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28 octobre 2018 7 28 /10 /octobre /2018 05:55

Le Montana se situe au nord des États-Unis, à la frontière avec le Canada. La ville où, vers 1980, habite Milo Milodragovitch se nomme Meriwether. Milo est un riche héritier… virtuel, car la succession ne sera débloquée que quand il aura cinquante-deux ans. En attendant, cet ancien soldat de la guerre de Corée a eu divers emplois, plutôt en dilettante. Il fut récemment détective privé, expérience agitée – avant d’être aujourd’hui agent de sécurité pour la société du colonel Haliburton. Ce militaire retraité se montre bienveillant envers son personnel, pratiquant une forme d’insertion sociale pour d’ex-soldats – y compris ceux du Vietnam. Il a plutôt confiance en Milo, fermant les yeux sur son goût pour les shots de schnaps à la menthe poivrée, censés calmer l’alcoolisme de son employé, et sur la coke que Milo consomme plus modérément que par le passé.

Sarah Weddington est une dame âgée vivant dans une des plus luxueuses demeures de Meriwether, avec sa petite-nièce Gail. Quand elle fait appel aux services de Milo, c’est tout un pan du passé du "privé" qui ressurgit. Quarante ans pus tôt, Mrs Weddington était une femme splendide, qui impressionna beaucoup Milo. Elle fut pendant un temps la maîtresse du père de Milo, habitué des liaisons extra-conjugales. La vie de Sarah fut très riche en péripéties, expliquant qu’elle soit désormais fortunée. Elle souhaite engager Milo, à un tarif bien supérieur à la moyenne, pour une drôle de mission – motivée par sa curiosité. Elle lui demande de découvrir l’identité d’un couple qui semble se donner des rendez-vous secrets, afin de connaître la nature de leurs rencontres. En marge de son job pour le colonel Haliburton évidemment, même si là encore ça dérange peu le patron de Milo.

S’il a trouvé le nom de la femme, Cassandra Bogardus, l’affaire débute mal pour Milo, une altercation avec un voisin acariâtre de celle-ci risquant de le faire repérer. Reprenant sa filature, il finit par prendre contact dans un bar avec Mme Bogardus. Sauf qu’il y a erreur sur la personne, c’est une certaine Carolyn Fitzgerald qu’il a suivie. Quand Milo tente de suivre la vraie Cassandra Bogardus lorsqu’elle prend l’avion pour Los Angeles, c’est un nouvel échec. Ayant identifié l’homme dudit couple, John P.Rideout, Milo se lance sur sa piste. Ce qui, après une filature chaotique, va le mener jusqu’à un motel d’Elk City, dans l’Idaho. Quand il découvre le cadavre de John P.Rideout, Milo court un double risque : être suspecté du meurtre, sans oublier les tueurs de cet homme – des pros du crime – qui sont à ses trousses. Il espère les semer du côté de Seattle.

Milo reste en contact téléphonique avec le colonel Haliburton, qui lui apprend que Sarah Weddington et la jeune Gail semblent avoir disparu. Milo s’en retourne à Meriwether, mais il réalise bien vite qu’il est préférable pour lui de "faire le mort". Il se réfugie à Stone City, dans la réserve indienne, où son enquête – si relative qu’elle soit – pourrait progresser…

James Crumley : La danse de l’ours (Gallmeister, 2018)

Ma plus proche rencontre avec le roi Grizzly eut lieu durant ma troisième lune de miel. Ma nouvelle femme et moi étions assis sur la terrasse du Granite Park Chalet, à Glacier National Park, à siroter des single malts écossais en regardant au loin, bien protégés par la distance offerte par nos jumelles, une ourse s’ébattre au bord d’un petit lac avec ses deux oursons. J’eus envie d’aller voir de plus près ; elle non ; notre mariage ne survécut pas au séjour.
J’ignorais combien il restait de grizzlys – six ou huit cents, au plus – et j’avais sous les yeux la peau d’un de ces rares spécimens, jetée en dessus de lit dans une putain de chambre de motel…

Deuxième aventure de la tétralogie ayant pour héros Milo Milodragovitch, “La danse de l’ours” est probablement un des titres les plus réussis de James Crumley, affinant le portrait de son personnage central et l’entraînant dans une suite de péripéties fort hasardeuses. Toutefois, on ne doit pas se tromper de lecture. Les histoires de détectives privés (officiels ou non) sont remuantes : c’est le cas ici, mais la tonalité choisie ne mise pas sur le spectaculaire, sur un tempo effréné – ni strictement sur le fait de résoudre une affaire. Au-delà de l’intrigue à suspense, James Crumley inscrit le récit dans une époque donnée, décrivant une partie de l’Amérique des années 1970-80.

L’économie a tendance à stagner, les ex-soldats sont livrés à eux-mêmes trop souvent, et l’esprit rebelle de jeunes (et de moins jeunes) reste développé – la consommation de cocaïne en étant l’un des principaux symboles. Dans des contrées peu habitées comme le Montana et les États voisins, les flics ne paraissent jouer qu’un rôle facultatif – même si Jamison, le mari de l’ancienne épouse de Milo, est le chef local de la police. On l’aura compris, l’auteur utilise les ambiances, sans chercher à accélérer le rythme. S’il se trouve en mauvaise posture, Milo subit les évènements avec un certain flegme – et avec le soutien du colonel Haliburton. Voilà un roman noir, avec quelques aspects souriants, bénéficiant d’une véritable écriture.

