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2 mai 2015 6 02 /05 /mai /2015 04:55

À Madrid, il est aujourd'hui connu sous le nom de Poe. Âgé d'environ trente-cinq ans, il fut un écrivain très prometteur. Sous la houlette du mentor Harold, sa carrière interrompue dévia vers le journaliste. Désormais, Poe écrit dans le plus grand secret des romans à l'eau de rose qu'il signe sous un pseudo féminin exotique. Il passe pour le secrétaire ou l'amant de la romancière invisible. À part le Greffier, un flic singulier, personne ne sait la vérité. Pendant quelques temps, à l'époque de ses errances où il était gros consommateur de bières, Poe fut l'ami d'un type dans ses âges, qui sortait de nulle part. Celui se faisait appeler Dieu Jr, et affirmait être le second fils du Créateur après Jésus.

S'il était plutôt sympathique, l'allure de Dieu Jr s'avérait assez anodine, à l'opposé de son frère aîné. Un homme de taille moyenne, un peu bedonnant, et qui puait des pieds, voilà ce qu'on retenait de lui. Il avait un sexe très spécial, qui ne simplifiait pas sa relation avec les femmes. Sa mère Mariah vivait dans une communauté hippie, quand elle eut un enfant du gourou de ce groupe, Dieu en personne. Plus tard, Mariah se maria pour de bon avec George S.Atan, menant une vie bourgeoise qui ne convenait guère à Dieu Jr. Il séjourna alors pendant plusieurs années au Ciel, auprès de son Père légitime et de son frère. Ce qui le rendit cynique vis-à-vis de la religion, dont son géniteur avait fait une affaire de fric.

Quand Dieu Jr revint sur terre, il joua un peu au squatteur au Vatican, afin que l'agence principale de l'entreprise paternelle reconnaisse son existence. Après cet échec, il choisit l'Espagne. Pourquoi ? “Tu connais un autre pays où le business de mon père pèse aussi lourd, toi ? Même l'Italie ne peut pas rivaliser. C'est ici qu'est né l'Opus Dei, Poe, qui a plus de pouvoir que le gérant à ce qu'on dit. Et puis tu crois quoi, que j'allais me faire trouer la peau en Galilée entre les tirs de Juifs et de Palestiniens ?” Outre Poe devenu son ami, DieuJr réussit à rassembler une bande de musicos et créa un groupe de hard-rock satanique, les Fucking Deus. Succès éphémère, notoriété qui restait trop relative pour Dieu Jr.

Il fut l'invité unique d'un talk-show, émission de télé diffusée sur toutes les chaînes. Une poignée de chroniqueurs agressifs s'amusèrent à humilier en direct Dieu Jr. Sa sincérité ne suffisait pas. Il n'était pas au mieux de sa forme face à eux, par exemple incapable de prouver son statut en faisant un miracle. Dieu Jr préféra disparaître dans l'anonymat. Poe et ses anciens disciples, qui ont bien réussi dans leurs vies, l'ont perdu de vue. Le Greffier contacte Poe après que deux anciens journalistes du talk-show aient été assassinés. Sous la pression de son collègue le Roquet, le policier doit retrouver d'urgence Dieu Jr, et faire la lumière sur sa culpabilité possible. Poe accepte de l'aider, en souvenir du récent passé.

L'écrivain interroge Angélique, qui fut l'assistante de la première victime. Poe et elle vont vite devenir amants, mais pas question qu'il lui révèle son secret de romancier. Faire le tour des anciens apôtres de Dieu Jr, ou tenter d'approcher des chroniqueurs de l'émission, pas sûr que ça porte ses fruits. Le détective privé José Mariá Arregui, en mission pour le Vatican, est un allié plutôt utile. Némo, ado doué en informatique, également : selon ses sources, DieuJr doit mourir dix jours plus tard. Après le meurtre du père Aurapel, un des chroniqueurs qui l'humilia, Dieu Jr téléphone à Poe pour certifier qu'il n'est pas l'assassin de tous ces gens. S'il se manifeste, Poe aura intérêt à mettre Dieu Jr à l'abri du côté de Toulouse, tandis qu'il poursuit sa chaotique enquête…

Carlos Salem : Le plus jeune fils de Dieu (Actes Noirs, 2015)

Carlos Salem est un conteur exceptionnel. Ses lecteurs n'en doutaient pas. Il en apporte définitivement la preuve avec ce roman. Il revisite la Bible, nous entraînant dans le plus débridé des récits : “L'évangile de bière-fiction a cet avantage, par rapport à un évangile traditionnel, qu'il n'est pas nécessaire de virer tous les gros mots. Sans eux, raconter l'histoire de Dieu Jr tiendrait de l'impossible… Un autre avantage et non des moindres, c'est que je peux vous raconter la vérité. Sachez seulement que mes souvenirs ne sont pas très fiables puisque Dieu Jr et moi, nous vivions complètement perchés.”

Le narrateur Poe apparaît tant soit peu comme l'alter-ego de Carlos Salem. Tout en narrant les faits, il revient sur des épisodes épicés qu'ils ont vécu ensemble, avec ce second fils de Dieu. On reconnaîtra sans difficulté les apôtres hard-rockers de ce Christ nouvelle génération, dont le poissonnier Peter successeur du pêcheur Pierre. À un détail près, crucial pour devenir célèbre, malgré tout : “J'ai beau additionner dans tous les sens, le résultat est toujours le chiffre onze. Et c'est seulement maintenant que je réalise que Dieu Jr n'a pas eu son Judas. Son Frèrissime l'aura dépassé même en ça.”

