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6 décembre 2017 3 06 /12 /décembre /2017 05:55

En Hongrie, de nos jours. C’est un lycéen de seize ans vivant avec sa mère, qui garde un air amorphe, ne s’occupant guère de ce qu’il fait. Nageur de très bon niveau, il participe à l’équipe scolaire de natation, entraînée par le féroce Dédé. Par ailleurs, il passe l’essentiel de son temps libre avec ses copains. Dans le petit groupe, c’est Greg Kovács qui apparaît comme le leader. Logique car il a toujours une voiture à disposition, sachant que sa famille est fortunée. Personne ne sait trop quel est le business du père de Greg, souvent absent. Le lycéen trouve très excitante la mère de son copain : “C’est vrai qu’elle s’est fait faire des seins énormes. J’arrive pas à en détacher le regard… Elle est pas fâchée, elle me sourit avec ses yeux un peu défoncés.” Il y a aussi la Bouée, dont le frère possède un certain pouvoir, et le timoré Dany – ami d’enfance du lycéen.

Quand ils sèchent les cours, c’est souvent chez Greg qu’ils se réunissent, avec des copines pas farouches : les sœurs Vicky et Nicky. Outre le top des jeux vidéos, on trouve chez Greg une très large collection de films pornographiques. Ça alimente les fantasmes de ces adolescents sur les femmes mûres. Fellations et petits jeux sexuels avec les filles de leur âge, c’est déjà pas mal, mais ils imaginent mieux avec des femmes dignes de ce nom. Et puis Greg a un fournisseur de drogue extra : Mitch est une sorte de dealer rasta, profitant sans états d’âme du fric dépensé par Greg. D’ailleurs, il circule pas mal de dope autour du lycéen. Y compris lors des compétitions de natation, quand l’entraîneur Dédé utilise un cocktail de médicaments pour exciter leur testostérone.

Leur autre "terrain de jeu", c’est la piscine thermale. Ils y batifolent aussi avec les filles, font des compètes d’apnée, se disputent ou s’amusent dans le sauna. On les voit encore au Rhinocéros Blanc, un club des environs, où l’ambiance est parfois à l’énervement. Pour ce qui est du lycée, c’est rien que des pédés et des connards, estime l’adolescent. Fumer des pétards et jouer avec les meufs, voilà la vie d’un vrai mec comme lui. Il déplore que son pote Dany n’en profite pas à fond, y compris côté filles. Il n’y a qu’en compétition de natation que le petit groupe se tient à carreau. Parce que Dédé a la gueulante facile, mais surtout afin de prouver qu’ils sont des champions. Le relais 4x200, il suffit d’un rien pour être sanctionné par les arbitres, ça s’est déjà produit.

Une nuit, ils ont eu un accident en voiture, renversant un vieux cycliste. Presque, ils ont préféré penser que c’était comme s’il s’agissait d’un sanglier. Malgré tout, le lycéen sent davantage de tension entre eux, d’autant que Dany reste toujours plus en retrait. Quand Greg manipule un flingue chez lui, ça cause un peu de dégâts, aux conséquences limitées. Certaines nuits, le lycéen se retrouve seul sous la pluie, errant dans la ville déserte. Il ne trouve rien de mieux que de casser une vitrine, pour passer le temps. Ou parce qu’à force de consommer de l’herbe, ça agit sur son cerveau. Faire gaffe, il y a quand même des flics autour d’eux. Et sans doute qu’au final, un dérapage mortel est à craindre…

Benedek Totth : Comme des rats morts (Actes Noirs, 2017)

Je me place de manière à pouvoir intervenir au cas où. La prise de bec habituelle. C’est rare qu’elle dégénère en bagarre, mais il vaut mieux être vigilant. Greg remet ça sur le tapis, heureusement la Bouée ne se laisse pas entraîner. Il écoute les conneries de Greg avec un visage impassible et nie catégoriquement avoir nagé plus loin pour échapper à sa vue. Il sait très bien que Greg peut devenir dangereux quand il perd les pédales, et il fait hyper-gaffe de pas le provoquer. Sa technique s’avère payante, l’autre finit par piger qu’il peut s’exciter autant qu’il veut, il y aura pas de deuxième round. Plus personne a envie de jouer. À la fin bien sûr, il balance à la Bouée que son frère au moins, c’est pas un pédé aux couilles molles comme lui. Par chance, Dany sort des vestiaires à ce moment-là, et la Bouée en profite pour faire semblant d’avoir rien entendu. Je vois très bien qu’il se retient, parce qu’il a la tronche qui rougit.

Il n’y a pas de raison qu’en Hongrie, les adolescents du 21e siècle soient moins perturbés qu’ailleurs dans le monde. Ceux présentés par Benedek Totth sont-ils représentatifs de la jeunesse de son pays ? Du moins, il en existe sûrement dans ce genre-là, qui s’éclatent sans se poser de questions. Qui n’affichent que mépris pour leur environnement : des cons et des pédales, des petites putes, des costauds faciles à contrer, et des familles quasi-inexistantes. La liberté inclut de tuer un cycliste par accident, ou de sortir des armes pour provoquer ceux qui leur déplaisent. On en oublie même les classes sociales, bien que Greg et la Bouée soient issus de milieux beaucoup plus friqués que Dany et le narrateur.

L’histoire de ce quatuor d’ados est plutôt trash, disons-le. À part leurs résultats sportifs, ce qui impose une part de rigueur, aucun respect des règles à attendre d’eux. Leurs jeunes amies ne sont que des objets sexuels. Ils tenteraient volontiers des femmes plus âgées, mais ça reste de l’ordre de la masturbation. Casser, à l’occasion, ou cogner sur d’autres mecs, ça défoule. En réalité, ces lycéens sont des gugusses assez pitoyables. Raison pour laquelle l’auteur fait globalement preuve d’ironie à leur égard. Pas d’humour hilarant, mais il suggère le ridicule ou la frustration, qui sont autant d’impasses ou d’échecs pour ses jeunes héros qui se prennent pour des durs. La finesse, la tendresse, pas leur sujet.

