1930. Membre d’une famille de métayers, Charles "Sonny" Liston fut un enfant solitaire, renfermé. La dureté de son père y contribua certainement. Il était encore jeune quand il s’installa à Saint Louis (Missouri). Il fit partie d’un trio de délinquants noirs, qui furent bientôt arrêtés. En 1950, Liston fut mis en prison. On ne sait trop si c’est là qu’il fut surnommé Sonny, mais c’est ainsi qu’il débuta dans la boxe. Les témoins d’alors décrivent ce colosse tel “un mec immense au comportement puéril”, grand et plus fort que tous, mais avec des airs de gamin.

Dès sa sortie de prison, s’entraînant sur une musique rythmée de Jimmy Forrest, Sonny va très bientôt passer de l’amateurisme au statut professionnel. Inculte à tous points de vue, n’ayant aucune technique pugilistique, Sonny Liston est un cogneur, un puncheur. Sa force naturelle et ses grandes mains suffisent à mettre KO les adversaires. Rares seront ses échecs durant son début de carrière. Un boxeur efficace comme lui se fait rapidement remarquer. Par la presse, bien sûr, d’autant que son agent appartient à ce milieu. Mais surtout par les mafieux. Frankie Carbo, un parrain de Chicago, est en mesure d’influencer l’IBC, qui organise les grandes soirées de boxe. Blinky Palermo, son adjoint, gagnera la confiance de Sonny Liston. Malgré les inévitables rumeurs d’époque, il n’était sans doute pas nécessaire de truquer les combats lorsque Sonny était sur un ring.

Par contre, il est quasiment certain que le boxeur fut un employé de la mafia. Jusqu’en 1958, Sonny Liston participe à peu de combats, par manque d’adversaires à sa mesure, peut-être. Mais il écope de quatorze arrestations, ce qui attisera sa détestation des flics. Sa vie privée, en couple avec Geraldine, ne l’assagira guère davantage. Pendant ce temps, en coulisse, de multiples grenouillages sont destinés à l’accaparer, à en faire la propriété des cercles mafieux. En 1962, Sonny n’a rien perdu de sa capacité de frappe. Champion du monde des poids lourds, le boxeur transmet pourtant une image carrément négative. Il impressionne, sans être jamais populaire. Présenter dans la presse sa vie de famille, au calme à Denver, n’améliore pas sa réputation. Il reste le costaud noir irréductible, habitué à assommer sans pitié l’adversaire.

C’est un boxeur presque inconnu d’une vingtaine d’années qui, en 1964-65, annonce le déclin de Sonny Liston. Ce Cassius Clay mène une vie plus saine et possède une meilleure technique que lui. Certes, il combattra encore durant quelques années, mais c’en est fini du prestige, si mal récompensé par le public. Si Sonny Liston est alors plutôt riche, on ne peut pas dire que son existence soit équilibrée. Il est retrouvé mort à Las Vegas, fin 1970. Meurtre décidé par la mafia, ou overdose, il n’y aura jamais de réponse à cette question. Personne n’avait envie d’établir ses liens exacts et réels avec les mafieux…

Nick Tosches : Night train (Rivages/Noir, 2017)

Chasser les indésirables de la ville était un péché mignon du capitaine John Doherty, le boss. Il s’était déjà débarrassé de Barney Baker. Sonny éveillait chez Doherty une fureur incomparable. "Cinq poulets ont essayé d’arrêté Sonny. C’est pas des conneries. Ils ont cassé des matraques en noyer blanc rien qu’en frappant sur son crâne. Ils n’arrivaient pas à lui passer les menottes. C’est un monstre."
Une rumeur circula, disant que Doherty s’était chargé personnellement d’emmener Liston à la périphérie de la ville, avait pointé un flingue sur sa tempe et lui avait ordonné de décamper. La version de Sonny, même si elle est un peu moins mélodramatique, revient à peu près au même : "Ben, le commissaire, le capitaine Doherty, m’a dit en face que si je tenais à la vie, fallait que je quitte Saint Louis." Les mots que Doherty avait employés étaient : "Sinon on va te retrouver dans une ruelle." Leur signification ne faisait pas l’ombre d’un doute pour Sonny : "Il a dit que ses hommes feraient en sorte qu’on me retrouve dans la ruelle".