Quant aux méthodes omnipotentes de Dieu-le-Père pour veiller sur nous, elles ont évolué : “L'ancien système basé sur les anges fouineurs qui vont et viennent Lui coûtait un bras en heures supplémentaires, en plus d'être totalement inefficace. Donc, Il l'a remplacé par la télé il y a une dizaine d'années. Une façon de sous-traiter aux humains le plus gros du travail… La télé, c'est à Lui. Toutes les télés Lui appartiennent. En fait, c'est plus compliqué vu que, comme l'affaire marchait bien, Il a vendu une grande partie de ses actions. Mais c'est Lui qui garde le contrôle.”

Si, dans l'ambiance madrilène, ce copieux roman est riche en fantaisie, en péripéties, en multiples portraits drôles et mordants (ceux des chroniqueurs-télé exécutés, entre autres) ou poétiques (tel celui de Fleur internée en psychiatrie), Carlos Salem n'oublie pas l'intrigue criminelle. La mort et l'humour vont de pair chez cet auteur. Avec l'ombre de détectives façon Philip Marlowe, la présence d'un méchant policier, une série de crimes bien cruels, et tout le mystère entourant ce diable de Dieu Jr. Un remarquable roman, qui confirme plus que jamais la créativité originale de l'auteur.

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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 04:55

Policière au commissariat du 10e arrondissement de Paris, Lisa Heslin est âgée de trente-trois ans. Son supérieur, le capitaine Daniel Magne, est aussi son compagnon. Elle est la fille du juge Heslin, célèbre magistrat en son temps, qui fut abattu à Paris en 1992, devant le Palais de Justice. Un meurtre rappelant ceux des juges italiens anti-mafia, Borsellino et Falcone. Le juge Heslin était proche de la sphère politique. Il était séparé de son épouse depuis quatre ans, Lisa ayant douze ans étant élevée par ses grands-parents. La jeune femme apprend que sa mère est agonisante dans une clinique de Sanary-sur-Mer, dans le Var. Elles n'ont jamais eu d'affinités. Néanmoins, après avoir prévenu Daniel Magne, Lisa saute dans un TGV à destination de Marseille, afin de rejoindre le Sud.

Le coursier Samir Khaleb a été abattu lors d'une livraison. Si Daniel Magne en a été avisé, c'est que l'arme à feu utilisée est celle qui servit pour l'assassinat du juge Heslin. Il ne faut surtout pas que Lisa, toujours absente, soit informée de tout ça. Policier d'origine turque, Rafik infiltre la société Paris-Courses, qui employait la victime. Le patron est un dur, dont le jeune flic doit se méfier. Sur décision du ministre lui-même, Daniel Magne obtient une promotion, intégrant l'équipe du commandant Picaud, au 36 quai des Orfèvres. On est sur un dossier sensible, que Magne continue à gérer. Tandis qu'il étudie les vieux dossiers du juge Heslin, notant la piste de l'association AAEM basée en Savoie, un deuxième homme est abattu avec la même arme que le juge et Samir Khaled, après avoir été égorgé.

À Sanary, Lisa découvre qu'Aline Heslin, décédée entre-temps, n'était pas du tout sa mère biologique. Elle reste sa seule héritière. Entre autres, de la Jaguar de son père, garée dans le garage de son ex-épouse. Le notaire, jadis ami du juge Heslin, lui apprend qu'elle hérite aussi d'un chalet en Suisse, dont nul ne connaissait l'existence. Il confie à Lisa une lettre posthume de son père. Le juge Heslin y révèle les secrets de la naissance de sa fille. Sa véritable mère, belle Sicilienne prénommée Gina, fut massacrée par une organisation qu'il désigne sous le nom de La Pieuvre. Peu après que Lisa ait été attaquée par des inconnus qui pourraient bien être des flics, c'est le notaire qui est retrouvé égorgé dans son bureau. Et, à Paris, le médecin qui mit au monde Lisa est également assassiné.

Un des collègues de Daniel Magne se rend en Suisse, recherchant le juge Disbach qui fut en contact avec le juge Heslin. Ce magistrat mourut quelques mois après son confrère français dans un accident de voiture. À Paris-Courses, Rafik interroge les coursiers. Des truands d'ex-Yougoslavie pourraient rôder autour de cette société. Si la sensuelle Yasmina sait quelque chose, le patron la surveille et peut être violent avec elle. Quand Rafik trouve le cadavre maltraité de Yasmina, il se venge sur ledit patron. Mais La Pieuvre veille dans l'ombre, supprimant le jeune policier. De son côté, Lisa qui s'est dirigée en Jaguar vers la Suisse s'aperçoit que son véhicule peu discret est pris en filature. Elle change de voiture, avant d'arriver au chalet abandonné de son père. Daniel Magne réalise que, si Heslin se méfiait de tout le monde, il est prudent que lui aussi reste sur ses gardes…

Jacques Saussey : La Pieuvre (Éd.Toucan Noir, 2015)

Si l'assassinat du juge Heslin fait référence aux juges italiens Borsellino et Falcone, on pense aussi aux magistrats français François Renaud et Pierre Michel, abattus par la pègre en 1975 et 1981. Le contexte mafieux évolue avec les époques, mais les méthodes restent radicales dès que ces organisations se savent visées par la Justice. Des accointances avec la politique ne sont jamais à exclure. Des liens avec les mafieux plus récemment venus de pays de l'Est ou des Balkans, non plus. Un climat de danger règne dès qu'on enquête sur ces milieux générateurs d'argent sale, basés sur les trafics et les crimes. Sont-ils aussi puissants qu'on le suggère ? C'est fort probable.

