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28 janvier 2017 6 28 /01 /janvier /2017 07:40

Le couple Asheton vivote à Albuquerque, au Nouveau-Mexique, en cette fin d’année 2001. Jamie est gardien de parking, tandis que son épouse Jackie est serveuse. Au petit matin, quand un duo armé se pointe en voiture dans son parking, Jamie réalise immédiatement que le passé est en train de le rattraper. Ils ont été engagés pour l’exécuter. Bien qu’il soit devenu grassouillet au fil du temps, Jamie réagit sans pitié, laissant derrière lui un mort et un blessé. Il est urgent qu’il retourne chez lui où Jackie est certainement en danger. Une complice black du duo de tueurs se trouve effectivement sur place. Une "fausse dure" qui ne fait pas longtemps le poids contre Jamie. L’essentiel pour le couple Asheton, c’est de fuir sans délai, car il se peut que d’autres tueurs rôdent dans les environs.

Alors qu’ils s’engagent dans le désert, Jackie ne cache pas son amertume. Jamie s’aperçoit qu’elle avait tout préparé pour s’en aller, avant que survienne le problème. Elle comptait le quitter, bien qu’il tienne toujours à elle. Le principal espoir de Jamie, c’est de retrouver Marty Bensley, leur contact du "programme de protection des témoins" depuis onze ans. À la fin de la décennie 1980, Damian Carlyle et Eva Bellini habitaient à New York. Damian était un homme plutôt séduisant, avec une certaine désinvolture plaisant aux femmes. En tant que receleur, il restait quelque peu en marge des milieux du banditisme. C’était le gang de Warren Smith qui, à cette époque, dominait la pègre new-yorkaise. Grâce à des opérations juteuses, l’argent facile coulait à flots, et Damian y contribuait.

Quand Warren obligea Damian à participer concrètement à leurs braquages violents, le receleur sut qu’il était temps d’arrêter. Y compris pour protéger sa femme Eva. C’est ainsi que le couple devint Jamie et Jackie Asheton, parti se faire oublier à l’autre bout des États-Unis… Maintenant, il leur faut de nouveau s’enfuir. Marty Bensley est injoignable par téléphone. Néanmoins, Jamie-Damian pense savoir où le trouver, à Los Angeles. Jackie-Eva préférerait se cacher dans la foule à Las Vegas. Du moins, peut-elle se séparer d’avec son conjoint en rejoignant à Bellemont sa mère, Liz Bellini. Même si celle-ci n’a jamais été d’une grande fiabilité. D’autres épreuves attendent le couple de fuyards, car Warren Smith n’a sûrement pas l’intention de les laisser en paix. En ces temps troublés succédant aux attentats du 11-Septembre, sur qui peuvent-ils compter ?…

Dominique Forma : Albuquerque (Éd.La Manufacture de Livres, 2017)

Mais Jamie est incapable de vivre sans elle. Aussi tordue que soit leur relation, elle reste son bâton d’appui, une canne qui ne demande qu’à rompre. Au moins, à se bagarrer, à s’engueuler, ils reprennent forme humaine et retrouvent une colonne vertébrale. C’est mieux que de rester amorphe. C’est la monotonie autant que la peur d’être retrouvés qui les ont élimés ; lui dans son parking, elle à servir des burgers à l’Atomic Cantina sur Gold Street. Quand on se bat pour survivre, c’est qu’il reste de l’espoir. Eux, ils n’en avaient plus. Ils roulaient à bas régime, mollement, d’une semaine à l’autre, la peur au ventre. Peur autour de laquelle on s’installe et on construit sa tanière pour survivre. L’attaque de ce matin a balayé le ronron. C’est simple : maintenant, il s’agit de ne pas mourir.

Ce court roman, court et vif, s’adresse en priorité aux lecteurs appréciant la mythologie américaine cultivée à travers les romans noirs et les films d’action traditionnels. Tueurs à gages au service d’un caïd mafieux de New York trahi par un de ses complices, direction la Route 66 pour regagner Los Angeles, flic inexistant quand on a besoin de lui… L’ambiance se base sur les codes éprouvés du genre. Dans la mesure où le rythme est mouvementé dès le début, on peut adhérer au récit. Les explications sur l’origine de l’affaire viennent en leur temps. Construction efficace, se voulant aussi percutante que possible.

L’autre thématique s’avère plus psychologique. Le couple ne se supporte plus, en grande partie à cause de la situation faussée dans laquelle ils se trouvent. Une mésentente assez comparable au "partage du magot" qui divise des complices dans d’autres histoires. On ne vit pas dans le banditisme – même si l’on a tenté de s’en éloigner – sans qu’apparaissent des complications, c’est évident. Il est plus aisé de répliquer froidement face aux tueurs, que de résoudre cet aspect personnel, sans doute. Les lecteurs de romans noir classiques seront satisfaits.

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27 janvier 2017 5 27 /01 /janvier /2017 05:55

Lisa Heslin et Daniel Magne forment un couple de policiers, aux relations assez houleuses. Suite à une précédente enquête agitée, la jeune femme enceinte s’est exilée en Suisse. Afin de calmer les effets de l’affaire en question, Magne préfère se faire oublier quelques temps en intégrant le commissariat de Hendaye, au Pays Basque. Malgré la réputation de Daniel Magne, son collègue local Denis Larralde a plutôt confiance en lui. Ce qui est sans doute moins vrai pour leur hiérarchie. C’est alors qu’un attentat est perpétré à Hendaye. Le train Irun-Paris venait de quitter la gare, quand une bombe placée à l’intérieur explose, causant dix-sept morts et une quarantaine de blessés. L’acte n’est revendiqué ni par des nostalgiques de l’ETA, ni par des terroristes islamistes.