Cette réédition est une excellente initiative. Car la vie de Sonny Liston fut un vrai roman noir. Au 20e siècle, quelques-uns des grands noms de la boxe connurent des parcours chaotiques, mais celui de Sonny fut sûrement un des plus singuliers. Se contenter d’une biographie ordinaire et balisée, pourquoi pas ? Néanmoins, ça devient nettement plus excitant quand c’est Nick Tosches qui retrace les faits. Il s’est documenté sur tous les aspects, même éloignés, concernant le boxeur. Afin de faire comprendre au lecteur d’où venait cette hargne qui l’habitait. Sa violence sur le ring était l’expression d’un mal-être profondément inscrit en lui. Adrénaline également, dans ses actes de délinquant. Besoin de paraître toujours "le méchant" d’un jeu qui ne l’amusait pas vraiment, sans doute.

Cette biographie est le résultat d’une enquête pointue. Nick Tosches a, en quelque sorte, auditionné des témoins ayant rencontré Sonny Liston. Avant de confronter leur parole et celle du boxeur, à travers les interviews qu’il donna. Versions discordantes ou similaires, selon les cas. D’ailleurs, la légende ne commence-t-elle pas avec l’année de naissance de Sonny Liston ? Et son passage à la prison de Jefferson City en fait déjà un héros. L’auteur a raison de ne pas insister sur le sort des Afro-Américains en ce temps-là. Tout-un-chacun connaît déjà le contexte, et le rôle de militant impliqué ne conviendrait pas pour Sonny. En revanche, Nick Tosches s’introduit dans les arcanes de la mafia, essayant de décrypter les enjeux autour du boxeur. Cet hommage à Sonny Liston le mal-aimé est passionnant.

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10 novembre 2017 5 10 /11 /novembre /2017 05:55

Azucena Gobbi est responsable du service scientifique de la police de São Paulo (Brésil). Mariée à Luíz Sorengo, mère de deux fillettes, elle fait figure de chef de famille chez les Gobbi. Son père, passionné d’opéra, s’est affaibli en vieillissant, et sa mère affiche une froideur égoïste. Azucena a deux sœurs, dont l’une enceinte. La cadette, Giulia, étudiante en stage dans la police, va être à l’origine d’un sérieux problème. De retour de voyage, Azucena la trouve dans le lit de son époux. Tandis qu’elle va s’installer avec ses filles chez leurs parents, où vivent aussi ses sœurs, Azucena s’efforce de maîtriser avec fermeté la situation. La séparation d’avec Luíz Sorengo est actée, encore faut-il que le divorce lui soit favorable à elle. Quant à Giulia, mieux vaut qu’elle fasse profil bas.

Très séduisant, Fábbio Cássio est un acteur célèbre au Brésil, grâce à ses rôles dans les feuilletons de la télévision. Sa mère Olga se montre exagérément protectrice, parce que la gloire n’empêche pas une part de fragilité chez son fils. Notions qui échappent sans doute à Telma Salles, la tante de l’acteur. Jouer au théâtre dans une pièce de Drieu la Rochelle, tel est le défi que s’est fixé Fábbio Cássio. Conscient que c’est à l’opposé des prestations qui l’ont fait connaître, il est heureusement bien entouré par son metteur en scène Alfredo Marcos, et son producteur Cláudio Veríssimo. Reste le cas de sa compagne Cayanne, qu’il n’a pas épousé officiellement. Bien qu’elle soit fort excitante, Fábbio éprouve depuis peu un problème sexuel avec elle, alors qu’il fonctionne par ailleurs correctement.

