Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 février 2019 6 02 /02 /février /2019 05:55

Le señor Luis Machi a bien raison d’être satisfait de sa réussite sociale. Marié à Mira, une emmerdeuse issue d’une vieille famille riche, il a eu deux enfants, Luciana et Alan. Sa fille est fiancée à un intellectuel, tandis que son fils est homo. C’est plutôt du côté professionnel que le señor Machi est fier de sa vie. Homme d’affaires aux diverses activités, il dirige le club L’Empire. Montres Rolex, briquet Dupont, stylo Mont-Blanc, chemises Armani ou Versace, cigares Cohiba ou Montechristo, BMW dernier modèle, le señor Machi ne vit que pour le luxe. Son défunt beau-père a souvent ironisé sur ses goûts de nouveau riche. Le regretté Alejandro Wilkinson, qui fut le mentor du señor Machi, répliquait qu’ils étaient des self made men, pas des nouveaux riches.

Le señor Luis Machi commença en reprenant une simple usine, début des années 1970. En ces temps de contestation, il balaya vite ces communistes qui faisaient du tapage. Il était bon d’avoir de solides relations politiques parmi les vainqueurs. Il développa aussi la Théorie de la Faveur, consistant à faire pression sur les gens, après leur avoir accordé de menus avantages. L’excitation du pouvoir entraîne toujours plus de puissance, le señor Machi l’a compris tôt. Qu’il s’agisse de boxe, de foot, ou d’établissements de loisirs, il faut imposer sa loi. Quitte à utiliser des hommes de mains, tel Pereyra (qu’il surnomme Cloaque). Son chef de la sécurité est un tueur rustre, mais efficace et même habile dans bien des cas. Moins il y a d’adversaires commerciaux, plus on profite du pouvoir.

Le luxe, ce sont aussi les femmes. Les prostituées de Mariela, dont certaines ont manigancé bassement pour devenir la maîtresse en titre du señor Machi. Qui, lui, ne considère toute fille que pour ses capacités sexuelles. Et puis, il y a la drogue. Indispensable, lorsqu’on mène une vie aussi effrénée que celle-là. Rails de coke et pilules soutiennent sa forme… Voilà que, rentrant vers son quartier sécurisé du Barrio, le señor Machi est victime d’une crevaison. Et il ne tarde pas à découvrir un cadavre inconnu au visage fracassé dans le coffre de sa BMW. Puis il se perd dans les quartiers pauvres de Buenos Aires. Avant de s’apercevoir que le cadavre est attaché par des menottes lui appartenant. Ce qui complique la solution pour se débarrasser du corps. Quant à savoir qui a placé là le cadavre, et pourquoi, le señor Machi risque de virer paranoïaque à chercher le coupable…

Kike Ferrari : De loin on dirait des mouches (Albin Michel, 2019)

L’air pestilentiel qu’agite l’éventail de doutes charrie des noms familiers, des possibilités insoupçonnées. Machi découvre effrayé qu’il existe des ennemis potentiels là où il ne voyait que des rivaux, des emmerdeurs, des subalternes.
Mais qu’importe, cela ne règle rien. Qui parmi ces éventuels ennemis de l’ombre a la capacité de planifier et, plus encore, d’exécuter un plan comme celui-ci : voler sa voiture, trafiquer le compteur, tirer sur un type en pleine face avec son Glock, et l’attacher ensuite avec les menottes dont il se sert pour assouvir sa fantaisie sexuelle ? Pereyra, qui du reste ne connaissait pas l’existence des menottes en fourrure, n’aurait jamais imaginé quelque chose d’aussi complexe ; il l’aurait flingué lui, et voilà tout. Et parmi les autres, qui a le pouvoir, les idées ?

Succès littéraire en Argentine, “De loin on dirait des mouches ne manque pas de saveur épicée. Par son fil conducteur, sur le classique thème “un cadavre encombrant et me voilà dans le pétrin”, cette intrigue se classe en effet parmi les romans noirs. Le problème du señor Machi n’est pas insurmontable, mais lui demande beaucoup d’efforts inhabituels.

Le plus intéressant, à travers les portraits du héros et de ses proches, c’est l’image que l’auteur donne de la société argentine. Les inégalités ne se sont guère résorbées depuis la fin de la dictature, et les combines ne profitent qu’aux plus forts. Sujet universel, que Kike Ferrari décrit avec toute l’ironie que méritent ces situations. Combats de boxe truqués, pression mortelle pour racheter un concurrent, nouveaux riches étalant leur fric, star éphémère devenue maquerelle, corruption policière, quartiers déshérités face aux parcs résidentiels protégés, et bien d’autres aspects de l’Argentine actuelle.