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26 octobre 2018 5 26 /10 /octobre /2018 04:55

En 1956, dans l’est des États-Unis. Patti Fraser –“vingt-cinq ans, cheveux courts, poitrine menue, et cerveau légèrement supérieur à ceux qu’on rencontre en Nouvelle-Angleterre” – est originaire du Vermont. Vivant alors dans le Maine, Patti se montre rassurante avec sa mère Rachel au téléphone. Pourtant avec son frère aîné Dan et un ami à lui, Steeve, ils ont formé un petit gang à trois. Ce jour-là, c’est une banque de la ville de Bingham qu’ils vont braquer. Pas vraiment de résistance de la part des employés et clients présents. Le trio dérobe environ 38.000 dollars en billets – marqués, qu’il sera difficile d’écouler. Plus deux tableaux se trouvant dans la salle des coffres. Après avoir buté un policier, Steeve est lui-même blessé, sans que ça gêne de trop leur fuite à tous les trois.

Patti se renseigne par téléphone auprès de sa mère, amatrice d’œuvres d’art, sur la valeur des deux toiles volées. Rachel connaît parfaitement la célébrité de leur auteur, Jackson Pollock. Dont chacun des tableaux abstraits obtient une cote faramineuse. Si les billets de la banque sont inutilisables en l’état, les toiles de Pollock sont invendables. À moins de les négocier en s’adressant au peintre ? se dit Patti Fraser. Mais il y a belle lurette que Pollock a sombré dans l’alcool, dont il n’émerge qu’en de rares moments. Comme quand il explora en 1951 les rites indiens et les arts navajos, son ami Edgar Dashee lui ayant servi de guide sur leur territoire. Encore que, cette fois-là, Pollock s’étant alcoolisé à son habitude, il se laissa entraîner à des jeux d’argent qui ne furent pas sans conséquences.

Évidemment, les deux tableaux volés par Patti Fraser à la banque de Bingham ont un propriétaire. Et non des moindres, car il s’agit de Dee Gorman. Ce vieux caïd indien, au cœur de bien des trafics, n’est pas de ceux qui se laisse entourlouper. Le directeur de la banque ayant failli, il le paiera cher. Le premier sbire qu’envoie Gorman sur la piste de la petite bande est un Asiatique. Il va rapidement dégoter la trace des voleurs, grâce au maillon faible du trio. Entre-temps, Patti cherche toujours la meilleure solution pour se débarrasser avec profit des tableaux de Pollock. Mais le trio a par ailleurs des soucis avec le fils de Dan, le neveu de Patti. Et un repli stratégique chez Rachel n’est peut-être pas la solution, car un deuxième sbire de Gorman y a pensé également…

Marc Villard : Sur la route avec Jackson (Cohen & Cohen, 2018)

Elle récupère son verre de bière et avale goulûment le houblon. Au moment où elle va pour payer, elle remarque sur la table mitoyenne la une du Portland Press Herald. Un titre se détache au centre de la page : « Hold-up de Bingham, la police piétine. »
‒ Depuis bientôt quinze jours, le trio de braqueurs de la Camden Bank de Bingham court toujours. Le butin est estimé à 500.000 dollars, sans compter le contenu des coffres. Rappelons que l’agent Fred Malloney, héros de la guerre en France, a été tué dans l’exercice de sa mission […] Monsieur Dickinson, directeur de la banque, a été grièvement blessé et sera immobilisé durant plusieurs mois, ainsi que l’époux d’une employée présent sur les lieux et qui a eu le tort de résister aux tueurs. Ceux-ci seraient dirigés par une femme et, de sources sûres, le trio n’aurait pas quitté le Maine…

Est-il encore besoin de rappeler que Marc Villard est un virtuose français de la nouvelle et du roman court, sans doute le meilleur de ces catégories ? L’Amérique et ses mythes l’ont depuis longtemps inspiré, en particulier tout ce qui concerne le jazz. Cette fois, l’époque des débuts du rock’n’roll lui permettent d’évoquer en filigrane Bill Haley et Elvis Presley.

Toutefois, c’est le peintre Jackson Pollock qui reste le pivot de cette histoire. Après des œuvres "classiques" ne rencontrant qu’un très modeste succès, à partir de 1947 Pollock innove. Il déverse la peinture directement des pots, contrôlant la fluidité et l’épaisseur des lignes obtenues, et surtout l’égouttement de la peinture sur les toiles à plat. La technique du "dripping" séduit le monde artistique, et les acheteurs.

Ne nous y trompons pas, ce n’est pas une énième biographie de Jackson Pollock que nous présente Marc Villard. L’intrigue à suspense relève du polar, avec des personnages qui ne manquent pas de singularité, ni d’une noirceur certaine pour quelques-uns d’entre eux. Il suffit au styliste qu’est l’auteur de quelques descriptions ciselées pour décrire chacun des protagonistes – ainsi que les lieux et les situations. Puisqu’il n’y a nullement nécessité à emberlificoter un tel scénario, jusqu’à un dénouement épatant, Marc Villard concentre admirablement son écriture pour nous livrer un roman court subtil et convaincant.

Marc Villard : Sur la route avec Jackson (Cohen & Cohen, 2018)
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22 octobre 2018 1 22 /10 /octobre /2018 04:55

En France à notre époque, deux femmes anonymes aux parcours de vie trop différents pour qu’elles se rencontrent un jour. L’une est la mère d’une adolescente. Encore jeune, on la suppose âgée d’une trentaine d’années. Elle est aujourd’hui vendeuse, après avoir été ouvrière puis hôtesse d’accueil pour une compagnie maritime. Il lui arrive d’évoquer ses premières amours, quand elle était en poste à Roscoff, des souvenirs intimes qu’elle ne partage avec personne. À l’époque, Bruce Springsteen était son icône musicale.