Daniel Magne est présent lors de l’explosion. Rapidement, il se met en chasse d’un homme qu’il a remarqué. Le policier se trouve vite bloqué par le tueur qui a bien préparé son repli. Blessé, Magne est enlevé et séquestré par ce criminel, qui veut cruellement s’amuser avec lui plutôt que de l’éliminer tout de suite. Alertée, Lisa Heslin rejoint Paris sans tarder. On ne peut pas l’autoriser à aller enquêter sur place, vu sa grossesse. Mais son bienveillant collègue et ami Henri Walczak se propose de l’accompagner à Hendaye. Il ne pourra s’agir que d’investigations officieuses, Lisa et Henri l’admettent. C’est incognito qu’ils trouvent à se loger dans un monastère des environs. Tandis que Lisa entre en contact avec le policier Larralde, Henri déniche deux prostituées capables de dresser un portrait-robot du tueur.

Malmené par le criminel, enfermé dans une cave, probablement en montagne, Magne se remet un peu physiquement, mais sa situation apparaît sans issue. La police a découvert sur Internet une vidéo exhibitionniste de l’auteur de l’attentat d’Hendaye. Sa provocation en dit long sur son déséquilibre mental. L’explosif utilisé est du Semtex, que des experts estiment fabriqué il y a plus de trente ans. Même s’il a utilisé le stock dont il disposait, le tueur va très certainement récidiver. En consultant le web, les recettes pour concocter des bombes semblent aisées à suivre. Surtout quand on peut acheter impunément quelques produits chimiques pour l’agriculture. Entre Larralde et la bonde Jessica Lacour, de la brigade antiterroriste, la collaboration est autant professionnelle que personnelle.

Le "tueur de masse" espère que, le moment venu, l’Histoire retiendra son nom : Damian Iturzaeta. Ses motivations, il les raconte et elle seront un jour publiques. Il est issu d’une famille fort chaotique au sein de laquelle il fut longtemps dominé. Le déclic intervint quand il rencontra son unique ami, un handicapé surnommé Patxi. Il cultiva sa force musculaire. Son "projet" prit une autre dimension quand le hasard lui permit de croiser un gendarme espagnol, rencontre fatale pour ce dernier. Pour Damian Iturzaeta, pas d’idée régionaliste en cause, mais un plaisir grandissant de tuer. Y compris son propre frère Xabier, une fille trop désinvolte comme Lorraine ou simplement des postiers de passage. Sa dernière cible, il va préparer une énorme charge d’explosifs cachée dans un camion, pour l’atteindre.

Même si Daniel Magne parvenait à s’enfuir, même si Lisa, Henri et les policiers d’Hendaye découvraient la bonne piste, serait-il encore temps d’empêcher le tueur d’agir ?

Jacques Saussey : Ne prononcez jamais leurs noms (Éd.Toucan noir, 2017)

Mais c’est son regard qui m’a mis en alerte. L’instinct du flic. Ça ne s’explique pas. Pourquoi là, soudain, ai-je été brusquement convaincu que ce salopard venait de faire péter une bombe. Parce qu’il ne paniquait pas. C’était le seul. Parce qu’il tournait le dos à la fumée qui s’élevait dans l’air immobile au dessus de la ville. C’était le seul aussi. Parce qu’il s’est dégrouillé de grimper sur sa motocross et de se barrer de là, avant que je lui saute dessus.
Il n’avait pas prévu qu’il y aurait un flic à ses trousses, mais il avait quand même anticipé un service d’accueil, genre gros calibre, au cas où. Drôlement déterminé, le mec. Il a préféré me défourailler dessus loin des regards et des vidéos spontanées que font tous les apprentis vidéastes qui assistent en live à un accident ou à une catastrophe d’une telle ampleur. C’est un peu charognard, mais il faut reconnaître que ça nous permet souvent, à nous les flics, de regarder une scène sous un angle qu’on n’aurait jamais pu voir autrement.

Jacques Saussey est l’auteur de thrillers authentiques. Si l’on précise “à la française”, ça risque de sembler péjoratif, de fausser l’impression positive. Oui, c’est dans une région de France que se situe le décor de ce roman. Et quelle région ! Puisque le Pays Basque, forte de son identité spécifique, base arrière d’opposants au régime espagnol, fut longtemps agitée de soubresauts guerriers. On n’oublie pas ici de nous rappeler cet aspect historique, bien que la page soit tournée depuis de nombreuses années. Des séquelles, il en subsiste forcément, mais la stabilité y règne désormais. D’ailleurs, ce qui motive Damian Iturzaeta est sans lien direct avec le passé basque. Son "combat" est strictement personnel.

Un terroriste est, par définition, quelqu’un qui cherche à semer la peur, la terreur. C’est un qualificatif qui convient peut-être mieux que "tueur de masse", adopté pour désigner ceux qui firent un carnage, à Columbine ou ailleurs. Généralement marginal, le parcours de ces criminels a tourné à l’obsession meurtrière, tant soit peu suicidaire. Aucune idéologie ne leur est indispensable, en réalité… même si le nazillon d’Utoya s’est pris pour le Messie d’une nouvelle croisade… même si d’autres s’abritent derrière le Coran, qu’ils n’ont pas lu. Leur but est de passer à la postérité, de faire croire à leur héroïsme, à leur supériorité.

Tels des animaux enragés, c’est un instinct maléfique qui guide ces terroristes, sûrement pas leur intelligence. La ruse leur permet d’échapper aux soupçons, on le vérifie dans les "confidences" de Damian Iturzaeta. Le reste n’est qu’une détermination destructrice. Ils sont retournés au stade de l’animal. Ce thriller exploite avec une belle habileté tous les codes du genre, dans un récit variant harmonieusement les tonalités, entre péripéties mouvementées ou plus psychologiques et moments sombres. Très réussi.

