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9 octobre 2018 2 09 /10 /octobre /2018 04:55

Casablanca, au Maroc, le 14 juillet 1955. Après sa période militaire, le jeune Manu est de retour dans sa ville natale. Européen, il ne méprise nullement les Arabes, à l’inverse d’une large partie de ses congénères installés dans ce pays. Il regrette même d’être incapable de parler leur langue. Il est conscient que le Maroc marche vers son indépendance. Manu va bien vite retrouver ses amis à Casa, comme Scooter, Ferton ou Émile Gonzalès – qui est devenu agent de police depuis peu. Surtout, il va revoir sa petite amie Gin. Âgée de dix-neuf ans, Ginette Garcia est une très jolie fille, plus sérieuse qu’il n’y paraît. Manu apprend qu’elle vient d’être agressée, violentée et violée, la nuit précédente. Il semble que l’acte soit le fait d’une bande de Marocains. Après avoir été soignée par une sorcière locale compétente, Gin a été hospitalisée, souffrant d’une amnésie provisoire. Manu va illico prendre de ses nouvelles, se promettant de se venger sans pitié des coupables.

En réalité, la jeune fille a été victime de Georges Bellanger, vingt ans. C’est le fils d’une notabilité de Casablanca, le docteur Hélène Bellanger. Cette dernière possède une clinique huppée dans cette ville. Georges est un jeune dragueur lourdingue, ayant peu de succès auprès des femmes. Gin et lui avaient passé la soirée ensemble dans une fête, avant qu’il subisse un nouvel échec en tentant d’aller plus loin. Il l'a frappée, violée, puis s’est forgé un vague alibi. Quand il se fait rosser et voler sa belle Buick, il invente une version fausse pour sa mère. Peu importe qu’elle le croit vraiment : Hélène Bellanger fait immédiatement jouer ses relations pour que les autorités désignent des agresseurs arabes. Ce qui ne déplaît pas à l’inspecteur Jean Schumacher, le plus haineux flic du commissariat. Émile Gonzalès est bien obligé d’obéir à ses ordres, même s’il n’a rien contre les Marocains. La population d’Européens est très vite informée de cette version de l’agression de Gin. 

Ginette Garcia a été transférée à la clinique du docteur Hélène Bellanger. Un bon moyen pour la mère de Georges de maintenir la jeune fille dans un état semi-comateux, afin qu’elle ne retrouve pas la mémoire. Si Mme Bellanger pense tout maîtriser dans son petit univers, elle se trompe. Car Bouchaïb, son principal infirmier, ne se contente pas de lui voler du matériel médical : c’est un activiste de l’indépendance du Maroc, qui n’hésitera pas à commettre un attentat le moment venu. Tandis que la pression monte chez les Européens de Casablanca, des émeutes débutant dans les rues, Manu obtient des témoignages sur l’agression de Gin. Il n’est pas du tout convaincu que les coupables soient des Arabes. Sans la moindre preuve, l’inspecteur Schumacher est sûr de tenir le violeur marocain de Gin, bientôt arrêté et maltraité. Ce n’est pas son supérieur, qui entend bénéficier des relations d’Hélène Bellanger, qui l’empêchera d’exploiter cette piste…

Tito Topin : 55 de fièvre (La Manufacture de Livres, 2018)

Dans la petite épicerie de Brahim que le rideau de fer à moitié baissé gardait dans une pénombre assez fraîche, Manu réfléchissait en achetant des provisions pour les enfants.
Il était clair que l’annonce du viol à la radio avait déclenché la colère de la rue. Les mâles anisés qui avaient l’habitude d’affirmer à l’heure de l’apéro qu’une femme n’était violée que parce qu’elle le voulait bien n’avaient pas supporté qu’une Européenne, une des leurs, le soit par des Arabes.
Mais il réalisait que c’était lui, Manu, qui avait transformé cette indignation en folie meurtrière, en laissant accuser les Arabes à sa place. Et cette folie avait conduit une meute sanguinaire à assassiner le vieux goumier et un de ses gosses. À cause de lui.

Que ce roman de Tito Topin ait été récompensé par le Prix Mystère de la critique 1984, ce n’est que justice. L’éditeur de La Manufacture de Livres a mille fois raison de donner une nouvelle vie à cet ouvrage. Par delà l’intrigue criminelle, l’auteur – lui-même originaire de Casablanca – utilise un contexte historique certainement oublié : les prémices de l’indépendance du Maroc, la tension chez les coloniaux européens, les attentats montrant la détermination des autochtones. À travers le personnage de Georges, "fils-à-maman" se considérant avec morgue au-dessus des Arabes et même des autres Européens, c’est l’illustration de la classe dirigeante d’alors au Maroc dont Tito Topin dresse le portrait. Il existait par ailleurs une population plus ordinaire, tels Manu et ses amis, ne partageant pas les mêmes valeurs – sans être forcément proches des Marocains arabes.