Son plaisir depuis longtemps, c’est la moto. C’est pour elle une manière de s’isoler, de cultiver une part de liberté. Elle est à l’écoute de sa fille, sans atteindre une vraie complicité. Car existe une ombre dans leur relation, celle de la défunte sœur cadette de sa fille. La pitié, ce n’est pas ce qu’elle cherche, ce qui calmera sa douleur intérieure. La seule qui garde assez de distance sur cette situation, c’est leur voisine et amie Christiane, infirmière. Telle une mère suppléante, elle s’occupe de sa fille quand il le faut.

L’autre femme est maintenant quinquagénaire. “J’étais le mouton noir d’une famille très à droite. Du côté de mon père, il y avait des terres en Sologne, une lignée de militaires, de coloniaux, une génération de maréchalistes rentrés.” En mai 1981, elle avait à peine dix-huit ans quand la gauche accéda au pouvoir, suscitant un grand espoir idéaliste pour elle. Un proche du ministre de la Défense avait remarqué son habileté au tir. Elle fut engagée dans les Services Secrets, milieu masculin où elle fit très rapidement ses preuves.

Sans doute le pouvoir de gauche fut bien moins à la hauteur qu’elle l’avait cru, période teintée de désillusions. Néanmoins, elle fit carrière comme tireuse d’élite. Ses missions l’ont amenée à abattre des ennemis de la France un peu partout dans le monde. Du côté de Beyrouth en particulier, où le pays comptait des alliés et des intérêts financiers. Des "vengeances d’État" dont elle s’acquitta la plupart du temps avec succès. Sans doute reste-t-il d’anciens terroristes de l’époque encore vivants, à éliminer un jour ou l’autre.

Si elle-même n’a pas le sentiment de mieux se porter, la mère de famille est heureuse que sa fille se sociabilise toujours davantage. Elle a quelques copines, et de nouveaux copains de son âge venus de l’étranger. La tireuse d’élite, elle, habite une grande partie de l’année à Amsterdam, ville tranquille ce qui est utile à son équilibre. Toutefois, elle est toujours aussi active dans ses missions de mort. Aujourd’hui, c’est en France qu’elle doit agir, s’immergeant d’abord dans le quotidien en face de chez sa cible à venir…

Denis Soula : Deux femmes (Éd.Joëlle Losfeld, 2018)

Finalement, je n’ai pas mené la vie dont je rêvais. J’avais toujours pensé que je vivrais paisiblement dans un domaine comme celui de Montesquiou, à la campagne, au milieu des bêtes, mais j’habite dans de grandes villes et les seules bêtes que je fréquente, ce sont les bourreaux que les Services me demandent d’éliminer. Une vie passée à courir, nager, sauter dans des fossés, conduire des motos et des camions, faire de la chimie et des équations, dévorer des livres d’histoire, des manuels de géopolitique et, le plus souvent, des notices d’utilisation d’armes et d’explosifs.

Comme l’indique son titre, “Deux femmes” nous présente les portraits de femmes très différentes, dans un roman court qui ne manque pas d’intensité. Leur point commun, c’est le fait d’avoir enduré des épreuves marquantes, indélébiles. La perte d’une enfant ou la perte des illusions, ça peut causer des conséquences comparables. Sont-elles désabusées ou meurtries ? C’est ce que l’auteur s’efforce de cerner, avec une finesse certaine. Si la tireuse d’élite affiche une froideur professionnelle, elle ne peut oublier une expérience tragique au début de son activité au sein des Services Secrets. La mère de famille garde également en mémoire les bons moments de sa vie, mais aussi les plus lourds.

Deux destins croisés qui, on ne nous le cache pas, finiront par se rencontrer. En parallèle, nous les suivons jusqu’à ce que se produise l’étincelle. Dévastateur, le choc final. Avec sa part de fatalité, presque naturelle après avoir entre-temps examiné leur personnalité, leur sensibilité. L’intime et l’action vont de pair dans cette histoire, fort séduisante.

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18 octobre 2018 4 18 /10 /octobre /2018 04:55

Jeune policier de la Grosse Cité, Gustave Flicman est un des rares humains ayant pénétré dans l’Université d’Onirie, avant de sympathiser avec le Professeur B. et son adepte à l’allure singulière, Loligoth. Quant aux Lutins Urbains qui entourent ces deux personnages, Gustave n’a sans doute pas tort de s’en méfier quelque peu. Leur incroyable capacité à se métamorphoser est une arme redoutable contre ceux qui les pourchassent, la Brigade de Répression de l’Onirisme dirigée par le Supérieur Inconnu. Pour les autorités de cette métropole, pas question de laisser se développer le rêve et l’imaginaire chez leurs concitoyens. À cause des Lutins Urbains, bien que se mettant plutôt de leur côté, Gustave a été entraîné depuis quelques temps dans une série de mésaventures agitées et très fatigantes. Comme il a grand besoin de repos, Gustave passe des vacances en Bretagne.

C’est au village de Restick, chez sa tante et sa grand-tante Philomène, que le policier citadin s’est installé. Entre la lande bretonne et la proximité de la mer, Gustave apprécie la région. Au-delà des paysages, il va rapidement en découvrir les particularités. Un curieux bonhomme barbu attire son attention. C’est René Le Brac, confrère en lutinologie du Professeur B. Comme toujours, Gustave éprouve une certaine méfiance envers ceux qui sont trop amis avec ces sacrés lutins, urbains ou ruraux, tel ce Lebrac. En effet, celui-ci connaît tout sur les légendes celtes, et surtout sur les gnomes dont il existe quantité de variétés, chacun ayant des pouvoirs originaux. Lebrac va initier Gustave aux rudiments de ces mythes. Le jeune policier va, par exemple, être confronté à un animal changeant de forme à volonté, ainsi qu’à de pauvres enfants dansant sans fin la nuit sur la lande.