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24 janvier 2017 2 24 /01 /janvier /2017 05:55

Au Danemark, Thomas est un policier en arrêt maladie. Il possède un appartement, mais préfère vivre avec son chien sur son voilier à quai, le Bianca, qui a besoin de réparations. Alcoolique et bagarreur, Thomas n’est pas prêt de réintégrer la police. C’est à la suite de la mort de sa compagne avocate Eva, que sa situation a dégénéré. Eva a été tuée chez eux par un cambrioleur, mais l’enquête des policiers danois n’a abouti à rien. Malgré son allure peu engageante, Thomas compte encore des amis. Il y a Eduardo, son voisin de quai, qui vit sur un ketch. Son collègue flic Mikkel, qui voudrait le voir redevenir sain. Le patron de bar Johnson, qui doit souvent se gendarmer contre Thomas. L’antiquaire Victoria, qui le supporte tant bien que mal. Preben Larsen, responsable du port, n’est qu’à demi sévère à l’égard de Thomas.

Johnson s’adresse à Thomas pour une mission délicate. Originaire de Lituanie, Nadja est sans nouvelle de sa fille de vingt-trois ans Masja. Bien que peu excité par une enquête, d’autant moins qu’il y a trois ans qu’elle ne répond plus, Thomas accepte de chercher des éléments sur Masja. Il comprend rapidement qu’elle se prostituait, ce que lui confirme son ami policier Mikkel. Il interroge Rosa, vieille connaissance qui dirige un refuge hébergeant d’ex-prostituées. Elle suggère que des mafieux russes sont sûrement derrière l’affaire. Igor, ancien mac de Masja, a tort de jouer au dédaigneux avec Thomas. Celui-ci le secoue et lui met la pression, afin qu’Igor avoue les raisons de la disparition de Masja. C’est bien à cause de lui, d’une dette de jeu énorme à rembourser, qu’à commencé l’enfer pour elle.

Trois ans plus tôt, la jeune femme fut cédée à une bande, qui la revendit bientôt au nommé Vladimir Slavros. Ce vétéran russe de la guerre de Tchétchénie s’est reconverti dans les trafics d’armes, de stupéfiants, et dans l’exploitation forcenée de la prostitution. Il s’est implanté en Suède. Bien que connu des services de police, Slavros réussit à passer à travers les mailles du filet. Avec Masja, il s’est affiché conciliant, mais les dures réalités ont rattrapé la prostituée. Les "taureaux", ses clients, c’est difficile mais supportable. La vie au club de Slavros, entre les sbires du caïd et les autres putes, devient oppressante. Elle consigne tout cela dans son cahier intime, au fil des ans. Masja a tenté de s’enfuir un jour avec une amie prostituée, mais ça a viré au drame. Et la police suédoise ne s’est pas montrée vraiment curieuse, s’agissant de mafia russe et de prostitution.

Thomas a recueilli ce qu’il pouvait comme informations sur Masja. La mère de celle-ci et le patron de bar Johnson l’incitent à aller la rechercher en Suède, même si rien ne prouve que Masja soit encore en vie. Sur place, Thomas contacte l’amical policier Karl Luger, qui le dirige vers Arkan, mafieux Turc emprisonné, ex-complice de Slavros. Toutefois, la police suédoise a fort à faire avec le cas d’un psychopathe momifiant des putes de l’Est. Il est vrai que celui-ci débuta adolescent son parcours criminel. L’Arizona Market est une zone de non-droit aux abords de Stockholm, où aurait peut-être échoué Masja. Dangereux pour Thomas de s’attaquer seul frontalement aux activités de Slavros !…

Michael Katz Krefeld : La peau des anges (Éd.Actes Noirs, 2017)

— En tous cas, je pense qu’on a très peu de chances de la retrouver maintenant. Elle fait désormais partie de la statistique.
— Quelle statistique ?
— Celle selon laquelle, chaque mois, cinq mille filles de l’Est franchissent les frontières de l’Union européenne dans l’espoir d’une vie meilleure. La plupart retournent chez elles au bout de quelques années, après avoir été exploitées jusqu’à l’épuisement, mais certaines disparaissent purement et simplement de la surface de la terre pendant leur séjour ici et on ne les revoit jamais…

Certes, Thomas Ravnscholdt n’est pas le premier flic dépressif sur la mauvaise pente, servant de héros dans des romans à suspense. Quand on sait que son sobriquet “Ravn” signifie “corbeau” en langue danoise, c’est symbolique de la noirceur néfaste et malsaine du personnage. Néanmoins, malgré sa marginalisation et sa part d’agressivité, Thomas nous apparaît plus honnête et sympathique qu’on pouvait le craindre de prime abord. La passivité de ses collègues policiers danois et scandinaves se concilie mal avec sa fougue, sa capacité à brusquer les enquêtes. C’est donc officieusement, sans plaisir, qu’il accepte de se renseigner sur une prostituée dont la disparition n’inquiète que la mère de celle-ci.

L’autre ligne principale de l’intrigue, c’est le sort de la jeune Masja. C’est "en immersion" dans la nébuleuse où elle s’est engluée que nous la suivons. Comment pourrait-elle aider ses compagnes d’infortune, alors qu’elle-même survit péniblement dans ces milieux ? Espoir ou avenir sont des mots bannis du vocabulaire des prostituées se trouvant sous la coupe de bandes mafieuses cruelles. On se demande si ces "mafias de l’Est" bénéficiant du trafic d’êtres humains sont tellement ciblées par les polices des pays en question, c’est un fait… En parallèle, l’auteur nous raconte comment le psychopathe suédois – auquel Thomas va aussi s’intéresser – en est arrivé à ses crimes monstrueux.

 

Il ne s’agit pas d’un roman d’investigation ou d’énigme, puisqu’on nous donne les clés des diverses situations. Par contre, c’est une histoire très riche par ses ambiances sombres, ses protagonistes avec chacun leur psychologie, sa part de violence, ses décors frisquets et, surtout, par le caractère (plus volontaire qu’il ne l’admet) de Thomas, au cœur de ce récit humain, désespérément humain.

