Gordon Ferris : Les justiciers de Glasgow (Éd.Points)
Écosse, été 1946. Homme mûr, Douglas Brodie vient d'être engagé comme reporter à la Gazette de Glasgow. Policier avant la guerre, il fut sous-officier dans la 51e Division des Highlands. Avec la blonde avocate Samantha Campbell, ils ont besoin de se remettre d'un cas dramatique récent, qui leur a valu quelques mésaventures. Le meurtre spectaculaire d'Alec Morton, élu local chargé des finances, c'est son expérimenté collègue journaliste Wullie McAllister qui va enquêter là-dessus. Les budgets pour la reconstruction de Glasgow doivent attirer toutes sortes de margoulins. La corruption toucherait-elle les élites, ou bien Morton a-t-il voulu y faire obstruction ? Wullie cherchera tous azimuts des infos secrètes.
Douglas Brodie est contacté par un certain "Ismaël", afin que Samantha Campbell défende un ancien soldat de son unité vivant dans la misère, ayant commis un méfait. L'avocate parvient à limiter la peine de prison, mais l'ex-militaire condamné se suicide bientôt. Parmi les faits divers, Douglas note quelques graves agressions ressemblant à des règlements de comptes. Ces actes sont vite revendiqués par Les Marshals de Glasgow, justiciers signant soit en coupant un bout de doigt, soit en laissant une marque infamante sur les victimes. Douglas recense dix-neuf hommes attaqués par ces commandos masqués. Ceux qui sont visés semblent être des coupables trop légèrement sanctionnés par la justice.
Ça donne matière à des articles qui intéressent le public, quelle que soit l'amoralité de ces agressions. Douglas est convaincu que le fameux "Ismaël" est l'organisateur de ces actes. Sans approuver, il admet que l'iniquité des juges peut entraîner de telles réactions. Et ce n'est pas avec l'inspecteur-chef Sangster que la police fera correctement son métier. Le reporter a davantage confiance dans l'honnête sergent Duncan Todd. Glanant çà et là des indices, Douglas s'installe dans la grande maison de Samantha, même s'ils ne sont pas prêts à entamer une relation intime. Peut-être menacée par Les Marshals de Glasgow, la mère de Douglas va un temps séjourner avec eux. Agressé chez lui, en famille, un avocat est hospitalisé dans un état très sérieux. Douglas ne se prive pas de provoquer par ses articles les justiciers autoproclamés. Le reporter devra clarifier ses rapports avec "Ismaël" s'il veut espérer comprendre ce qui se passe actuellement dans cette ville…
Gordon Ferris nous plonge directement dans l'ambiance et les lieux de l'époque : c'est donc avec un vrai plaisir que l'on s'installe durablement dans la lecture de cet excellent roman noir. L'action criminelle est présente tout au long du récit. Avec tout ce que l'on peut soupçonner de corruption d'un côté. Il est probable que, en Écosse comme dans toute l'Europe, la reconstruction ait occasionné maintes malversations. Certes, ces chantiers ont donné du travail au peuple, mais ont surtout engraissé honteusement de sales combinards. D'autre part, l'auteur retrace les comportements revanchards, incitations à la délation qui ciblent des gens jugés avec trop de clémence. Avec le risque de sérieux dérapages malsains. Même si, au départ, on s'interroge sur le bien-fondé de ces actes, on réalise bientôt leurs excès. Y compris sous couvert de citations bibliques, la haine n'amène que la haine… Tout un contexte, décrit avec une belle souplesse narrative, qui rend fascinante cette sombre histoire.
Martha Grimes : Vertigo 42 (Ed.Pocket)
Le commissaire Jury, de Scotland Yard, est contacté par Tom Williamson. Riche héritier de son épouse Tess, décédée seize ans plus tôt, il n'a jamais cru en la version officielle de sa mort, par accident. Elle aimait séjourner dans leur propriété du Devon. C'est là qu'elle fit une chute dans l'escalier extérieur. Malgré ses vertiges, l'endroit lui était connu. Suicide ou meurtre, Williamson voudrait être fixé, car il pourrait s'agir d'une vengeance. Six ans auparavant, Tess avait invité un groupe d'enfants dans la propriété. On déplora la mort de la petite Hilda, dix ans. Il faudra retrouver les témoins d'époque, les plus lointains faits remontant donc à plus de vingt années. À Exeter, non loin du domaine Williamson, le policier Brian McCalvie garde un souvenir sentimental de la très séduisante Tess, digne d'une héroïne d'un roman de Thomas Hardy. Avec Jury, ils visitent la demeure désertée.