Ce fut le troisième titre de Tito Topin, très habile à décrire l’ambiance d’alors. Mais il s’agit avant tout d’un roman noir mouvementé et excellemment construit. Les péripéties se succèdent à bon rythme, ne faiblissant jamais en intensité. Si l’agent de police inexpérimenté Gonzalès offre quelque peu l’occasion de sourire, la tonalité est à l’action avec sa violence induite. On éprouve autant d’empathie pour la victime et pour le jeune Manu que d’aversion envers le hautain Georges, menteur protégé, ou le policier raciste Schumacher. Un polar noir de premier ordre, à l’évidence.

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8 octobre 2018 1 08 /10 /octobre /2018 04:55

Westbridge, petite ville résidentielle, aisée et tranquille, à l’est des États-Unis. Fils d’un père Français et d’une mère Américaine, Nap Dumas est âgé de trente-trois ans. C’est ici qu’il a grandi, suivi ses études. Nap est aujourd’hui policier enquêteur à Westbridge. Il le doit en partie à Augie, son mentor, capitaine de police tout proche de la retraite. Et aussi au drame qui marqua sa jeunesse, quinze ans plus tôt. Lors d’une nuit festive, Leo (le frère jumeau de Nap) et sa petite-amie Diana (la fille d’Augie) sont morts heurtés par un train. Accident ou suicide du jeune couple ? Nap n’est jamais parvenu à connaître la vérité sur leur décès. Depuis, il continue à s’adresser mentalement à son défunt frère. S’il est très proche d’Ellie, qui dirige un foyer d’accueil pour femmes battues, Nap n’a pas de compagne. Car il n’a jamais oublié Maura Wells, son amour d’alors, qui quitta la région sitôt après la mort de Leo et Diana.

Nap est contacté suite au meurtre de Rex Canton, policier patrouilleur en Pennsylvanie, qui fit ses études dans le même collège que lui. C’est surtout parce que les empreintes de Maura figurent sur le lieu du crime que ça le concerne. Ce n’est pas elle qui a abattu Rex : elle était sa complice dans une combine au service d’un avocat, visant des hommes divorcés. Mais cette fois, le sexagénaire ciblé n’a pas hésité à tirer sur Rex, épargnant la jeune femme. Ellie a sorti pour Nap le trombinoscope de leurs années de collège. Le jumeau du policier faisait partie d’un Club des conspirateurs, comptant quelques jeunes. Rex et Maura en étaient également. Ils s’interrogeaient sur l’ancienne base militaire implantée à Westbridge, disposant de puissants missiles au temps de la Guerre Froide. La zone n’était pas si secrète, mais interdite d’accès, avant d’être reconvertie en unité de recherches pour l’agriculture.

Le Club des conspirateurs comptait deux autres membres. Hank était un petit génie, qui fit de brillantes études. Il a désormais le cerveau dérangé, rôdant dans la région tel un clochard repoussant. Une habitante de la ville l’a même accusé d’être un exhibitionniste pervers, publiant via Internet une vidéo très regardée qui se veut accablante. La dernière du Club, c’était Beth. Elle est maintenant médecin dans un autre État. Nap estime qu’elle peut être en danger, ou du moins qu’elle sait quelque chose au sujet de la mort des autres membres, sur celle de Leo et Diana en particulier. Mais Beth semble très difficile à joindre. Quant à Maura Wells, sa mère n’a plus guère de relations avec elle non plus. Augie et Nap rencontrent le père de Hank, qui ignore où est passé son fils depuis trois semaines. La raison du meurtre de Rex échappe encore à Nap, mais il pense à une vengeance. Quel lien avec la base militaire ? Ça paraît assez flou. Pas question pour lui de renoncer à retrouver Maura, ni d’établir les circonstances de ces affaires – même quinze ans plus tard…

Harlan Coben : Par accident (Belfond, 2018)

Il serait faux de prétendre que l’incontestable succès d’Harlan Coben n’est que le fruit d’un marketing avisé. Pas plus qu’il ne s’agirait d’une recette qu’il déclinerait avec des variantes à chaque roman. On adhérera peut-être moins à quelques-uns de ses titres, mais si cet auteur séduit le grand public, c’est grâce à un véritable savoir-faire. Le mystère est omniprésent, le suspense est élaboré avec précision et savamment entretenu. Ce “Par accident” nous en offre un nouvel exemple. Dès les premiers chapitres, on réalise qu’il n’y a qu’à se laisser porter par la narration. L’auteur sait où il va, concédant çà et là de petits indices, maîtrisant en permanence les divers degrés de l’intrigue.

Ça peut apparaître frustrant à certains lecteurs, c’est vrai. À n’être que spectateurs, on n’éprouve qu’une empathie relative envers les personnages et leurs épreuves. On aime se poser des questions, imaginer des hypothèses. Dans la grande tradition populaire, Harlan Coben est lancé dans un récit clair et sans temps mort, captivant notre attention. C’est lui qui décide de la tournure de l’histoire, et c’est très bien ainsi. Les protagonistes sont bien identifiés, les lieux et les circonstances tout autant. Le but du héros, c’est de tout faire pour clarifier des faits passés ainsi que des meurtres récents – et de retrouver son amour d’antant, la belle Maura : suivons-le dans ses investigations, aussi sinueuses soient-elles. Ce roman ne décevra assurément pas ses lecteurs.