Bientôt, Gustave retrouve le Professeur B., Loligoth et leur amis Lutins Urbains. Ils sont venus se réfugier chez René Le Brac, après que l’Université d’Onirie ait été prise d’assaut par la B.R.O. Reconquérir leur QG ne sera pas une mince affaire, car les forces de l’ordre ont trouvé le moyen de contourner les sortilèges des Lutins. Les amis de Gustave sont encore sous surveillance, d’ailleurs, la Brigade de Répression de l’Onirisme avant repéré leurs traces en Bretagne. Un commando avec un hélicoptère a été envoyé sur place, ne tardant pas à cerner la demeure de Lebrac. Heureusement, Gustave et toute la bande avaient déjà déguerpi. Il y a une parade contre la B.R.O., un talisman protecteur, une légendaire "grosse galette" répulsive contre les humains hostiles. D’après Le Brac, cet artifice magique se trouverait sur l’île de Groix, terre d’élection des korrigans.

Et voici encore une fois Gustave embarqué dans une aventure à hauts risques. Fréquenter les Lutins, même aux côtés de Loligoth, du Professeur B et de Lebrac, lui offre bon nombre de surprises – pas tellement agréables la plupart du temps. Surtout, le commando de la B.R.O. est toujours à leurs trousses, semant la pagaille sur l’île de Groix…

Renaud Marhic : Korrigans et Grosse Galette – Les Lutins Urbains 5 (Éd.P’tit Louis, 2018)

Loin d’être rassuré, le jeune policier scruta le rivage. Le Trou de l’Enfer n’était qu’une simple brèche dans la falaise. Mais devant ce gouffre, malgré la houle et les remous, quelque chose se tenait là, immobile. Gustave plissa les yeux. Défendant les lieux, le Bag Noz était là. (Quelques lambeaux de voiles accrochés à l’unique vergue de son mat).
L’embarcation des lutins croisa l’épave à courte distance. Raide dans son ciré jaune, celui qui en serrait le gouvernail ne tourna même pas la tête. (Malgré les coquillages collés à son crâne décharné et sa barbe pleine de goémon, Gustave reconnut sans mal l’homme dont le portrait trônait sur la cheminée de sa grand-tante, à Restick).
— Soyez tranquille, fit doucement le barbu, il ne cherchera pas à vous parler.

Après “L'attaque du Pizz'Raptor”, “Le dossier Bug le gnome”, “Les lutins noirs”, “Le péril Groumf”, voici pour les jeunes lecteurs une cinquième aventure des Lutins Urbains. Le candide Gustave était censé se reposer, après ses tumultueuses expériences passées. Mais des virevoltants gnomes, les contes et légendes en regorgent. Où donc les rescapés de l’Université d’Onirie seraient-ils à l’abri de la répression, sinon dans ce terroir ? Toutefois, la lutte acharnée des responsables de la Grosse Cité continue, les poursuivant jusqu’à là. Ce nouvel opus raconté par le Petit Reporter de l’Imaginaire, est aussi excitant que les précédents, riche en péripéties et en mystères. Renaud Marhic se base ici sur les récits collectés autrefois par des spécialistes qui ne voulaient pas que s’éteigne la tradition des légendes teintées de fantastique.

Si cette série de romans s’adresse en priorité au jeune public, jouant sur la fantaisie imaginative des enfants sans tomber dans des histoires puériles, leurs parents et les adultes en général ne seront pas moins séduits. Outre les tribulations de Gustave avec les Lutins face à des "méchants" fort antipathiques, qui nous font beaucoup sourire, ce roman est également instructif. Un Bonus nous présente quelques-unes de ces créatures issues des légendes anciennes, et rend hommage aux folkloristes qui collectèrent des récits qui ne se transmettaient alors qu’oralement. C’est avec grand plaisir que l’on retrouve le petit monde mouvementé des Lutins Urbains à chaque épisode.

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16 octobre 2018 2 16 /10 /octobre /2018 04:55

Quatre militaires sont revenus très marqués par leurs missions en Afghanistan. Ex-sergent du génie, Xavier Kerlic a été blessé là-bas. Depuis son retour, il recherche les situations conflictuelles dangereuses, au point d’être devenu incontrôlable. Ex-tireur d’élite, Franck Lecostumer ne s’est jamais remis d’avoir abattu un enfant-soldat de dix ans, ses séjours en psychiatrie n’ayant rien amélioré. Aumônier militaire catholique, Paul Brive assume son allure décalée et sa sympathie pour les bikers ; néanmoins, lui aussi garde en mémoire son expérience afghane. Walter Colley était infirmier, proche des trois autres ; rentré en France, il s’est exilé sur l’île de Batz, au nord de la Bretagne. Sans doute le traumatisme a-t-il perduré chez lui, car il vient de se suicider en incendiant sa propre maison.

Le lieutenant Emily Garcia, des services sociaux de l’armée française, a envisagé une expérience destinée à redonner un certain équilibre à Xavier Kerlic, Franck Lecostumer et Paul Brive. Ils n’ont d’ailleurs guère le choix. Les trois hommes et Emily Garcia vont embarquer sur un chalutier partant en pêche vers la mer d’Irlande. Tous se retrouvent à Concarneau, les anciens militaires doutant de la réussite de cet essai de réinsertion. Kerlic et Lecostumer vont remplacer des marins-pêcheurs manquants, tandis que le curé Paul Brive est censé être plutôt un observateur, Emily Garcia veillant à ce que tout se déroule au mieux – ou au moins pire. Dès les premières heures en haute mer, ces néophytes subissent le mal de mer. Mais des situations plus dramatiques les attendent.