Même si la mort en fait partie, ce n’est pas strictement une intrigue criminelle. Un portrait sociétal qui répond plus exactement à l’esprit du roman noir. Une étape adolescente riche en excès qui conditionnera l’avenir de ces jeunes ? Peut-être, mais seul le présent importe encore pour eux. Et c’est diablement bien décrit par Benedek Totth. Excellent !

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5 décembre 2017 2 05 /12 /décembre /2017 05:55

En Grèce, au début du 20e siècle. Âgé de vingt-trois ans, Nikos Molochanthis se présente comme étudiant. En vérité, ce blond fluet au teint pâle se contente de dilapider l'héritage de son père à Athènes. Il fait la fête avec différentes bandes d'amis, qui voient en lui un généreux mécène. Nikos apprécie le jeune Stéphanos, et la sœur de celui, Phrosso, dont il est vaguement épris. Pour lui qui adore les films policiers et les romans à suspense, la fiction est plus excitante que le quotidien. “Dans cet univers empli de chimères, il rêvait de se signaler et de se couvrir de gloire, de la même façon que les jeunes gens de son âge ambitionnent de se distinguer dans le monde réel. Ainsi, les frontières entre la fiction et la réalité s'étaient quelque peu brouillées dans son esprit...”

Un crime a été commis dans le quartier athénien de Psychiko. On a retrouvé dans un petit ravin le cadavre d'une jeune femme poignardée, grossièrement masqué par des pierres. Il s'agirait d'une belle aristocrate, dont on ignore l'identité. Le vol n'apparaît pas le mobile du crime. Les journaux évoquent l'affaire, à grands renforts d'hypothèses hasardeuses. De criantes zones d'ombres persistent, néanmoins. Les autorités promettent une arrestation rapide, mais l'enquête s'enlise vite. Pour accéder à la gloire, Nikos envisage d'endosser le crime. Projet chimérique auquel souscrit son ami Stéphanos qui, afin de le disculper, sera là pour produire un alibi le moment venu. Au final, il ne court pas grand risque.

Nikos bâtit le scénario de la soirée du meurtre, crée des pièces à conviction contre lui-même, donne procuration à Stéphanos pour qu'il gère sa fortune durant son incarcération. L'arrestation de Nikos se produit quasiment par hasard. Les journaux accablent bientôt le suspect, la presse étant ravie de relancer l'affaire de Psychiko. Nikos a prévu de bonnes photos à leur transmettre. Le voilà mis au cachot : en présence de cette mauviette, ses codétenus endurcis ne manquent pas d'ironiser. Niant le crime, n'expliquant rien du tout, Nikos devient aussitôt la star de la prison, avec des journalistes venant l'interviewer, et une flopée d'admiratrices empressées de le complimenter. Membre de la haute-société athénienne, Lina Aréani entreprend de sauver Nikos avec l'aide de cinq amies…

Paul Nirvanas : Psychiko (Éd.10-18, 2017)

Il aurait beau avouer son rôle dans cette farce macabre, personne ne le croirait. Le couteau sanguinolent et la veste couverte de taches rouges que les enquêteurs avaient trouvés dans sa malle suffisaient en effet à établir sa culpabilité. Et, bien sûr, personne ne pourrait croire que quelqu'un, même fou ou déséquilibré, fut capable d'inventer ce type de canular tragique. Tôt ou tard, l’ordonnance de renvoi serait prise, ouvrant la voie au procès de Nikos. Un procès où il serait seul contre le monde entier et où aucun témoin ne se présenterait pour le défendre. Que pouvait-il en découler sinon, assurément, une condamnation ? En raison des descriptions terrifiantes des journaux, son crime – même imaginaire – lui avait valu l’inimitié de la société entière, d’autant que Nikos était un homme instruit.

Ce “Psychiko” est une véritable curiosité, à plus d'un titre. Il fut publié en 1928, époque où la littérature policière est inexistante en Grèce. La criminalité d'alors dans ce pays, ce sont des "crimes d'honneur" où le mari trompé abat l'épouse, et des bandits récidivistes rattrapés après quelques méfaits. Imaginer des meurtres organisés selon un plan précis, une machination assassine, ça ne correspond sans doute plus à l'esprit grec. Si “Œdipe roi” de Sophocle figure depuis 1994 au catalogue de la Série Noire, le présent roman est très certainement à classer parmi les pionniers du genre en Grèce.

Deuxième aspect plus qu'intéressant : la mégalomanie teintée de naïveté du personnage central. Pour devenir un "héros", il est prêt à endurer une situation périlleuse. Pendant un temps, du moins, à la condition incertaine d'en profiter de son vivant, donc de s'en sortir. Un cas psychiatrique entre Nietzsche et Freud, allusif à Oscar Wilde et Thomas de Quincey (“De l'assassinat considéré comme l'un des Beaux-Arts”). Si les maladies mentales ont été beaucoup exploitées dans le polar dès la fin du 20e siècle, c'était moins habituel en 1928.

Il convient également de souligner le regard de l'auteur sur la bonne société hellénique, avec des langues de vipères semant le venin de la calomnie, et sur les journaux toujours friands de spectaculaire, accusateurs non sans parti pris. Enfin, atout essentiel destiné à provoquer la complicité du lecteur, c'est sur le ton de la comédie que cette aventure nous est racontée. Un roman vraiment original.