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4 octobre 2018 4 04 /10 /octobre /2018 04:55

Victor Rey est un policier débutant de vingt-quatre ans. La mythologie des enquêteurs-héros de fiction ayant une influence certaine sur lui, Victor ne manque pas d’ambition. La première grosse affaire qui se présente apparaît singulière. Dans le 2e arrondissement de Paris, un chantier de fouilles archéologiques a été saccagé. Six cadavres anciens ont été démembrés, tous ayant un pieu de bois enfoncé dans l’orbite de l’œil gauche. La date du méfait conduit Victor à penser qu’il y a du satanisme dans cet acte. Ce qui n’est pas aussi rare que le public se l’imagine. Des caméras de surveillance sur le boulevard Sébastopol permettent d’identifier rapidement les coupables. Il s’agit d’un duo de Lyonnais ; c’est dans la capitale des Gaules que Victor poursuit son enquête. Si l’un d’eux n’est que complice, l’autre semble très impliqué dans l’occultisme.

Âgée de quarante-six ans, la célibataire Céline Verger est en poste à la PJ du 36 quai des Orfèvres depuis six années. Le corps sans tête d’une septuagénaire a été repêché dans la Seine. C’est dans une poubelle qu’un clochard découvre bientôt la tête manquante. Ayant situé la chambre d’hôtel de la victime, Céline trouve l’identité de cette dame Écossaise. Elle faisait partie d’un groupuscule appelé "Aube dorée". Rien à voir avec l’extrême droite grecque, ce sont ici des adeptes d’un nébuleux ésotérisme qui a des origines historiques. Elle se renseigne sur les pratiques de ces personnes, peu nombreuses, qui ne menacent nullement l’ordre public. L’Écossaise a un fils, Thomas Allen, avec lequel elle n’avait plus guère de contacts, qui est actuellement présent à Paris. Une piste possible pour Céline. 

De son côté, Victor s’est informé sur les superstitions, le satanisme et l’occultisme. À Lyon, avec une collègue percutante, il coince le principal protagoniste du saccage des fouilles archéologiques. C’est avant tout un voleur d’objets anciens recherchés par les collectionneurs. Cette fois, il exécutait en plus une mission pour un mystérieux commanditaire. Quant à Céline, professionnelle, si elle ne néglige aucune éventualité, elle sait que c’est en explorant la vie de la victime qu’elle obtiendra les meilleurs résultats. Les deux affaires peuvent avoir des points communs, autour d’obscures croyances – ou pas. Bien que chacun opère sur son propre dossier, Céline et Victor auront peut-être à mettre en commun leurs investigations pour avancer. S’il est question de vengeance, tout cela présente également un aspect beaucoup plus actuel…

Patrick Caujolle : Haine noire (Éd.De Borée, 2018)

Vérité ! Quel joli mot en vérité ! Comme un clap de fin, comme une fermeture de dossier. Petite affaire, petits délinquants, petits médiocres… mais bon, terminé. À l’écoute de ces deux guignols, c’est vrai qu’il avait parfois eu l’impression de marcher comme un zombie dans un film de série B, un peu à côté du décor, un peu à côté de la réalité. Certes, il n’avait pas obtenu les raisons de leur saccage, de leur cérémonial macabre , mais après tout qu’importe. Ils avaient avoué, il n’était pas venu pour rien, et sa procédure aussi petite soit-elle était bel et bien solutionnée. Du moins le croyait-il.

C’est toujours un plaisir de lire les romans d’enquête de Patrick Caujolle. Ancien policier, il fait la part belle à son métier et au vécu des flics. La vie privée de Céline et les ambitions du jeune Victor participent à la crédibilité de l’histoire. Au cœur de l’intrigue, l’auteur nous fait découvrir certaines facettes de l’archéologie – y compris concernant les épidémies de peste ayant frappé par le passé – et des sciences occultes, que d’aucun prennent très au sérieux. Par expérience sans doute, Patrick Caujolle lance diverses pistes, ouvre plusieurs possibilités, tout en n’oubliant pas de doter le récit de quelques scènes d’action.

Ce qui est particulièrement agréable, c’est – comme dans ses précédents titres – la tonalité souple adoptée par l’auteur. L’agressivité narrative n’est pas indispensable pour qu’un roman s’avère excitant. Parce que le métier de policier ne se résume pas à des interventions musclées, à un job de cow-boy. Bien cerner un contexte, c’est probablement ce qui importe le plus… ce que décrit fort bien Patrick Caujolle. Une double enquête énigmatique avec ses convergences ainsi que ses éléments divergents, dans laquelle on s’immerge volontiers.

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2 octobre 2018 2 02 /10 /octobre /2018 04:55

Dans le Massif central, au nord du département du Cantal. Un terroir rude, en particulier pendant l’hiver, où la population d’origine se raréfie. Beaucoup de maisons de retraite, mais peu d’emplois pour les jeunes générations. Pour lesquelles l’avenir ne consiste pas à travailler en Ehpad. Des fermes et des chasseurs, il en reste encore, se voulant gardiens d’un esprit local alors qu’ils n’ont pas choisi leur vie. Ils n’apprécient guère les étrangers, qui choisissent de s’installer ici. Pourtant, ils n’empiètent nullement sur leur existence. Ce sont généralement des solitaires, marqués par de mauvaises expériences passées.