Jacques Saussey connaît les règles d'un thriller efficace : une narration simple et fluide, une construction du récit où deux enquêtes sont menées en parallèle, (ici s'ajoute même la notion de temps), beaucoup de mystère avec une flopée de questions dont les réponses n'arrivent que progressivement, une série de meurtres froids, une menace criminelle fantomatique. Encore faut-il être capable d'ordonnancer l'intrigue, afin de captiver sans répit les lecteurs. C'est ce que réussit à faire habilement cet auteur, qui n'oublie pas une part indispensable de psychologie, en ce qui concerne en particulier Lisa. L'ambiance est sombre et glacée, naturellement. Même si l'on est pas dans l'humour, on notera quand même un double clin d'œil quand un personnage va de la rue Thilliez à la rue Jonquet. Un solide thriller, comme les aiment tous les amateurs du genre.

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28 avril 2015 2 28 /04 /avril /2015 04:55

“Je ne suis pas le public visé par ce roman”. La tentation est grande de se contenter d'une formule passe-partout. Une sentence lapidaire, qui ne serait pas tellement honnête. D'emblée, il suffit de lire la présentation-éditeur du livre pour réaliser que ça s'adresse plus sûrement à des trentenaires qu'aux quadras, quinquas et au-delà :

“Et si l’homme parfait n’existait pas ? C’est la question que se pose Paul, que sa compagne vient de presser d’emménager à deux, et tous les aventuriers de la vie conjugale qu’il croise sur sa route, du jeune père de famille en burn-out à l’addict aux sites de rencontres. Ont-ils définitivement perdu le mode d’emploi avec les femmes ? Le récit incisif de leurs histoires hilarantes n’épargne personne, pas même leurs compagnes, à qui tout semble réussir. Comment surmonter cette crise de la masculinité ? Ils choisissent de se révolter et mettent en place une drôle de structure d’entraide, dans le plus grand secret: le club des pauvres type. Guide de survie conjugale, ce roman réjouissant et libérateur décrypte les nouvelles relations entre hommes et femmes.”

L'auteur étant âgé de trente-quatre ans, il évoque un univers actuel plus parlant pour les personnes de sa génération. Si l'on n'a pas une première expérience hâtive, dès la prime jeunesse, s'installer en couple autour de trente ans représente un véritable séisme dans la vie de chacun. Un homme célibataire a pris des habitudes, que sa compagne s'acharnera à modifier. Initiatives auxquelles il apparaît quasiment impossible de résister. Les hommes ont-ils un sens de la diplomatie et de la courtoisie si développé, de nos jours ? Non, ils se montrent seulement plus lâches que leurs aïeux mâles. Y compris le week-end où “il faut en profiter” pour des activités qui prennent bientôt des allures de marathon. Le tout étant principalement décrété par madame, comme il se doit.

Jonathan Curiel : Le club des pauvres types (Éd.Fayard, 2015)

Accepter le nouveau décor imposé par sa femme, ça peut répondre à l'idée de partage dans le couple. Mais que deviennent les relations avec vos amis ? Alors même que, tel le pauvre Paul, il faut tolérer une troupe bruyante de pipelettes : “Claire ramène une armée de copines sous acide sans me prévenir ; je ne suis pas de taille à les affronter seul, démuni, une à une, et à leur offrir une image peu glorieuse de moi. Je fais confiance à Claire pour justifier mon sommeil précoce par la lourde charge de travail au bureau qui m'abrutit.” Et puis, que Paul n'oublie pas d'organiser l'anniversaire de Claire, d'inviter un maximum de ses amies, proches ou pas. À l'inverse, Éric, Grégoire, et les autres, il ne faudrait grand-chose pour que Claire les raye sans pitié de la liste des relations de Paul.

Espérer qu'un week-end consacré à l'Enterrement de Vie de Garçon d'un copain en Lozère échappera à la sagacité de Claire, c'est également illusoire ! La routine du couple peut être compensée par des accès de jalousie, telle celle de Claire envers l'attirante Sophie. Voilà une nouvelle occasion de chercher une parade, afin de s'abriter du tsunami que risque de provoquer l'ire féminine. La bonne solution consiste-t-elle, pour Paul, à prendre du recul ? À tenter la colocation, à créer une sorte de club réunissant ceux qui ont connu plus de déboires que de plaisirs dans leur vie de couple ? À se réunir secrètement au sous-sol d'un bistrot avec Julien, Bastien, Louis, Éric, Karl, Grégoire ? Il est possible que, malgré la solidarité entre hommes, de ce club naisse davantage de doutes que de combativité. Quoi qu'il en soit, restons optimistes pour Paul et Claire…

Cette histoire, dont l'ambition est de restituer les aléas de la vie en commun, comporte de nombreux moments humoristiques (mais pas que...). Disons-le, l'accumulation de scènes tourmentées du quotidien peut donner une impression d'excès. Un sujet sur lequel les lectrices auront leur opinion (se reconnaîtront-elles?). Une drôlerie que certains lecteurs trouveront sûrement hilarante, parfois mordante. Ou qui fera sourire avec bienveillance, celles et ceux qui ont passé l'âge de ces mésaventures conjugales de trentenaires citadins. Une seule conclusion possible : à chacun de tester, d'adhérer ou pas à ce roman.