Ce pays donne le sentiment d’être hermétique à la mémoire, aux étapes qui ont jalonné son histoire. Fatalisme latino-américain ? On a du mal à saisir cet état d’esprit. Kike Ferrari ne prétend pas apporter des réponses, juste son regard caustique Si elle est grinçante, on ne sent pas une caricature exagérée de ces milieux, le scénario restant crédible. Ces supposés maîtres du pays sont, plus simplement, risibles. Un roman satirique réjouissant.

Partager cet article
Repost0
24 janvier 2019 4 24 /01 /janvier /2019 05:55

L'excès d'enthousiasme et les superlatifs peuvent paraître exagérés à celles et ceux qui consultent les commentaires sur un livre. Pourtant, l’enthousiasme est de mise ici, “Les disparus du phare” méritant d'exprimer sans nuance le plaisir que l'on éprouve à sa lecture. "Excellentissime" n’est pas excessif. Auteur chevronné et productif, récompensé par plusieurs prix littéraires, Peter May nous présente une intrigue exemplaire. D'abord, on entre dès le départ dans le vif du sujet. L'amnésique qui doit retrouver son identité et va bientôt s'interroger pour savoir s'il est un assassin, c'est un postulat assez classique du roman policier. Encore faut-il ne pas embrouiller inutilement les faits, opacifier une énigme déjà complète. L'auteur fait preuve d'une parfaite maîtrise, d'une sacré habileté pour nous inviter à "accompagner" les découvertes de son personnage central. Et il y en aura énormément.

Évidemment, les décors jouent aussi un rôle certain dans le récit. Ces îles écossaises d'une rude beauté, ces villages et ces petits ports traditionnels, ces mystères et ces mythes d'antan (telle "la route du Cercueil") planant sur les populations, tout cela contribue à l'ambiance. Il est aussi question des lobbies de l'agrobizness, producteurs de pesticides et de tant de poisons, dont on n'ignore pas le poids politique et financier international. Que les abeilles soient indispensables à la vie, ils s'en moquent bien. Aspect sociétal qui s'ajoute en toute légitimité à cette histoire criminelle aux multiples péripéties captivantes, et aux dangers encourus par le héros. De la première à la dernière ligne, on se passionne pour ce remarquable suspense : un "coup de cœur" s'impose !

Peter May : Les disparus du phare (Babel Noir, 2019)

Gunn ne put s’empêcher de poser la question. "Vous pouvez me dire depuis combien de temps il est mort ?"
Le professeur lui lança un regard noir puis reprit l’examen du corps. Il souleva un bras et le plia au coude avant de le lever et de l’abaisser en faisant jouer l’articulation de l’épaule. Il se saisit ensuite de la mâchoire de l’homme qui était suffisamment lâche pour qu’il puisse ouvrir et fermer la bouche sans rencontrer de résistance. Les lèvres paraissaient vaguement enflées. Gunn l’observa ensuite défaire la ceinture du pantalon, descendre la braguette et remonter le pull ainsi que le tee-shirt qui se trouvait dessous pour exposer le ventre.
— L’abdomen présente une teinte verdâtre, annonça le légiste. Et il est légèrement ballonné, probablement des gaz. Ceci dit, il y a de la graisse par-là, et il se peut que le foie soit gonflé. Aidez-moi à le retourner.

Quand il reprend connaissance, il vient d'échouer sur une plage, rejeté par la mer. Il est amnésique, ignorant son identité, n'ayant gardé que des bribes de mémoire. Il regagne le cottage qu'il loue depuis dix-huit mois, retrouve son chien Bran. Une lettre lui apprend son nom et son adresse : Neal Maclean, au village de Luskentyre, sur l'île de Harris dans les Hébrides, archipel à l'ouest de l’Écosse. Un couple d'amis voisins en visite lui donnent de vagues éléments supplémentaires. Neal est ici pour écrire un livre sur la disparition de trois gardiens de phare, sur un îlot des environs, en décembre 1900. Un mystère local devenu mythe historique. Son ordinateur lui apprend qu'il n'écrit aucun livre, en réalité.

Neal se sent tel un fantôme. Sally n'est autre que sa maîtresse. Elle ajoute des précisions, qui ne réveillent en rien les souvenirs de Neal. Depuis qu'il est ici, il fréquente souvent "la route du Cercueil", correspondant à une carte qu'il a trouvée. Sally et lui s'y rendent, et y découvrent dix-huit ruches dissimulées, qui doivent appartenir à Neal. Si sa voiture est au port de Rodel où il l'a laissée, plus de traces de son bateau. Il a probablement coulé, ce qui expliquerait son retour houleux. Peu après, Neal est agressé dans son cottage. Une tierce personne inconnue intervient, chassant l'intrus. C'est sur une des îles Flannan, où se situe le phare des trois gardiens, que Neal pense dénicher des éléments utiles.