C’est le cas de Louise, jeune femme dont la vie a été gâchée jusque-là. Elle s’occupe d’une ferme servant de refuge aux animaux, aux chevaux, appartenant à un couple d’Américains (Andrew et Fiona) s’étant exilés dans ce coin perdu. Renouer vraiment avec sa famille ne figure pas encore dans les projets de Louise. Quant à Lison, récemment veuve d’Hervé, elle connut aussi des épreuves avant de se fixer avec lui dans sa ferme. Maintenant qu’elle est seule avec les enfants, quel futur pour elle ? Le capitaine de gendarmerie Laurentin a renoncé à faire carrière dans les forces de l’ordre. Les blessures de ce taiseux sont autant corporelles qu’à cause de vives déceptions dans son métier. S’il entraîne bénévolement les jeunes footballeurs locaux, ce n’est pas pour être accepté par la population.

Les frères Couble sont natifs de la région, mais Jean Couble ne partage pas l’agressivité de beaucoup de ses voisins. Il s’occupe de son frère Patrick, un simplet aux yeux de tous. Celui qui va perturber la morne routine de de petit territoire en cet hiver neigeux, c’est Éli. Fiévreux, hagard, il est venu incendier une maison désaffectée, vide et quasiment en ruine. À trente-six ans, c’est un être désenchanté, perdu. Suite à son acte, il rôde pendant des jours et des nuits dans les environs, tel un sauvage égaré. Le capitaine Laurentin n’a mené qu’une vague enquête sur l’incendie. Il constate qu’une partie des habitants sont prêts à utiliser ce prétexte pour exprimer leur besoin de violence. Ce qu’il doit empêcher.

C’est Louise qui finit par retrouver Éli, dont elle sait qu’il est le pyromane. Avec l’aide d’Andrew et Fiona, elle le recueille et tente de le requinquer. Le mutisme d’Éli ne facilite pas les choses, mais Louise est patiente, compréhensive. Des balades avec les chevaux, de petits travaux pour le couple d’Américains, voilà ce qui permet à Éli le retour à un état normal. Au printemps, il retrouvera la parole, se confiera à Louise. Laurentin sent monter la tension, montrant au nommé Ringrave – chef des habitants armés – qu’il ne le craint pas. Quant à éviter l’affrontement, c’est probablement illusoire…    

Alexandre Lenot : Écorces vives (Actes Noirs, 2018)

La plupart des chemins relevés sur sa carte ne sont plus entretenus. On pourrait passer outre les ronces mais les arbres sont tombés en travers du premier qu’elle tente d’emprunter. Il faudra faire un détour, impossible de traverser. Chaque son est tellement isolé qu’il en prend une signification prophétique. C’est le hoquet d’un moteur plus bas sur la route, le démarrage d’une tronçonneuse, c’est le lent retour au silence, c’est le cri d’un rare oiseau, les branches qui craquent sous ses pieds, et son souffle qui finit par se faire court. Elle a promis à ses parents de rentrer pour Noël, mais pour l’instant, elle ne voit pas bien ce qui pourrait l’arracher à ce rude petit pays, couleur noir et ocre, qui sent la boue et les fumières, la bouse séchée sur le bitume cabossé, qui sent la neige toute fraîche, qui sent les cailloux gelés et le bois mouillé.

Avant tout, il s’agit d’un roman d’atmosphère, ce qui n’exclut pas qu’on puisse le classer parmi les romans noirs. Le décor, au milieu de nulle part, est celui du pays de l’oubli pour les principaux protagonistes. Des sites ruraux magnifiques, mais respirant une tristesse mélancolique. Avec une population qui n’adopte pas les nouveaux venus. Ces derniers ne gênent pourtant personne, car c’est la nécessité de solitude et de tourner la page qui les a menés là. Ils portent en eux une douleur, chacun la sienne. Leurs portraits sont finement dessinés par l’auteur, à travers leur état psychologique. Ils gardent leurs secrets, une part de mystère : qui comprendrait les épreuves qu’ils ont enduré ? La nature, les animaux, ça les aide à récupérer un certain équilibre. Même ici, l’hostilité et la bêtise vont les rattraper.

L’originalité du climat de cette histoire sombre, profondément humaine, fort bien écrite, mérite que “Écorces vives” soit découvert par un large lectorat.

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30 septembre 2018 7 30 /09 /septembre /2018 04:55

Au Japon, fin des années 1950. Âgée de vingt-six ans, c’est par un entremetteur que Teiko Itane a rencontré et épousé Kenichi Uhara, de dix ans son aîné. Il est publicitaire, un métier d’avenir dans ce pays en reconstruction. En poste à l’agence de Kanazawa, il rejoindra bientôt la direction de sa société à Tokyo. Après un chaste voyage de noces, Uhara doit effectuer un dernier déplacement à Kanazawa, avant que son successeur Yoshio Honda ne le remplace. À la date prévue de son retour à Tokyo, Teiko s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles. Ni la société qui l’emploie, ni le beau-frère de la jeune femme n’ont d’explication à cette disparition. Teiko se rend à Kanazawa pour en savoir plus. Mais le commissariat local n’a aucun élément, et Yoshio Honda n’y comprend rien non plus.