Dans le même temps, Richard Jury fait des passages chez son ami aristocrate Melrose Plant. Les habitants amicaux du village voisin, à une heure de Londres, ont coutume de l'y voir séjourner. On découvre le cadavre d'une jeune femme, Belle Syms, qui a chuté d'une tour pittoresque des environs. Là encore, suicide ou meurtre sont plus probables qu'un banal accident. Belle Syms étant vêtue d'une tenue chic, on peut penser à un rendez-vous amoureux clandestin. D'ailleurs, au pub le Blue Parrot et au modeste hôtel du village, on a remarqué cette personne et son supposé mari. Ami des chiens, le commissaire Jury s'est intéressé, peu avant que soit trouvé le corps, à une bête en divagation. Ce Stanley (c'est le nom sur sa plaque) appartient sûrement au compagnon de Belle Syms. Toutefois, cette histoire recèle des apparences qui font penser à un célèbre film classique, selon Jury. L’enquête est lancée pour lui et son adjoint le sergent Wiggins.
Bien sûr, Martha Grimes fait allusion ici au film "Vertigo", d'Alfred Hitchcock (en français "Sueurs froides", adaptation du suspense de Boileau-Narcejac "D'entre les morts"). Entrer dans l'univers concocté par Martha Grimes, c'est admettre par avance que l'on ne va pas brusquer les choses. Logique, car les mystères auxquels on est confronté sont riches en complexité, en pistes à suivre, en hypothèses même improbables. Jury sera un peu plus déstabilisé quand il découvrira des combats de chiens, dans une cage d'ascenseur et dans une cave sinistre. Néanmoins, il conserve un certain flegme et fait fonctionner son cerveau. Le sergent Wiggins mène sa part d'investigations, tandis que le noble Melrose Plant apporte (avec son entourage) quelques sourires au récit. Dans l'ambiance british, une toute nouvelle aventure de Richard Jury, à déguster.
Andrea Camilleri : Jeu de miroirs (Ed.Pocket)
Alors, que se passa-t-il du côté de Vigàta, en Sicile ? Il y a qu'à Marinella, là où habite le commissaire Salvo Montalbano, s'installèrent depuis cinq mois de nouveaux voisins. Pas tellement le mari, Adriano Lombardo, quarante-cinq ans, vendeur exclusif d'une marque d'informatique. Lui, il est fantomatiquement absent. Sa femme Liliana, la belle brune de trente-cinq ans, est employée dans un magasin de vêtements à Montelusa. Voilà qu'elle a de sérieux tracassins, qu'on lui a saboté le moteur de sa voiture. Peut-être la vengeance d'un malfaisant qui la harcela au "tiliphone" ? Car des amants, Salvo Montalbano est sûr qu'elle en aurait plusieurs. Dont Arturo Tallarita, jeune collègue de travail de Liliana.
Salvo est flatté de véhiculer la jeune femme en panne, oui. Mais il ne se laisse plus trop embobeliner par les séductrices genre femmes fatales. Quand en public Liliana fait comme s'ils étaient intimement proches, quand elle joue sur leur voisinage pour l'exciter avant de l'inviter chez elle, le commissaire a des raisons à la circonspection. Surtout qu'il a trouvé la preuve qu'Arturo la rejoint chez elle la nuit. Tout ça promet un drôle de pastis ! Même jusqu'à des cameramen de la télé qui essaieront de filmer les ébats avortés de Salvo avec Liliana. Pas dupes, avec son fidèle Fazio, ils ont prévu la parade. Puis brusquement, Arturo disparaît, et bientôt Liliana pareillement. Sûrement qu'il y a un rapport direct avec une autre affaire en cours, aussi incompréhensible. Là, c'est une bombinette qui explosa devant un commerce vide d'une rue peu fréquentée de Vigàta. Pas trop de dégâts, mais ça signifie quoi ? Une pression de la Mafia en rapport avec des habitants de l'immeuble contigu ? L’embrouille est plus compliquée que ça, Montalbano n’en doute pas…
Si l'intrigue est aussi tortueuse et mystérieuse que les précédentes dans la série consacrée à Montalbano, Andrea Camilleri "besogne" autant sur le langage. Merci au traducteur de nous offrir ces nuances qui participent à notre plaisir, de conforter ainsi une ambiance qui nous devient familière. Ce qui nous fait sourire quand il s'agit de certaines descriptions, de dialogues ou des approximations de l'agent Catarella. Argumenter, faire l'éloge d'un roman d'Andrea Camilleri ? Ce n'est probablement pas indispensable. Préciser qu'on adhère vite à l'univers du commissaire ? Ce serait également superflu. Dès que l'on a goûté au récit des tribulations savoureuses de Montalbano, on les déguste toujours avec une infinie délectation.