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27 avril 2015 1 27 /04 /avril /2015 04:55

Élise Andrioli est célèbre pour avoir vécu des aventures criminelles agitées, racontées par une romancière. Cette année, accompagnée de l'indispensable Yvette Holzinsky, Élise va pouvoir profiter de l'effervescence du Festival de Cannes. Car l'adaptation cinéma de “La mort des bois”, avec Jodie Foster et Vincent Cassel dans les rôles principaux, est projetée à cette occasion. On a invité Élise, qui va loger avec Yvette au Majestic, à faire partie du jury Jeunes Talents. Sur son fauteuil roulant high-tech, doté d'un ordinateur vocal, Élise en oublierait presque qu'elle est tétraplégique, aveugle et muette, capable d'utiliser sa seule main gauche. Non, elle ne risque pas de gommer ses handicaps, mais c'est bien excitant d'évoluer parmi les stars. À commencer par son chouchou, Hugh Laurie, le Dr House.

Dès l'arrivée, les mondanités s'enchaînent. Élise fait la connaissance des autres jurés et de trois ados marseillais surdoués, héros d'un film de Mehdi Boualem. À noter un incident sans gravité qui conduit la maman de la jeune Gwendoline à l'hôpital. Frissons pour Élise, à la montée des marches du Palais, avant un beau succès à la projection de “son” film. La poétesse et jurée Valeria Fortine meurt noyée dans une piscine lors de la fête qui suit. Fort étonnant pour une si bonne nageuse. Personne autour n'a rien remarqué. Le capitaine de police Kevin Isidore, fan du chanteur Sting, champion de boxe thaïe, s'occupe de l'affaire. Élise l'imagine sans mal, et ne tarde pas à le surnommer pour elle-même Fernandel Columbo. Selon la légiste Véra Martineau, la victime a été droguée.

Le lendemain, Élise et Yvette sont bloquées dans les toilettes par un cadavre qui entrave l'accès. Il s'agit d'un vigile du Festival, un certain Derek. La probabilité de deux décès consécutifs dans un même espace était pourtant infime. La mort de ce Derek s'explique mal, car il ne se droguait pas. Cocktails et visionnages de films se poursuivent pour Élise, sous la houlette d'Yvette. Celle-ci est sous le charme de Charles Moroni, un vieux barman cannois de belle prestance. Le troisième jour, se produit un accident : l'attachée de presse Maëva Osmond fait une chute mortelle. En attente de l'accouchement de son épouse, le policier Isidore tâtonne. Le jour d'après, c'est le jeune cinéaste Loïc Safran qui est, à son tour, supprimé. Une fléchette dans la carotide, ça ne pardonne pas.

Si Mehdi Boualem fait un bon suspect, toutes les hypothèses sont ouvertes. Est-il possible qu'Élise ne soit pas visée elle aussi, dans cette série de drames ? Elle y aura droit également. Mais ce sont d'autres victimes qui, les jours suivants, sont encore à déplorer. Nouveau papa, Kevin Isidore est perplexe : “Rien ne tient debout. À croire que quelqu'un s'amuse à bâtir un échafaudage branlant pour que je m'y casse la comprenette. Mais je tirerai le fil jusqu'à l'extérieur du labyrinthe.” Il serait bon que le policier se presse et qu'il garde un œil sur Élise, car l'ambiance va bientôt chauffer au Palais des Festivals…

Brigitte Aubert : La mort au Festival de Cannes (Éd.Seuil, 2015)

C'est une magnifique comédie noire qu'a concoctée ici Brigitte Aubert, offrant de nouvelles aventures à l'héroïne de “La mort des bois” et de “La mort des neiges”, Élise Andrioli. Si elle reste lourdement handicapée depuis un attentat alors qu'elle n'avait que trente-six ans, Élise a un mental d'acier. Et une capacité à nous raconter ce qu'elle entend, ce qu'elle perçoit, ce qu'elle devine. Si elle accepte qu'on lui ouvre le chemin dans les méandres du Palais des Festivals, elle ne tient nullement à susciter la pitié. Surtout pas avec les stars qu'elle vénère autour d'elle. D'ailleurs, dans toutes les péripéties qu'elle traverse, Élise ne cesse d'évaluer une situation qui échappe autant aux policiers qu'aux invités.