Dans la chapelle en ruine de cet îlot, il découvre le cadavre d'un homme tué récemment. Il est incapable de savoir de qui il s'agit, mais peut imaginer l'avoir tué avec violence. S'en retournant en urgence au cottage, Neal trouve une mallette cachée contenant des liasses de billets, des documents sur son passé et son adresse supposée à Édimbourg. Malgré les difficultés, car il va passer pour un fuyard, et payer en billets devient suspect, il se rend dans cette ville afin d'approcher son épouse et sa fille. Mais elles ne le reconnaissent pas. En s'adressant aux archives écossaises, il trouve l'explication : il n'est pas Neal Maclean, ne peut absolument pas être cet homme.

Par ailleurs, Karen est une jeune fille de dix-sept ans arborant un look "gothique". Depuis le suicide de son père, elle se heurte souvent avec sa mère. Celle-ci compte refaire sa vie, le nommé Derek étant déjà son amant avant la disparition de son mari. Karen ressent le besoin d'en savoir davantage sur son père, chercheur dans un institut spécialisé financé par la multinationale Ergo. Elle s'adresse à son parrain, perdu de vue, le meilleur ami de son père. Il étudiait les effets, apparemment sans conséquences sur la nature, de certains produits de l'agrochimie. Mais, peu avant son suicide, il fut viré de cet institut, à cause d'une étude pointue autour des abeilles.

Ayant lu une lettre posthume adressée par son père, Karen quitte son foyer afin de poursuivre ses investigations, de Londres à Glasgow, et plus loin encore. Le cadavre de la chapelle en ruine ayant été découvert, le policier Gunn mène l'enquête du côté de Luskentyre. Il s'intéresse rapidement à Neal Maclean, absent. La propriétaire du cottage, Sally et Jon, la postière, le loueur de bateau, confirment le comportement suspect de Neal ces derniers jours. Obtenir l'autorisation de perquisitionner n'est qu'une formalité, dans ces conditions. De retour sur l'île, "Neal" ne peut échapper aux questions du policier…

Partager cet article
Repost0
22 janvier 2019 2 22 /01 /janvier /2019 05:55

En France, fin de l’année 2012. Trois exemples de personnes dont les vies ont sombré dans la noirceur. Les séparations parentales peuvent entraîner des conséquences bien plus insurmontables qu’on l’imagine. Si son frère aîné Rémy semble avoir plus facilement admis la situation, Matilda continue à en souffrir, bien qu’âgée désormais d’une petite trentaine d’années. Parce que, suite au départ brutal de son père quand elle était enfant, sa mère perdit tout repère, végétant en se réfugiant dans l’alcoolisme, hospitalisée quand se produisaient des crises. Matilda était bien seule pour endurer cette explosion familiale, et elle reste marquée – malgré ses tentatives de sociabilisation.

Boubacar Cissé fut "importé" d’Afrique par son père alors qu’il était enfant, pour former une nouvelle famille en France. Bouba subit bien vite les maltraitances de sa marâtre. Il tâcha de s’endurcir pour l’affronter en grandissant. Pour autant, le garçon fut livré à lui-même. À l’automne 2005, des émeutes éclatèrent à Clichy-sous-Bois, suite à la mort de deux ados, Bouna Traoré et Zyed Benna, électrocutés dans un poste électrique alors qu'ils cherchaient à échapper à la police. Bouba Cissé avait alors vingt-cinq ans. Ces faits, auxquels il était parfaitement étranger, furent l’occasion de se défouler pour lui. Mais on ne fit pas de cadeau aux délinquants : Bouba fut condamné à plusieurs années de prison.

Une chance se présenta quand il rencontra Louis, éducateur en centre de prévention. À sa sortie, Bouba fut engagé par une unité du Samu social. Si cela ne l’empêcha pas de continuer à fumer des joints, il admit devoir faire évoluer son comportement. Du moins en apparence, car il n’en avait rien à faire de ces clodos crasseux qu’il fallait bien traiter. Et puis l’atelier d’initiation informatique qu’il était censé animer n’intéressait personne. L’hypocrisie n’a qu’un temps, même s’il faisait bonne figure à la responsable de cette unité. Jusqu’au jour où arriva un SDF, muet après être devenu aphone, qui n’avait pas besoin d’être initié aux ordinateurs. Une drôle de relation s’installa entre eux.