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4 décembre 2017 1 04 /12 /décembre /2017 05:55

À la résidence pour personnes âgées Les Lilas, le décès d’Odette Leuliez peut passer pour un simple accident. La vieille dame a fait une chute brutale, et s’est fracturée le crâne. Mis à part qu’elle n’aurait pas dû se trouver en pleine nuit à cet endroit. La policière Céleste Alvarez est chargée d’éclaircir cette mort suspecte. Elle sera bientôt rejointe par son ami et collègue Manu. Céleste recueille les témoignages, celui de l’aide-soignante de nuit, de la directrice Mme Chardonne. Elle se rend chez la famille Pierret, rencontrant la filleule de la défunte. Céleste demande encore l’avis du médecin traitant et du kiné d’Odette Leuliez. Tous connaissaient le côté geignard et la gourmandise de cette dame, adorant le sucré, mais elle ne se déplaçait qu’avec difficulté. En revanche, Céleste a quelque difficulté à obtenir des renseignements auprès de la voisine de chambre, Colette Wensby.

En effet, cette dernière vit davantage dans le passé, se remémorant des souvenirs. Il est vrai que son parcours ne fut pas du tout ordinaire. Colette était la fille de René Colson, un résistant aux fortes convictions communistes, et de son épouse Jeannette. Elle avait une vingtaine d’années quand mourut son jumeau Pierre. En 1966, René l’envoya séjourner chez un ami américain, qu’il connut durant la guerre, dans un ranch du Nevada. C’est là que, l’année suivante, Colette et Robert Hamilton devinrent intimes. Vivant çà et là de petits jobs, "Rob" était en route vers l’eldorado californien. Ayant volé 5000 dollars dans le coffre du ranch, le couple s’enfuit. En 1968, ils logèrent à Los Angeles, puis s’installèrent à San Francisco. Sans dilapider trop vite leur pactole, Rob commettait de petits larcins, pour le compte d’un receleur attitré. Que Colette soit enceinte les perturbaient peu.

Par contre, deux problèmes se posent alors. D’une part, Rob est appelé par l’Armée pour faire la guerre au Vietnam. D’autre part, il se produit une embrouille meurtrière impliquant son receleur, la mafia risquant de se venger sur Rob. La frontière canadienne est la plus proche, même s’il faut des complices pour la franchir. Ensuite, il faudra traverser tout le pays d’Ouest en Est, sacré périple en voiture pour le couple. Arrivés à Québec, trouver un embarquement pour l’Europe n’est pas sans amener d’autres complications. Envisager une nouvelle vie en France, ça ne peut se faire qu’avec l’aide de René, le père de Colette.

Les policiers s’aperçoivent que l’identité de Mme Wensby, qui fut longtemps libraire, est douteuse. Et que, même si ça ne suscita pas d’enquête sérieuse, la mort de René Colson fut criminelle. Face aux singularités comportementales de Colette, Céleste Alvarez doit essayer de l’apprivoiser. La vieille dame ayant souvent rusé au cours de son existence, pas si facile d’obtenir des confidences fiables. Elle évoque le passé de façon décousue, mais Céleste est patiente. Si Colette a bien eu un fils, Philip, ni Rob ni elle n’étaient des parents dans l’âme. Pour Céleste, comprendre le personnage de Colette n’est-il pas suffisant ?…

Patrick Cargnelutti : Peace and death (Éd.Jigal, 2017)

— C’est tout de même étrange, lieutenant, l’interpelle soudain la technicienne. Il n’y a qu’une seule série d’empreintes sur les poignées de la porte. J’ai fait l’intérieur et l’extérieur, même résultat. C’est pourtant un lieu de passage ici. Tout le personnel y circule obligatoirement plusieurs fois par jour. Il y en a des multitudes sur la rampe, le mur, mais sur la clenche, celles d’une seule et unique personne.
— Et je suis prête à parier que ce sont celles de l’aide-soignante qui a découvert le corps, réplique Céleste. Elle est encore là-haut. Vous pourriez vérifier tout de suite, que nous en soyons assurées ? Cela signifierait évidemment que la poignée a été essuyée par quelqu’un qui ne voulait pas que nous trouvions ses traces.

Ne nous trompons pas de lecture. Il ne s’agit pas d’un roman policier dont l’enquête serait le moteur. Certes, la lieutenant Céleste Alvarez cherche des éléments, examine les faits et l’environnement de la victime. Mais les clés de l’affaire figurent dans l’autre ligne de ce roman, parallèle aux investigations. C’est en plongeant dans la mémoire de l’héroïne de tribulations exceptionnelles, que l’histoire trouve sa force. Il y a le parcours de ses parents et de son frère, causes de ses décisions. Et nous voici vers la fin de la décennie 1960, au temps du "Flower Power". À une époque dont le slogan majeur était Peace and Love. Belle utopie, cet espoir que la Paix et l’Amour allaient révolutionner notre société.

Partir à l’aventure dans l’esprit de Jack Kerouac, d’Allen Ginsberg, de la Beat Generation, sur des chansons de Bob Dylan, de Jefferson Airplane ou de Buffalo Springfield ? Une idée de liberté guidait celles et ceux qui empruntèrent cette voie. Pourtant, dans certains cas, ce n’était probablement pas une sinécure. Car se marginaliser et fuir les obligations, ça a un prix. Colette et Rob se trouvèrent devant une série d’obstacles, pas infranchissables mais comportant parfois du danger. Avec “Peace and death”, roman noir diablement bien construit et très vivant, Patrick Cargnelutti nous fait partager le contexte de la toute-fin des années 1960. La psychologie des protagonistes – y compris celle du père de Colette – apparaît clairement dans l’action, balayant une quelconque lourdeur. Savoureuse intrigue.

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2 décembre 2017 6 02 /12 /décembre /2017 05:55

Le Lubanda est un état de l’Afrique subsaharienne dont le destin a été chaotique depuis une vingtaine d’années. Pourtant, quand le président Dasaï fut élu démocratiquement, une période d’équilibre s’annonçait. Avec la bénédiction des Occidentaux, et leur soutien matériel. Mais le dictateur Mafumi prit le pouvoir, éliminant cruellement son prédécesseur, instaurant un régime basé sur la violence. Deux décennies dramatiques s’ensuivirent. De nos jours, un nouveau président règne à Rupala, la capitale, et sur un pays qui reste pauvre. Ce dernier peut espérer de nouveau l’aide internationale grâce à un organisme, le Mansfield Trust, dont le principal dirigeant actuel, Bill Hammond, connaît fort bien le Lubanda.