On ne peut s'empêcher de citer deux ou trois délicieux extraits : “Nous autres, les Hercule Poirot de banlieue, on a toujours des suspects en réserve. C'est comme ça dans tous les bons polars. L'auteur sort les suspects de son clavier plus vite qu'un magicien les lapins de son chapeau.” Car Élise compte bien écrire elle-même un roman : “L'enquêteur de mon polar sera d'un calme à toute épreuve, en plus d'être beau, costaud, drôle et cultivé. À se demander pourquoi il se retrouve célibataire et alcoolique. Ben oui, tous les détectives sont mal rasés, pochtrons et ténébreux.” Si on la flatte, Élise pense : “Un compliment sur mon physique ! Je m'en ferais presque pipi dessus de joie, comme un chiot – eh oui, on ne dit pas "chiotte" pour les femelles, Dieu merci.” Quant à l'utilisation abusive du téléphone portable, elle en deviendrait nostalgique : “Et pourtant, nous n'étions pas plus angoissés qu'aujourd'hui… On est tous transformés en bébés qui pensent que leur mère a disparu dès qu'ils ne la voient plus. On n'a plus confiance dans le lien, dans la vie.”

Humour, noirceur et suspense, telles sont les qualités des meilleurs polars de Brigitte Aubert. Cette incursion ravageuse au Festival de Cannes démontre une fois de plus qu'elle est une romancière chevronnée et d'un grand talent. Une intrigue mouvementée, que l'on savoure avec un réel plaisir.

- Ce roman est disponible dès le 7 mai 2015 -

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 04:55

Originaire du 6e arrondissement de Paris, Georges Dupin est commissaire de police depuis quatre ans à Concarneau, dans le sud du Finistère. S'il lui reste encore bien des choses à découvrir sur les mœurs bretonnes, Dupin connaît déjà l'archipel des Glénan. Dont l'école de voile est universellement réputée. N'étant guère amariné, le policier n'était jamais allé là-bas. On vient de découvrir les cadavres de trois quinquagénaires sur l'île du Loch, qui fait partie des Glénan. En ce mois de mai, avec une marée coefficient 107, la tempête de la nuit passée en mer a pu entraîner un naufrage fatal. Arrivés sur le site, les enquêteurs n'oublient pas de tenir compte des courants, même si on leur rappelle aussi les légendes qui font partie de la tradition locale, avec sa part de surnaturel.

Le commissaire Dupin s'ancre sur l'île Saint-Nicolas, principal lieu de vie de l'archipel, tout en restant en contact téléphonique permanent avec son assistante Nolwenn. Le bar des Quatre-Vents, tenu par la jeune veuve Solenn Nuz et ses filles, devient naturellement son quartier général. Le homard qu'on y déguste est un plaisir pour le gourmet policier. On va identifier dès les premières heures deux des disparus. Champion de nautisme, Lucas Lefort est un des propriétaires de l'école de voile, avec sa sœur Muriel. Tous deux possèdent des maisons sur l'île. L'autre victime est Yannig Konan, un proche de Lefort, homme d'affaires ami du préfet. Bien qu'étant en déplacement, le préfet exige que l'enquête soit prioritaire. Heureusement que le policier Dupin peut joindre par téléphone le médecin légiste.

Un troisième disparu a été signalé, mais cet Arthur Martin ne paraît pas être le dernier quinquagénaire des Glénan. Lefort et Konan, qui ont passé la soirée de la veille au bar des Quatre-Vents, n'étaient pas des néophytes : en cas de tempête nocturne, ils pouvaient s'en sortir. Le légiste apprend au commissaire Dupin que l'on a fait absorber à Lefort et Konan un puissant sédatif. Pour le policier, celui qui les a intoxiqués était forcément un des clients du bar, la veille au soir. Ses collègues Le Ber et Labat interrogent tout le monde. Lui se concentre sur la charmante Muriel Lefort, et son assistante à l'école de voile, Maela Menez. Par ailleurs, un plongeur a repéré un bateau à moteur naufragé. Il appartient à Grégoire Pajot, qui est la troisième victime retrouvée sur l'île du Loch.

Ayant voulu développer des projets touristiques, Lucas Lefort ne manquait pas d'ennemis. Le parcours de Yannig Konan, qui s'est enrichi dans les affaires, pouvait causer quelques jalousies, aussi. Le policier Dupin est rentré pour la nuit sur le continent. Ce qui lui permet d'interroger le lendemain le maire de La Forêt-Fouesnant. Une piste anonyme désigne à la fois la société Medimare et la station de biologie marine de Concarneau. Le directeur de la station ne se montre pas du tout coopératif. Les policiers poursuivent leurs investigations aux Glénan. Où ils devront passer la nuit suivante, car la tempête interrompt les liaisons téléphoniques autant que la possibilité de rentrer…

Jean-Luc Bannalec : Étrange printemps aux Glénan (Ed.Presses de la Cité, 2015)

On avait fait la connaissance du commissaire Georges Dupin dans “Un été à Pont-Aven” (2014). Après la cité des peintres, ce policier qui n'a pas le pied marin met le cap sur les îles des Glénan. Son enquête va durer à peine trois jours. On comprend bien qu'il ne soit pas pressé de quitter ce bel archipel aux allures tropicales, dont La Chambre peut faire penser à un lagon. Entre Solenn Nuz et Muriel Lefort, il est agréablement entouré, au risque d'en oublier sa compagne Claire Chauffin, chirurgienne parisienne. Par rapport à l'état d'esprit des Bretons, fiers de leur territoire et de leurs coutumes, comme sur les questions de protection du littoral ou d'algues vertes, le policier citadin s'acclimate très bien dans la région concarnoise. Sans doute à l'image de l'auteur, habitué des lieux : c'est un écrivain allemand, utilisant un pseudonyme à consonance bretonne.

