À Madrid, il est aujourd'hui connu sous le nom de Poe. Âgé d'environ trente-cinq ans, il fut un écrivain très prometteur. Sous la houlette du mentor Harold, sa carrière interrompue dévia vers le journaliste. Désormais, Poe écrit dans le plus grand secret des romans à l'eau de rose qu'il signe sous un pseudo féminin exotique. Il passe pour le secrétaire ou l'amant de la romancière invisible. À part le Greffier, un flic singulier, personne ne sait la vérité. Pendant quelques temps, à l'époque de ses errances où il était gros consommateur de bières, Poe fut l'ami d'un type dans ses âges, qui sortait de nulle part. Celui se faisait appeler Dieu Jr, et affirmait être le second fils du Créateur après Jésus.
S'il était plutôt sympathique, l'allure de Dieu Jr s'avérait assez anodine, à l'opposé de son frère aîné. Un homme de taille moyenne, un peu bedonnant, et qui puait des pieds, voilà ce qu'on retenait de lui. Il avait un sexe très spécial, qui ne simplifiait pas sa relation avec les femmes. Sa mère Mariah vivait dans une communauté hippie, quand elle eut un enfant du gourou de ce groupe, Dieu en personne. Plus tard, Mariah se maria pour de bon avec George S.Atan, menant une vie bourgeoise qui ne convenait guère à Dieu Jr. Il séjourna alors pendant plusieurs années au Ciel, auprès de son Père légitime et de son frère. Ce qui le rendit cynique vis-à-vis de la religion, dont son géniteur avait fait une affaire de fric.
Quand Dieu Jr revint sur terre, il joua un peu au squatteur au Vatican, afin que l'agence principale de l'entreprise paternelle reconnaisse son existence. Après cet échec, il choisit l'Espagne. Pourquoi ? “Tu connais un autre pays où le business de mon père pèse aussi lourd, toi ? Même l'Italie ne peut pas rivaliser. C'est ici qu'est né l'Opus Dei, Poe, qui a plus de pouvoir que le gérant à ce qu'on dit. Et puis tu crois quoi, que j'allais me faire trouer la peau en Galilée entre les tirs de Juifs et de Palestiniens ?” Outre Poe devenu son ami, DieuJr réussit à rassembler une bande de musicos et créa un groupe de hard-rock satanique, les Fucking Deus. Succès éphémère, notoriété qui restait trop relative pour Dieu Jr.
Il fut l'invité unique d'un talk-show, émission de télé diffusée sur toutes les chaînes. Une poignée de chroniqueurs agressifs s'amusèrent à humilier en direct Dieu Jr. Sa sincérité ne suffisait pas. Il n'était pas au mieux de sa forme face à eux, par exemple incapable de prouver son statut en faisant un miracle. Dieu Jr préféra disparaître dans l'anonymat. Poe et ses anciens disciples, qui ont bien réussi dans leurs vies, l'ont perdu de vue. Le Greffier contacte Poe après que deux anciens journalistes du talk-show aient été assassinés. Sous la pression de son collègue le Roquet, le policier doit retrouver d'urgence Dieu Jr, et faire la lumière sur sa culpabilité possible. Poe accepte de l'aider, en souvenir du récent passé.