Si elle ne possède ni talent ni culture, Cayanne entend bien accéder à la célébrité, elle aussi. Elle participe à un reality show, où elle se fait remarquer dès le début. Les conseils de Cláudio lui sont utiles, pour gommer la futilité de son personnage. Quand survient un drame, Cayanne risque d’être sur la sellette, frôlant l’exclusion de l’émission. En effet, lors de la scène finale de sa pièce, Fábbio Cássio s’est suicidé pour de vrai publiquement. Avec son adjoint Tenório, Azucena participe de près à l’enquête sur ce décès. Il apparaît vite qu’il s’agit bien d’un meurtre. À cause du nouveau chef de la police, trop aux ordres du Secrétariat à la Sécurité brésilien, la jeune femme craint que l’affaire prenne une tournure malvenue. D’autant que les médias mettent également la pression sur la police.

Certes, un homme vient s’accuser du crime, une piste qu’Azucena s’empresse de négliger, mais qui convient à sa hiérarchie. Des suspects, il en existe bien d’autres. Peut-être cette étudiante prostituée qui se fait appeler Melanie, dont Fábbio fut un client ? C’est plutôt parmi les proches de l’acteur qu’il faut concentrer les recherches. Et déterminer qui a commandé de vraies munitions pour l’arme à feu qui a été fatale à l’acteur. Est-il possible que Cayanne, lassée du malaise de son couple avec Fábbio, ait commandité le crime ? La nomination d’un nouveau chef de la police plus amical, Leandro Vargas, donne espoir à Azucena d’être mieux soutenue dans son enquête…

Patrícia Melo : Feu follet (Actes Noirs, 2017)

Accroupie près du corps, elle l’examine avec attention. Le garçon est jeune et a une blessure à la tempe droite, entourée de zones noircies de fumée, et des grains de poudre de combustion incrustés sur le visage. Néanmoins, elle parvient à entrevoir l’harmonie des traits, tandis qu’elle pense que mort et beauté forment un couple bien mal assorti. Le calibre de l’arme, qu’elle n’a pas encore analysé, doit être gros, peut-être 40 conclut-elle, sinon il n’aurait pas projeté des morceaux de cervelle vers le parterre. Assurément, il n’a pas appuyé l’arme sur la tempe, mais l’a maintenue à une distance raisonnable, de six à sept centimètres, ce qui explique les gros dégâts et le tatouage de poudre.
Comme tout assassin, il a des serres d’aigle. Mais elle n’est pas sûre qu’il s’agisse d’un suicide. Les suicidés mettent des années pour se donner le courage, et une bonne partie de ce temps est dédié à la recherche minutieuse de la meilleure façon de mourir. Tout est projeté de manière à éviter les erreurs.

Patrícia Melo entremêle avec finesse plusieurs facettes dans cette intrigue. Si l’enquête criminelle anime l’un des aspects de l’histoire, c’est probablement le regard sociétal qui attise l’intérêt chez le lecteur occidental. Mener des investigations dignes de ce nom sur un meurtre aux allures de suicide, pas simple pour la professionnelle Azucena. D’une part, son nouveau supérieur n’est pas fiable : “Elle sort du bureau en sachant qu’elle avance en terrain miné. Washington était un partenaire. La loyauté n’est pas le fort de Procópio”. D’autre part, l’assassinat d’une célébrité ajoute des handicaps, entre admirateurs de la victime, médias insistants, et proches dépassés par la situation. En outre, si São Paulo n’est pas aussi dangereuse que Rio-de-Janeiro, délinquance et criminalité y semblent en forte hausse. Un contexte qui relativise le côté "prioritaire" du meurtre de l’acteur.