Il décrit de belle manière les décors des Glénan et l'impression qu'on y ressent. Hommage à Simenon, c'est à L'Amiral, sur le port de Concarneau, que Dupin prend ordinairement ses repas. Évacuons quand même les points qui s'éloignent de la réalité : il n'existe pas de Conseil national breton (un Conseil régional, oui) ; jamais un préfet finistérien ne serait missionné dans les îles anglo-normandes ; et surtout, la SNSM (Société Nationale de Sauvetage en Mer) ne dispose que de canots tous-temps, pas d'une flottille d'hélicoptères (ce sont des appareils militaires). Ce sont là des détails, ignorés de la plupart des lecteurs, qui ne gâtent absolument pas l'intrigue proprement-dite. Car notre vaillant commissaire dirige sans faillir son enquête, téléphone portable en main, explorant toutes les hypothèses possibles, n'excluant pas les pistes moins probables. Sympathique histoire, dans la bonne tradition du roman policier.

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23 avril 2015 4 23 /04 /avril /2015 04:55

Un quartier familial et tranquille dans une banlieue d'Île-de-France, où l'on trouve la rue Edmond-Petit, bordée de maisons jumelles. Au n°26, habitent Sylvain et Tiphaine Geniot, avec leur fils adoptif Milo. Le mari est architecte, l'épouse est horticultrice. Voilà quelques années, ils ont perdu leur enfant de six ans, Maxime. Aujourd'hui âgé de quinze ans, Milo était le fils de leurs voisins décédés. Ayant obtenu la tutelle, Tiphaine et Sylvain élèvent ce jeune garçon depuis huit ans. Milo se montre quelque peu rebelle, comme tous les ados. Tiphaine reste marqué par l'épisode dramatique qu'ils ont traversé. Au n°28, une nouvelle famille vient de s'installer, après le décès de la vieille dame qui y habitait.

D'origine marocaine, Nora Amrani est une jolie femme de quarante-quatre ans. Après une crise de couple apparaissant sans solution, Nora a fini par rompre avec son mari, Alexis Renard. Ce dernier est avocat, passionné par son métier. Ils ont deux enfants. L'aînée, Inès, a treize ans. Elle a hérité du charme de sa mère. Ce que ne tardera pas à remarquer son nouveau voisin, Milo. L'ado est assez maladroit avec elle, alors qu'Inès ne cache pas être attirée, elle aussi. Son petit frère de huit ans se prénomme Nassim. Nora a réussi à se faire embaucher comme assistante-maternelle à l'école des Colibris. Un travail aussi passionnant qu'exigeant, y compris sur la question des horaires.

De Nassim à Maxime, des prénoms ayant la même consonance. Pour Tiphaine, c'est très perturbant, au point qu'elle sent dans un premier temps un rejet envers le petit Nassim : “Tiphaine, quant à elle, réalisa avec angoisse qu'elle allait tout simplement être incapable de supporter la présence de cet enfant.” Néanmoins, elle sympathise bientôt avec Nora. La voisine ne pouvant compter sur son amie Mathilde pour garder son fils quand elle rentre plus tard de l'école, Tiphaine accepte de s'en charger. À plusieurs reprises, c'est chez Nora qu'elle assure la garde du gamin. Gagnant une relative complicité avec Nassim, Tiphaine ressent un certain apaisement par rapport au drame auquel elle fut confrontée.

Alexis Renard se souvient d'une précédente affaire impliquant les défunts habitants de ces maisons mitoyennes. Il a toujours cru en l'innocence de David Brunelle, son client. Le fait que Sylvain Geniot semble jouer au séducteur avec Nora incite l'avocat à se renseigner davantage. Au bureau d'état-civil, il parvient à glaner des infos qui lui confirment que tout ça n'est pas clair. Car le fils adoptif des Geniot est, donc, celui de son ex-client Brunelle et de sa femme Laetitia, tous deux morts. En persévérant, Alexis Renard risque de se mettre en danger. Ce n'est pas le tandem de flics ressemblant à Laurel et Hardy qui sauront éclaircir les choses, le concernant. Assez rapidement, la situation va s'envenimer entre Nora et la possessive Tiphaine. Jusqu'au jour où la police est appelée à intervenir…

Barbara Abel : Après la fin (Pocket, 2015)

On retrouve ici le contexte tourmenté de “Derrière la haine”. Il ne s'agit pas strictement d'une suite, puisque cette seconde histoire peut se lire sans connaître la première. L'auteure est habile à suggérer quelques points de repère suffisants, relatifs au titre précédent. Le talent de Barbara Abel consiste à nous présenter, dans leur quotidien, des personnages conformes à la réalité. Rien de spectaculaire ni de criminel ne devrait se produire. Sans doute, des maladresses relationnelles et des petits incidents de voisinage ne sont pas à exclure. Bien sûr, le traumatisme de Tiphaine n'a pas été effacé avec les années. Toute à sa nouvelle vie, Nora ne perçoit pas forcément les problèmes à venir.