Pure citadine, Saadia Aleph est enquêtrice pour une compagnie d’assurance. La mort de Walter Colley n’apparaît pas aussi claire qu’on a pu le penser, le suicide et sa mise en scène méritant d’être examinés de près. Saadia n’est pas enchantée de se déplacer sur l’île de Batz, en ce mois de décembre. Quelques centaines d’habitants seulement qui, dans la bonne tradition des insulaires, ne s’avéreront guère loquaces. Pourtant, la thèse du meurtre est plus que probable. Et la jeune femme a retenu les leçons des bases de la criminologie qu’elle a acquises. Cerner le vrai et le faux autour du défunt Walter Colley, telle est le meilleur moyen de comprendre les faits. Il serait surprenant que personne ne cherche à entraver l’enquête de Saadia…

Christian Blanchard : La mer qui prend l’homme (Belfond, 2018)

Au large des côtes du Finistère, un chalutier à la dérive est localisé. Lors de l’opération de sauvetage, une femme est retrouvée dans une remise, prostrée, terrorisée et amnésique. Le reste de l’équipage a disparu. Parmi eux se trouvaient trois anciens militaires français. Xavier Kerlic, Franck Lecostumer et Paul Brive avaient embarqué sur le Doux Frimaire à Concarneau, encadrés par le lieutenant Emily Garcia, des services sociaux de la Défense. Celle-ci devait expérimenter avec eux une méthode de lutte contre le stress post-traumatique en les insérant dans un groupe d’hommes soudés par de rudes conditions de travail – les marins du Doux Frimaire. «Je ne le sens pas, ce coup. Qu’est-ce qu’on vient faire dans cette galère ?» avait lancé Franck en montant à bord, avant que le chalutier ne lève l’ancre en direction de la mer d’Irlande et ne disparaisse des radars…

En décembre 2005, à ma question “Quels sont tes auteurs de polars de référence ? Tes livres ou films préférés ?” Christian Blanchard répondait : “Ce ne sont pas nécessairement des auteurs de polars mais, plus généralement, des auteurs de suspense dans le large sens du terme. J’aime des auteurs français connus comme Grangé (Le vol des Cigognes), Jonquet (Les orpailleurs), Izzo (pour l’ensemble de son œuvre) ou Dantec (La sirène rouge)… À l’étranger j’apprécie des auteurs comme Connelly (avec l’inspecteur Bosh), Cornwell (avec le médecin légiste Scarpetta), Mankell.

Hormis les films de science fiction et fantastique, mes attirances cinématographiques vont vers les films assez violents. Cette violence ne se traduit pas nécessairement dans les images mais surtout par les thèmes abordés ou leur traitement. Je ne les citerais pas tous mais des films comme "Seven", "8mm", "L’échelle de Jacob" m’ont particulièrement interpellé.” En octobre 2014, répondant à une autre interview, il précise encore : “Je suis un fan inconditionnel de Karine Giebel, une écrivaine redoutable… Demandez à votre libraire habituel sa bibliographie, tout est à lire, rien à jeter. Si je peux citer deux ouvrages qui ont guidé mes choix littéraires depuis des années, ce sont "Shutter Island" de Dennis Lehane et "Seven" d’Andrew Kevin Walker. Déjà avec ça, cela donne une bonne idée.”

Dans cette interview de 2014, Christian Blanchard évoquait l’intrigue de “L’homme qui prend la mer”, alors publié dans une première version : “L’idée de base était de faire un livre sur le stress post-traumatique d’ex-militaires de la guerre d’Afghanistan et de l’immersion de ces personnes dans un contexte plus dur encore afin qu’ils comprennent qu’il peut y avoir des peurs pires que les leurs. D’où l’idée de leur intégration sur un bateau de pêche en haute mer.

Ça ne me semblait pas être suffisant pour un roman noir, alors j’ai repensé l’intrigue en intégrant une affaire d’incendie volontaire sur l’île de Batz. J’y ai rajouté aussi une Parisienne à talons hauts ne supportant pas la Bretagne en hiver mais ayant un caractère bien trempé… un gendarme n’aimant pas qu’on se mêle de ses affaires… une assistante sociale des Armées voulant absolument soigner les ex-militaires… Et puis tous les hommes du "Doux Frimaire", chalutier de haute mer. Un roman noir au large des côtes d’Irlande avec un détour par les îles Féroé et quelques heures à l’île de Batz.

Dès le prologue, une femme est impliquée "salement" dans cette affaire. Laquelle ? C’est une partie du suspense. Le lecteur est amené à imaginer une histoire pas nette en Afghanistan… Peut-être, mais laquelle ? Qui sont les gentils et les méchants ? Peut-être tout le monde en même temps ou à tour de rôle ? Le lecteur cherche aussi le lien entre tous ces gens. La solution existe évidemment… à la fin.

Et puis, le lecteur subit, comme tous les acteurs de ce livre, la mer : l’humidité, le froid, les vagues, les tempêtes hivernales dans l’atlantique nord… le mal de mer. Il y aura aussi les odeurs : l’iode, le gasoil, le poisson,… le café et le fumet des plats du cuistot.”

Interrogé sur ses sources d’inspiration, Christian Blanchard répond : “Quand je suis en chasse d’idées, j’ouvre les yeux et les oreilles à ce qui m’entoure, la presse, les reportages-télé… Il y a toujours un truc lié à un fait divers banal ou extraordinaire qui m’inspire. Le fait en tant que tel ne m’intéresse pas. C’est ce qui est sous-jacent qui me parle : le pourquoi ? Le principe d’un roman qui explique un meurtre, une enquête et une résolution où l’objectif est de trouver le "méchant" ne revêt pour moi (comme auteur) que très peu d’intérêt. Ce qui me motive c’est comprendre pourquoi les choses se passent de cette façon, pourquoi cette victime est-elle la victime, pourquoi le "méchant" était-il comme ça. Voilà les ressorts qui guident ma motivation à écrire des histoires.”