Ce clochard particulier, c’était Franck. Lui-aussi fut, d’une certaine façon, victime des émeutes de 2005. Il était alors journaliste de presse, spécialiste des faits divers. Avec déjà une forte tendance à l’alcoolisme. Il essaya de poursuivre son métier, mais Franck ne maîtrisait plus grand-chose de sa vie. C’est là que débuta son errance. Selon les lieux où il prit ses habitudes, on le considéra comme un "clodo sympa" dont la passivité n’était guère dérangeante. Mitch, Nono, Karim, il se fit vaguement quelques amis dans la rue, tout en était conscient que ce n’était pas son univers de solitaire baignant dans l’ivresse. Quand Bouba lit la "confession" écrite sur ordinateur par Franck, cela pourrait l’émouvoir. Mais il y a longtemps qu’il n’éprouve plus aucun sentiment. Même si se croisent les chemins de Matilda, Franck et Bouba, peu d’espoir d’amélioration dans le parcours de chacun d’eux…

Jean-Christophe Perriau : Un monde trop petit (Éd.Inédits, 2018)

Avec ces trois cas, Jean-Christophe Perriau explore la déchéance sociale de personnes qui ont été, comme on le dit par commodité, victimes d’"accidents de la vie". En réalité, leurs problèmes prennent racine tôt pour Bouba ou Matida. Si Franck est tombé lui aussi, c’est pour d’autres causes. Que peut-on pour eux, puisque c’est le Destin qui est à l’œuvre ? Quand on décrit de tels personnages, on en vient vite à parler de "misérabilisme". Ce n’est pas ce que nous transmet l’auteur. Ces laissés-pour-compte, il ne les juge pas, et nous n’avons pas envie de le faire non plus.

Avec ses codes de banlieusard racaille, Bouba a-t-il la moindre chance de changer ? Si un léger mieux se produit pour la mère de Matilda, un autre drame viendra assombrir leurs vies. Quant à Franck, il n’y a plus d’envie en lui, un moteur qui l’a quitté depuis des années. Non, ces trois-là ne sont pas pitoyables.Ce qu’ils ont raté est largement dû aux circonstances. Voilà un roman noir psychologique de bon aloi, qui peut nous aider à réfléchir au sort des autres.

Partager cet article
Repost0
20 janvier 2019 7 20 /01 /janvier /2019 05:55

Automne 1954 aux États-Unis. Le shérif Nick Corey est en poste dans le désertique comté de Garfield, dans l'Utah. Lors d’une ronde nocturne, il découvre une voiture abandonnée. On ne vient pas s’égarer dans cette contrée par le simple fait du hasard, il le sait bien. Dans le même temps, Nick Corey voit atterrir un avion de chasse Sabre, sans aucune lumière, ni pilote — ce qui apparaît impossible pour ce genre d’appareil. À moins d’imaginer une intervention des Martiens : si beaucoup de ses compatriotes croient à une invasion prochaine des OVNI, pas Nick Corey. L'armée et le FBI sont immédiatement informé de l’atterrissage improbable du chasseur Sabre vide. Des troupes et des moyens conséquents sont déployés sur le périmètre concerné.

L’agent du FBI qui va chapeauter l’affaire n’est pas le premier venu : Jack White est un conseiller spécial du Président. Simple shérif, observateur sans pouvoir dans le cas présent, Nick Corey n’a nullement l’intention d’entraver son enquête. Il ne doute pas que, vu la position de Jack White, celui-ci progresse assez rapidement. En effet, le pilote du Sabre est vite identifié, ce qui ne dit pas où il est passé. Le plus inquiétant, c’est que l’appareil transportait cent tonnes de TNT, de quoi commettre un sacré attentat. Peut-être dans le cadre d’un plan d’une plus vaste ampleur. Pour le shérif, ce qui importe, c’est cette voiture abandonnée. Les arômes d’un parfum sont subtils, mais il subsiste des fragrances de ce produit de luxe dans le véhicule. La victime est donc une femme.

L’assassin – car Corey est sûr qu’il y a meurtre – n’a pas cherché à masquer les indices. Au contraire, peut-être. Ce qui ramène le shérif à son propre vécu. Avant guerre, un tueur en série supprima ses parents. Pas encore adulte, Nick Corey fit un séjour en prison, accusé de ce crime. À l’époque du conflit mondial, il se comporta brillamment, en véritable héros, non sans séquelles. Mais une telle épreuve ne peut que laisser de profondes traces dans la vie d’un homme tel que lui, exacerber sa sensibilité. Depuis, il croit deviner des signes — comme les interventions de ce fantomatique indien Cherokee, dont il ne comprend pas les messages. Dans son comté, si cet autre indien qu’il a surnommé Stone est bien réel et sans agressivité, il ne l’aidera nullement, ne prononçant jamais un mot.