L'attirance entre les deux ados devrait même être facteur de bons rapports entre les deux familles. Pourtant, la tension est perceptible, pour nous qui (comme la mère Bourgeon) sommes témoins des faits. Et des pensées de Tiphaine, en particulier. Maîtrisant de A à Z cette intrigue en apparence limpide mais bien plus perverse, Barbara Abel réussit à nous fasciner. Peut-être parce qu'elle nous donne l'impression que ça se passe tout à côté, chez nos propres voisins.

Un excellent suspense.

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 04:55

Âgé de vingt-six ans, Patrick Cusimano vit à Ratchetsburgh, dans la banlieue de Pittsburgh (Pennsylvanie). Célibataire, il est employé de nuit dans une station-service. Il est amateur de films d'horreur et de hard rock métal. Il habite avec son frère Mike et sa petite amie Carolyn dans la maison de leur père. John Cusimano est en prison après avoir, en état d'ébriété avancé, heurté et tué un enfant dans un accident de voiture. La population ne cache pas son hostilité envers ses fils Patrick et Mike, qui ont tardivement alerté la police. Sur Internet, on réclame la vengeance aussi à leur encontre. Troublé après un choc avec un cerf, Patrick ne veut plus conduire. Laisser sa voiture garée devant chez les voisins ne va guère leur plaire. Par ailleurs, au hasard d'une absence de Mike, Caro couche avec Patrick. Pour ce dernier, si proche de son frère, difficile d'effacer cette trahison.

Jeff Elshere est pasteur d'une communauté catholique radicale. Son épouse et lui ont deux filles. L'aînée, Layla, est une lycéenne âgée de dix-sept ans. Elle doit son prénom à une chanson célèbre d'Eric Clapton, avant que ses parents n'adhèrent à la religion. Son look gothique, Layla l'a choisi depuis l'an dernier, après un problème au lycée, polémique dans laquelle son père joua un certain rôle. Depuis, elle joue les rebelles avec une bande d'amis provocateurs. Entrant au lycée, sa jeune sœur Verna subit les conséquences de la pagaille semée par Layla. L'anonymat, elle ne doit pas y compter. Un groupe d'élèves imbéciles la surnomme Vénérienne, en raison de son prénom curieux. Il n'y a que le jeune Jared qui lui montre un peu de sympathie en cours de dessin. Au fond, Verna admet que Layla n'a pas tort de la traiter de "zombie obéissante", conforme à l'attente de leurs parents.

Tandis que Verna suit Layla et sa bande d'amis marginaux, allant jusqu'à se teindre les cheveux à l'exemple de sa sœur, la gothique Layla a fait irruption dans la vie de Patrick. Elle vient l'asticoter à la station-service, le relance ensuite pour qu'ils sortent ensemble. Le jeune homme sait que neuf années de différence, Layla étant mineure, ça risque de poser un sévère problème. Caro commence à vraiment s'inquiéter des menaces contre les frères Cusimano. La maison est toujours au nom de leur père : certains vengeurs pourraient bien faire pression pour qu'elle soit vendue. Se marier avec Mike, mener leur vie ailleurs, Caro ne sait si ce serait mieux. Pour l'heure, afin d'éviter un problème de voisinage, il faut vider le garage des affaires du père pour y ranger la voiture de Patrick.

Au lycée, Verna se forge une carapace pour résister : “Elle s'en fichait. Elle était coriace. Elle était du titane.” Après les saloperies des forums Internet, les graffitis sur son casier, et un "cadeau" de très mauvais goût, Verna est agressée et humiliée par le groupe de lycéen(ne)s hostile, qui filme la scène. La direction du lycée ne l'aidant pas, Verna rejoint sans complexe Justinien et les amis rebelles de Layla. La gothique et Patrick sont devenus de plus en plus intimes, même si le jeune homme ne sent pas de sentiment pour elle. Car il y a aussi Caro. Sans oublier tout le reste de leurs ennuis présents et à venir. Règlements de comptes et dérapages funestes sont à craindre…

Kelly Braffet : Sauve-toi ! (Rouergue Noir, 2015) – Coup de cœur –

Quelle place peuvent espérer les jeunes des classes moyennes modestes dans l'Amérique actuelle ? Le monde est-il si exemplaire, qu'il suffise de suivre un chemin tracé ? Est-il normal qu'on les confine dans des jobs sans intérêt, qu'on instrumentalise leurs esprits au nom d'une religion ou des codes traditionnels ? Pourquoi accable-t-on des fils pour la faute d'un père, pourquoi laisse-t-on l'impunité à des cadors de lycée persécutant les plus faibles ? Pourtant, ces jeunes gens sont simplement issus du quotidien et ne réclament que la paix, une vie tranquille. Qu'on leur accorde plus de confiance ou de liberté, face aux valeurs strictes en vigueur, est-ce si grave ? S'ils se marginalisent après avoir été montrés du doigt, n'est-ce pas la société qui risque d'en faire des monstres ?