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22 janvier 2017 7 22 /01 /janvier /2017 05:55

Le docteur John Watson nous a conté les enquêtes de Sherlock Holmes, offrant à ce grand détective une notoriété internationale sans égale. Toutefois, de nombreux autres écrivains ne se sont pas privés d’imaginer des aventures parodiques mettant en scène Holmes ou son créateur. Ami de Conan Doyle, James M.Barrie (l’auteur de Peter Pan) le pasticha dans quelques textes. Pendant “une soirée avec Sherlock Holmes” au manoir de Conan Doyle, l’invité va prouver qu’il est aussi brillant dans ses déductions que le célèbre détective. Flegmatique, Sherlock Holmes ? Plutôt susceptible, si on l’attaque sur son propre terrain.

Quant au détective privé Adrian Mulliner, fut-il le seul à se poser les bonnes questions au sujet d’Holmes ? Le colocataire du 221B Bakerstreet dilapida beaucoup d’argent pour des enquêtes lui rapportant fort peu. Il fallait être aussi candide que Watson pour ne pas comprendre qui était réellement son ami. Un très joli texte de P.G.Wodehouse… Qu’Holmes soit mort en Suisse voilà un certain temps, cela ne chagrine guère Watson. Le médecin a bénéficié d’une belle notoriété grâce à lui, tant mieux. Revenant à leur ancien logement, Watson retrouve une ambiance familière qui l’inciterait presque à se prendre pour le grand détective. Y a-t-il une chance pour que Sherlock Holmes réapparaisse un jour ?

La disparition d’Holmes, son enlèvement, l’intéressé lui-même n’y voit rien de dramatique, juste une aventure ne justifiant pas d’explication précise… Alors qu’ils voyagent ensemble jusqu’à Boston, aux États-Unis, Watson ne peut que s’extasier devant les éblouissantes facultés déductives du formidable Sherlock Holmes. Un professeur de Harvard semble tout autant estomaqué par le génie intellectuel du détective britannique. Aussi formidable que soit Holmes, leur visiteur va lui apprendre ce que signifie le pragmatisme américain… Pour le grand détective, toujours en Amérique, rien n’est plus évident comme indice qu’un cheveu. Ce qui, avec un brin d’observation, le mène sans problème jusqu’à l’assassin.

Vite baptisée par les journaux “le mystère de Pegram”, la mort d’un vieil agent de change londonien dans un train qu’il n’empruntait pas habituellement n’est pas une affaire si insoluble pour Charlot Keums (ou Sherlaw Kombs). En compagnie de Whatson, un petite reconstitution dans le fameux train suffit à entraîner des conclusions – erronées… À la veille de Noël, Conan Doyle et son éditeur ont certaines choses à partager dans le manoir isolé et sinistre de l’écrivain. Voilà qu’un intrus s’impose en la demeure, qu’ils sont bien obligés de recevoir quand même. Il sait tout des calculs du duo qui l’exploite. Mais Conan Doyle a déjà prévu la riposte pour se débarrasser de cet importun…

Les avatars de Sherlock Holmes (Éd.Rivages, 2017) – Inédit –

— Formidable, dis-je, mais comment saviez-vous que j’ai effectué un long voyage, en partie par bateau et en partie par le train, selon un trajet spécifique ?
— C’est la simplicité même, répliqua Holmes avec retenue. J’ai fait la traversée sur le vapeur avec vous. Quant au train, la suie qui subsiste dans vos oreilles et tache votre nez est identique à celle qui mouchette mon propre visage. Tenant la mienne du New Haven-Hartford, j’en déduis que la vôtre en vient aussi. En ce qui concerne le porteur de couleur, ils ne prennent que des porteurs de couleur sur ces trains, pour la simple raison que les effets de la poussière et de la suie se voient moins sur eux que sur des porteurs blancs. Le fait qu’il vous ait brossé est visible aux rayures grises sur votre veste blanche : les marques laissées par la brosse. Il y a aussi une empreinte de pouce sur votre poche de veste, celle dont vous avez extrait la seule pièce de monnaie en votre possession, une pièce de six pence.

Il est toujours plaisant de lire ou relire les authentiques tribulations et les raisonnements déductifs de Sherlock Holmes. Si le héros créé par Conan Doyle fut maintes fois parodié, ce fut généralement par des écrivains ne manquant pas de talent et d’humour. On éprouve donc également un grand plaisir à la lecture de ces pastiches. Les uns s’amusent à laisser entendre que le détective n’était pas si fortiche que ça, qu’un cerveau ordinaire suffisait à l’égaler. D’autres montrent le Dr Watson tel un benêt fasciné, écrivant n’importe quelle ânerie dictée par son colocataire. Certains ironisent même sur la relation entre Holmes et Watson, le premier méprisant peut-être le second. Mais tout cela nous est présenté avec le plus grand sourire, bien sûr ! Huit textes parodiques (il y en a d’autres à venir) pour une parenthèse de bonne humeur, en compagnie du plus illustre des détectives privés.

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21 janvier 2017 6 21 /01 /janvier /2017 05:55

Le jeune Franck vient de purger cinq ans de prison pour braquage à Gradignan. Jamais il n’a dénoncé son grand frère Fabien, complice dans cette affaire qui a rapporté un beau pactole. Contrairement à ce que pensait Franck, ce n’est pas Fabien qui l’attend à la sortie, mais la compagne de celui-ci, Jessica. Elle explique que son frère est parti pour quelques semaines en Espagne, à Valence, pour son bizness. Franck sera logé dans une caravane, chez la famille de Jessica. Ils habitent en bordure de forêt, du côté de Bazas et de Langon, dans la région bordelaise. Roland, le père, maquille des voitures volées pour Serge Weiss, un caïd gitan qui n’est pas du genre à plaisanter. Maryse, la mère, d’allure aussi âgée et vulgaire que Roland, passe son temps à picoler et à fumer, travaillant ponctuellement. Leur chien Goliath, un molosse inquiétant, rôde dans leur propriété.

