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24 octobre 2015 6 24 /10 /octobre /2015 04:55

À Londres, le policier Max Wolfe élève seul sa fille de cinq ans, Scout. Ils habitent un vaste loft. Avec le turbulent jeune chien Stan, un cavalier king-charles, Wolfe tente de composer une sorte de famille à trois. Membre d'une unité anti-terroriste, il a été récompensé par la Queen's Police Medal pour une action spectaculaire. En ce mois d'octobre 2008, Max Wolfe a intégré la brigade des homicides de West End Central, au 27 Saville Row. Son supérieur Mallory et l'équipe d'enquêteurs l'adoptent sans problème. Ce n'est pas le cas d'Elizabeth Swire, la surintendante principale, qui lui garde rancune. Mallory et Wolfe sont chargés du meurtre d'Hugo Buck, banquier âgé de trente-cinq ans, qui vient d'être égorgé dans son bureau au petit matin. Un crime de professionnel, sans témoin. Il serait trop facile d'accuser l'épouse de la victime, Natasha Buck, malgré une récente et sérieuse dispute.

C'est dans une ruelle qu'est découvert un SDF égorgé de la même façon que le banquier. Une deuxième inscription "porc" figure près du lieu du crime, comme pour le premier cas. Il s'agissait d'un junkie, mais possédant un hautbois, ce qui suppose une origine sociale aisée. En effet, Adam Jones fut vingt ans plus tôt un condisciple de Hugo Buck à Potter's Field, un collège privé traditionnel. La mère d'Adam Jones admet qu'il existait une part d'obscurité chez son fils. Wolfe remarque la même photo de groupe que chez le banquier. Ainsi qu'un tableau signé JS, comme chez Hugo Buck. Le policier saura bientôt que ce sont des œuvres de James Sutcliffe, un des sept jeunes sur la photo de groupe. Mal dans sa peau, le jeune peintre s'est suicidé a dix-huit ans lors de vacances en Italie.

Il reste quatre hommes vivants parmi ceux qui figuraient sur la photo de groupe de Potter's Field : Guy Philips, l'homme d'affaire Salman Khan, le militaire Ned King et son jumeau, le politicien Ben King. Les policiers les ont vus aux obsèques de Hugo Bock, avant de leur rendre visite à chacun. Pour Wolfe, “Cette petite bande tournait autour des frères King. Avec Ben en chef de meute. Guy Philips était leur pitbull, Salman Khan leur caniche. Hugo Buck était leur étalon, leur athlète. Quant à Adam Jones, il suivait juste le mouvement… Sutcliffe était le seul vrai rupin. Le seul parmi eux dont la fortune familiale remontait à plusieurs génération. Il était leur héros.” Alors que les policiers se rendent à Potter's Field, l'assassin s'attaque tout près de là à Guy Philips. Gravement touché, il est hospitalisé mais il y a peu de chances qu'il survive au début d'égorgement.

Max Wolfe a frôlé la mort à cette occasion. Sur Internet, circule une vidéo le montrant en fâcheuse posture. Sans doute a-t-elle été postée par “Bob le Boucher”. C'est cet inconnu que l'on soupçonne depuis le début d'être le tueur en série. Wolfe et Mallory ne croient pas en cette hypothèse. Puisque c'est celle de la surintendante Elizabeth Swire, elle va essayer de le provoquer par voie de presse, grâce à une alliée journaliste. Max Wolfe préfère une autre piste, la galerie de tableaux Nereus Fine Art. Si ça le fait progresser d'un grand pas, révélant une sale histoire vieille de vingt ans, le tueur va causer d'autres victimes, dans les rangs de la police, et chez les rescapés du groupe de Potter's Field…

Tony Parsons : Des garçons bien élevés (Éd.de la Martinière, 2015)

Si c'est effectivement un roman d'enquête, les investigations n'ont rien de balisées ni de simplistes dans cette affaire. Certes, le lecteur a un avantage : on nous décrit dès le début la cause de la série de meurtres sanglants. On comprend quelle est la culpabilité des sept anciens étudiants. La vengeance, le plus classique des mobiles pour un assassin. L'intrigue s'avère astucieusement construite, nous laissant découvrir d'autres éléments, essaimant les indices.

Parmi ceux-ci, “The murder bag” du titre anglais d'origine : il s'agit de la toute première version d'une mallette de scène de crime, la "Valise de Gladstone" conçue en 1925. Les policiers exploreront ainsi le Black Museum de la police britannique, cherchant en particulier quel type de poignard très léger est utilisé par le tueur. Il est aussi question d'un œil de verre, conséquence de la scène datant de deux décennies plus tôt.

Le métier de policier n'empêche nullement d'avoir une vie privée. Trouver le bon équilibre lorsqu'on élève sans mère une enfant en bas âge, pas facile. Surtout quand on souffre d'insomnies chroniques, quand il faut s'occuper d'un chiot, et que respecter les horaires de la gamine est parfois compliqué. Passer du statut de héros anti-terroriste à flic ridiculisé dans une vidéo, il faut également assumer.

Le policier Max Wolfe n'est pas un personnage monolithique, c'est un pro chevronné doté d'une bonne dose de sensibilité. Mallory et son épouse l'ont bien compris, et les lecteurs en tiennent compte aussi. Max Wolfe s'expose au danger, tout en captant autant que possible la psychologie de celles et ceux qu'il interroge. Si “Bob le Boucher” n'est pas que le pseudo d'un pervers virtuel, Wolfe progresse vers une vérité moins flagrante. Un suspense dans la meilleure des traditions, un roman de qualité pour amateurs de polars efficaces et inspirés.