Le duo Teiko-Honda ne dispose que d’une ancienne adresse où logea le mari disparu. Il ne semblait plus avoir de domicile fixe depuis un an et demi. Qu’il soit vivant ou mort, Uhara avait assurément ses secrets. Teiko imagine qu’il a pu mener une double vie, ayant une autre compagne. Elle a retrouvé deux photos de maisons, très différentes, pouvant constituer un indice. Le duo s’adresse à M.Murota, qui fut un client et un ami de Uhara. Ils font la connaissance de Sachito, la jeune épouse de M.Murota, qui appréciait également le mari de Teiko. Le couple ne voit pas plus d’explication à cette soudaine disparition. La police informe Teiko d’un suicide dans la région : elle se rend sur place pour vérifier qu’il ne s’agit pas de Keinichi Uhara. Il n’avait d’ailleurs aucune raison apparente d’en finir.

Le CV du disparu surprend quelque peu Teiko. Après la guerre, il fut un temps policier. Elle contacte M.Hayama, un de ses ex-collègues, qui lui apprend qu’il était en service à la police des mœurs de Tachikawa, une base américaine. Décidément, elle ne savait rien sur le passé de son époux. Le beau-frère de Teiko se libère afin de se rendre à Kanazawa, bien que la jeune femme ne pense pas que ça fasse avancer les choses – Yoshio Honda lui apportant un meilleur soutien. Quelques jours plus tard, le beau-frère trouve la mort à Kanazawa, empoisonné. Dans cette région hostile, grise et froide, se déplaçant en train, Teiko ne peut compter que sur ses propres investigations. Trouver des témoins s’avère compliqué, comme si Kenichi Uhara avait voulu effacer une période de son existence…

Seichô Matsumoto : Le point zéro (Atelier akatombo, 2018)

Mais, en y repensant, elle avait désormais la certitude que Sôtarô connaissait la raison de la disparition de Kenichi. Il était resté optimiste et était probablement convaincu qu’il était toujours en vie. Cette conviction, il l’avait encore lors de son arrivée à Kanazawa. Sa tournée des teinturiers montrait qu’il était le seul détenteur d’une information à propos de son frère. Ou, plus précisément, qu’il le recherchait sur la base de cette information. Avait-il été réduit au silence par une personne jugeant qu’il en savait trop ?
Si quelqu’un était responsable de sa mort, il était logique de penser qu’elle avait un rapport avec la disparition de Kenichi. Et cela signifiait que les deux frères partageaient un secret…

Seichô Matsumoto (1909-1992) fut, dans la lignée d’Edogawa Rampo, un des écrivains majeurs de la littérature policière japonaise. Quelques-uns de ses romans – dont “Tokyo Express”-“Le rapide de Tokyo” – ont rencontré un certain succès en France. Très bonne initiative que cette traduction actuelle du japonais de “Le point zéro”. Un roman, publié en 1959, permettant de mesurer le talent et la finesse de cet auteur. Il serait faux de penser que cette intrigue soit "datée". Bien au contraire, par bien des aspects, il s’agit d’un état des lieux de la société japonaise de l’après-guerre. Si le pays se modernise vite – la télévision est déjà largement présente, par exemple – il a connu un marasme économique qui a appauvri la population durant de longues années post-conflit. On semble s’y déplacer davantage en train qu’en voiture, et certaines régions restent très excentrées.

Les codes de la vie quotidienne (dont la politesse) sont très présents dans ce Japon en reconstruction qui n’entend pas perdre ses valeurs. Sans doute n’était-il pas rare que des mariages soient favorisés par des entremetteurs. L’épouse étant toujours alors "femme au foyer", l’auteur attribue ici à son héroïne un rôle actif de premier plan dans l’enquête. Signe d’une ouverture d’esprit sûrement encore peu courante. Un très beau portrait, riche en sensibilité autant qu’en détermination. Dix ans de différence avec son mari plus âgé, ça signifie qu’elle n’a pas vécu les mêmes épreuves, la même histoire. Tout un pan de la récente histoire du pays n’a-t-il pas été masqué par les autorités, pour la faire oublier ?

Quant à l’intrigue, on baigne ici dans un constant mystère. Seichô Matsumoto souligna une facette capitale de sa méthode : “Je pense qu’il faut mettre l’accent sur le mobile, car cela rend la description des personnages plus percutante. En montrant les mobiles du crime, on révèle la psychologie des personnages à un moment extrême et dans une situation limite…” Ce qui se vérifie dans ce roman où le suspense est permanent et subtil, n’occultant pas l’état d’esprit des protagonistes (ni le climat gris-sombre de la région en question). Une très belle réussite, un auteur à ne surtout pas dédaigner.