Enseignant de formation littéraire, Ray Campbell s’engagea à l’époque du président Dasaï dans une ONG soutenant des projets dans ce pays. Il était animé d’un certain idéalisme, comme Bill Hammond qu’il rencontra alors, ce qui n’était pas absurde car le contexte s’y prêtait au Lubanda. Sur place, il fit la connaissance d’une femme blanche, Martine Aubert. D’origine Belge, elle était née ici et se sentait viscéralement attachée à cette terre. Elle y tenait une ferme traditionnelle, entretenant de bonnes relations avec la population noire. Le président d’alors ayant lancé le programme "Harmonie des Villages", Fareem — émissaire de l’administration Dasaï — veillait à ce que tout se passe bien.

La stabilité ne dura pas au Lubanda. Quand les rebelles de Mafumi s’imposèrent, Martine fut sommée de restituer ses terres ou de partir. Elle se lança dans une lutte inégale contre le nouveau pouvoir, avant d’être sauvagement assassinée sur la route de Tumasi. Bien des questions resteraient en suspens pour Ray Campbell, qui retourna aux États-Unis. Voilà dix ans, il tenta un retour dans ce pays, mais n’eut pas la force d’aller jusqu’au lieu où la jeune femme fut tuée… Désormais installé à New York, Ray Campbell est le patron d’une société de conseil en investissements. L’évaluation des risques de placements financiers, ça rapporte gros et c’est un métier où le danger n’existe que pour la clientèle fortunée.

Bill Hammond contacte Campbell quand Seso Alaya est retrouvé assassiné dans un hôtel minable de New York. Cet Africain fut autrefois l’assistant de Campbell au Lubanda. Seso Alaya apportait quelque chose de précis à Bill, que l’on n’a pas retrouvé. Le policier Max Regal ne mènera qu’une enquête de routine, même si Seso n’était pas un de ces petits trafiquants dont il a l’habitude. Bill charge son ami Ray de découvrir la vérité sur ce crime. Ce qui conditionne clairement l’aide financière que le Mansfield Trust accordera ou pas au Lubanda, qui a un problème urgent avec ses orphelins de l’ethnie Lutusi. Trois mois plus tard, Ray Campbell dispose de tous les éléments pour revenir au Lubanda, et y rencontrer le nouveau président…

Thomas H.Cook : Danser dans la poussière (Éd.Seuil, 2017)

C’est pourquoi il me parut tout naturel, à la suite du meurtre de Seso, de me surprendre à remonter le temps, revoyant Martine dans les lueurs du couchant, les silhouettes des Lutusi avançant devant l’horizon rougeoyant alors que nous étions assis au pied d’un arbre au tronc noueux, laissant errer notre regard sur la savane. Parfois des babouins se glissaient, furtifs, hors des ténèbres, chipaient la première chose à leur portée puis filaient aussitôt dans les buissons en poussant des cris qui, à nos oreilles, passaient pour l’expression d’une joie sans mélange. Martine ne les chassait jamais et se formalisait peu de leurs larcins car, hormis les réserves de nourriture mises sous clef, il n’y avait là rien de valeur.
Mes réminiscences ne me ramenaient pas toujours au Lubanda. Un soir, assis seul dans mon appartement, il me revint à brûle-pourpoint une conversation que j’avais eue avec Bill Hammond peu après son tout dernier voyage dans ce pays oublié des dieux…

Thomas H.Cook est un écrivain beaucoup trop lucide pour prétendre résumer dans une fiction la complexité politique, économique et sociale de l’Afrique. Notre vision occidentale est général faussée par nos critères. Qu’elle soit utopiste ou pragmatique, notre conception de la vie ne correspond pas forcément à celle des peuples africains. Ils n’ont pas de raison de refuser l’aide humanitaire ou financière, mais des moyens de développement autonomes vaudraient sûrement mieux. L’Afrique et ses démons : avec une logique du genre "un tyran chasse l’autre", entre corruption, crime, chaos et colonialisme diffus, aucune nation ne peut être fière d’elle-même. Justement, c’est ce sentiment de fierté qui anima Martine Aubert et qui, dans une énième tourmente armée, causa sa mort.

Comme souvent chez cet auteur, on navigue entre passé et présent, souvenirs et faits plus récents. Pourtant, de l’Afrique à New York, ça ne complique pas tant l’intrigue. Car c’est le cheminement de pensée du narrateur – Ray Campbell – qui nous guide. Ne passons pas à côté de belles subtilités. Par exemple, quand Martine et Ray se rencontrent, ils ont tous deux environ vingt-cinq ans. Se sent-il vraiment amoureux de la jeune femme, où n’éprouve-t-il pas plus exactement du respect pour la détermination de Martine ? Le portrait du sanglant dictateur Mafumi exprime, au-delà de la griserie délirante du pouvoir, une fascination de tels personnages pour des despotes de naguère. Autre cas, c’est pour avoir voulu être honnête jusqu’au bout que Seso Alaya a été assassiné. Des nuances que l’on note à propos de tous les protagonistes, ainsi que dans les ambiances.

Thomas H.Cook figure parmi les plus brillants auteurs de romans noirs, ce que confirme une fois de plus cette histoire. Peut-être parce que, en plus de l’aspect littéraire, il nous fait partager une émotion, une empathie, un regard. Si la géopolitique apparaît en filigrane dans le récit, c’est l’humain qui prime – avec ses meilleures et ses moins honorables facettes.