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21 octobre 2015 3 21 /10 /octobre /2015 07:00

Le commissaire Léon est le plus singulier des enquêteurs de la PJ. Montmartrois de cœur, ce quadragénaire a ses habitudes au Colibri, un bistrot typique du quartier. Il habite avec sa mère Ginette, une Belge fière de ses origines. Même au bureau, il ne peut se passer de son chien Babelutte (c'est le nom d'une friandise, en Belgique). Si le commissaire Léon tricote, en cachette de ses subalternes, c'est pour ne pas fumer. En outre, ça lui permet de réfléchir posément. Entre son exubérante secrétaire Nina Tchitchi et ses inspecteurs, il a besoin de ces moments de répit. Si Babelutte disparaît, le temps d'une aventure sans lendemain avec le chien du voisin, il préférera bientôt le confort auprès de son maître.

Catherine Grangier, Héléna Danvers et Maura Servier sont trois amies des quartiers chics de Paris. Le père de Catherine n'est autre que le maire de Neuilly, Charles Grangier. La jeune femme est obsédée depuis quelques temps par son viril amant, Gilles. Son père se doute bien que ce gugusse doit avoir un casier judiciaire. Héléna Danvers vit avec sa fille de quatorze ans Carole et sa mère Clara. Cette dernière n'est pas exactement la sage vieille dame qu'imagine Héléna. Elle s'en apercevra sur le tard. Maura, épouse de Pierre Servier, a un fils de sept ans, Louis (Loulou). Elle aimerait bien renouer avec François, son amour d'antan sur lequel elle fantasme. Pierre, lui, va souvent chez les putes.

La rousse Maura picole beaucoup depuis quelques temps, siphonnant des litres de vodka. C'est que, trois mois plus tôt, elle a causé un accident de voiture mortel, en présence de ses amies Catherine et Héléna. Une gamine de sept ans, Lily, en a été la victime. Elles ont averti la police, mais elles ont préféré fuir le lieu de l'accident. Depuis, elles ont évité de se recontacter, et aucune des trois n'a parlé à quiconque de leur mésaventure. À vrai dire, Catherine n'a pas pu s'empêcher de raconter ça à son amant Gilles. Ce qui pourrait donner des idées malsaines à un type comme lui. De son côté, le petit Loulou a également trouvé un indice concernant cette affaire. Ce qui risque d'avoir des conséquences meurtrières.

François a fixé un rendez-vous nocturne à Maura, qui en est tout excitée. Il s'agit d'un piège pervers, destiné à l'humilier et à faire chanter son mari Pierre. Celui-ci paie la rançon exigée, et engage le détective Mario Vandensick afin de récupérer son fric. Pas sûr que l'enquêteur soit à la hauteur. Pierre découvre les dessous de l'affaire, le dramatique accident qui fut causé par son épouse Maura. Ce qui ne le retient pas de retourner voir les putes. D'autant qu'une certaine China est plus experte que la moyenne de ces pros du sexe. Quand Loulou découvre les maquettes secrètes de son père Pierre, il aurait matière à s'interroger. Mais le petit garçon va être bientôt kidnappé, et séquestré au côté d'un rat.

Quand le maire Charles Grangier est abattu, le commissaire Léon s'intéresse de plus près à ce cercle d'amis. Le douteux Gilles n'a pas le profil d'un tueur, mais sait-on jamais ? Ça sent la vengeance, ce genre de crimes. D'autant que la disparition de Loulou est signalée, et que la victime suivante n'est autre que Clara Danvers, la mère d'Héléna. La série est loin d'être terminée. Le commissaire Léon réalise que dans tous ces cas, il y a des traces de coquelicots autour des victimes. Ce qui n'est pas sans rappeler la mort de la petite Lily, dont le policier n'a que vaguement entendu parler jusqu'alors. Il essaiera d'intervenir afin de sauver ceux qui n'ont pas encore été atteints par cette suite criminelle…

Nadine Monfils : La nuit des coquelicots (Pocket, 2015)

Voilà un résumé pouvant apparaître un peu sérieux, alors qu'on connaît bien la fantaisie dont Nadine Monfils est coutumière. Qu'on se rassure, les enquêtes du commissaire Léon "n'engendrent pas la mélancolie". Entre un inspecteur maladroit, un curé commettant de curieux vols, la mère du policier avec son franc-parler, quelques habitués du Colibri (et de Montmartre) ainsi que bien d'autres personnages, on s'amuse beaucoup. L'auteure se plaît à épicer le récit grâce à des scènes érotiques, explicites et bienvenues car correspondant à l'état d'esprit des héroïnes dans ces moments excitants.

S'il s'agit effectivement de comédie policière, la base de l'intrigue reste malgré tout d'une vraie noirceur. La mort, fut-elle accidentelle, d'une enfant reste un véritable drame. C'est ce qui séduit dans ce roman : sombre vengeance, d'une part ; situations drôlatiques voire proches de l'absurde, de l'autre. Au fil d'une histoire composée de courts chapitres, Nadine Monfils nous raconte tout cela avec une très belle souplesse narrative. C'est ainsi que les lectrices et les lecteurs se sentent complices, entraînés par le récit. “Madame Édouard” et “La nuit des coquelicots”, les deux premiers tomes de la série, sont disponibles en format poche.

