Certains passionnés de polars choisissent le format poche, pour des raisons budgétaires bien faciles à comprendre. Pour eux, voici trois romans disponibles dès le 2 janvier 2014, qu'ils pourront inclure dans leurs collections...
Leighton Gage : "Le sang des maudits" (Points)
Mario Silva est originaire de São Paulo. Avocat de formation, il s’est engagé dans la police fédérale brésilienne il y a trente ans. Son choix s’explique par l’agression mortelle dont furent victimes ses parents. Pour retrouver le malfaiteur tatoué qui se faisait appeler Cobra, il lui aura fallu sept années. La précieuse montre de son père fut le fil conducteur de son enquête parallèle. Face au coupable, la justice de Mario Silva fut immédiate. Plus tard, ce fut le mari de sa sœur qu’on tua dans des circonstances analogues à la mort de ses parents. Cette fois, Mario Silva ne tarda à découvrir le criminel. Devenu adulte, son neveu Hector Costa, le fils de sa sœur, intégra lui aussi la police fédérale. Âgé maintenant d’une trentaine d’années, Hector est “delegado”, adjoint de son oncle inspecteur principal.
Cascatas do Pontal est une ville de 250.000 habitants à l’ouest de l’État de São Paulo. C’est dans un hélico affrété par une grosse société de fertilisants agricoles, que l’évêque Dom Felipe y débarque pour inaugurer une nouvelle église. Le prélat est abattu par un tireur d’élite, dont la police du colonel Ferraz retrouve bientôt l’arme supposée. Le meurtre d’un ecclésiastique est une affaire d’état, qui exige que Mario Silva se rende sur les lieux. Il y est précédé par Hector, qui rencontre l’arrogant chef de la police locale. Le colonel Ferraz accuse implicitement les activistes du Mouvement des Sans-Terre. Ils auraient ainsi vengé le meurtre de leur leader local, Azevedo, et de sa famille. Ici, les propriétaires terriens restent hostiles aux lois de réquisition qui bénéficieraient aux paysans pauvres...
Cette première enquête de Mario Silva traduite en français est une excellente surprise. On est loin des clichés exotiques du Brésil. L’action se déroule aujourd’hui dans ce pays, ne masquant pas sa réalité sociopolitique. Depuis la prise de fonction du président Lula en janvier 2003, certaines réformes ont été appliquées. Mais l’influence de l’Église catholique, des puissants propriétaires terriens, et des multinationales, reste très importante. C’est une véritable guerre permanente qui oppose les paysans sans terres et les propriétaires. Pourtant, l’État rachetant les terres inutilisées, il n’y a pas de spoliation. Il est probable que la hiérarchie de l’Église catholique prenne le parti des plus riches, comme toujours, ainsi que le suggère l’auteur. Quant à la corruption et aux abus de pouvoir, même la démocratie ne peut guère y mettre fin. Leighton Gage souligne également que le Brésil est un pays où règne une sorte de violence naturelle, sans doute impossible à éradiquer.
Odile Bouhier : "De mal à personne" (10-18)
1920. Le commissaire Kolvair passe quelques jours de vacances chez sa sœur, quand il reçoit un appel téléphonique de la police lyonnaise. L’industriel Firmin Dutard a été assassiné. Riche patron d’une usine d’automobiles, il a été poignardé dans la cour du Grand Hôtel. Rentré à Lyon, Kolvair constate vite qu’on dispose de fort peu d’indices. Le tueur a utilisé “un banal couteau, outil courant chez les paysans et les ouvriers qui préparent leurs casse-croûte”. Le professeur Salacan se trouvant à Cambridge pour un congrès, Kolvair ne peut compter que sur les déductions de son assistant, Jacques Durieux. Il espère aussi l’aide de la belle Bianca Serragio, brune quadragénaire dont il est amoureux, et aliéniste réputée. Le journaliste Armand Letoureur suit cette sanglante affaire, ainsi que prochaine exécution publique à Lyon, par le bourreau Anatole Deibler.