À travers la crise familiale que doit également gérer Azucena, c’est encore un pan de la société brésilienne qui nous est décrit. La famille Gobbi appartient à la bonne société, ce sont des gens cultivés et volontaires. Pourtant, ceux-ci n’échappent pas aux problèmes courants nés de certains travers actuels. C’est chez leurs vieux parents que les trois sœurs se sont réfugiées, et la policière est bien obligée de garder son sang-froid afin que leurs problèmes n’empirent pas…

Et puis, au Brésil comme partout dans le monde, la nouvelle ambition de beaucoup de jeunes, c’est la célébrité. Aussi narcissique soit-il, l’acteur Fábbio Cássio a basé sa carrière sur sa compétence, son talent, pas seulement sur sa beauté. À l’inverse de sa compagne Cayanne, représentative de ces bimbos stupides, prêtes à tous les excès, toutes les compromissions pour une notoriété imméritée.

Par sa tonalité, Patrícia Melo associe une part sombre – Azucena est habituée à côtoyer la mort ; la pièce de Drieu la Rochelle évoque la dépression – avec des moments bien plus souriants – les états d’âme de Cayanne, en particulier. Par son aspect social, qui nous initie à l’ambiance de São Paulo, il s’agit d’un véritable roman noir, de très belle qualité.

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8 novembre 2017 3 08 /11 /novembre /2017 05:55

Keller est supposé être mort. Après avoir appris son métier de tueur à gages au service de Joey Rags, qu’il appelait le Vieil Homme, Keller devint l’un des meilleurs de la profession. New-yorkais d’origine, il exécuta ses cibles à travers les États-Unis, selon les cas que lui confiait son "agente", Dot. Du bon boulot, qui lui permit d’économiser un gros paquet de dollars sur un compte off-shore. Vu la tournure des événements, Dot et lui ont cessé leur activité. Elle s’est installée sous un faux nom en Arizona. Il est devenu Nicholas Edwards, vivant à La Nouvelle Orléans, avec sa compagne Julia et leur fille en bas âge, Jenny. Son associé Donny et lui se sont lancés dans la rénovation de maisons, fructueux artisanat après l’ouragan Katrina. L’économie américaine est fluctuante. La période faste a cédé la place à un certain marasme, réduisant fortement leur activité.

Par ailleurs, Keller est un philatéliste passionné. Il collectionne les timbres d’avant 1940, de divers pays du monde hors États-Unis. Un plaisir très coûteux, mais Keller a mis assez d’argent de côté pour s’y adonner. De nouvelles rentrées financières se présentent quand il est recontacté par Dot, qui s’ennuie dans sa vie bourgeoise à Sedona. Dans l’immédiat, Keller estime qu’il est trop tôt pour parler à Julia de cette facette de sa vie. Et puis, une mission à Dallas en marge d’une vente exceptionnelle de timbres, ça lui permet d’agir discrètement. Un mari voulant faire supprimer son épouse infidèle, dont il vit séparé, rien de très compliqué en apparence. Encore que dans un quartier huppé, Keller se ferait vite repérer s’il opérait ouvertement. Le maillon faible chez sa future victime, c’est l’employée de maison. Keller en profite, même si le résultat va s’avérer mitigé.

Un deuxième contrat ramène le tueur à gages dans sa ville natale, New York. Bien qu’il soit prudent et que les quartiers d’antan aient quelque peu changé, Keller sait qu’il risque d’y croiser d’anciennes relations. Y compris parmi les philatélistes. Quant à éliminer un homme d’Église véreux, aussi protégé dans son monastère que lorsqu’il en sort brièvement, l’affaire s’annonce complexe. D’autant que le père O’Herlihy possède une autorité naturelle qui trouble Keller. L’approcher par la ruse ne suffit pas pour réussir à le tuer, leur lieu de rendez-vous ne s’y prêtant guère. Invité dans un immeuble voisin du monastère, Keller envisage une solution pour s’y introduire. Néanmoins, il finit par entrevoir un moyen d’atteindre O’Herlihy, sans être sûr que ça provoque sa mort.