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20 octobre 2015 2 20 /10 /octobre /2015 04:55

En 1791, la Révolution Française est loin d'être achevée. Le Roi étant toujours à la tête du pays, beaucoup pensent que la future Constitution créera un régime hybride, une royauté parlementaire où aristocrates et clergé auront moins de privilèges, où le peuple sera plus libre. Pourtant, entre le club des Cordeliers soutenant Danton, et celui des Jacobins plus à l'écoute de Robespierre, les espoirs d'une France nouvelle sont fragilisés. Dans son journal "L'Ami du Peuple", Marat prévient que la noblesse royaliste pourrait prendre sa revanche. En s'organisant de l'extérieur du pays, ou même de l'intérieur, car le Duc d'Orléans reste puissant, disposant de réseaux influents. Si La Fayette tient la Garde Nationale, l'agitation ponctuelle manipulée par les uns et les autres peut obliger à rompre l'actuel statu-quo.

Victor Brunel de Saulon, chevalier d'Hauteville, est âgé de dix-neuf ans. Originaire de la région de Tonnerre, en Bourgogne, il s'est éloigné de son père, le marquis de Saulon. À Paris, il s'appelle Victor Dauterive. S'il aime le dessin et la peinture, c'est dans la nouvelle Gendarmerie Nationale – qui succède à la Maréchaussée – que le jeune Victor est sous-lieutenant, désormais. Il est proche de La Fayette, son mentor. Ce dernier est obsédé par Marat. Sur le conseil d'Antoine Talon, ancien lieutenant-civil aux fonctions imprécises, La Fayette donne mission à Victor d'arrêter Marat. Sans uniforme, le sous-lieutenant se mêle à la population parisienne. Sympathisant avec l'artisan Duplay, il réalise que le peuple n'est pas insensible aux discours de Danton et de Robespierre, et fait plutôt confiance à Marat.

Repéré ou trahi, Victor est malmené par quelques admirateurs de "L'Ami du Peuple". Il n'a guère de temps pour s'occuper d'une série de petits vols commis dans son immeuble. Il finira néanmoins par remarquer la discrète jeune voleuse. De retour sur le terrain, Victor suit la piste du commissaire-élu Charpier, au service du Duc d'Orléans, membre du cercle des Vainqueurs de la Bastille. Nul doute que Stanislas Bourdon, Charpier et leurs amis, loin d'être des héros, ont des méfaits à cacher. À l'occasion d'une mésaventure, Victor retrouve un vieil ami de Tonnerre, le brigadier Vassel, sur qui il peut compter par la suite. Victor réussira à procéder à l'arrestation de Marat, mais il prend conscience de la sincérité de celui-ci et le laisse libre. Une faute que La Fayette ne peut laisser sans sanction.

C'est à Puteaux que le brigadier sexagénaire Picot recense un premier cadavre sorti de la Seine, à la tête coupée. Avec son ami chirurgien-barbier Bouvreuil, ils examineront deux autres morts similaires. Des cas qui ne semble guère intéresser le juge de paix Peretat. Le brigadier Picot s'étant trop approché des coupables, il est supprimé. Bouvreuil ne renonce pas, lui. D'autant qu'un des morts est identifié, c'est le mari de Mme de La Chesnaye. De son côté, Victor apprend qu'un de ses contacts, De Gastine, qui l'avait initié aux arcanes du pouvoir, a été assassiné. Un meurtre politique ? En ces temps révolutionnaires, il existe aussi des enjeux financiers. S'agissant de sommes conséquentes, il est plus facile de tuer les créanciers que de rembourser. À trop approcher des sphères haut-placées, Victor et ses amis risquent leur vie, aussi devront-ils fuir puis opérer dans l'ombre…

Jean-Christophe Portes : L'affaire des Corps sans Tête (Éd.City, 2015)

Un polar historique se doit de développer en priorité une intrigue criminelle. Cette période trouble, riche en complots et manipulations, de l'Histoire de France en offre la possibilité. Ce que l'auteur utilise avec une belle habileté. Le pouvoir royal vit ses derniers moments, à moins d'un ultime sursaut. Chez les ténors de la Révolution, la zizanie règne en maître. Sentant venir l'échec, seul Marat comprend que s'annoncent des épisodes sanglants. Le pouvoir central étant faible, bon nombre de ceux qui ont des fonctions officielles vont en abuser, jouer sur plusieurs tableaux pour garder leurs nouveaux privilèges. C'est tout ce contexte, inspiré de la réalité (quelque peu paranoïaque) d'alors sans apparaître trop pesant dans le récit, qui sert de toile de fond à cette aventure.

Au cours de ses tribulations, Victor Dauterive va donc croiser certaines personnalités de son temps, de La Fayette à Olympe de Gouges, en passant par les peintres Fragonard et David, entre autres. S'il est bien jeune, ce Victor, c'est assurément que l'auteur a voulu nous présenter un personnage de candide au cœur de cette bouillonnante Révolution. Du naïf participant à un enthousiasme général au jeune homme plus mûr, nous suivons son parcours chaotique, son évolution. Sans négliger les autres protagonistes, dans le camp des "enquêteurs" (le brigadier Picot et son ami Bouvreuil, l'archiviste Duperrier, etc.) ainsi que dans celui des malfaisants. Voilà une très belle manière d'explorer les dessous (romancés, bien sûr) d'une célèbre page de notre passé.