Christian Blanchard : La mer qui prend l’homme (Belfond, 2018)

Déjà en 2005, à l’époque de ses premiers titres, il expliquait sa méthode : “…Je développe un plan précis d’écriture.Je pars d’une idée générale que j’ai trouvée de différentes façons (en observant un groupe de personnes sur une place à Morlaix, en regardant un documentaire à la télé, suite à une conférence sur les dangers de l’adolescence, suite à une lecture du psychiatre Boris Cyrulnik) Ensuite, j’effectue des recherches sur des moteurs de recherches Internet en associant des mots. Je découvre alors différents sites (plus ou moins regardables) et mon histoire prend forme. J’aboutis à une trame générale et je cherche tout de suite la fin et la chute de l’intrigue. En tant que lecteur, j’ai toujours été énervé (et le suis toujours) par des livres où l’on sentait que l’auteur ne savait pas trop comment finir son histoire. D’un coup, il nous balançait un fax qui donne l’élément vital, ou bien la clé de l’énigme introuvable au préalable... Bref. Quand j’ai ma trame générale et la chute, je travaille sur le déroulement de l’histoire et sur le résumé des chapitres. Je fais des fiches par personnage et des photos des lieux… Évidemment, je ne peux empêcher quelques évolutions de l’histoire mais à 80 % je respecte mon plan préalable.” (Sources rayonpolar.com et Éd.du Palémon)

Avec “La mer qui prend l’homme”, Christian Blanchard a concocté un roman puissant. Des contextes insolites autant que réalistes, un suspense tendu tout en noirceur, de multiples degrés d’intrigue avec leur mystère, voilà la garantie d’une lecture fascinante.

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14 octobre 2018 7 14 /10 /octobre /2018 04:55

Silvère Lavarec est un jeune séminariste qui sera ordonné prêtre dans quelques semaines. Alors qu’il randonnait en forêt, il a été blessé par un animal. Quand il se réveille, Silvère est attaché sur un lit. La personne qui le séquestre commence par le soigner. Mais il reste durant plusieurs jours dans une alternance entre somnolence et angoisse lucide. Qui est donc sa ravisseuse, une femme pas si âgée qu’il l’a d’abord cru ? Elle s’occupe de lui, mais n’affiche pas ses réactions, ne parle pas pendant les premiers jours. Silvère tente de l’apprivoiser, de susciter une sorte de confession de sa part. Elle n’est pas croyante, paraît animée par une instabilité psychologique pouvant amener des actes insensés. Depuis son enfance, Silvère admet une part de masochisme en lui, ce qui l’aide peut-être à accepter tant soit peu la situation. Néanmoins, il plane sur lui un danger de mort.

L’inconnue finit par libérer Silvère, sans explication. S’il s’éloigne de la masure où il était prisonnier, il y revient peu après par besoin de comprendre. Il trouve une photo ancienne, celle d’une fillette nommée Blandine de Quincy. Serait-ce le nom de la ravisseuse ? Elle nie, mais ça semble être le cas. Silvère rentre chez ses parents, le couple Lavarec s’étant inquiété entre-temps. Silvère dédramatise sa longue absence, continuant à réfléchir à sa mésaventure. “J’aurais dû prévenir la police, les gendarmes – une séquestration quand même, cette femme a tenté de m’empoisonner, elle a même été à deux doigts de m’égorger… Mais je ne peux pas, j’éprouve trop de compassion pour la misérable qu'elle est.” Le futur prêtre entreprend une discrète enquête personnelle sur cette famille de Quincy, dont il obtient l’adresse par la mairie de sa commune. 

C’est dans leur propriété ancestrale que Silvère rencontre Bérengère de Quincy, mère de Blandine – sa fille disparue depuis environ vingt ans. Sans doute ne livre-t-elle qu’une version édulcorée de l’histoire familiale. Par Constance, la vieille employée de maison des de Quincy, il en apprend bien davantage. C’est au temps de Fiacre de Quincy, le père de Bérengère, que se nouèrent les premiers éléments du drame qui entraîna le départ de Blandine dès l’âge de seize ans. Honteux secrets de famille bien réels ou affabulations de Constance ? Silvère s’interroge. S’il retourne à la maison de la supposée Blandine, cela ne suffit pas pour avoir toutes les réponses. Homme d’Église, Silvère craint d’être éprouvé dans sa foi par ces événements inattendus. Si l’emprise du diable touche les de Quincy, il lui reste bien des mystères à éclaircir…

Daniel Cario : Les bâtards du diable (Presses de la Cité, 2018)

N’en sais-je pas assez pour suspendre mes investigations ? Je viens de découvrir l’enfant et l’adolescente jusqu’à seize ans. Selon mes calculs, elle doit en avoir trente-six aujourd’hui. Pourquoi ne pas en rester là ? Une décision dictée par la sagesse, mais qui pourtant ne peut me suffire. Des détails matériels. Isolée dans sa fondrière, de quoi vit Blandine de Quincy ? Le beurre, le lait, le pain qu’elle m’a servis… Où s’approvisionne-t-elle ? Sans être un adepte des marchés, ma mère m’y traînait étant enfant ; je ne me rappelle pas avoir jamais rencontré cette misérable. Ou je ne l’ai pas remarquée. Physiquement, il est vrai qu’elle ne présente rien d’exceptionnel […]
Une chose est certaine : impuissant à fixer mes idées, me voilà entraîné dans un engrenage infernal dont les rouages me grignotent la raison…

Daniel Cario est l’auteur de nombreux "romans de terroir" depuis près de quinze ans. Il n’est pas moins habile à manier le suspense, comme dans “Les bâtards du diable”, jouant sur une atmosphère particulièrement énigmatique. Notons que l’intrigue n’est pas vraiment située dans le temps, intemporelle bien que se déroulant à notre époque – ce qui participe à l’ambiance. Le style d’écriture de Daniel Cario est pur, raffiné, précis, très agréable à lire. Ne pas égarer le lecteur tout en gardant quantité de questions sans réponses, c’est tout un art qu’il gère avec une certaine finesse.