Nick Corey est convaincu que c’est bien l’assassin de ses parents qui est de retour, tant d’années après. Tandis que l’agent du FBI Jack White poursuit ses investigations, non sans risques, Nick Corey se met sur les pas de celui qu’il a surnommé Le Dindon. Toutefois, le tueur en série – par jeu ou par défi – garde en permanence plusieurs jours d’avance sur lui…

Richard Morgiève : Le Cherokee (Joëlle Losfeld Éditions, 2019) — Coup de cœur —

Il s’est souvenu d’une autre forêt, du Cherokee aux pommettes barrées de deux traits de peinture blanche, qui lui était apparu la nuit où ses parents avait été assassinés. Bien sûr qu’il avait pensé que ce gars pouvait être fin soûl ! Ou fou, fou et soûl, défoncé. Mais il ne pouvait s’interdire d’imaginer qu’il était venu le prévenir. Et il avait remis ça. Oui, il avait remis ça. Il était revenu le voir quand il était dans le coaltar à Guadalcanal, sur une civière avec une blessure à la tête, au ventre, avec une jambe brisée… Le Cherokee lui avait parlé et Corey n’avait rien compris, rien de rien.
Après cinq opérations, Corey s’était mis à voir de temps en temps en noir et blanc. On lui avait dit que c’était impossible et il n’avait pas insisté. C’était impossible d’être accusé du meurtre de ceux qu’on aimait. Impossible de voir simultanément un Sabre atterrir sans pilote et un puma blanc.
Corey avait connecté les deux histoires, celle du Cherokee au visage peint en blanc et celle du puma blanc. C’était interdit par le code de l’enquêteur : tant pis. Il les avaient connectées parce que c’était la même satanée histoire en vérité. La même histoire parce que c’était lui, Nick Corey, qui les vivait, lui le trait d’union.

Comment ne pas se montrer enthousiaste ? Il s’agit d’un roman policier d’excellence, comme seuls les meilleurs auteurs savent en écrire. Une histoire fluide qui ne cherche pas à embrouiller les lecteurs par des détours fallacieux. Pour autant, le scénario ne manque pas de péripéties, évoluant sur un rythme impeccable – qui n’a nul besoin d’ajouter des effets spectaculaires ou inutilement violents, une tension artificielle, des mystères s’imbriquant les uns dans les autres. Trois lignes narratives : l’énigme de l’avion de chasse Sabre, celle de la disparue au parfum français, et le meurtre jamais résolu des parents de Nick Corey. C’est bien ainsi que le fait Richard Morgiève qu’on raconte un tel roman, peaufinant le personnage central et son univers au fil des événements.

Le nom du héros l’indique : c’est un homonyme du shérif de Pottsville, bourgade de 1280 habitants, le shérif (faussement débonnaire) créé par Jim Thompson. Richard Morgiève connaît fort bien ses classiques : ce roman est également – ou avant tout – un hommage d’une belle intelligence aux intrigues d’autrefois, à leur contexte, écrit dans une tonalité actuelle personnelle. Même la présentation des femmes n’est ici pas éloignée de celle de l’époque, avec sa part de clichés. Il n’oublie pas que si perdure le mythe américain, les États-Unis d’alors n’ont pas que de bons côtés (soucoupes volantes ou communisme, c’est un peu la même menace d’invasion : parfait pour favoriser le maccarthysme). Ce n’est pas un hasard non plus s’il situe l’action dans un État désertique peuplé quasi-intégralement de Blancs. L’Amérique des grands espaces ne serait-elle qu’un grand vide ? Ce remarquable roman est, à l’inverse, riche de qualité supérieure.

Partager cet article
Repost0
18 janvier 2019 5 18 /01 /janvier /2019 05:55

Bertram Wooster est un jeune aristocrate anglais. Dans son immeuble londonien, le voisinage est carrément excédé par la passion de Bertram, qui joue sans arrêt du banjo. Il est prié de quitter les lieux. Son indispensable majordome Jeeves, fatigué lui aussi par la musique de son maître, en profite pour démissionner. Bertram peut compter sur le baron Chuffnell, ancien camarade d’études qu’il surnomme Chuffny, pour lui prêter un cottage sur sa propriété campagnarde. Le temps de rénover l’habitation, il pourra loger à Chuffnell Hall, le château de son ami. C’est là qu’il retrouve bientôt le majordome Jeeves, que le baron s’est empressé d’engager. Au château, habitent aussi la tante Myrtle et son fils, le jeune Seabury, qui a l’esprit dérangé.

Le château de Chuffnell Hall et ses dépendances, Chuffny voudrait bien s’en débarrasser – ainsi que de la tante Myrtle et de son fils. Homme de loi, sir Roderick Glossop semble lui avoir trouvé un acheteur. Sir Roderick déteste profondément Bertram Wooster, au point d’avoir récemment fait capoter les fiançailles du jeune homme à New York – et d’avoir viré avec plaisir Bertram de son immeuble de Londres. Or, le client potentiel pour la propriété du baron Chuffnell n’est autre que le fortuné Washburn Stoker, père de Pauline Stoker, qui évinça Bertram il y a peu. M.Stoker, sa fille et sir Roderick arrivent au château. Bertram et Jeeves ne sont pas sans remarquer que Chuffny et Pauline formeraient un beau couple. D’ailleurs, l’attirance a été immédiate entre le baron et la jeune femme.