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L'Oncle Paul a aussi chroniqué ce roman :

http://leslecturesdelonclepaul.over-blog.com/2015/10/jean-christophe-portes-l-affaire-des-corps-sans-tete.html

 

Lire également la chronique d'Yves :

http://www.lyvres.fr/2015/10/l-affaire-des-corps-sans-tete.html

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19 octobre 2015 1 19 /10 /octobre /2015 04:55

Un dossier bien connu, mais dont il n'est pas superflu de rappeler quelques faits. Le 16 octobre 1984, le petit Grégory Villemin âgé de quatre ans disparaît après 17h, alors que sa mère et lui venaient de rentrer chez eux. Christine Villemin recherche son fils dans le village de Lépanges. Entre-temps, le père Jean-Marie Villemin est alerté, et un appel téléphonique anonyme apprend à un membre de leur famille la mort de Grégory. Son cadavre sera retrouvé en début de soirée à Docelles, à quelques kilomètres de Lépanges, noyé dans la Vologne. Cette vallée est le territoire de la brigade de Bruyères, qui lance immédiatement l'enquête. Celle-ci sera supervisée par l'officier de gendarmerie Étienne Sesmat, d’Épinal.

Il s'avère très bientôt que toute l'affaire se joue entre une poignée de familles (Villemin, Jacob, Hollard, Bolle) habitant dans un périmètre assez proche, liés par le cousinage ou frères et sœur. Toutes ces personnes appartiennent au milieu ouvrier, sans lien avec la délinquance ni la criminalité. Des gens ordinaires ayant des rapports cordiaux, parfois plus ou moins houleux, que rien ne devait préparer à un tel drame. En réalité, c'est inexact : en 1982 et 1983, un "corbeau" s'était de nombreuses fois manifesté, menaçant les parents Albert et Monique Villemin. Le plus visé de leurs enfants, c'était Jean-Marie.

Il est travailleur, et connaît une réussite sociale correcte qui lui vaut des inimitiés. Parmi son entourage, il est souvent surnommé "le Chef", du fait de ses fonctions à son usine. Dans ses courriers venimeux, le "corbeau" défend volontiers le fils aîné de la fratrie Villemin, Jacky "le bâtard", méprise son frère Michel, et cible jalousement Jean-Marie. Une première enquête de gendarmerie à ce sujet permit de calmer les coups de téléphone intempestifs et les lettres hargneuses. Est-ce parce que Jean-Marie et Christine étalent leurs moyens financiers récemment, qu'on s'en prend de nouveau à eux ?

Les gendarmes montrent de l'empathie pour les victimes, le couple Villemin : “Nous éprouvons envers ce jeune couple ravagé par le chagrin une immense compassion, mais ce sentiment n'interfère pas dans le travail d'enquête. Nous restons dans l'exercice de nos fonctions […] Cet entretien reste chargé d'une émotion difficile à décrire. Jean-Marie, poings serrés et mâchoire crispée, laisse entrevoir par instant la douleur intense et la rage qui l'habitent. Mais pas une seule fois, il ne parle de se venger. Il me dit : "J'ai confiance en vous". À ses côtés, Christine semble d'une faiblesse et d'une fragilité extrêmes. Elle s'exprime peu, je la sens ailleurs...” Si les gendarmes le trouvent ambitieux, charismatique, sûr de lui, ils négligent probablement la propension de Jean-Marie Villemin à la violence. N'a-t-il pas voulu abattre un "suspect" dès l'annonce de la mort de Grégory ?

Colonel Étienne Sesmat : Les deux affaires Grégory (Éd.Points, 2015)

Les gendarmes, se basant sur quelques indices, suivent une piste : Bernard Laroche, cousin du couple Villemin. Certes, il est plus ami du frère Michel, c'est ainsi qu'il a des infos sur toute la famille. Sa voix et son écriture seraient proches de celles du "corbeau". Son alibi reste imprécis. Rien ne certifie pourtant qu'il soit plus jaloux qu'un autre de la réussite de Jean-Marie. “À nos yeux, sa vie et celle de Jean-Marie Villemin ont suivi des trajectoires parallèles, tant dans le domaine professionnel que sur le plan personnel. Mais si les parcours se ressemblent, celui de Bernard Laroche a été plus laborieux. À chaque étape, la comparaison joue en sa défaveur.”

Pas un coupable idéal selon la gendarmerie, mais on l'accable davantage qu'on ne cherche des éléments positifs. D'autant que son épouse Marie-Ange Laroche ne défend pas vraiment son mari. C'est alors que la petite cousine Murielle Bolle a des révélations à faire. Après avoir fourni un alibi à Bernard Laroche, l'adolescente accuse. “Elle affiche une moue boudeuse, mais paraît détendue […] Je sais que ses aveux n'ont pas été obtenus par la pression, encore moins par la violence. Je me méfie toujours du témoignage d'un enfant, mais elle a plus de quinze ans, semble peu émotive et ne manque pas d'aplomb. Enfin, tout se tient.” Les gendarmes ne s'étonnent pas que leur coupable ait pris Murielle à son bord, alors qu'il transportait dans sa voiture son propre fils Sébastien ainsi que le petit Grégory Villemin.