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30 novembre 2017 4 30 /11 /novembre /2017 05:55

Ruth Galloway habite un cottage isolé en bordure du Saltmarsh, un marais maritime dans le comté de Norfolk, à deux cent kilomètres au nord-est de Londres. Célibataire vivant avec ses chats, elle n’a pour voisins qu’un couple généralement absent, et le gardien de la réserve ornithologique, David. Archéologue spécialisée dans la datation des ossements, Ruth enseigne à l’université de la région. Âgée de bientôt quarante ans, guère séduisante car un peu corpulente, elle a néanmoins vécu une histoire sentimentale avec le rouquin Peter, il y a quelques années. De son côté, l’inspecteur de police Harry Nelson est marié, père de deux filles. Il est beaucoup moins attaché à ce coin du Norfolk que Ruth. Si sa carrière de policier a connu des succès, Nelson ne peut pas effacer un de ses échecs.

Voilà dix ans disparaissait le petite Lucy Downey. Les parents de l’enfant n’en ont jamais voulu à Nelson de ne pas l’avoir retrouvée. Depuis, il reçoit ponctuellement des courriers du ravisseur de Lucy. Sans doute l’inconnu est-il cultivé, car ses textes font référence à des légendes, des croyances anciennes. En ce mois de novembre, des ossements ont été découverts dans le Saltmarsh. Pensant qu’il peut s’agir des restes de Lucy, Nelson fait la connaissance de Ruth, afin de dater ces os. En réalité, ils remontent à l’Âge du fer. Avec les sables mouvants et les traces de ce "henge", structure où se pratiquaient autrefois des sacrifices humains, Ruth imagine un rituel mortifère préhistorique dans le Saltmarsh. Ce n’est donc pas Lucy, mais l’affaire va rebondir un peu plus tard, à la fin décembre.

La petite Scarlet Henderson, quatre ans, a disparu alors qu’elle jouait dans le jardin de ses parents. Pour le policier Nelson, il existe fatalement un lien avec le cas Lucy. Ruth étudie les lettres anonymes qu’il a reçues. Après le Nouvel An, l’esquisse d’une piste se dessine. Michael Malone, quarante-deux ans, travaille lui aussi à l’université. Il est connu comme druide, sous le nom de Cathbad. Ruth se souvient quelque peu de lui, au temps où elle effectuait des fouilles dans le secteur du marais maritime avec d’autres archéologues. Ce Cathbad se veut non-conformiste, ne cachant pas son aversion pour la police. Il affirme ne rien savoir sur les disparues. Peu après, la chatte de Ruth est égorgée et placée sur le pas de sa porte. Nelson et elle ne peuvent que conclure à une menace visant Ruth.

Par le passé, Erik Anderssen enseigna l’archéologie en Grande-Bretagne, avant de repartir vivre avec son épouse dans son pays, la Norvège. Ruth fut une des étudiantes d’Erik, le Viking. Celui-ci n’est pas mécontent de revenir dans le Norfolk, où il participa aux fouilles dans le Saltmarsh avec Ruth et Peter. Pour sa part, Ruth trouve l’occasion de sympathiser avec la famille de la petite Scarlet Henderson. Les semaines passant, il y a de moins en moins de chances que l’enfant soit encore vivante. La marginalité du druide Cathbad le désigne comme le meilleur suspect pour la police. Quant à résoudre "l’affaire Lucy", Harry Nelson ne perd pas espoir…

Elly Griffiths : Les disparues du marais (Éd.Pocket, 2017)

Ruth prend le temps de réfléchir. Évidemment, elle a très envie d’accepter – elle est plus impliquée dans cette enquête qu’elle ne veut bien l’admettre. Elle a passé des heures à relire les lettres, à chercher des indices, des mots significatifs, n’importe quoi qui pourrait la conduire jusqu’à leur auteur. Bizarrement, elle se sent proche de Lucy, de Scarlet et de l’inconnue des temps anciens retrouvée dans le Saltmarsh, comme si elles étaient toutes les quatre intrinsèquement liées. De plus, Cathbad l’intrigue, et comme c’est elle qui a donné son nom à l’inspecteur, elle pense avoir une certaine responsabilité envers lui. En revanche, elle trouve assez insultant que Nelson l’imagine prête à tout laisser tomber au moindre coup de fil de sa part. Avant qu’il l’appelle, elle était occupée à préparer ses cours et à mettre à jour ses diapositives – le prochain semestre commence dans une semaine. Mais cela peut sans doute attendre quelques heures…

Si l’archéologie de terrain est au centre de cette histoire, c’est surtout le site en question qui importe. Car ces marais salés forment un paysage singulier. À la Préhistoire, ces lieux n’étaient pas immergés. Ils recelaient déjà toute une symbolique, tel un trait d’union entre la terre et la mer, entre la vie et la mort. On peut penser que s’y tenaient des cérémonies votives, sacrificielles. Comme dans certaines tourbières, bien qu’il s’agisse plutôt de rias. Dans ces prés salés marécageux, on est au cœur de la nature à l’état brut, au milieu des oiseaux marins en toute liberté et de la végétation des vasières. Un décor riche pour qui sait l’apprécier, s’approprier sa beauté sauvage, ce qui est le cas de Ruth Galloway.

C’est la première enquête réunissant l’archéologue Ruth et l’inspecteur Nelson, qui seront les héros d’une deuxième affaire dans “Le secret des orphelins”. L’intrigue avance au rythme des situations énigmatiques et des investigations, scientifiques et policières. Mais l’auteure laisse une large place à la vie personnelle du duo. Si Harry Nelson ne se montre pas toujours agréable, cela tient autant à son passé de flic qu’à une vie de couple dépassionnée. Si Ruth Galloway est une universitaire reconnue, son vécu privé a été moins brillant. Elle garde la nostalgie de l’époque où elle effectuait des fouilles en équipe, et "intériorise" ses sentiments. Tous deux constituent un duo improbable, c’est bien pour ça que leurs tribulations séduisent.

Mystérieuses disparitions de fillettes, références aux croyances d’autrefois, paysage inhabituel, narration souple, autant d’éléments contribuant à rendre passionnant ce roman d’Elly Griffiths. Désormais disponible en format poche.