Franck trouve Jessica très excitante. Si elle n’est pas tellement farouche, son caractère peut s’avérer changeant, nerveusement survolté. Elle a une fille âgée de huit ans, Rachel. Presque mutique, du moins peu causante, la gamine. Avec des réactions étranges, comme de se laisser couler dans la piscine familiale. Jessica semble l’adorer, mais peut se montrer brutale envers Rachel. Sans aller jusqu’à copiner, Franck parvient à apprivoiser la fillette. Ce qui l’embête, c’est que son frère reste injoignable au téléphone. Par prudence, estime Jessica, ce qui constitue une bonne raison. Franck a compris qu’il vaut mieux rester à l’écart du gitan Serge, qu’il voit tel un fauve cruel. S’étant acheté une voiture, il conduit Jessica à Biscarrosse, sur la côte. Mais bientôt la fête tourne mal pour tous les deux.

C’est le Serbe et sa bande qui ont violé la jeune femme et agressé Franck. Des trafiquants de drogue adeptes de la violence, des durs ne laissant rien passer. Après un bref retour chez ses parents, Jessica trouve refuge chez un de ses riches amis, Patrice Soler, mêlé lui aussi aux trafics de stupéfiants. Sûrement pas le meilleur moyen pour elle de retrouver un équilibre. S’il n’est pas tellement aguerri, Franck n’a pas tort de penser qu’il va dominer ce Soler, en débarquant chez lui avec une arme. Il récupère Jessica, qu’il ramène dans sa famille. Elle finit par lui avouer le problème : Fabien, elle et ses parents sont embringués dans un gros deal de drogue, pour lequel ils se sont endettés. Le Serbe et son gang sont de moins en moins patients, ce qui explique l’agression de Biscarrosse.

Franck reprend contact avec ses amis Nora et Lucas, parents d’un bébé de neuf mois. Si Nora aspire à une vie stable, Lucas vivote de petits jobs et autres combines. Quand Franck fait appel à lui pour lancer des représailles contre le Serbe, Lucas répond présent. Jessica les accompagne. Mais la baston mouvementée qui s’ensuit n’est pas sans conséquences. Faire appel à Serge le Gitan, comme le suggère le père de Jessica ? Franck a maintenant de bonnes raisons de vouloir régler ce conflit tout seul…

Hervé Le Corre : Prendre les loups pour des chiens (Éd.Rivages, 2017)

Il s’est allongé sur le lit dans une odeur de linge propre et il a fermé les yeux en pensant à Fabien et à la bringue qu’ils feraient à son retour avant de s’arracher d’ici et commencer à vivre vraiment. Et puis parce que cette baraque, avec ce chien monstrueux, cette fille qui avait l’air vraiment chaude, et cette petite quasi muette, lui semblait bizarre, bancale. Quelque chose dans l’air, comme un relent, la trace d’une ancienne puanteur qui empêchait parfois de respirer à fond. Rien à voir avec la prison. Il n’aurait pas su dire vraiment ce qu’il ressentait…

Le début de cette histoire ne prétend pas être original. Un type sortant de prison, c’est un des postulats les plus classiques du polar, une base qui peut dériver vers le tragique ou se décliner dans des intrigues plus légères. On se doute que le héros ne va pas sagement se résoudre à une tranquille réinsertion, résultat d’une maturité acquise en prison. Éviter les embrouilles, s’insérer socialement, ce n’est pas à la portée de la plupart des délinquants libérés. En s’installant chez la famille de la compagne de son frère absent, Franck ne peut que replonger dans un climat décalé. Là réside le point fort de ce roman : l’auteur nous présente avec réalisme des protagonistes assumant leur marginalité décomplexée.

Oui, ils existent bel et bien, ces gens vivant "hors système". Qu’ils traficotent de la drogue dans l’espoir de gros gains rapides, un bizness souvent moins rentable qu’ils ne l’ont cru, c’est plus que probable. Qu’ils maquillent des véhicules volés (à destination de pays de l’Est, mais aussi pour des clients bien Français), c’est une de leurs filières favorites. Qu’ils travaillent sur des chantiers du bâtiment au noir, et qu’ils appliquent toutes les ressources possibles de l’économie parallèle, c’est certain. Il n’est question que de fortes sommes, de dizaines de milliers d’Euros, de transactions hyper-lucratives, quand on les écoute. Dans les faits, ces minables vivotent chichement, glanant un peu de fric de-ci, de-là. Ce qu’ils n’admettront jamais, évidemment. Tel est le monde que décrit ici admirablement l’auteur. Un microcosme où, logiquement, la violence finit toujours par s’imposer.

Le personnage de Jessica incarne toute l’instabilité de cet univers-là. Élève intelligente et déjà effrontée, elle se prit dès l’adolescence pour une "presque adulte" et ne cessa plus de faire n’importe quoi, d’agir à sa guise. Le contexte familial s’y prêtait, ce que ses parents ne mesurent même pas. La seule qui puisse – éventuellement – être encore sauvée, c’est la petite Rachel, la fille de Jessica. Au-delà d’un scénario agité de péripéties, c’est une ambiance malsaine, crue, menaçante, et même "animale" par les comportements, que nous fait partager Hervé Le Corre dans “Prendre les loups pour des chiens”. Un roman noir de très belle qualité, dense et implacable, dans la meilleure veine de ce genre littéraire.

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20 janvier 2017 5 20 /01 /janvier /2017 05:55

D’avance, l’année électorale 2017 s’annonçait compliquée. Même si le lien ne paraissait qu’indirect, le suicide de Christian Dumas – président de la commission des comptes de campagne – marquait le début d’une période funeste. Pour les Présidentielles, la candidate de la droite Hélène Cassard talonna le président sortant, sans le détrôner. La carrière de cette politicienne de cinquante-cinq ans plaidait pour son sérieux, mais le président réélu s’affichait comme garant des institutions, à défaut d’être un brillant chef de l’État. Face au fonctionnement bureaucratique de l’Europe, envers lequel les Français restaient méfiants, le président symbolisait un certain équilibre. Toutefois, les inévitables élections législatives changèrent diamétralement la donne, car la gauche présidentielle n’y fut pas majoritaire.