L'écrivain interroge Angélique, qui fut l'assistante de la première victime. Poe et elle vont vite devenir amants, mais pas question qu'il lui révèle son secret de romancier. Faire le tour des anciens apôtres de Dieu Jr, ou tenter d'approcher des chroniqueurs de l'émission, pas sûr que ça porte ses fruits. Le détective privé José Mariá Arregui, en mission pour le Vatican, est un allié plutôt utile. Némo, ado doué en informatique, également : selon ses sources, DieuJr doit mourir dix jours plus tard. Après le meurtre du père Aurapel, un des chroniqueurs qui l'humilia, Dieu Jr téléphone à Poe pour certifier qu'il n'est pas l'assassin de tous ces gens. S'il se manifeste, Poe aura intérêt à mettre Dieu Jr à l'abri du côté de Toulouse, tandis qu'il poursuit sa chaotique enquête…
Carlos Salem est un conteur exceptionnel. Ses lecteurs n'en doutaient pas. Il en apporte définitivement la preuve avec ce roman. Il revisite la Bible, nous entraînant dans le plus débridé des récits : “L'évangile de bière-fiction a cet avantage, par rapport à un évangile traditionnel, qu'il n'est pas nécessaire de virer tous les gros mots. Sans eux, raconter l'histoire de Dieu Jr tiendrait de l'impossible… Un autre avantage et non des moindres, c'est que je peux vous raconter la vérité. Sachez seulement que mes souvenirs ne sont pas très fiables puisque Dieu Jr et moi, nous vivions complètement perchés.”
Le narrateur Poe apparaît tant soit peu comme l'alter-ego de Carlos Salem. Tout en narrant les faits, il revient sur des épisodes épicés qu'ils ont vécu ensemble, avec ce second fils de Dieu. On reconnaîtra sans difficulté les apôtres hard-rockers de ce Christ nouvelle génération, dont le poissonnier Peter successeur du pêcheur Pierre. À un détail près, crucial pour devenir célèbre, malgré tout : “J'ai beau additionner dans tous les sens, le résultat est toujours le chiffre onze. Et c'est seulement maintenant que je réalise que Dieu Jr n'a pas eu son Judas. Son Frèrissime l'aura dépassé même en ça.”
Quant aux méthodes omnipotentes de Dieu-le-Père pour veiller sur nous, elles ont évolué : “L'ancien système basé sur les anges fouineurs qui vont et viennent Lui coûtait un bras en heures supplémentaires, en plus d'être totalement inefficace. Donc, Il l'a remplacé par la télé il y a une dizaine d'années. Une façon de sous-traiter aux humains le plus gros du travail… La télé, c'est à Lui. Toutes les télés Lui appartiennent. En fait, c'est plus compliqué vu que, comme l'affaire marchait bien, Il a vendu une grande partie de ses actions. Mais c'est Lui qui garde le contrôle.”
Si, dans l'ambiance madrilène, ce copieux roman est riche en fantaisie, en péripéties, en multiples portraits drôles et mordants (ceux des chroniqueurs-télé exécutés, entre autres) ou poétiques (tel celui de Fleur internée en psychiatrie), Carlos Salem n'oublie pas l'intrigue criminelle. La mort et l'humour vont de pair chez cet auteur. Avec l'ombre de détectives façon Philip Marlowe, la présence d'un méchant policier, une série de crimes bien cruels, et tout le mystère entourant ce diable de Dieu Jr. Un remarquable roman, qui confirme plus que jamais la créativité originale de l'auteur.
Carlos Salem : Un jambon calibre 45 (Babel Noir, 2015) - Le blog de Claude LE NOCHER
Nicolás Sotanovsky est un Argentin approchant des trente ans, aspirant à devenir écrivain. Il vivote à Madrid depuis six mois, largué, désœuvré. Il a réussi à se loger chez une rousse nom...
http://www.action-suspense.com/2015/04/carlos-salem-un-jambon-calibre-45-babel-noir-2015.html
Cliquez pour mes chroniques sur les précédents titres de Carlos Salem.
Carlos Salem : Je reste roi d'Espagne (Actes Noirs) - Le blog de Claude LE NOCHER
Après " Aller simple " et " Nager sans se mouiller " , ses deux précédents romans disponibles chez Babel Noir, voici le troisième titre de Carlos Salem " Je reste roi d'Espagne " (Actes Noirs)....
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Carlos Salem : Japonais grillés (Éd.In-8, 2015) - Le blog de Claude LE NOCHER
http://www.action-suspense.com/2015/03/carlos-salem-japonais-grilles-ed-in-8-2015.html
Ma chronique sur un recueil de nouvelles de Carlos Salem, où apparaît déjà Poe.