Arrêté puis remis en liberté, Bernard Laroche sera abattu par Jean-Marie Villemin, qui avait publiquement annoncé son geste. Un temps, Christine Villemin est elle-même au centre de toutes les suspicions. Sa manière de jouer "profil bas" durant toute l'affaire surprend, dérange. Il est certain que la médiatisation à outrance de cette affaire, que l'omniprésence journalistique a largement biaisé le travail de la gendarmerie, avant que ce soit la police judiciaire qui s'occupe de la suite. La chasse à l'info, la multiplication des hypothèses, les locaux de la gendarmerie de Bruyères envahis par les photographes et la presse, les prises de positions de tel ou tel, ça ne simplifie jamais une enquête. Il est vrai que le juge d'instruction Lambert a pu paraître "léger" aux yeux de la gendarmerie. Bien sûr, en 1993, le procès pour meurtre de Jean-Marie Villemin ne pouvait être satisfaisant.

On ne contestera pas que le colonel Étienne Sesmat ait été parmi les plus impliqués dans l'enquête, qu'il en connaisse tous les détails – y compris ceux que le grand public ignore ou n'a pas retenu. Son parti-pris est, logiquement, celui de la version gendarmesque. Ses collègues et lui-même ne sont pas les seuls fautifs, si tout a dérapé, si chacun s'est fait une idée juste ou fausse sur ce dossier. Son témoignage est important, et fort complet, sur les meurtres de Grégory Villemin et de Bernard Laroche. Ici, des cartes et des rapports officiels complètent son récit des évènements vécus. Qu'on adopte le cas tel qu'il est présenté, ou qu'on ait un œil plus critique, ce livre permet de réfléchir au meurtre de cet enfant de manière plus solide, mieux informée.

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17 octobre 2015 6 17 /10 /octobre /2015 04:55

Quinquagénaire veuf, passionné de rugby, Angel Domier est gardien de la paix. Il reste en contact avec ses enfants âgés d'une vingtaine d'années, Elaine et Marc. Ce dernier était le fils d'Audrey, la défunte compagne d'Angel. Depuis trois ans, il participe à des missions militaires dans les points chauds du monde. Elaine vit en bord de mer, "se cherchant" encore un peu. Dans sa profession, Angel ayant suivi une formation d'Officier de Police Judiciaire et étant le plus âgé, il joue quelque peu le rôle de chef de groupe. Autour de lui, une équipe efficace, volontaire. Avec la jeune et séduisante Joana, le solitaire Bro qui a tendance à s'alcooliser, et H qui est toujours là pour traduire les témoignages en arabe. Depuis dix-huit ans qu'il collabore avec Angel, son supérieur André Lauzier lui accorde sa confiance. Quoi qu'il arrive, le gardien de la paix Angel entend rester un flic de terrain.

En marge d'une intervention agitée visant un chtarbé dans une tour d'une cité sensible, Angel découvre le cadavre d'une jeune femme. Elle semble se prénommer Eva, comme l'indique la gourmette ramassée par Angel, objet qu'il conserve pour lui. On a planqué son corps maltraité dans cette sinistre cave. Pour le policier enquêteur Fermacci, ce sera une affaire vite classée, simplement une junkie victime d'overdose. S'il n'est pas médecin, un employé de la morgue émet des doutes sur les causes du décès. Ce n'est que plusieurs semaines plus tard, ayant reçu l'accord de Lauzier pour un complément d'enquête, que cet employé raconte un fait bizarre à Angel : un certain Eric Zoom a insisté à la morgue pour rendre un hommage à Eva, récitant le "psaume 23". Curieuse démarche, curieux nom.

Bientôt, l'équipe d'Angel est alertée pour un cas de meurtre similaire. Lucie Fouchard était une boxeuse d'environ vingt ans, sportive de très bon niveau. Elle mesurait ses relations avec les hommes, en particulier dans ce milieu où il faut ménager les susceptibilités des musclés. Elle ignorait être espionnée de près, par un émule du révérend de “La nuit du chasseur”. Ce dernier pourrait cibler d'autres victimes potentielles. Dans la police, il existe aussi des flics malhonnêtes. Ancien collègue d'Angel, Guy Baleinot garde rancœur contre celui qui l'a impliqué dans une sale affaire, l'obligeant à dévier dans son métier.

Ce policier nommé Goimard se fait appeler Kaiser. C'est le plus cynique des ripoux. Assisté du flic Mario Lopez, ses activités marginales l'ont mis en contact avec un magistrat aussi "blindé" que pervers. Kaiser fait pression sur Stéphane Barnier et son ami Kader, mi-macs, mi-dealers, qui maltraitent leurs gagneuses. Angel et son groupe sont déterminés à approcher la vérité. Mais c'est mettre la main dans un panier de crabes : Angel risque de se propulser dans un univers bien trop puissant pour un petit policier de son niveau. Essayer d'en sortir indemne, serait déjà satisfaisant…

Pierrick Gazaignes : Le dernier message d'Eva (Éd.Philippe Rey 2015)

Première évidence : ce roman est construit à la manière d'un téléfilm ou d'un épisode de série polar, tels qu'on les conçoit depuis quelques années. Une amorce-choc, un premier crime crade, puis on s'intéresse au personnage central et à son entourage, tandis que dans l'ombre d'autres crimes sont commis. L'ambiance oscille entre le glauque nerveux et l'enquête sombre, avec bande-son musicale et référence cinéma adéquates. On apprécie la tonalité actuelle, sur la base d'une intrigue ayant fait ses preuve. Ou bien, on adhère moins, si l'on considère que ça se démarque peu de scénarios comparables.