La cohabitation entre un gouvernement de droite et un président de gauche, ça fonctionne en France. Du moins, cela permet-il de gérer le pays aussi correctement que possible. D’autant que, désormais, toute la classe politique se réclame du général de Gaulle, ce qui lisse les différences idéologiques. Cette fois, à l’issue des Législatives, il faut compter avec l’extrême droite, le Rassemblement national. Le parti de Laurence Varennes, héritière des idéaux xénophobes de son père, a fait élire soixante-sept députés. Grâce à un "ravalement de façade" trompeur et avec de gros moyens financiers, les populistes ne peuvent plus être vraiment écartés. Évidemment, Laurence Varennes ne sera pas premier ministre, mais son parti peut revendiquer plusieurs postes au gouvernement.

C’est à Hélène Cassard qu’échoit logiquement la fonction de premier ministre. Néanmoins, le président se réserve la nomination du ministre des finances. Pour ne pas effrayer les instances européennes, il faut que ce soit un homme chevronné qui s’en charge. Banquier proche des politiciens, Antoine Fertel est tout indiqué. Dans son équipe, il y aura Daniel Caradet, un vieux de la vieille des milieux financiers, ainsi qu’Angélique Dumas. La jeune femme n’est autre que la fille de Christian Dumas, suicidé quelques semaines plus tôt, avec lequel elle avait coupé les ponts de longue date. Un référendum sur l’Europe et la monnaie européenne, ça ne coûte rien de l’évoquer, mais le président est conscient qu’il vaut mieux l’éviter. Pour le reste, il espère bien qu’Hélène Cassard échouera rapidement.

Dans les cercles occultes du pouvoir, sévit le septuagénaire François Belmont, tel un rusé marionnettiste. Fils de collabo, partisan d’une France passéiste traditionnelle, opposé autant à l’Europe qu’aux doctrines libérales économiquement et moralement, il fut jadis un ami de Christian Dumas. Belmont flirta avec le mouvement réactionnaire Occident. Depuis quelques années, il est le conseiller spécial d’Hélène Cassard. Il a contribué à sa montée en puissance, notamment en levant des fonds, même si celle-ci a pas toujours strictement suivi ses avis. Dans le climat tendu qui règne à la tête de l’État, entre le Rassemblement national hostile à l’Europe et son parti de droite qui a besoin de l’Union Européenne, entre Bercy et l’Élysée, rien ne sera aisé pour Hélène Cassard, manipulée par Belmont…

Thomas Bronnec : En pays conquis (Série Noire, 2017)

Assis derrière son bureau en chêne massif, [Antoine Fertel] examine les notes rédigées par ses collaborateurs pendant le week-end. L’un d’eux a cru bon d’écrire sur les résultats de l’élection, comme s’il avait besoin de ça. L’analyse est simple : les gens se laissent séduire par ceux qui leur disent ceux qu’ils veulent entendre, ceux qui leur affirment que rien n’est leur faute, et qui leur mentent comme on ment à des enfants pour les rassurer. Tout est de la faute des étrangers, de l’Europe, de l’Euro, des élites, de la finance… C’est tellement facile de ne pas se cogner à la réalité, d’être dans ces discours qui n’engagent à rien […] Il pense à cet édifice auquel il a apporté sa part et qui en en train de vaciller par la faute des gens qui, eux, n’ont jamais rien fait de leur vie à part prospérer sur les imperfections du système.

Une fiction ne prétend pas refléter exactement la réalité. D’autant moins dans un monde qui paraît en perpétuelle évolution, tels nos cercles politiques. Dans ce roman, le postulat ne correspond pas précisément avec la situation que nous connaissons. Malgré tout, une part non négligeable concerne les complaisances envers le parti d’extrême droite, qui lui ont permis d’apparaître crédible aux yeux d’un électorat. Surtout, on sait qu’en politique, il existe des "constantes". La toute première, c’est la position de la France sur l’échiquier international, qui ne doit pas régresser. Et puis, nos politiciens sont encadrés de conseillers censés leur donner les meilleurs clés pour gouverner, les bonnes options pour se tromper le moins possible. Là, on met le doigt sur une grosse faille du système.

Généralement, ces conseillers sont plus attachés à des lobbies (financiers, agricoles, ou pharmaceutiques, par exemple) que fidèles au service de la population et aux intérêts de l’État. Parfois, il s’agit de calculateurs ne défendant que leur conception idéologique. C’est le cas de François Belmont, dans cette histoire. Son portrait est bien celui des revanchards qui s’appliquent depuis des décennies à nier le présent, tout en clamant leur patriotisme. L’auteur nous initie quelque peu aux arcanes du pouvoir, une façon de rappeler qu’il est impossible de dévoiler ces vérités pour nos dirigeants. L’essentiel de l’intrigue se passe dans la semaine qui suit les élections législatives, avec les secousses chaotiques et les manigances que ça suppose.

Il n’y a pas de démocratie parfaite, mais encore moins de miracle à espérer, pourrait-on conclure après la lecture de ce roman. Aucun scrutin n’est sans conséquences, ce que l’on vérifie ici à travers les enjeux politico-économiques. Ne pas jouer aux apprentis sorciers afin de ne faire sombrer le pays, seul idéal devant guider autant les citoyens électeurs que les politiciens. Cette intrigue de Thomas Bronnec nous invite à y réfléchir.