Marco Vichi : Une sale affaire (Éd.10-18)
Le commissaire Bordelli est un policier célibataire âgé de cinquante-quatre ans, en poste à Florence. Il est assisté par le jeune Piras, dix-neuf ans, originaire de Sardaigne, un enquêteur intuitif et cultivé. Durant la guerre, dans le bataillon San Marco, le père de Piras fut le plus proche ami de Bordelli. Époque tumultueuse à laquelle il repense souvent. Le commissaire se veut bienveillant envers les gens modestes, même les petits délinquants. C'est pourquoi il déteste effectuer ces rafles décidées par son supérieur. Il respecte la compétence du septuagénaire Diotivede, le médecin légiste. En privé, Bordelli s'offre des pauses amicales chez la mûre prostituée Rosa, apprécie les bons plats de son restaurant habituel. À son âge, le policier craint de finir sa vie sans trouver une nouvelle compagne.
En ce mois d'avril 1964, le nain Casimiro est retrouvé assassiné, son corps étant caché à son domicile dans une grande valise. Peu avant il avait attiré l'attention du commissaire sur une villa de la région, appartenant au baron allemand von Hauser. Seule la gouvernante revêche semble habiter là, en l'absence du propriétaire. Il est probable que Casimiro ait été supprimé près de ladite villa. Selon le légiste Diotivede, on l'a empoisonné avec du cyanure conditionné selon une ancienne formule. Il trouve aussi trace d'alcool, peut-être bien du cognac De Maricourt, une marque naguère réputée. Retournant de nuit aux alentours de la villa, Bordelli est agressé par un inconnu. Une toute autre affaire sinistre préoccupe depuis quelques jours le policier.
La petite Valentina a été étranglée dans un parc de la ville. La fillette porte des traces de morsures. Quand Bordelli interroge la jeune mère hospitalisée, il n'obtient guère d'indices utiles. Puis un autre crime est commis dans un autre parc de Florence. Âgée de cinq ans, Sara Bini a échappé un instant à la surveillance de sa grand-mère. Le mode opératoire est le même que pour Valentina. Une femme témoin accuse un nommé Simone Fantini, vingt-cinq ans. Bien que Bordelli et Piras ne le croient pas coupable, ils font une enquête de voisinage. Ils font la connaissance de Sonia, une séduisante Sicilienne dont Piras tombe amoureux. Un avis de recherche contre Simone Fantini, mais Bordelli explore aussi une autre piste…
Ancien combattant, le policier Bordelli est un homme d'expérience empreint d'un réel humanisme. En ces années 1960, le petit banditisme n'est qu'un moyen de survivre au quotidien pour certains de ses compatriotes, il en est conscient. Par contre, lui qui a été durablement marqué par ses années de guerre, il tente de réprimer les crimes avec efficacité. D'autant qu'il s'agit dans cette affaire de meurtres odieux, l'assassin s'attaquant à des petites filles. S'il circule dans une Coccinelle, il garde une part de méfiance contre les Allemands, naguère alliés du fascisme. Cette sombre intrigue criminelle est heureusement éclairée par des moments plus tendres et tranquilles, auprès de l'amie de cœur Rosa ou dans sa trattoria préférée. Ce deuxième titre de Marco Vichi nous présente encore une fois un suspense impeccable, raconté dans la vraie tradition du roman policier. Excellent !