Seconde évidence : l'auteur maîtrise son histoire. C'est des policiers de base dont il nous parle, de leur quotidien privé et professionnel, de leur rapport en équipe. De leurs états d'âme et de leur équilibre perso, d'une certaine façon. Ceux-là ne sont pas des cadors. La plupart sont réglos et respectueux, de leur métier et de la population. Tandis que d'autres s'avèrent de dangereux ripoux. C'est là que réside la qualité première de ce suspense : décrire la normalité de flics ordinaires, à la vie aussi imparfaite que tout le monde. C'est donc bien un contexte de roman noir qui est exploité, pas de doute. Éprouvons-nous de l'empathie ? À chaque lecteur de définir s'il partage les épreuves d'Angel et de ses amis.

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15 octobre 2015 4 15 /10 /octobre /2015 04:55

Fin 1999, Ania est une romancière russe âgée de trente ans. Divorcée de Vadik, qui reste présent dans sa vie, elle habite un appartement modeste, avec son chat Schumacher. Ania hérite d'un dossier concernant une affaire non-élucidée remontant à quarante ans. Début 1959, un groupe de neufs jeunes randonneurs est mort dans les montagnes de l'Oural. Ils avaient tous une vingtaine d'années, sauf l'un d'eux âgé de trente-sept ans. Ces derniers temps, après la fin de l'URSS, beaucoup de choses ont été écrites sur ce sujet. Pas des analyses si convaincantes, pour la plupart. Ania sent comme un confus appel posthume de ces victimes. Elle sympathise avec Sveta, qui elle aussi a recueilli quelques éléments.

Ces étudiants de l'Institut Polytechnique de l'Oural furent baptisés le Groupe Dyatlov. Ils devaient partir à dix, à l'assaut de la Montagne des Cadavres. On l'appelait ainsi suite à un précédent drame qui causa la mort de neuf personnes appartenant au peuple des Mansis, vivant dans la région. Pour autant, cette population n'en fit pas un lieu sacré, interdit. Au contraire, ils accueillaient volontiers les randonneurs montagnards. L'un ayant renoncé, les sept garçons et deux filles commentèrent leur aventure sur leurs carnets. C'est plutôt dans les rapports qu'Ania dénichera des faits concrets sur le drame. Cinq corps furent d'abord retrouvés en hypothermie, puis quatre autres quelques semaines plus tard.

Tous ces jeunes randonneurs étaient expérimentés, certains ayant participé deux ans plus tôt à une opération similaire. Par contre, l'organisation du Groupe Dyatlov resta minimale financièrement, donc quelque peu approximative. Plus tard, les secours seront fort tardifs, bien que s'impliquant énormément. Autour des obsèques, on ne donna pas d'explications aux familles des victimes. Le père de l'une d'elles reprocha alors aux autorités la flagrante négligence générale, émettant une hypothèse plausible. Le directeur sportif de l'Institut fut finalement peu sanctionné. Pourtant, l'enquête ne fut pas bâclée, on recensa tout ce qui aurait pu pousser ces jeunes randonneurs à s'exposer dans le froid mortel de la nuit.

Bien qu'athée à la façon soviétique, Ania a été baptisée et possède un sens de la religion et de la mort. Plus que les bougies et les prières à l'église, c'est l'abécédaire du dossier qui lui permet de situer l'esprit de l'affaire. Des témoins auraient vu des “boules de feu” dans la même période, des “phénomènes célestes” ont fait l'objet de rapports officiels. La tente des randonneurs semblait mal positionnée, également. L'inspecteur Ivanov releva que “la disposition et la présence des objets dans la tente (presque toutes les chaussures, les vêtements chauds, les objets personnels et les journaux) sont la preuve que les jeunes gens ont dû quitter la tente précipitamment et tous ensemble...” Pour quelle raison ?

Ania interviewe le frère d'une victime, qui lui confie le journal intime de sa sœur. On trouva, selon d'autres documents, des traces de radioactivité sur certains vêtements, sans que ça paraisse forcément un indice. Si les lieux du drame ont été “nettoyés”, est-ce avant ou après la découverte des cadavres ? Ania résume les seize principales versions (quelques-unes sont farfelues, suite à l'engouement pour ce cas mystérieux), en croisant plusieurs qui peuvent se compléter, avec un taux de probabilité sérieux. Sans doute est-il préférable pour Ania de reconstituer tout cela sous forme de roman…

Anna Matveeva : Le mystère Dyatlov (Presses de la Cité, 2015)

L'affaire du col Dyatlov qui causa la mort de neuf randonneurs dans la nuit du 1er au 2 février 1959 nous est mal connue. La chronologie des faits reste incertaine, faute de témoins oculaires et de survivants. Des sauveteurs ont dit ce qu'ils ont vu, des rapports légistes existent, des parents de victimes se sont insurgés. On a même des photos de ce groupe. À l'époque, bien que le stalinisme ait cédé la place au dégel politique grâce à Nikita Khrouchtchev, la Russie soviétique garde cette tradition séculaire (pas seulement communiste) du secret le plus absolu.