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28 septembre 2018 5 28 /09 /septembre /2018 04:55

Au Commencement, Caïn tua Abel… Non, il n’est pas nécessaire de remonter si loin pour raconter l’histoire du crime, ni celle du polar – qui débute réellement au 19e siècle. Après le “Dictionnaire des Littératures Policières” de Claude Mesplède, voici un nouvel ouvrage de référence sur cet univers et sa vaste diversité. Traductrices et éditrices, Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat maîtrisent parfaitement leur sujet.

Sans doute les lecteurs choisissent-ils des romans policiers pour leur mystère ou la promesse de péripéties, pour leur ambiance anxiogène ou leur climat réaliste, pour se divertir ou pour bien d’autres raisons. Chacun trouve son bonheur dans les multiples déclinaisons de ce genre littéraire. Sherlock Holmes, Arsène Lupin, Jules Maigret, Hercule Poirot et miss Marple, James Bond, Perry Mason, San-Antonio, etc. : le lecteur a l’embarras du choix, optant pour son ou ses héros préférés. Romans noirs ou d’énigme, polar rural ou urbain, thématiques historiques ou contemporaines – en phase avec l’actualité, scénarios humoristiques ou d’une noirceur absolue… la Littérature policière, c’est toute une histoire, depuis ses précurseurs jusqu’à nos jours. Les romanciers talentueux se comptent par dizaines, peut-être par centaines. Ni eux, ni leurs personnages ne doivent sombrer dans un oubli injuste.

Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat ont raison d’inclure dans le "domaine policier" des auteurs tels Stephen King ou John Le Carré, car les romans d’horreur et d’espionnage (de géopolitique, aujourd’hui) appartiennent à la même famille littéraire. Elles explorent aussi, outre les Américains, Anglais et Français, les plus marquantes œuvres à travers le monde. Incontournable polar nordique depuis “Millenium”, Henning Mankell et quelques autres. Mais des Italiens, des Espagnols, des Israéliens, des auteurs de nombreuses nationalités méritent d’être mieux connus des lecteurs. Généralement, derrière la fiction, ils témoignent des réalités de leurs pays. Intrigue policière et sociologie vont souvent de pair.

Si l’on est fasciné par le Mal, les pulsions meurtrières, les perversions ou les motivations des serial-killers, la psychologie masquée des protagonistes, le thriller (quand il est bien écrit) répond aux attentes des lecteurs. On frissonne et on s’interroge, ou on se contente de suivre la narration tant on est captivés. C’est un genre protéiforme à lui tout seul…

Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat : Le polar pour les nuls (First Éd., 2018)

Le grand Ed McBain fut le premier à nous faire partager l’ambiance des commissariats de police, à travers le travail des inspecteurs du 87e District d’Isola – série de romans maintes fois copiée par la production télévisée. Depuis quelques années, les véritables policiers se sont mis à écrire des polars, collant à leur expérience. Avec de bons résultats, parfois. S’ils sont percutants dans bien des cas, cherchant à ressembler aux séries-télé actuelles, il faut admettre que tous ne sont pas convaincants. Ce serait vrai également de certains "polars historiques" privilégiant trop la précision descriptive sur l’époque évoquée, au détriment d’intrigues faibles, limite insipides.

Au-delà des best-sellers (on ne niera pas la qualité de quelques-uns d’entre eux), la Littérature policière est riche. Probablement parce qu’aucun sujet n’est tabou pour ses auteurs. L’homosexualité, le racisme, l’aspect socio-politique, l’ombre des mafias et celle des lobbies, tout est traité dans le polar – miroir des années où il a été écrit. D’Horace Mac Coy évoquant les victimes de la crise économique des années 1930 à Nicolas Mathieu dessinant le portrait de populations d’aujourd’hui oubliées après les fermetures dans l’industrie, le contexte importe autant que le côté criminel ou délictueux.

Un temps, certains ont prétendu que le roman d’enquête, exercice intellectuel où il s’agit de trouver des preuves contre le coupable, c’était terminé. Bien au contraire, quantité de lecteurs apprécient encore et toujours cette version du polar. D’ailleurs, souvenons-nous que Raymond Chandler – un des plus grands noms du roman noir, créateur de Philip Marlowe – aimait les fictions d’investigation, qu’elles aient pour héros des détectives privés, des policiers ou des personnages ordinaires. Si la violence et la fatalité sont des éléments très présents dans la Littérature policière, la résolution d’affaires meurtrières ne manque pas de charme non plus. Et puis, Agatha Christie reste une des meilleures ventes de romans policiers dans le monde entier, pas de hasard.

On pourra regretter que soient peu évoquées ici les collections françaises populaires de la seconde moitié du 20e siècle, comme le Fleuve Noir Spécial-Police et ses auteurs. Marie-Caroline Aubert et Natalie Beunat ne commettent pas l’erreur de se vouloir "pédagogiques". C’est sur une tonalité souple, souvent enjouée, qu’elles nous invitent à explorer cet univers du polar. Conscientes que c’est prioritairement le plaisir qui guide chaque lecteur, elles nous suggèrent d’aller plus loin dans la découverte – y compris en s’adressant aux bouquinistes, en se renseignant sur les blogs et les sites. Sans oublier, classés par dix, les romans incontournables, les collections majeures, les meilleurs films policiers ou d’espionnage, les séries-télé d’hier et d’aujourd’hui, etc. Un ouvrage à se procurer sans délai, pour (presque) tout savoir sur la galaxie polardeuse.