Ces questions-là, Kelly Braffet ne les formule pas ouvertement. Néanmoins, c'est bien ce qu'elle illustre à travers cette histoire. Le regard qu'elle porte sur un aspect des États-Unis incite à la réflexion, non pas à juger les personnages. Leurs douleurs intimes, elle nous les transmet avec une belle empathie. C'est l'oppression "des autres" qui les perturbe, qui complique leur vie ordinaire. La force de se défendre, Layla l'a peut-être trouvée. Sa jeune sœur tente d'y parvenir. Patrick s'est replié sur lui-même, avec une part d'indifférence. Caro et Mike croient encore au futur. Une intrigue aussi sombre que fascinante de réalisme et de crédibilité, une sorte de témoignage sociologique, voilà ce que Kelly Braffet nous présente dans cet excellent roman noir humaniste.

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19 avril 2015 7 19 /04 /avril /2015 04:55

Nicolás Sotanovsky est un Argentin approchant des trente ans, aspirant à devenir écrivain. Il vivote à Madrid depuis six mois, largué, désœuvré. Il a réussi à se loger chez une rousse nommée Noelia, actuellement absente, qu'il ne connaît pas. Quand débarque un costaud que Nicolás surnomme illico “Jambon calibre 45”, ce mastard exige qu'il lui indique où se trouve Noelia. S'il l'ignore, Nicolás n'a qu'à la trouver. L'Argentin hésite entre filer au plus tôt ou jouer au détective de roman façon Chandler. Intervient alors Nina, la meilleure amie de la disparue. “Je vais essayer de t'aider. Mais je ne te promets rien. Avec Noelia, tout est possible : elle peut retourner à la vie sauvage dans un hameau d'Andalousie ou s'envoyer des Arabes dans un hôtel cinq étoiles de Casablanca” déclare la sensuelle Nina.

Le couple est pris en filature par “Jambon calibre 45”, qui se nomme en fait Serrano et ne se cache pas. Dans l'appartement de Noelia, Nicolás cherche quelques éléments sur elle. Un DVD où elle apparaît nue prouve toute la grâce de cette jeune femme. Nina confirme, à travers ses souvenirs d'étudiante, que son amie a toujours attiré les hommes en affichant sa fragilité. Nicolás se rend dans le quartier de Lavapiés, où l'on trouve des Argentins en exil. Un de ses compatriotes montre une amertume et une fierté qui agacent Nicolás. C'est sa copine Lidia, avec laquelle il en resta à des amours platoniques, qu'il est venu voir. Par son contact dans la police, l'inspecteur Manolo Sáinz, elle peut obtenir des renseignements utiles sur Serrano et son patron Menéndez, qui se fait appeler La Momie.

Après avoir collé une sévère raclée à Nicolás, les deux truands lui accordent un peu plus de temps pour retrouver Noelia et le paquet. Faire une tournée dans les bars du quartier Malasaña n'aide guère Nicolás, si ce n'est qu'il y rencontre un chat qui dialogue avec lui. Il est de nouveau pisté, mais par un pitoyable détective privé, Felipe Mar López. Qu'il ne tarde pas à baptiser Philip, référence à Chandler oblige. Il a eu pour cliente Noelia, qui ne l'a pas payé. Il est lucide : “Je sais perdre, Sotanovsky. J'en ai l'habitude. Si c'était une discipline olympique, j'aurais toutes les médailles...” Ils sont faits pour s'entendre. De son côté, Lidia a glané des infos sur Nina et surtout sur La Momie, récemment sorti de prison après un coup fumeux et sans rentabilité visant la banque Financur.

Quand Nicolás arrive à son rendez-vous chez Felipe Mar López, le détective a été occis. Il tenait un journal intime confirmant ce qu'il avait dit. Le dimanche, au Marché aux puces, Nina et Nicolás rencontrent Violeta, une vendeuse de fringues qui croit avoir aperçu Noelia il y a peu de temps. Il est possible que, dans sa robe rouge, la belle rousse rôde en effet autour de Nicolás. Dès le lundi, il adopte l'allure Bogart version “privé”, émettant des hypothèses sur le lien entre Noelia, La Momie et la Financur. Jusqu'au vendredi suivant, ultime délai, il va au bout de ses investigations, non sans déception, ni victimes…

Carlos Salem : Un jambon calibre 45 (Babel Noir, 2015)

Lire un roman de Carlos Salem, c'est comme embarquer pour une croisière nocturne en pleine tempête sur un navire en mauvais état : si on fait confiance au capitaine pour que la traversée se passe aussi bien que possible, on ignore en permanence quelles surprises ce voyage nous réserve. Selon sa fantaisie, et même en gardant le cap, le commandant Salem suscite, par sa façon de piloter le bateau, un frisson d'excitation mêlé de crainte. Afin que l'on oublie tout le reste, il nous présente des personnages singuliers, bigarrés, improbables. Il nous fait beaucoup rire, aussi, à travers les déboires de son Nicolás, qui lui ressemble quelque peu. On espère qu'il a réellement croisé cette Nina nymphomane.

La narration est enjouée, entraînante. Avec des portraits précis, en peu de mots, tel celui de La Momie : “Un drôle d'oiseau, vols à main armée, spécialiste des coffres-fort, un type maigre et blafard, soupçonné de plusieurs crimes dont un seul a été prouvé il y a des années...” Bien sûr, le nom du costaud est une allusion au jambon, et Philip Marlowe n'est jamais loin, lui non plus. Qu'on ne s'y trompe pas, Carlos Salem est avant tout un auteur qui cultive avec talent son style personnel, une excentricité créative particulièrement séduisante. Chacun de ses romans est un bonheur de lecture.

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