En partie à cause des élucubrations de Seabury, mais aussi parce que M.Stoker est un caractériel, la vente de Chuffnell Hall est bien vite compromise. Les fiançailles possibles entre Pauline et Chuffny aussi, par voie de conséquence. Jeeves va tenter d’arranger l’affaire. Mais lorsque Pauline débarque au cœur de la nuit dans la chambre de Bertram, ayant fui le yacht de son père, ça risque de compliquer la situation pour le jeune aristo et pour Chuffny. Et ce n’est pas Brinkley, le ténébreux majordome engagé à la place de Jeeves, qui aidera Bertram à solutionner les problèmes – au contraire. Quant à sir Roderick Glossop, on peut parier qu’il embrouillera lui aussi le cas de Bertram. Voilà une affaire qui risque fort de devenir incendiaire…

P.G.Wodehouse : Merci, Jeeves (Éditions 10-18)

— Bertie, es-ce que vous êtes ennuyé ?
— Ennuyé ?
— Vous avez l’air ennuyé. Et je ne peux pas voir pourquoi. Je pensais que vous seriez très heureux de la chance de pouvoir m’aider à rejoindre l’homme que j’aime, avec ce cœur d’or dont ont parle tant.
— La question n‘est pas de savoir si j’ai un cœur d’or ou non. Des tas de gens ont des cœurs d’or et seraient quand même ennuyés de trouver des jeunes filles dans leur chambre au petit matin. Ce dont vous n’avez pas l’air de vous rendre compte, vous et votre Jeeves, ce que vous avez omis de considérer dans vos calculs, c’est que j’ai une réputation à conserver, un nom sans tache à garder dans sa pureté originelle, ce qui ne peut pas être fait en accueillant les jeunes filles qui entrent au beau milieu de la nuit sans se demander du tout si cela vous convient, et qui vous fauchent froidement vos pyjamas héliotrope…
— Vous pensiez que j’allais dormir dans un costume de bain trempé… Et surtout dans votre lit ?

Il ne s’agit pas de roman policier, mais de pure comédie. C’est avec une sacrée maestria que P.G.Wodehouse mène son intrigue, chassé-croisé de scènes hilarantes. Si Bertram Wooster est un personnage sympathique, c’est l’intelligent et cultivé majordome Jeeves qui (plus ou moins dans l’ombre) fait évoluer les choses. Pour le meilleur et pour le pire, il faut bien l’avouer. Lire et sourire, ça fait diablement du bien. Avec les mésaventures de ce duo-là, on s’amuse énormément.

Puisque “Bonjour, Jeeves” et “Au secours, Jeeves” sont réédités en ce début 2019 chez 10-18, c’est sans doute le bon moment pour celles et ceux qui ne les connaissent pas encore de découvrir les romans de P.G.Wodehouse.

Partager cet article
Repost0
16 janvier 2019 3 16 /01 /janvier /2019 05:55

Louis Dames est un jeune retraité passionné de nature, en particulier de l’étude des insectes. Il vient tout juste de s’installer dans une des vallées du Vercors, qu’il estime propice à l’entomologie. S’il part à la découverte du milieu, c’est bientôt tout autre chose qui attire son attention. Autour d’une grande maison d’architecture actuelle, Louis assiste à une scène bizarre, qu’il est incapable de décrypter. Il apprend que cet endroit est habité par un artiste coréen, Krim Lee, et sa compagne Ceril, elle-même artiste. Louis est comme aimanté par cette maison, et revient rôder à proximité. Ça ne l’empêche pas d’explorer la nature et les insectes de la vallée. Dans un premier temps, il ne paraît pas aisé d’entrer en contact avec Ceril, qui n’a pas manqué de remarquer sa présence.

Louis finit par lier connaissance avec le couple d’artistes. Il est même invité à séjourner chez eux. Krim Lee n’est guère loquace, soupçonnant Louis de les surveiller. Intransigeant sur son art, le Coréen n’apprécie que l’isolement favorable à la création. La relation entre Ceril et Krim Lee apparaît à Louis conflictuelle. Clairement, il existe une forte tension entre eux, avec une violence certaine. Même s’il se trouve au plus près du couple, l’entomologiste a beaucoup de mal à cerner leurs caractères, bien qu’ils le fascinent. Ce n’est pas au Chalet du Vercors, seul commerce par ici, “point de rencontre des maisons isolées et des hameaux avoisinants, situé à l’intersection de trois routes et à douze kilomètres de la première bourgade”, qu’on le renseignera tellement plus.