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28 novembre 2017 2 28 /11 /novembre /2017 05:55

À l’école maternelle des Pinsons, la jeune Mylène Gilmont n’est pas la plus expérimentée des institutrices. Âgée de vingt-six ans, elle n’attire que modérément la sympathie. Elle préfère ne pas dire qu’elle est insulino-dépendante, pour ne rien compliquer. Ce vendredi, une sortie scolaire est programmée. Les animations se passent plutôt bien. Mais dans le groupe dont est responsable Mylène, la petite Emma se montre exagérément grincheuse. Si elle ne cède pas vraiment aux caprices de cette enfant de cinq ans, l’institutrice ne se sent guère soutenue par ses collègues. À la fin de la journée, avant le retour, Emma a disparu. Mylène la cherche dans la forêt d’à côté. Tombée dans un trou, la fillette est bloquée dans une galerie. L’institutrice finit par y être prisonnière elle-même, perdant tout contact avec l’extérieur. Elle parvient à extirper Emma, mais reste seule dans la galerie.

Emma est la fille de Camille Verdier, trente-et-un ans, et de Patrick Verdier, professeur en faculté. Ce dernier est un homme strict, au caractère quelque peu ombrageux. Le couple semble sans histoire. Indépendante sur le plan professionnel, Camille a un secret. Depuis plusieurs semaines, elle est devenue l’amante d’Étienne. Cuisinier dans une brasserie, plus âgé qu’elle, il possède une prestance qui a séduit la jeune femme. Camille évite d’analyser cette passion amoureuse, même si Étienne s’avère plus envahissant qu’il ne faudrait, par rapport à sa vie familiale. Quand Emma disparaît lors de la sortie scolaire, ses parents en sont vite avertis et se rendent sur les lieux. Heureusement, la petite est bientôt retrouvée. Malgré tout, Patrick Verdier se montre furieux, vindicatif. Sur place, le capitaine de police Dupuis s’aperçoit qu’Emma a forcément été en contact avec Mylène il y a peu de temps.

Toutefois, l’enfant n’aide pas du tout les enquêteurs. “Je sais pas”, répond-elle quand il est question de Mylène. Impossible de définir si la disparition de l’institutrice est volontaire ou non. Les témoignages des autres enseignants sont assez accusateurs envers elle, oubliant qu’Emma est une peste. Après être rentrés chez eux, Camille voudrait échanger seule avec sa fille, mais la présence de Patrick pose problème. Et peut-être Emma est-elle effectivement en état de choc ? Le père de Mylène a été joint par la police. Diabétique lui aussi, il mesure le danger si sa fille est en manque d’insuline. Pourtant, ce n’est pas après la tombée de la nuit qu’il peut espérer la retrouver dans la forêt, si elle s’y trouve. Dupuis apprend que le père de Mylène a un casier judiciaire chargé, même si les faits remontent à longtemps. Ça ne le rend pas suspect, mais ça ne clarifie rien non plus.

Le lendemain samedi, la tension monte chez les Verdier. Pour Camille, il n’est pas simple d’amadouer Emma, tandis que son mari est plus ferme que jamais. Le père de Mylène n’est pas de ceux qui font confiance à la police. Dupuis ménage peut-être trop les Verdier, maîtrisant mal l’enquête. Quant à Mylène, il faudrait un miracle pour la sauver…

Barbara Abel : Je sais pas (Éd.Pocket, 2017)

L’institutrice peine à calmer son ressentiment. Pendant quelques minutes, elle trépigne sur place, empoigne des feuilles de fougère qu’elle déchiquette avec rage, expulse un chapelet de plaintes rauques chargées de haine et d’aversion. Puis, haletante et accablée, elle tente de reprendre possession de ses moyens. Refoule un dernier sanglot de fureur. Se ressaisit à gestes maladroits, lisse sa jupe, remet son chemisier en place, rattache quelques mèches rebelles.
Ça suffit comme ça. Elle retourne au car. De toutes façons, c’est peine perdue. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin. Si la gamine reste introuvable, c’est aux autorités compétentes de la localiser. Qu’importe ce que dira cet imbécile de Danzig, elle n’est ni à ses ordres, ni à ceux de qui que ce soit ici. Autour d’elle, la végétation bruisse dans un frisson menaçant. En levant la tête, Mylène constate la présence de nuages gris qui envahissent peu à peu le ciel. Le temps se gâte.

Le thème des disparitions de personnes est souvent exploité dans la littérature policière, sans doute parce qu’il se rapproche de la réalité. Accident, enlèvement, suicide, mauvais concours de circonstances ou même acte volontaire, rien ne doit être exclu dans ce type d’affaires. Mais l’excellente Barbara Abel ne confond pas la fiction avec les faits divers. Ce n’est pas un roman d’enquête qu’elle nous propose. C’est un habile amalgame entre le suspense, l’action et la psychologie. À l’inverse de ces auteurs qui alourdissent le récit avec des considérations obscures sur le cheminement psychologique des protagonistes, Barbara Abel illustre cet aspect de façon finement nuancée. Par exemple, si le couple Verdier couve une crise, on en perçoit les raisons profondes grâce certains détails.

On comprend rapidement qu’ici, personne n’est innocent. Même pas la petite Emma, qui n’a pas un profil de "victime". S’ils sont sûrement compétents, les enseignants ne font guère preuve de solidarité vis-à-vis de Mylène, leur collègue. Afficher une supériorité de façon mordante, ce n’est pas véritablement une preuve d’intelligence chez l’universitaire Patrick. Quant à Camille, elle est empêtrée dans une situation très complexe, surtout au niveau des sentiments qu’elle éprouve. De son côté, le père de Mylène se sent isolé face à la disparition de sa fille. Par son écriture raffinée, Barbara Abel dessine des portraits tels des fusains où l’emportent les teintes grises frisant parfois le noir. Délicieuses intrigues, énigmatiques et animées, dans lesquelles on se sent entraînés, car c’est avec maestria qu’elles sont concoctées par cette talentueuse romancière.