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27 septembre 2018 4 27 /09 /septembre /2018 04:55

James Katenberg est aujourd’hui un homme mûr. Fils d’Eva Lopès, une défunte actrice d’origine mexicaine, cet Américain fut un des scénaristes parmi les plus inspirés de Hollywood. Ce caractériel se lassa finalement de l’univers frelaté du cinéma et de la télé. Il quitta son ranch de l’Arizona pour s’exiler en France, où il écrivit une série-télé à succès. Il n’est plus guère motivé désormais. D’autant qu’il est habité par une obsession : savoir ce qui entraîna le suicide de sa mère, au début des années 1960.

James a rencontré Eden, une jeune junkie qui vient de passer huit mois en prison. Pour lui, pas de sentiment dans leur relation, mais sans doute le fascine-t-elle malgré tout. Autant que Marina Meinhof, l’actrice principale de sa série-télé européenne. Écrire un scénario sur la détention d’Eden ne l’intéresse pas. D’ailleurs, il sent le besoin de rentrer aux États-Unis, de déguerpir d’ici avec ou sans Eden, de retrouver son ranch du côté d’Oracle. En son absence, c’est le vieil estropié Gus qui s’est chargé de tout, là-bas.

Le producteur californien David Mac Coy est certainement un des seuls qui soit prêt à donner une nouvelle chance à James. Même si supporter les mouvements d’humeur de James n’est pas simple. Dans ce comté de l’Arizona, l’antipathique shérif Jim Dukan ne tarde pas à soupçonner Eden d’être une camée. Bon prétexte pour harceler James et son entourage. Toutefois, le scénariste ne craint pas vraiment ce prétentieux shérif. Au besoin, l’agent du FBI Robin Bakker usera de la méthode forte pour annihiler ce flic.

Tandis qu’Eden s’adapte tant bien que mal aux serpents et autres inconvénients de cette région, James ressasse les questions autour de sa défunte mère. “Le réveillon de Noël fut pour elle un moment insurmontable. Elle fut prise d’une crise d’angoisse dévorante…” Eva Lopès était alors une gloire montante de Hollywood, choisie par Erich von Stroheim, amie de Marlon Brando, rivale de Marilyn Monroe. Elle laissa plusieurs cahiers évoquant son quotidien, mais le troisième a disparu mystérieusement – ce qui intrigue James.

Le scénariste est obligé de se rendre à Los Angeles pour rencontrer David Mac Coy. Ce qui amène des réminiscences douloureuses pour James. Il y retrouve Robin Bakker, toujours mutique sur les raisons de cette protection incessante par le FBI. Qu’un biographe veuille retracer dans un livre la vie d’Eva Lopès risque de causer de graves soucis, car l’actrice avait incontestablement ses secrets. Eden sera-t-elle prête à décrocher de la drogue ? Une nouvelle étape de la vie de James est-elle envisageable ? Peut-être, à condition que soient éclaircis les sombres aspects de l’existence de sa mère…

Pascal Louvrier : Moteur ! (Tohu-Bohu Éditions, 2018)

L’ambition de ce roman est double. D’une part, il s’agit d’un hommage à Hollywood, celui de l’Âge d’Or. L’auteur n’oublie pas d’y inclure le génial Buster Keaton, au côté des stars de l’époque. Le monde du cinéma d’alors, ce sont également des facettes moins brillantes. L’ombre du FBI plane sur ce milieu, où règne une perversité bien réelle. D’autre part, outre le souvenir de sa mère, le héros traverse diverses péripéties, accompagné de cette névrosée d’Eden. Telles sont les deux lignes narratives de l’histoire.

On aurait aimé ressentir davantage d’empathie pour James. C’est lui et sa misanthropie qui s’y refusent, sans doute. Eden non plus n’est pas touchante, même si l’avenir ne peut que l’améliorer. Ce qui correspond finalement à l’ambiance du milieu cinématographique, où tout apparaît merveilleux alors qu’existent tant de jalousies, de comportements plus que malsains. Évoqué crûment, le sexe est très présent dans cette fiction. Sans se montrer puritains, ça aurait pu être plus allusif. Respectons ce choix de l’auteur.

Ce “Moteur !”, terme évocateur des tournages de films, n’est pas un percutant roman d’action, même si certaines scènes en sont proches. Pascal Louvrier installe une tonalité entre énigme et nostalgie, ce qui aboutit à un roman plutôt sympathique.

