Quimper, au cœur des années 1970, un samedi de septembre qui s'annonce ordinaire. Le sous-directeur de l'agence quimpéroise du Crédit Breton, Robert Ganne, est un passionné de chasse et d'armes. La veille, à Lorient, sa banque a été braquée par un trio. S'il devait arriver la même chose ici, Ganne est prêt à répliquer avec un flingue de combat. Son ami Michel Lagarde, ostréiculteur à Riec-sur-Belon, et lui sont en train de créer une milice bien armée. Illégal, certes, mais ils estiment qu'il y a trop de voyous qui rôdent, surtout autour des bals de la région. Et que c'est à eux de remettre de l'ordre au plus tôt.
Justement, dans un bistrot proche de la gare de Quimper, on trouve Didier et la blonde Camille, si peu farouche. Fils de bonne famille, Didier a glissé toujours davantage dans la délinquance, de petits trafics en braquages divers. Voilà trois mois qu'il poursuit à travers la France son périple chaotique de malfaiteur endurci. Depuis quelques jours, Camille et lui écument la Bretagne, échouant ce samedi-là à Quimper. La belle blonde sans culotte ne tarde pas à exciter un trio de ferrailleurs, Riton et ses frères. Avec ces trois marginaux pas trop futés, Didier tient l'occasion de jouer à nouveau au chef de bande. Il suffit de voler des voitures, avant d'aller semer la pagaille dans le coin, pour le plaisir.
Pour Jean-Pierre Le Du et Marie Dorval, c'est le grand jour, celui de leur mariage célébré dans la cathédrale Saint-Corentin. Jean-Pierre est un jeune homme assez commun, Marie est une jolie brunette, qui fait une mariée délicieuse à regarder. La noce donne lieu au cérémonial habituel, avec apéros dans un bar et pause dansante dans un club, avant qu'on se retrouve au restaurant pour un grand repas festif. On mange et on chante, comme le veut la tradition, et même la mémé Dorval entonne des refrains approximatifs.
Dans son Opel Commodore, accompagné de ses miliciens aux airs de brutes, sans attendre son complice banquier, Michel Lagarde est parti en expédition contre d'éventuels fauteurs de troubles. Le petit groupe déjà échauffé joue facilement la provocation. De leur côté, Didier et ses comparses se sont progressivement excités. C'est en se dirigeant vers les Montagnes Noires qu'ils vont s'offrir une apothéose, tombant sur un couple de jeunes mariés. Pour Jean-Pierre et Marie, le romantisme cède vite la place à l'horreur, face à ces racailles déchaînées. Le bilan de la journée, c'est l'inspecteur Cornou, de Quimper, qui l'a finalement sous les yeux, grâce à de multiples photographies. Un samedi sanglant, un vrai carnage. Dont la police traque les responsables encore vivants…
Il serait injuste de considérer ce roman comme une simple réédition. D'abord, parce qu'à travers une postface actuelle, Hervé Jaouen nous raconte sa découverte du roman noir et ses débuts d'écrivain, ainsi que la genèse de ce premier livre. Il faut lire les préfaces de Pierre Magnan et Jean-Baptiste Baronian rendant hommage à l'auteur. En outre, cette édition présente “six nouvelles pour finir la noce”, des textes savoureux. Publié en 1979, “La mariée rouge” fut le premier titre de la collection Engrenages aux Éd.Jean-Goujon. Il est bon de rappeler que cette intrigue fit l'effet d'un électrochoc dans l'univers polar.
Avec des auteurs tels J.P.Manchette, J.Vautrin ou P.Siniac, les histoires avaient pris une nouvelle tonalité, d'un réalisme dur et souvent cynique. En plus du fait de décentraliser son sujet en Bretagne, Hervé Jaouen y ajoutait du vivant, du vécu quotidien, et une escalade de la violence sans nul doute surprenante. Un mariage sympathique mais banal, des voyous plutôt insignifiants, un digne banquier : on ne vas se laisser longtemps bercer par la routine d'un samedi provincial. Dès les premières pages, on réalise qu'il est question de meurtres et de viols, que le récit va fatalement baigner dans le sang. Il ne s'agit plus d'un bon suspense classique, mais d'un coup de poing aux tripes des lecteurs.
Il convient encore de souligner la construction du récit et le style narratif. Nous suivons en parallèle les protagonistes, chaque parcours étant raconté sur un ton différent. Un point commun, pourtant : ces portraits sont sans concession, sans pitié. Tous se trouvent impliqués dans un maelström qui va ravager leurs vies. Aujourd'hui, autant qu'à l'époque de sa parution initiale, “La mariée rouge” reste un roman plein de force, un des polars les plus marquants de ce genre littéraire.
Hervé Jaouen est aussi diablement convaincant dans des textes plus courts. Bel exemple avec “L’argent de la quête”. Dans les années 1950, Youenn est le second fils d’une famille modeste. D’origine rurale, ils habitent un petit logement du quartier Sainte-Anne. Youenn est en maternelle "sous l’église" dans la classe de Sœur Odile. Enfant souffreteux, il apprend vite à lire et à écrire. Sœur Odile s’arrange pour qu’il n’aille pas en primaire à l’école laïque. Youenn adore se retrouver avec son père, syndicaliste affirmé qui n’aime ni les riches, ni "la curaille". Youenn ne nie pas les avantages de l’enseignement reçu, mais choisit d’être un athée respectueux. Son grand frère agace toute la famille en jouant au Monsieur. Il veut influencer leur mère pour que Youenn n’entre pas en 6e à l’école publique. L’astucieux gamin n’a pas dit son dernier mot… Ici, Hervé Jaouen restitue l’exact état d’esprit de la population modeste de l’époque. Politisés ou non, ces gens éprouvaient un respect méfiant envers la religion. La rébellion de Youenn constitue une étape importante pour lui…
“Le disparu de Men Diaoul” : Vincent Lalumière était prof de math, mais préféra changer de profession. Passionné par les chiffres, il s'installa comme numérologue. Un métier que l'on peut même exercer en bord de mer, l'été. C'est là qu'une ravissante jeune veuve aborde Vincent. Gardien de phare, son mari Léon a disparu. Néanmoins, la belle Laura pense qu'il n'est pas mort comme on le croit. Certes, Vincent devrait se méfier, car toutes les séries de chiffres autour de Laura aboutissent à un 7 maléfique. Cependant, sous le charme de la jeune femme, il accepte d'aller avec elle en mer jusqu'au phare de Men Diaoul, où a péri son époux. L'ancestrale réputation diabolique de cet endroit n'est probablement pas usurpée, finalement… Les autres nouvelles : “Une trop fine mouche”, “Abus de phosphore”, “Interrogation écrite”, “Stang Fall”. Une excellente façon d'explorer ou de redécouvrir tous les talents d'Hervé Jaouen.
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