Le récit est empreint d’une poésie, certes macabre, autant liée aux personnages qu’aux lieux décrits. Ici, c’est la ruralité éternelle et son admirable nature. Mais ce sont aussi des endroits où, causé par l’isolement, le mode de vie dans certains milieux cause de lourds mélodrames. Le jeune ecclésiastique s’improvise enquêteur, s’impliquant fortement dans cette affaire. Par pitié pour sa ravisseuse, bien sûr, mais également par un besoin viscéral de vérité. Un très bon suspense possédant sa propre tonalité, tout simplement.

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12 octobre 2018 5 12 /10 /octobre /2018 04:55

Dino Scalla est aujourd’hui âgé de quarante-cinq ans. Originaire de la banlieue lyonnaise mal famée, voilà deux décennies que les circonstances l’ont conduit à s’installer au Grand-Duché du Luxembourg. Dino y est depuis le compagnon de Lucienne Courtois, de trente-deux ans son aînée, authentique milliardaire luxembourgeoise. Vingt années de farniente pour Dino, qui ne se considère pourtant pas comme un gigolo – bien que bénéficiant d’une vie d’un luxe insolent. À cause d’un incident avec un banquier belge moqueur, Dino risque cette fois des ennuis. Toutefois, un arrangement est possible pour éviter une plainte : que Dino s’éloigne quelques temps, dans le yacht de Lucienne basé à Saint-Tropez.

Posséder une voiture classieuse n’empêche pas que puisse se produire un problème. C’est ainsi que Dino tombe en panne du côté de La Ciotat. Réparer le véhicule dans un garage local va demander quelques jours. En ce mois de juillet, guère d’hébergements vacants. Dino est contraint de séjourner dans le meilleur camping de la région, louant un bungalow. À son arrivée, il y a un peu d’agitation, avec la présence de gendarmes. Rykaard, un ado hollandais, s’est noyé dans la piscine du camping. Dino ne tarde pas à sympathiser avec Charles Desservy, son voisin de bungalow. Desservy est un écrivain, Prix Goncourt, venu là se reconnecter avec la vie réelle des gens ordinaires, pour y trouver l’inspiration.

Le duo passe surtout son temps sur les plages bondées – au risque d’apparaître tel un couple d’homos, et s’offre des dîners très arrosés au restaurant du camping. Tandis que Charles ne sait comment approcher l’animatrice en chef du camping, Johanna, Dino a des motifs d’inquiétude. Plusieurs jours que Lucienne ne répond pas à ses appels téléphoniques. Serait-il déjà remplacé par cet abruti de Jean-Pierre, récemment engagé pour s’occuper de l’invalide Macha, la mère de sa compagne ? Dino se rend compte qu’il n’a jamais rien fichu de sa vie, qu’il serait bien en peine de repartir de zéro. Quelques évènements fâcheux au camping l’aident quand même à moins se tracasser.

La famille belge aussi envahissante que ridicule perturbant leur tranquillité, ça concerne en priorité Charles. Par contre, la mort d’une Anglaise dans les WC du camping provoque le retour de la gendarmerie. Dino et l’un des jeunes gendarmes, Florian, partagent la même passion sportive – ce qui ne sera pas sans importance pour la suite. Dino subit un nouveau retard, ne pouvant récupérer rapidement son automobile. La fréquentation de Charles lui convient, après tout. Néanmoins, malgré une blessure à la cheville, il est grand temps que Dino retourne au Grand-Duché, afin de savoir si Lucienne l’a largué ou non. Ayant terminé ses vacances anthropologiques, Charles se fait un plaisir de l’y conduire…

Jacky Schwartzmann : Pension complète (Éd.Seuil, 2018)

Leur tente avait été littéralement lacérée de coups de couteaux, et chacune des cordelettes qui rattachaient la toile aux sardines soigneusement coupée […] Charles a choisi ce moment pour remettre une messe de France Culture sur son téléphone, le volume de son enceinte au maximum. La synchronisation était telle que le message était limpide. La grande classe, le héros dans toute sa splendeur qui accomplit une action d’éclat sans se soucier des conséquences pour lui : la mort ! C’est en tout cas ce que j’ai craint lorsque le Belge a traversé son emplacement et bondi sur la terrasse de Charles, furieux et prêt à en découdre. "C’est toi ça, hein, hurlait-il, c’est toi qui a fait la merde, là". Charles est resté imperturbable. Son indolence lui donnait des airs de détachement total, à la Dean Martin. Le faciès aussi neutre que celui de Kim Jong-un, Charles ne laissait transparaître aucune émotion. Néanmoins, personne n’était dupe : c’était bien lui, l’homme aux ciseaux.

Après “Demain c’est loin” (2017), Jacky Schwartzmann a concocté pour les lecteurs un nouveau roman savoureux, parfaitement jouissif. Dino, son héros, est confronté à une cascade ininterrompue de péripéties, tout en ayant matière à s’inquiéter pour son avenir. Si ses tribulations et celles de son ami de fraîche date, Charles, sont fort mouvementées, Dino n’est pas un personnage qui manquerait de substance, au contraire. Il a un vécu, et son regard sur le monde est plein d’ironie. Ancien pauvre d’un quartier déshérité, Dino apprécie le luxe et son confort affiché. Il est plutôt à l’opposé de Charles, qui connut tôt succès et richesse, beaucoup plus cultivé que lui sans doute. Dino a conservé un côté bagarreur, populaire, même si la meute des vacanciers l’exaspère carrément.