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18 janvier 2017 3 18 /01 /janvier /2017 05:55

Paris, 1944. Jérôme est le fils du policier retraité Louis Dracéna, ex-patron de la Brigade Mondaine. S’il a débuté dans la police criminelle, au côté de son ami Jacques Perrégaux, Jérôme Dracéna a préféré s’installer comme détective privé. Il vivote de ce métier, mais ça lui a permis de devenir l’ami d’Arletty, de côtoyer les milieux mondains de l’Occupation, et d’approcher la Gestapo française d’Henri Lafont, rue Lauriston. En ce mois de mars, rien n’est encore acquis, mais la libération de la France se précise. Jacques Perrégaux engage son ami Jérôme dans son réseau de la Résistance. Sa première mission consiste à abattre un truand mouillé dans la bande de Lafont. Avec son copain boxeur Marcel, il va s’occuper d’un maître-chanteur qui espérait rançonner un diplomate suisse. Quant à travailler pour d’autres amis d’Arletty, tel le virulent collabo Robert Le Vigan, Jérôme s’y refuse.

Une effroyable affaire criminelle fait l’actualité. Au 21 rue Le Sueur, les pompiers venus éteindre un début d’incendie ont découvert un charnier, dénombrant au moins vingt-sept victimes. Cette adresse est celle d’un médecin, le docteur Marcel Petiot. Le commissaire Massu et son équipe (dont Jacques) sont chargés de l’enquête. En fuite, le nommé Petiot s’est peut-être réfugié dans sa famille à Auxerre. On retrouve là-bas beaucoup d’objets volés à ses victimes, mais pas de trace du médecin. Le pedigree de Petiot, perpétuel magouilleur mentalement dérangé, aurait dû entraîner des suspicions, pourtant. Il nargue la police, restant introuvable. On sait que le truand Adrien le Basque confia son butin au docteur, pour financer son exfiltration vers l’Amérique latine : Jacques voudrait dénicher cette partie du magot de Petiot, afin que cela serve à la Résistance.

Repérer Loulou, le frère du Basque, n’est pas facile, à moins de passer par la pute Sonia. C’est au bar Le Tango que Jérôme tient sa meilleure piste : Nacho Anduren fut un des rabatteurs envoyant des clients juifs à Marcel Petiot. Si le patron du bar paraît coopératif, Jérôme n’ignore pas prendre des risques avec ce genre d’individus. D’ailleurs, un ancien complice du Basque se manifeste à cette occasion, cherchant lui aussi le butin. Quand le frère Loulou est finalement rattrapé, Jérôme et Marcel placent à l’abri le fameux magot. Devant se cacher, le détective s’installe chez son amie Lita, danseuse de cabaret. Il est mis en contact avec un Résistant inattendu de Neuilly, le comte de Rochelongue. C’est un oncle par alliance de l’actrice Florence Préville, amie intime de Jérôme, dont le père est un collaborateur de Pétain. La cave du comte permet de stocker le butin du Basque.

Émule de Fantomas, le docteur Petiot fait toujours planer son ombre sur Paris. Jérôme va découvrir des documents lui appartenant, en particulier un récit de son voyage à Berlin. C’est ainsi que Jérôme fait le lien avec Mara Tchernycheff, comtesse et mannequin connue à Paris. Il sympathise bientôt avec le fougueux Pierre Brasseur, qui lui présente un couple de banquiers juifs qui a besoin des services de Jérôme. Entre-temps, la Libération de Paris change la donne pour les miliciens, la Gestapo de Lafont, et quelques artistes que Jérôme a pu rencontrer. Pour en finir avec Petiot, il faudra ne pas manquer de courage…

Jean-Pierre de Lucovich : Satan habite au 21 (Éd.10-18, 2017)

— Mais toi, dit Martial, tu n’es plus flic, en quoi est-ce que Petiot t’intéresse autant ?
— Parce qu’il me le faut, Martial. Je me suis trouvé une fois face à face avec lui. J’étais attaché sur une table d’opération sans savoir si j’allais mourir ou être torturé. J’ai entendu le discours d’un fou dangereux dont les morts de la rue Le Sueur ne sont que le début d’un "grand projet", selon les propres mots de Petiot. Si j’étais raisonnable, je laisserais tomber, mais ça m’est impossible, il m’obsède. Il joue avec moi au chat et à la souris. C’est comme si j’étais sur un ring en face d’un adversaire insaisissable qui n’hésitera pas à employer tous les moyens pour m’éliminer, et pourtant je continue. Le mystère, c’est : pourquoi ne l’a-t-il pas fait jusqu’à présent…

Avant tout, il est sans doute utile de préciser qu’il ne s’agit ni d’une biographie de Marcel Petiot, ni d’un énième livre sur l’affaire criminelle en question. Le sujet a été traité ailleurs, et tel n’est pas l’objectif de Jean-Pierre de Lucovich. Il s’agit d’un roman d’aventure, où le sinistre Docteur Petiot tient une place significative, certes. Pour autant, l’essentiel, c’est l’évocation du contexte à Paris, de mars 1944 à la Libération de la capitale. Le monde du spectacle n’est pas si loin de celui des truands, et la cruelle bande d’Henri Lafont observe l’évolution de la situation. Dans la police, si quelques-uns sont d’authentiques résistants, il convient de se méfier des purs collabos, prêts à dénoncer les patriotes. Les arcanes de la Résistance réservent parfois des bonnes surprises, autant que des moments nettement plus compliqués à surmonter.

Après “Occupe-toi d’Arletty !”, on retrouve avec grand plaisir l’intrépide Jérôme Dracéna, volontiers séducteur, toujours proche de la gouailleuse et impertinente Arletty. Parmi les artistes n’ayant peur de rien, on nous offre également un joyeux portrait de Pierre Brasseur, buveur invétéré. Ce Paris de la 2e Guerre Mondiale, c’est surtout un mélange improbable de personnages, s’acoquinant sans complexe. Voilà ce qui alimente les multiples rebondissements de cette histoire, dans laquelle il convient de s’immerger afin d’en apprécier tous les aspects. Une reconstitution de l’époque extrêmement vivante, où prime l’action. Un excellent suspense dans la meilleure tradition !

