Le capitaine de gendarmerie Laurent Gourmelon est en poste à la Brigade Territoriale du Conquet, dans le nord-Finistère. Avec son adjoint, le maréchal-des-logis Rivoal, ils doivent intervenir après un incendie dans une propriété de Plougonvelin, au Trez-Hir. La victime est Marie Le Moign, née Manach, âgée de quatre-vingt-huit ans. Cette dame en fauteuil roulant n'est pas décédée à cause du sinistre : elle a été abattue par une arme à feu, dont l'origine est mal identifiable. Mme Le Moign était fortunée, grâce à la vente de l'entreprise porcine fondée par son défunt époux, dont la marque de pâtés reste célèbre. Il y eut un conflit familial entre héritiers, le fils Yann Le Moign (avec sa bourgeoise épouse) captant l'essentiel au détriment de sa sœur Nicole. Homosexuelle, celle-ci partit vivre à l'étranger. C'est pour d'autres raisons que, jadis, les deux frères de Mme Le Moign fuirent la France.
Âgée de quarante ans, Sahliah Oudjani est lieutenant à la gendarmerie maritime de Brest. Ancienne sportive, cette franco-algérienne est native de Roubaix. Si elle reste en contact téléphonique avec son père et sa tante, Sahliah Oudjani se considère en exil au bout de la Bretagne. Heureusement, elle s'est trouvée une amie, Wahiba. Enquêter sur la mort d'un Allemand venu se suicider à Brest, ça l'intéresse moyennement. Dans les années 1970 et début des années 1980, Hans Schwitzer fut un activiste de la Fraction Armée Rouge. Un membre de la Bande à Baader, un proche terroriste Carlos, qui passa ensuite de longues années en prison. Pourquoi venir mourir dans cette ville avec laquelle il ne semblait avoir aucun lien ? Là encore, on a des difficultés à déterminer quelle arme il a utilisé. Wahiba fait remarquer à Sahliah qu'il peut exister un rapport avec la mort de Mme Le Moign.
L'institutrice Maryse Pereira-Dantec habite en Seine-Saint-Denis. Son père communiste Jean Dantec fut durant quelques décennies maire de la ville, avant de retourner vivre dans le Finistère. Viviane, la sœur avocate de Maryse, s'est éloignée vers le sud de la France. Désormais retraitée, l'institutrice prépare un mémoire de thèse concernant Brest au temps de la Seconde Guerre Mondiale. Résistant FTP à l'époque, son père lui en a souvent parlé, mais elle a besoin de bien davantage de témoignages documentaires. Jean Dantec étant hospitalisé, Maryse sera sur place pour lui autant que pour son étude historique. Certains vieux communistes locaux et les journaux collabos d'autrefois lui permettent d'avancer dans ses recherches. En octobre 1943, l'arrestation d'un groupe de Résistants brestois, transférés à la prison Jacques-Cartier de Rennes, est un épisode important de la guerre.
Le capitaine Gourmelon et la lieutenant Oudjani vont faire équipe, avec la bénédiction de leurs supérieurs. D'ailleurs, Sahliah a été dessaisie de son enquête au profit du policier Maurice Bonizec. Sans doute ce flic est-il peu fiable, mais il enrage quand la DCRI décide que la mort d'Hans Schwitzer mérite d'être vite classée. Les juges d'instruction des deux affaires apparaissant fort frileux, heureusement que le supérieur de Gourmelon soutient le capitaine. Les héritiers de Marie Le Moign sont-ils à mettre trop vite hors de cause ? Que le maréchal-des-logis Rivoal soit un passionné de généalogie va être utile à l'enquête de Gourmelon et Oudjani. Les travaux de Maryse Dantec les aideront également à éclairer un aspect de la sombre histoire brestoise du temps de la Résistance…
Afin de ne pas en dévoiler davantage, contentons-nous de rappeler qu'il a toujours existé des nuances et des divergences dans les idéologies communistes. Durant la guerre, pour les occupants nazis et leurs amis collabos, ça ne faisait aucune différence, il est vrai. Si l'enquête se passe au début des années 2010, c'est bien dans le passé qu'il convient de fouiller pour établir la vérité. Avec deux héros qui ne manquent pas de caractère. Sahliah Oudjani la Nordiste a toujours dirigé sa propre vie, tout en respectant sa famille. Laurent Gourmelon, divorcé, père de deux filles, est moins agressif et plus méthodique qu'elle, mais tout aussi obstiné. Ils étaient faits pour coopérer, et plus si affinités.
On peut discuter le découpage scénique choisi par l'auteur. L'essentiel est qu'il n'entrave pas trop la fluidité de lecture. Il est clair que Marek Corbel s'est parfaitement documenté sur les questions historiques liées à son sujet. C'est ce contexte qui donne sa consistance au roman, bien sûr. Y compris via les références à la Fraction Armée Rouge allemande de la décennie 1970. Originaire de Bretagne-sud, l'auteur connaît bien les lieux décrits, sans donner une allure de carte postale à ces décors. Un suspense vivant, un polar de belle qualité.