La tonalité du récit, ponctué de morts possiblement suspectes, est enjouée et caustique à la fois. C’est le naturel de la narration qui séduit dans ce roman souriant (comme dans le précédent), gommant le côté "improbable" de l’action. Un tel scénario destiné à divertir, à tenir le lecteur en haleine, à multiplier les situations agitées, n’a pas vocation à être oppressant, anxiogène. On s’amuse énormément, on se régale à dévorer les trépidantes mésaventures de Dino et de Charles. Aucun doute, Jacky Schwartzmann est un auteur très inspiré à ne pas manquer.

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10 octobre 2018 3 10 /10 /octobre /2018 04:55

Florida Meyer est documentariste, réalisant des films sur des sujets sociaux, en particulier sur des "déclassés" tels les SDF. Ayant perdu tôt sa propre mère, son parcours de vie fut quelque peu chaotique, basé sur une part de mensonges. Toutefois, elle s’efforce de rester proche de son père. Florida est l’amante de l’avocat Guizot, le mari de sa meilleure amie Marlène, père de deux jeunes enfants. De cette relation, elle n’attend rien de précis si ce n’est le fait de passer quelques bons moments. Ce week-end, Philippe Guizot a inventé un prétexte pour qu’ils le passent ensemble, dans les gorges du Verdon, en Haute-Provence. Hélas, se produit un accident : Guizot fait une chute mortelle. Florida pense avoir la solution, afin de ne pas nuire à la réputation de l’avocat et de préserver sa famille. Elle place le corps dans le canoë que tracte la Triumph TR4 de son amant.

Georges Maheu, un randonneur, a été témoin de l’accident. Il entreprend d’aider Florida à rapatrier le cadavre à Aix, où habite l’avocat. Maheu et Florida vont bientôt prendre avec eux un auto-stoppeur, Renan, qui s’affiche "anti-système". C’est un admirateur de Franck Mata, un syndicaliste médiatique utilisant le rock hard pour véhiculer un message social. En ces temps où se multiplient les licenciements suite à des fermetures d’entreprises, ce Che Guevara d’aujourd’hui renouvelle l’image des luttes ouvrières. Avec le risque de s’y brûler les ailes, sans doute. Avocat efficace pour la défense des droits des travailleurs, Guizot semble avoir hésité à être son défenseur dans une affaire très sensible impliquant le rockeur syndicaliste. Peut-être Guizot subissait-il des pressions ? Henri, son mentor et ami, vieil avocat, s’est lui-même mis au vert pour ne pas être mêlé à tout cela. 

Le retour vers Aix de Florida et Maheu est sans cesse retardé, divers contretemps se produisant pour l’amante de l’avocat – qui n’est pas si pressée de revenir aux réalités, d’une certaine façon. Ceci n’empêche pas le couple improbable de suivre les mouvements de grève à travers la France, Florida s’informant davantage sur le cas de Franck Mata. Devrait-elle s’interroger sur Georges Maheu, ayant perdu son emploi et très concerné par le combat syndical ? Pour l’heure, il reste son meilleur atout afin de mettre un terme à la situation. Son amie Marlène contacte bientôt Florida, et la rejoint en Haute-Provence, pour une virée "entre copines". Elle lui avoue que, malgré les apparences, son union avec Guizot n’est plus si solide ces derniers temps. Florida tarde à lui révéler la mort de l’avocat, faisant passer Maheu pour son nouveau compagnon.

La vie de Florida ayant toujours baigné dans une large proportion de mensonges, peut-être que ça l’aide à affronter l’épreuve actuelle. Quant au charismatique Franck Mata, être le symbole de la résistance face au diktat patronal n’entraîne pas que des sympathies. Le rôle de Maheu, qui possède la preuve de l’innocence de Florida dans la mort accidentelle de l’avocat, mérite probablement d’être éclairci, aussi. Difficile de sortir indemne d’une histoire aussi embrouillée…

Cédric Fabre : La folle cavale de Florida Meyer (Éd.Plon, coll.Sang Neuf, 2018)

Il est bon de considérer que ce roman n’est pas fixé dans une époque précise, qu’elle peut se situer entre la fin des années 1980 et la période actuelle. Son contexte sociétal et les crises économiques impactant les salariés ont peu évolué entre-temps. Le syndicalisme en perte de vitesse pourrait-il retrouver un poids en lui donnant une tonalité rock ? C’est ce que suggère l’auteur, à travers l’épopée de Franck Mata. Telle est la toile de fond, bien présente, de ce scénario – où il y a mort d’homme. Mais ce sont les pérégrinations de l’héroïne dans les paysages provençaux qui animent le récit. Une région que Cédric Fabre, Marseillais, aime et connaît fort bien, visiblement. 

S’il s’agit donc bien d’une road-story, ça se déroule dans un périmètre limité, avec ses déplacements en tous sens. Sans oublier les interrogations personnelles de Florida, dont la légèreté n’est qu’apparente. Sa principale constante étant de ne faire de mal à personne. Au passage, elle viendra au secours d’une femme battue, par exemple. Un bienfait n’est jamais perdu. Quant à l’affaire Franck Mata, elle essaie de la comprendre, de savoir pourquoi son amant avocat s’en méfiait. Les péripéties ne manquent pas, le caractère énigmatique de certains protagonistes non plus. Un bon roman noir, sinueux comme les routes empruntées par Florida au volant de la Triumph TR4.

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