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26 novembre 2017 7 26 /11 /novembre /2017 05:55

Jean a quarante-cinq ans. Il a épousé Liz voilà une douzaine d’années. Ils ont deux enfants : Lucie, la fille de sa femme, et Clément, huit ans. Dans son village, Jean restaure des maisons afin de les louer ensuite. Son ami Bernard, maçon et musicien, participe aux chantiers avec Jean. Bernard est marié à Sophie, une enseignante. C’est généralement le Révérend qui a trouvé de nouveaux locataires pour les maisons rénovées de Jean. Lorrain sexagénaire, René Schirer a créé une association, les Jardins de Vie, rassemblant des gens dont l’existence a été jusqu’alors marquée par de lourdes épreuves. Si les prières font partie de leurs rites, le Révérend n’impose aucun dogme religieux. Bernard semble se sentir assez proche de ce groupe, leur rendant parfois des services annexes.

Un jour d’orage, Liz disparaît soudainement, sans explication. On retrouve son véhicule bloqué sur un gué, ce qui suppose une noyade de la jeune femme. On peut imaginer aussi bien un accident qu’un suicide, mais le corps n’est pas immédiatement repéré. Un certain Romero mène une enquête parallèle à celle de la gendarmerie, en collaboration. C’est un spécialiste des disparitions mal explicables. Il a relevé une anomalie concernant un des abonnements téléphoniques de Liz. Une question à laquelle Jean s’avoue incapable de répondre, son épouse se chargeant de tout l’administratif. Bernard suggère qu’une vie de couple trop routinière a pu rendre Liz dépressive. Fouillant chez lui, Jean trouve une piste : un nommé Markus vivant en Belgique qui a pu être un proche de Liz.

Peu après, il entre en contact avec l’assistante de ce Markus Berk. Cet homme riche serait moribond, mais il sera possible à Jean de le rencontrer en Belgique. Jean s’aperçoit qu’il connaît finalement très mal ses locataires, hormis le Révérend. Quand il approche leur "communauté", il réalise que son épouse était vraiment appréciée de ces personnes. Liz faisait preuve d’empathie et d’une écoute gratifiante pour eux, qui ont un passé difficile. Ce n’était pas la Foi, mais la bonté et l’équilibre de Liz qui fascinait. Y compris Bernard, il le reconnaît. Jean n’a jamais perçu cette facette, peut-être un peu secrète, de sa femme. Tandis que la vie normale reprend lentement pour Jean et ses enfants, le comportement de Lucie l’inquiète. Il y a plus de détermination que de traumatisme en elle.

À l’heure du rendez-vous en Belgique, l’assistante de Markus Berk donne quantité de précisions à Jean sur beaucoup d’éléments qu’il ignorait totalement. En particulier, sur le passé professionnel et personnel de Liz, sur ses liens avec Markus. S’il y a une fortune à la clé, ce n’est pas l’aspect le plus important dans ces mystères. Que l’on retrouve bientôt Liz vivante ou morte, il restera de multiples points à éclaircir…

Éric Maneval : Inflammation (Éd.10-18, 2017)

— Je ne dois pas chercher à comprendre, alors ? C’est ce que tu es en train de me dire ? Je dois faire confiance aux autres ?
— Reste rationnel, je te demande seulement ça. Tu peux mener ton enquête, naturellement, et je t’aiderai s’il le faut, tu le sais, mais là tu es dans le deuil. Enfin, ce n’est même pas un deuil, puisqu’on ne sait pas… Tu es dans je ne sais quoi. Un truc instable, mouvant, avec des émotions qui t’assaillent de tous les côtés et qui se percutent sans cesse. Tu es dans les limbes, Jean. C’est ce que je crois. Tu vois, c’est un peu comme la guitare : si tu n’as pas la partition, sur quoi tu vas improviser ? Il n’y a que les grands pour improviser sur rien du tout. Jean, il n’y a que les faits, la raison, la logique, la partition. Reste là-dedans.

Afin de ne point trop déflorer les méandres de l’intrigue, soulignons juste qu’elle flirte avec l’ésotérisme et qu’elle évoque des effets médicaux. Un personnage principal mal préparé à des circonstances exceptionnelles ou anormales, c’est classique dans le roman à suspense. Ici, il faut imaginer la différence absolue entre le mode de vie de Jean et le reste, ce qu’il découvre. Pour lui, le contexte est ordinaire et paisible, ce qui est le cas de la population habitant un coin tranquille de nos régions. Une sorte de déséquilibre s’est insidieusement installé autour de lui, tel un engrenage invisible ou une force nuisible. Au lieu de réponses cartésiennes peut-être incernables, Jean devrait s’efforcer d’échapper à cette emprise.

Disponibles en format poche chez 10-18, les romans d’Éric Maneval Retour à la nuit et “Inflammation ont tous deux été publiés aux Éd.La Manufacture de Livres. Retour à la nuit a reçu le prix du polar lycéen d’Aubusson en 2011, et a été finaliste du prix Sud Ouest/Lire en Poche du festival de Gradignan 2017. Par ailleurs, il a publié Rennes-le-Château Tome Sang” aux Éd.Terre de Brume. Certes, dans Inflammationl’ambiance est énigmatique. Pourtant, Éric Maneval ne cherche pas à créer la confusion par un récit trop tortueux. Au contraire, la narration est aussi limpide que possible. Sans doute est-ce cette tonalité sans tricherie que l’on apprécie, une manière "réglo" de présenter les faits. Ce qui n’empêche pas une toile de fond sombre et déstabilisante. Un très bon suspense.