Ayant mis sa compagne Julia dans la confidence, d’autres missions attendent Keller. Une croisière en couple, au départ de Fort Lauderdale, n’est pas pour déplaire à Julia. La cible, car ce n’est pas seulement un voyage d’agrément, est un homme mûr et fortuné. Qui est accompagné de sa jeune épouse, très sexy, et d’un duo de gardes du corps costauds. À l’escale de Nassau, début des opérations… Le contrat suivant sera entre Denver, où Dot lui a désigné une cible, et la ville de Cheyenne, où la veuve d’un collectionneur de timbres a des merveilles à proposer. Un tri s’impose avant de négocier ce trésor impressionnant, au risque d’oublier d’exécuter sa mission… Il va devoir également se déplacer jusqu’à Buffalo, pour une affaire d’héritage autour de Mark, quatorze ans, philatéliste déjà assidu…

Lawrence Block : Tue-moi (Série Noire, 2017)

Il n’aurait jamais eu l’idée de chercher un monastère dans un tranquille quartier résidentiel des East Thirties de Manhattan. On ne s’attendait pas à voir un ordre monastique hébergé à Murray Hill, dans un bâtiment de cinq étages à la façade en calcaire. Et pourtant.
[…] Il était là ce bel homme. Tout comme il était là lorsqu’une équipe d’agents fédéraux est venue sonner à sa porte. (Si tant est qu’il y ait une sonnette. Keller remarqua un grand heurtoir en cuivre, et les fédéraux s’en étaient peut-être servis pour manifester leur présence). Keller aimait cette idée. Lorsqu’ils arrêtaient des dealers ils utilisaient un bélier et défonçaient la porte. En tout cas, c’était comme ça qu’ils faisaient à la télé et c’était impressionnant. Mais lorsqu’ils rendaient visite à un homme de Dieu, il était inutile de nuire à la tranquillité de l’endroit. Un discret coup de heurtoir devrait suffire.
C’est donc ce qu’ils ont fait, se dit Keller. Et il savait que leur venue n’avait pas été une surprise pour le père O’Herlihy, qui avait été prévenu par téléphone et était prêt à les recevoir, son avocat à ses côtés.

Les plus célèbres séries de romans de Lawrence Block ont pour héros des new-yorkais : le policier Matt Scudder, devenu détective privé sans licence, d’un côté ; et le libraire Bernie Rhodenbarr, as du cambriolage, de l’autre. Il est possible que l’on connaisse moins la série dédiée au tueur à gages Keller, qui ne compte que cinq titres écrits depuis 1998 (L’amour du métier, Le pouce de l’assassin, Le blues du tueur à gages, Keller en cavale, Tue-moi).

Certes, il s’agit d’un pro du crime, d’un assassin chevronné. Mais il n’est pas sans réfléchir à ses actes, pas uniquement au sujet du mode opératoire. Il déplaît à Keller de causer des dommages collatéraux, voire d’abattre certaines victimes visées. Aussi particulière soit-elle, il garde une sorte de morale. Dénuée d’aspect religieux, trait commun des principaux héros de Lawrence Block. Il arrive à Keller de profiter des circonstances, des réactions d’autres protagonistes, afin d’en tirer avantage. Capacité d’adaptation qui est son meilleur atout. Quant à sa "couverture", c’est la philatélie. Fin connaisseur en ce domaine, car les timbres rares ont une histoire, il ne cache pas que c’est une passion onéreuse. Plaisir de collectionner, et parfois fièvre d’acquérir des pièces circulant peu.

Les cinq missions qu’il effectue cette fois pourraient être lues telles des nouvelles. Étant un écrivain expérimenté — sa carrière couvre quelques décennies, Lawrence Block apporte une homogénéité à ces intrigues. Cette suite d’aventures se présente comme un roman, dont le pivot n’est autre que la famille de Keller : Julia et la craquante petite Jenny, qui s’intéresse aux "timbes" de papa. Comment ne pas apprécier la tonalité si personnelle des livres de Lawrence Block, qui reste un des maîtres du roman noir ?

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