Quand Ceril disparaît, difficile de comprendre s’il s’agit ou non de l’acte volontaire d’une artiste fantasque. Néanmoins, cela entraîne une enquête de gendarmerie. D’autant que des traces de sang peuvent se traduire par des faits criminels. Le gendarme Gilbert et sa hiérarchie sont-ils, pas plus que Louis Dames, en mesure de cerner le comportement de personnes telles que Ceril et Krim Lee ? Tandis que Louis reste proche du Coréen, qui ne semble pas inquiet du sort de sa compagne, la gendarmerie suisse sera bientôt concernée par cette affaire, elle aussi…

Philippe Rouquier : Rires de poupées chiffon (Éd.Carnets Nord, 2019)

Comme souvent avec les histoires très originales telles que celle-ci, il ne faut pas se tromper de lecture. Nous ne sommes pas dans un polar rythmé et trépidant privilégiant l’action, mais dans un "roman d’atmosphère". Témoin des faits et de l’ambiance, Louis Dames est un "candide", très éloigné de l’état d’esprit du couple d’artistes. Il constate que la nervosité qui règne se fait plus tendue au fil des jours. Sur quoi peut déboucher ce genre de situation, c’est à la fois trop opaque, trop confus et trop intense pour envisager une explication qui serait logique pour le commun des mortels. Peut-être qu’en restant dans cette sphère, Louis Dames se met-il en danger ? À moins que tout cela ne soit finalement qu’un jeu d’illusion artistique ?

Voilà un roman déstabilisant pour le lecteur qui, par sa thématique et sa tonalité, sort totalement de l’ordinaire. C’est le second titre de Philippe Rouquier dont “Tant pis pour le Sud” (Le Masque) a été récompensé au Festival de Beaune par le Prix du Premier roman.

Partager cet article
Repost0
14 janvier 2019 1 14 /01 /janvier /2019 05:55

Châtignes, c’est la province éternelle, une petite ville d’hier et d’aujourd’hui, où rien n’évoluera jamais vraiment. Endormie, sombre et humide, une bourgade triste. “Il pleuvait depuis quatre jours. Sous un ciel d’un gris fade dont rien ne parvenait à entamer l’uniformité, Châtignes respirait la mélancolie. À midi, les petites villes de province sont mornes, et Châtignes n’échappait pas à la règle. Seul le gargouillis de l’eau dans les caniveaux engorgés troublait le silence, car le bruit de la pluie était devenu si habituel qu’on ne le remarquait plus.” Quant à "L’actualité locale", elle n’est guère basée que sur des commérages, des racontars. Si une tête nouvelle s’y installe, même quelques jours, on voudra savoir. Rien d’excitant pour une population s’encroûtant dans sa routine lassante. Heureusement, le mystère n’y est pas toujours absent.

Des crimes — des soupçons de crimes ou de morts énigmatiques — s’y produisent quelquefois. Grâce à Jean-Pierre Ferrière, qui en a fait le décor de plusieurs de ses suspenses. “Vétéran du polar” né en 1933, auteur de soixante-quinze romans en soixante ans, Ferrière a séduit le public par ses histoires captivantes, racontées avec une certaine malice, souplesse narrative et fluidité étant ses meilleurs atouts. Si la manière apparaît sans agressivité, il s’agit bien d’affaires criminelles, de meurtres et de mystères. Et la population de Châtignes existe assurément encore de nos jours, avec ses états d’âmes et, pour partie, sa méchanceté. Les générations de commères s’éteindront-elles un jour ? Rien n’est moins sûr. Les Éditions Campanile ont l’excellente idée de rééditer trois de ces titres en un seul volume. Explorons ces savoureuses intrigues provinciales, parmi les meilleures de l’auteur.

- Crimes autorisés : Malgré les années qui passent, la petite ville de Châtignes reste parfaitement ennuyeuse. Si le très parisien Stéphane y séjourne quelques jours, c’est pour assister aux obsèques d’Alexandre, qui fut un de ses proches, un intime. Il espère surtout que son vieil ami ne l’a pas oublié dans son testament. Stéphane se demande comment, même souffrant, Alexandre supportait de vivre à Châtignes.