A contrario, bon nombre d'infos ont circulé sur les circonstances de ce drame, mais exclusivement à l'usage des sphères dirigeantes de cette région de Russie. Volonté de cacher la vérité ? Nul ne peut le certifier. Déjà en ce temps-là, le monde entier sait que ce pays mène des expériences scientifiques, tente des essais spatiaux avec du matériel et des carburants innovants. L'explication pourrait être plus basique, telle une attaque de ce groupe par une poignée d'hommes. Ce roman consacre davantage de pages à la réalité de l'affaire qu'à la fiction, sans s'en tenir à un “dossier” qui risquait d'être barbant. On suit les captivantes recherches d'Ania avec la même envie qu'elle de comprendre cette histoire.

Quatre des victimes de ce drame dans les montagnes de l'Oural.

Quatre des victimes de ce drame dans les montagnes de l'Oural.

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 04:55

Venant d'Alsace, le quinquagénaire Jean-Yves Grenier est maintenant policier à Avignon. Celui que l'on surnomme Le Jygue est un commissaire singulier, circulant dans sa Twingo rose, préférant loger à l'hôtel. Souvent alcoolisé, Grenier s'entend mal avec son supérieur, le prétentieux commissaire Boileau. Le courant passe mieux avec Marjolaine Pamier, la blonde policière en tenue chargée de l'assister. Native de la région, la jeune femme reste méfiante envers la population. Grenier a déjà noté leur tradition de combinards : “C'était le Sud. Tout le monde voulait être malin, avoir raison, arnaquer si possible. Ou était-ce de la solidarité entre pauvres ? C'était un drôle de peuple, tellement illogique.”

À Barenton-les-vignes, Albert Malfione habite avec sa compagne Maryse et les enfants de celle-ci au camping local. Plutôt s'agit-il d'un campement pour les journaliers, ouvriers qui trouvent de l'embauche dans les domaines viticoles voisins, tel Albert. Celui-ci s'accuse du meurtre de Moustafa, qu'on appelle ici l'Arabe. Sauf qu'on a trouvé aucun cadavre dans le secteur. Gros buveur, raciste, violent avec sa compagne, se vantant de bientôt toucher le pactole, Albert a généralement l'esprit embrumé. Il sera remis en liberté peu après. On va retrouver son corps dans une cuve qu'il nettoyait, au Clos du Petit Versailles, la propriété de Christian Michel. C'est un accident : Albert a été asphyxié par du gaz carbonique.

Le policier Grenier est mal convaincu par cette version des faits. Entre mistral et canicule, il poursuit son enquête du côté de Barenton, autour des vignobles des Jardins-du-Roy. Il ne tarde pas à sympathiser avec Piotr Lemoine, qui produit au Domaine des Moines un vin bio dont la qualité est universellement reconnue. Les traitements chimiques, il s'y refuse, même contre la flavescence dorée, nouvelle maladie de la vigne. Sans doute est-ce pour ça qu'on s'attaque à ses biens. Les pratiques frauduleuses de la profession, il les connaît : l'assemblage de vins d'un même domaine est une bonne chose, à condition de ne pas tricher. Mais chez les producteurs du coin, chacun suit ses propres règles.

Patrick Valandrin : Midi noir (Éd.de la Différence, 2015)

On est en pleine période électorale d'entre-deux-tours. Le député-maire de Barenton va-t-il perdre son siège lors des Législatives ? C'est que dans le Vaucluse, l'extrême-droite est bien placée. Le populisme décomplexé du parti prônant la zizanie et le "chacun-pour-soi-on-est-chez-nous" plaît aux arrivistes et à ceux qui croient au miracle. Les propriétaires de vignobles protègent leurs intérêts, paient mal leurs salariés, mais le vent pourrait tourner pour cette caste de nantis. Toutefois, les élus de Barenton savent que les politiciens du parti nationaliste sont aussi corruptibles que les autres, sans doute plus facilement. Les variantes du camp politique droitier ne forment qu'une même mafia.

Moustafa est certainement encore en vie, encore faut-il qu'il réapparaisse dans la région. Après avoir traîné dans la nuit avignonnaise, d'un bistrot crade à une camionnette de prostituée, le commissaire Grenier comprend comment on a masqué les preuves indiquant que la mort d'Albert était un meurtre. Pour autant, Marjolaine et Le Jygue ne pourront pas le démontrer directement. Rester manichéens serait probablement une erreur, Grenier le sait parfaitement, lui qui estime que la vérité n'est qu'une chimère…

 

Par son contexte, il s'agit d'un véritable roman noir où la sociologie a toute sa place. Par exemple, l'auteur nous suggère que la bonhomie provençale affichée cache, chez une partie de cette population, des comportements malsains confinant à la haine. Un virus qui semble se répandre, y compris chez des gens modestes, face à l'inaction des démocrates. Quant aux vieilles pratiques viticoles frauduleuses, bien au-delà de la chaptalisation illicite, on nous indique qu'elles auraient toujours cours. On peut supposer que ça ne touche pas seulement le terroir entre Avignon et le mont Ventoux. Avec une lueur d'espoir, d'autres adoptant avec succès des méthodes respectueuses du vignoble et du vin.

L'enquête est menée par un policier atypique, au passé marqué par un sombre épisode, maladroit avec les femmes, abusant des boissons alcoolisées. Néanmoins, il conserve une rectitude personnelle face à cette affaire criminelle. Ses quelques défauts, ses déboires et, surtout, le fait qu'il ne soit nullement guidé par des certitudes, tout ça le rend bientôt assez attachant. Rares sont les autres personnages nous inspirant un sentiment favorable.