Le commissaire interroge le personnel du Grand Hôtel, qui n’a pas remarqué grand-chose. Sauf la présence d’un gamin à proximité du lieu du crime. Il est possible que les coups fatals aient été portés par un enfant, en effet. Kolvair réalise un portrait du jeune garçon, qu’il compare à une photo prise par Letoureur. Au fichier des mineurs délinquants, on trouve la trace d’un enfant de onze ans, Thibaud, ressemblant fort au portrait. Un suspect qui convient au procureur Pierre Rocher et à l’inspecteur Legone, des Brigades du Tigre. Ce dernier applique sa méthode pour faire avouer le gamin, qui n’a guère un profil de criminel et n’était pas à Lyon au moment des faits. Peu importe, on envoie Thibaud à la colonie pénitentiaire de Mettray, où on le matera comme toutes les fortes têtes. Bianca Serragio, Jacques Durieux et le commissaire Kolvair analysent ensemble le cas de Thibaud, cherchant une alternative plus plausible...
Crime énigmatique, investigations autour d’une affaire mystérieuse, mais l’ensemble est enrichi par ses personnages et par son contexte. Rescapé de la Grande Guerre, Kolvair est un policier atypique. Intime de la séduisante Bianca, il est ouvert aux pistes offertes par les scientifiques. On commence à admettre alors ce type d'indices. L’autre aspect dans ce contexte, c’est l’évolution de la justice envers les mineurs. Si des lois existent pour les protéger, ou pour les juger dignement, on les écoute peu, et les bagnes pour enfants perdureront pendant de longues années.
Thomas H.Cook : "Mémoire assassine" (Points)
Au début des années 1990, Steve Farris est un quadragénaire employé dans un cabinet d’architecture. Petite famille ordinaire, avec son épouse Marie, et leur fils Peter. Steve a longtemps gommé de sa mémoire le drame qui le marqua à l’âge de neuf ans. La séduisante Rebecca prend contact avec lui. En vue d’un livre, elle étudie cinq cas criminels similaires. Il s’agit de pères de famille ayant abattu tous leurs proches. Rebecca possède déjà des documents relatifs au crime qu’a vécu Steve. Celui-ci accepte d’explorer les images de son passé, rencontrant certains soirs Rebecca à l’insu de son épouse. Le carnage inexpliqué se produisit le 19 novembre 1959, au cours de l’après-midi. Étant le seul rescapé de cette affaire, de nombreuses questions viennent à l’esprit de Steve.
Chez les Farris, il y avait d’abord le père, William, modeste quincaillier exprimant peu ses sentiments. Avec le recul, on peut se dire qu’il ressentait une sourde amertume, n’ayant pas eu la vie qu’il souhaitait. Après la guerre, il se maria avec Dorothy. Steve se souvient qu’on disait “la pauvre Dottie”, sa mère étant une femme effacée. Jamie, 17 ans, le frère aîné de Steve, était un garçon plutôt frondeur, qui se chamaillait fréquemment avec sa sœur Laura, 16 ans. Leur père semblait avoir une affection particulière pour elle, sans doute parce qu’il retrouvait chez Laura sa propre détermination d’antan. Ce funeste jour, Bill Farris extermina Dorothy, Jamie et Laura. Il attendit durant deux heures le retour de Steve, mais prit finalement la fuite. L’enquêteur Swenson retrouva sa voiture à la frontière du Mexique, ultime trace laissée par Bill Farris...
Un magnifique suspense psychologique. Il faut toute la virtuosité de Thomas H.Cook pour entrelacer passé et présent, pour souligner les détails insignifiants d’autrefois et les scènes du quotidien ordinaire ne prenant un sens qu’en raison du triple crime. L’ambiance chez les Farris apparaît par petites touches, sans laisser augurer un tel drame. Aucune précision n’est évoquée par hasard. Il n’y a pas de monstrueux secret de famille derrière tout cela, juste une dégradation qui s’accélère entre ces gens. La finesse avec laquelle on nous raconte leur vie est absolument fascinante. Quant aux derniers rebondissements, il convient de les savourer avec délectation.