Disponible chez 10-18 dès le 7 décembre 2017 —

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24 novembre 2017 5 24 /11 /novembre /2017 05:55

Âgé de cinquante-cinq ans, Étienne Barzac est policier à l’IGPN, à Paris. Sans états d’âme, il a fait tomber certains grands flics corrompus. D’autres, tel le capitaine Mauer, échappent encore à son tableau de chasse. Côté privé, il fait l’impasse sur le cancer terminal de son ex-épouse Livia, faute d’avoir la moindre solution. Étienne Barzac est assisté par la lieutenant Salima Belloumi, âgée d’une trentaine d’années. Elle n’éprouve pas un grand respect pour son supérieur. Salima est mariée à Marc, qui s’est converti depuis quelques temps à un Islam de plus en plus radical. Comme la jeune femme refuse de se voir imposer les principes rigoristes de cette religion, son mari la frappe très régulièrement. Salima s’efforce de ne pas montrer qu’elle, policière, est une femme battue.

Le capitaine Pierre Luchaire a été retrouvé assassiné dans un abattoir d’Île-de-France. Il faisait partie de la DDIPP, chargée du contrôle sanitaire des produits alimentaires, service moins glorieux que ceux traquant la criminalité. Consultant son épais dossier, Étienne Barzac s’aperçoit que Luchaire a été impliqué dans de sérieuses altercations, depuis plusieurs années. Bagarres autour de la fermeture d’un abattoir, agression d’un activiste anti-consommation de viandes, incident chez un éleveur sarthois de poulets, affaires qui ne paraissent sans doute pas gravissimes. Mais Luchaire semblait sortir de sa fonction. On note dans ces dossiers le nom de Gwenaëlle Martin, vingt-cinq ans environ, militante de l’association "La mort est dans le pré". Ceux-ci s’opposent à l’agro-bizness.

Tandis que les problèmes privés des deux policiers empirent, Barzac et Salima Belloumi se rendent en Bretagne. Ils espèrent des éclaircissements de la part des gendarmes et des syndicalistes concernant le rôle de Luchaire, mais les pistes locales resteront vaines. Un élément nouveau, toutefois : Damien Ganz a été assassiné chez lui à Rennes, l’exécuteur bousculant Barzac pour s’enfuir. La victime est cet activiste que chahuta Luchaire, partisan de théories sur les droits des animaux à viandes, végétarien forcené et combattant toute élimination de bétail en abattoir. Pour lui, les associations comme L214 ou même "La mort est dans le pré" son trop timorées. Miguel Ibanez, un proche de Damien Ganz, est récemment mort de façon très suspecte, ne suscitant qu’une vague enquête.

De retour à Paris, Barzac comprend que sa hiérarchie préfère une version simplifiée : le capitaine Luchaire, flic en perdition, a été victime d’une guéguerre entre branquignols de mouvements associatifs nébuleux. Peu de chances que Barzac puisse interroger René-Jacques Dumond, un des plus hauts responsables de l’agro-alimentaire ; ni qu’il situe le nommé Personne, au service de Dumond. Pourtant, il faudrait s’intéresser également au parcours de Gwenaëlle Martin. Elle fut rapidement séduite par Damien Ganz, et par ses théories contre la consommation de viande…

Frédéric Paulin : La peste soit des mangeurs de viande (La Manufacture de Livres, 2017)

Sa cage thoracique se resserre et son cœur bat à tout rompre, deux mouvements antinomiques qui l’empêchent de bouger. Il ne connaît pas beaucoup de flics capables de garder leur sang-froid lorsque ça tire. Il a cette idée incongrue dans la situation que l’unique flic qu’il croit capable de rester calme quand ça canarde, c’est ce salopard de Mauer. Un pourri de son espèce est le seul à ne pas faire dans son froc quand les balles sifflent.
La porte s’ouvre en grand. Il tente de lever son arme vers la silhouette qui déboule sur lui à une vitesse hallucinante. Mais la silhouette est plus rapide, elle lui envoie un coup de canon de son flingue – un automatique de couleur argentée – sur la tempe. Barzac voit un feu d’artifice exploser devant ses yeux. Il réussit à s’accrocher au manteau de l’homme…

Depuis quelques années, se sont développés des groupuscules agissant au nom du bien-être animal. Certains obtiennent gain de cause, en interdisant par exemple que les cirques montrent des spectacles avec des animaux dressés — c’est ainsi que disparaîtra l’esprit même du cirque. D’autres associations alertent sur les pratiques de quelques abattoirs, non-conformes aux règles sanitaires, et sur la maltraitance du bétail avant d’être abattu. Et puis, il y a les jusqu’au-boutistes d’un combat soi-disant en faveur de la protection des animaux à viandes. Leurs actions sont supposées pacifiques, s’attaquant au système qui exploite la consommation. Toutefois, des mésententes se produisent sûrement entre ces activistes, comme dans tout groupe, leurs idéaux rebelles étant de divers niveaux.

Il y a fort à parier que l’industrie agro-alimentaire s’inquiète peu de ces mouvements dont la représentativité reste ultra-marginale. On fermera un abattoir incriminé ? Tant pis ou tant mieux, car il y a trop d’unités de production, trop d’usines à remettre aux normes. On reclassera les ouvriers ou on les fera patienter jusqu’à la retraite, voilà tout. Le cynisme est de règle dans ce secteur, l’actualité nous l’a prouvé maintes fois. Il s’agit d’un "modèle économique" qui ne changera pas de sitôt, écrasant toujours les productions alternatives. C’est entre cette industrie et ses opposants que se place la toile de fond de cette histoire.

L’auteur n’oublie pas que les enquêteurs sont aussi des êtres humains, dans leur époque avec ses dysfonctionnements, en proie à des problèmes personnels. Même si un policier ne lâche pas vite prise dans une affaire, son vécu privé l’accompagne au quotidien. On suit ici les investigations du duo de flics, jusqu’à un point précis. Puis, la narration opère un retour sur le déroulement des faits, et sur les protagonistes. Il n’y a pas strictement de leçons à tirer, du genre "s’engager ou pas". C’est plutôt un constat, une illustration d’un sujet de société actuel. Dans la bonne tradition du roman noir…

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