Outre que l'auteur évite avec finesse les caricatures lourdingues, il convient de souligner la souplesse narrative du récit, rendant fort agréable la lecture de cette histoire. Patrick Valandrin nous présente là un excellent premier polar.

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12 octobre 2015 1 12 /10 /octobre /2015 04:55

Employée par une maison de production lyonnaise, Anna est une séduisante journaliste quadragénaire qui a des projets à l'international. Elle habite moins son appartement entre Rhône et Saône, rue du Bon-Pasteur, que cet ancien bâtiment industriel réaménagé, dans une bourgade de la région de Lyon. Anna a été mariée pendant vingt ans à un Argentin, homme autoritaire voire caractériel, qu'elle appelle encore l’Éternel. Elle ne se sent plus sous son emprise, désormais. Son amant actuel se prénomme Amar, une relation forte qui reste épisodique. Entre ses activités et sa passion des chevaux, il a besoin de sa liberté. Idem pour Anna, qui aime sortir, faire la fête, avec son ami Jules en guise de chaperon.

Marié à une infirmière souvent absente, fils de notaire, Jules Falconnet est secrétaire de mairie et photographe semi-pro. Il immortalise des évènements locaux, et ce qui lui paraît digne d'intérêt. Ce soir-là, il a accompagné Anna à un concert rock, avant de lui proposer de prolonger la nuit dans un club, le Carmin. Une boîte échangiste, pas de quoi effrayer Anna. Entre karaoké et sauna, avec l'ambiance musicale idoine, ça peut s'avérer excitant. Le patron Grégory et une poignée d'habitués, mâles et femelles, soirée passable en vue justifiant qu'Anna s'alcoolise quelque peu. Il y a aussi un assez beau mec, prénommé Joël. Il prend sexuellement l'initiative, sans qu'elle s'en inquiète puisque Jules est présent.

L'hôpital dans lequel se réveille Anna n'a rien d'accueillant. Elle aurait pourtant besoin de réconfort, car elle a l'impression d'un immense vide, d'être morte. Anna est incapable de se souvenir précisément de la tournure de cette nuit au club Carmin. Le diagnostic, c'est qu'elle a été hospitalisée en état d'ivresse, son taux d'alcoolémie le confirme. Pour une Russe d'origine comme elle, ça n'était pas insurmontable. Visiblement, on est pressé de se débarrasser, même si Anna est encore titubante. Jules la ramène dans sa bâtisse à elle. Il admet que son amie lui est apparue dans un état second, évoque le déroulement des faits et cet homme, Joël, auquel elle ne se refusait pas. Anna estime, elle, avoir été violée.

S'il existe des procédures, ça reste un parcours compliqué. L'hôpital de la Croix-Rousse la renvoie à la police, qui ne peut recevoir de plainte sur de simples allégations. Fichage et tests ADN, MST, VIH, sans impliquer trop vite son ami Jules. Personne ne témoignera sur la soirée, elle en est consciente. Pas davantage le voisinage, dans cette bourgade paisible où chacun cherche – comme Anna – la tranquillité dans un certain isolement. Enregistrer la version de Jules, ça pourra éventuellement servir à l'avocate qu'elle va contacter.

Quant à sa douleur persistante, elle reste intérieure. Elle s'est ravivée lorsque, ayant rôdé de nuit autour du club Carmin, Anna a été pourchassée en voiture. Elle explore les sites Internet pornographiques, cherchant si une sextape du Carmin a été déjà diffusée sur certains réseaux. L'occasion pour elle de découvrir toutes les perversions possibles parfois extrêmes, entre adultes consentants ou plus douteux, mais également du sexe illégal. Pas d'images d'elle, encore qu'Anna oublie de visiter des pages Facebook. Si elle a évité de le mettre tôt dans la confidence, c'est le patron d'Anna qui va bientôt faire avancer les choses. Des langues vont probablement se délier, dont celle de sa voisine Huguette. Anna identifiera-t-elle finalement le fameux Joël ?…

Brigitte Gauthier : Personne ne le saura (Série Noire, 2015)

Le thème de ce roman, c'est le viol. Aussi, soyons clairs : toute forme de viol est un crime inacceptable, catégoriquement impardonnable. Que ces abus sexuels se produisent par pression psychologique ou avec l'utilisation de drogues, rien n'excuse ces méfaits. Il existe des degrés d'acceptation sexuelle (telle l'exhibition, voire davantage), mais la limite est qu'un “Non” signifie “Non”. Si la séduction est un jeu, l'agression même avec une mise en scène qualifiée de libertine est fermement condamnable.

L'héroïne de cette mésaventure, entraînant une blessure profonde, n'est ni une sainte-nitouche, ni une oie blanche. Femme active d'un niveau socio-culturel avéré, il y a chez elle une ambivalence quant à ses rapports amoureux. D'un mari dominateur auquel elle fut effectivement soumise avant de s'en éloigner, jusqu'à un amant parfait mais à éclipses, difficile d'y voir une vie privée équilibrée. Elle montre un fort goût pour la fête, et une curiosité pour ce club échangiste. Quelle que soit la part d'attirance ou de "provocation" (un terme utilisé par les violeurs en guise de défense), comme toute femme, Anna n'en mérite pas moins d'être respectée. Ce qui n'est pas le cas. Évitant le pathos, cette fiction réaliste apparaît tel un rappel nécessaire, le viol restant trop fréquent et gravissime.

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