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17 janvier 2017 2 17 /01 /janvier /2017 05:55

Éternel Sherlock Holmes ! Champion de la déduction et de l’analyse, à l’affût du moindre indice confirmant son raisonnement, n’établissant d’hypothèses que si elle répondent à la logique ! Le "plus grand détective du monde" n’a guère d’estime pour les enquêteurs de Scotland Yard, et réciproquement. Avec une clarté flegmatique, il explique si facilement le chemin qui mène à la résolution d’un mystère. Merci à son ami le Dr John Watson de nous avoir si brillamment raconté ses aventures, ses exploits. Toutefois, le médecin n’est pas le seul qui, depuis environ cent trente ans, nous a narré des épisodes de la vie de Sherlock Holmes. Face au succès du héros créé par Conan Doyle, bon nombre d’auteurs se sont amusés à le parodier avec drôlerie, à pasticher ses enquêtes.

Rebaptisé Herlock Sholmès, Sherlaw Kombs, Oilock Combs, Hemlock Jones, Shamrock Jolnes, Picklock Oles, assisté par un docteur Whatson, Whatsup, Potson, ou Spotson, c’est toujours l’unique Sherlock Holmes qui est le héros de nouvelles inspirées de Conan Doyle. Son esprit perpétuellement en éveil et sa compétence spectaculaire le conduisent d’Angleterre aux États-Unis, et jusqu’à Prague. Il existe une version pleine de saveur où, enquêtant sur le meurtre d’un jeune homme dans la cathédrale de Canterbury, Shirley Holmes et Joan Watson ne sont autres que les filles du célèbre duo. Étonnante aventure encore quand Sherlock devient Shadrock Cholmes, avec le Dr Hamish Vasser, explorant le parler yiddish des Juifs new-yorkais.

Écrits de 1892 à 2012, les textes rassemblés dans “Le détective détraqué” sont présentés chronologiquement. Les premières histoires, contemporaines de Conan Doyle, misent sur l’humour, montrant un Sherlock aux déductions plutôt erronées, fantaisistes. Confrontant le détective londonien à son Arsène Lupin, c’est avec davantage de subtilité que Maurice Leblanc traite l’image de Herlock Sholmès. Les plus récentes versions, de Jacques Fortier ou Bernard Oudin, respectent aussi ce caractère authentique et énigmatique. Le texte de René Réouven présenté joue sur le personnage de Moriarty, génie du crime ou non. On sourira franchement en lisant, dans la nouvelle “Épinglé au mur”, des lettres adressées à Sherlock Holmes, imaginées par Peter G.Ashman.

Le détective détraqué – ou les mésaventures de Sherlock Holmes (Éd.Baker Street, 2017)

Dans cette sélection, le plus émouvant des textes n’est pas une fiction. En 1916, l’écrivain aventurier Jack London va mourir quelques mois plus tard, à quarante ans. Il raconte ses souvenirs marquants, faisant le parallèle avec la vie et l’œuvre de Conan Doyle. Ils ne se sont jamais rencontrés de leur vivant, malgré les efforts en ce sens de Jack London. Leurs parcours possédaient pourtant des similitudes. Largement autodidacte, l’Américain s’était dès l’enfance nourri des livres de Conan Doyle. Il s’en servira : “Dans une de mes aventures de Smoke Bellew, le scorbut fait de nombreuses victimes et l’on a besoin de pommes de terres crues. Or un homme a volé toutes les pommes de terre. Le seul qui ne soit pas malade, pense Bellew, qui déclare à son ami : "Je te l’ai toujours dit, Shorty. Trop peu de connaissances littéraires est un vrai handicap, même dans le Klondike". Eh bien, ils ont retrouvé leurs patates en utilisant le stratagème employé par Sherlock Holmes dans "Un scandale en Bohème". Ils mettent le feu à la maison du voleur. Holmes avait remarqué que, lorsqu’une femme voit sa maison brûler, elle se précipité à l’intérieur pour récupérer ce qu’elle a de plus précieux. Le voleur fonce chez lui et sauve ses pommes de terre.” Un portrait-croisé de haute qualité littéraire.

Aussi austère que paraisse Conan Doyle dans les portraits que l’on a de lui, il sut faire preuve de dérision en écrivant “La kermesse du terrain de cricket”, s’auto-parodiant avec malice. Son ami James Barrie (l’auteur de "Peter Pan") est également enjoué quand sa nouvelle évoque leur collaboration peu réussie. Bernard Oudin, lui, s’inspire d’une actualité des années récentes, impliquant une personnalité célèbre, pour la base d’une intrigue qui sera plutôt irlandaise. Quant à Frederic Dorr Steele, illustrateur américain des aventures de Sherlock Holmes, il se met en scène de façon tragi-comique. À ce propos, notons que ces vingt textes sont ponctués d’illustrations holmésiennes signées Scott Bond, Leonid Koslov et Vlou. Elles contribuent à l’ambiance du recueil, bien sûr.

À l’évidence, c’est un hommage à Conan Doyle qu’ont rendu tous ceux qui ont imité Sherlock Holmes. Ce recueil de nouvelles parodiques s’avère une excellente initiative.

Watson, bien entendu, tombe des nues. Et Holmes de s’écrier aussitôt : "Voilà bien le côté génial, miraculeux de l’affaire : cet homme règne sur Londres, et personne n’a entendu parler de lui !" N’est-ce pas un peu facile comme postulat, monsieur le rédacteur en chef ? Les gens de bonne foi apprécieront. Bref, selon Holmes, le Pr Moriarty est le Napoléon du crime, le chef occulte de toute la pègre britannique. Invisible, omnipotent, il tire toutes les ficelles de la délinquance, grande, moyenne, petite. Il en récolte, bien entendu, tous les bénéfices. Il était donc fatal qu’une confrontation survînt avec le Wellington de la justice : j’ai nommé Sherlock Holmes. Exaspéré par les obstacles mis sur sa route par ce dernier, le Pr Moriarty décide de le supprimer. Il le fait par des procédés artisanaux, voire primaire, qu’on a du mal à croire sortis d’un si brillant cerveau…
[René Réouven]

- "Le détective détraqué" est disponible dès le 19 janvier 2017 -

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