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25 septembre 2018 2 25 /09 /septembre /2018 04:55

Fils d’un père persécuté par la dictature, le commissaire athénien Stavros Nikopolidis est aujourd’hui quinquagénaire. La police n’était pas une vocation, mais il voulait contribuer à davantage de justice dans son pays qui compta tant de flics véreux. Le tavli, jeu de stratégie typiquement grec, participa à sa rigueur intellectuelle. Lui qui fut un brillant policier, est miné depuis dix ans par la disparition inexpliquée de son épouse Elena, archéologue. Le coupable, il le connaît : un certain Rodolphe, mafieux d’origine russe, qu’il n’a jamais réussi à alpaguer. Avec sa grand-mère et son amie Matoula, patronne d’un bar qui est quelque peu son QG, Stavros élève son fils Yannis.

Quant à se soumettre à la hiérarchie, représentée par son supérieur Livanos, c’est hors de question pour Stavros. Surtout quand se produit un crime similaire à celui qui causa la disparition d’Elena, dix ans jour pour jour après. D’ailleurs, le meurtrier a signé son acte à destination de Stavros… c’est bien Rodolphe qui est de retour. Même si on lui impose deux flics moins fiables, son équipe d’enquêteurs va l’épauler avec fidélité. La baroudeuse Dora, le hacker Eugène, et Nikos l’Albanais acceptent les humeurs de leur patron. Ainsi que ses méthodes peu orthodoxes, que Livanos croit pouvoir encadrer. Rodolphe espère faire pression sur le commissaire en s’en prenant à l’ex-prostituée Svetlana, la protégée de Stavros, ou en incendiant le bar de Matoula. Ce qui ne fait que renforcer la volonté du policier de mettre la main sur Rodophe.

Ce mafieux russe s’est spécialisé dans le vol d’œuvres d’art et de vestiges archéologiques pour des commanditaires fortunés. La Grèce est son "terrain de jeu" favori, même s’il a dû s’en éloigner durant quelques années. Ayant cultivé des réseaux secrets, Rodolphe baigne par ailleurs dans toutes sortes de trafics. De son côté, le commissaire a aussi des relations dans les milieux du banditisme. Tel Mikhaïl, un caïd russe se faisant appeler le Tsar, qui peut lui fournir des renseignements et des armes à feu. La lutte entre les deux hommes est engagée, et Rodolphe aurait tort d’aller trop loin en s’attaquant à Yannis, le fils du policier. Stavros tuera son adversaire s’il en trouve l’occasion. Toutefois, pas avant de savoir si Elena est réellement morte ou encore en vie…

Sophia Mavroudis : Stavros (Éditions Jigal, 2018) – Coup de cœur –

Sans un regard pour ce qui l’entoure, tête baissée et regard vide, Stavros s’enfonce dans le dédale de ruelles désertes. Seuls les chats et les étrangers s’aventurent désormais dans ces vieux quartiers d’Athènes autour de Metaxourgieo autrefois remplis de bars, de tavernes et de petits entrepôts. Les murs tagués de slogans antigouvernementaux tombent en ruines, les portes des maisons sont cadenassées pour éloigner les squatteurs, les rideaux de fer des entrepôts sont baissés, et les trottoirs défoncés s’ouvrent, béants, sur des flaques d’eau suintantes. Dans ces bas-fonds, Stravos n’erre pas. Il sait où il va.

Ce “Stavros” est une pure merveille, une perle rare qui frise la perfection. L’harmonie entre les deux facettes du roman noir – intrigue et sociologie – est impeccable. Le regard porté sur le contexte, la Grèce depuis près d’un demi-siècle, s’avère d’une indéniable justesse. Illusoire prospérité d’un pays ayant trop longtemps vécu "à crédit" avant d’être frappé par les réalités de la crise économique. Une cible facile pour les financiers, ainsi que pour les mafieux et leurs trafics. La Grèce, riche de culture et de sites magnifiques, possède de multiples atouts favorables. Néanmoins, elle reste si fragile par tant d’aspects. Sophia Mavroudis aime et respecte ses origines, tout en étant lucide sur les flagrantes faiblesses grecques.

Au centre de l’histoire, Stavros Nikopolidis ne fait rien pour nous apparaître sympathique. Un héros déglingué, plutôt caractériel. Finement dessiné, son portrait nous révèle un personnage nettement plus subtil, avec son intelligence et son instinct, avec ses fêlures et sa détermination. Son vécu l’autorise à se comporter en électron libre, à piétiner des règles trop rigides pour un homme tel que lui. Émouvant et combatif à la fois, belle synthèse. Force et humanisme vont de pair, chez lui. Réciprocité dans la fidélité, élément essentiel dans sa vie, privée et professionnelle. Stavros n’est pas le butor qu’il montre. On espère bien le retrouver dans de futures aventures. Quant à son équipe de policiers, elle ne manque pas de singularités non plus – apportant une touche d’humour au récit. Non sans rappeler que certains flics grecs sont les héritiers de l’idéologie fascisante d’extrême droite. Là encore, les nuances aident à installer l’ambiance.

On est loin d’un polar ordinaire. Mille bravos à Sophia Mavroudis pour “Stavros”. Il n’est pas exagéré de qualifier ce roman superbement construit de puissant, aussi clair que son climat est sombre. À ne manquer sous aucun prétexte !

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