Le jour de l’enterrement, on découvre un drame dans la maison qu’habitait pour moitié Alexandre. Jeanne s’est suicidée. En effet, cette jeune femme semblait ne pas s’intéresser à grand-chose dans la vie. Toutefois, sa sœur Hélène émet des doutes quant à un suicide. Face à l’inspecteur Vialles, elle accuse presque son beau-frère Étienne. Il est vrai que ces deux-là n’ont pas l’air de s’apprécier. Quant à Mathieu, le meilleur ami d’Étienne, il voudrait se rapprocher d’Hélène, plutôt que de se contenter de la serveuse de l’hôtel, Nelly. Mais Hélène est une femme au caractère affirmé. Le journal intime de Jeanne ne permet guère de douter du suicide. Tragique histoire d’amour ? Stéphane n’y croit pas, ayant d’excellentes raisons de penser que la vérité est nettement moins limpide. Désormais, Hélène admet le suicide, alors que Stéphane est sûr du meurtre…

Jean-Pierre Ferrière : Le charme mortel de la province (Éd.Campanile, 2018)

- Marie-Meurtre : Marie, bientôt quarante ans, est bibliothécaire à Châtignes. Cette célibataire est assistée dans son travail par la jeune Joëlle, éprise d’un fils de notaire. Marie a connu l’amour vingt ans plus tôt avec Daniel, qu’elle aime encore, mais qui épousa la riche Irène. La vie de Marie est bousculée par l’arrivée de son frère Gérard. Celui-ci meurt chez elle d’une attaque cardiaque. Peu après, un truand parisien nommé Clarence apparaît, cherchant des bijoux volés. Marie voit là l’opportunité de se venger d’Irène. Elle oblige Clarence à la supprimer.

Le plan de Marie fonctionne, même s’il s’agit réellement d’un accident. Elle va pouvoir enfin récupérer Daniel, ce qui épatera les commères locales. Suite à la mort de son épouse, Daniel estime avoir besoin de s’éloigner un peu. Il part en vacances sur la Côte d’Azur. Ce contretemps cache un gros problème : Daniel a choisi une autre femme. Marie recontacte le truand Clarence. Elle concocte un nouveau plan afin d’éliminer sa rivale. Hélas, si celle-ci est tuée, tout ne se passe pas comme l’a prévu Marie…

- Un climat mortel : Entre ragots et météo pluvieuse, on s'ennuie beaucoup à Châtignes. Telle Marceline Loubet, vieille dame aveugle qui croit au retour prochain de sa petite fille qu'elle ne connaît pas. Telle Simone, sa garde-malade, une rêveuse invétérée. Tel Axel, un jeune homme un peu dérangé, qui espère que sa Denise lui reviendra. Telle la serveuse Yvette, qui ne pense qu'au cinéma. Ceux-là sont à ranger parmi les sympathiques. D'autres s'avèrent plus détestables. Comme la mère d'Axel, une femme cruelle, ou Mme Cochart, la patronne du Grand Hôtel. Avec M.Chandernont et le maire, elle fait partie des personnes influentes de Châtignes. Toujours à l'affût des racontars, elle traque les petits et grands secrets supposés de chacun. Avec une méchanceté à peine dissimulée.

L'arrivée à Châtignes d'Irène Monestier apporte un peu d'animation supplémentaire à ce petit monde. Les questions que se posent Mme Cochart sur sa cliente, et sur son fils (souffrant) qui l'accompagne, restent sans réponse précise. Axel vérifie qu'il ne s'agit pas de sa Denise. Yvette voudrait que Mme Monestier lui parle de Paris et de la vie d'artiste. L'inspecteur de police Vialles tombe vite sous le charme de la nouvelle venue. Quant à Simone, elle ne peut guère transmettre d'infos sur Irène Monestier à Marceline Loubet. Il faut avouer que cette femme est fort étrange. Difficile de croire qu'elle ne connaisse personne ici, qu'elle soit arrivée là par hasard. Mme Cochart est furieuse de ne rien savoir à leur sujet. Un meurtre et un enlèvement se produisent la même nuit au Grand Hôtel. Quelques heures plus tard, un automobiliste est assassiné. Le policier Vialles ne peut évidemment pas être totalement objectif. Malgré les journalistes et la prochaine arrivée de ses collègues, il tente néanmoins d'approcher la vérité…

Partager cet article
Repost0
10 janvier 2019 4 10 /01 /janvier /2019 05:55

Au nord de Bastia, le Cap Corse (surnommé l’Île dans l’île) fait partie des magnifiques sites de la région. Si l’un des versants est très apprécié par le pinzutu en vacances, l’autre est en proie à la désertification. Dans quelques villages oubliés subsistent une poignée d’habitants vieillissants. L’apiculteur Ange-Étienne est l’un d’eux. S’il participa au combat nationaliste d’autrefois, voilà vingt ans qu’il a rompu avec ces milieux devenus trop violents, jusqu’à s’entre-tuer. Néanmoins, en cet été 2013, lui vient l’idée d’un dernier coup d’éclat. La centième édition du Tour de France cycliste débutera en Corse. Il s’efforce de remotiver ses amis de “Noi du Capicorsu”, une dizaine de personnes attachés à leur terroir, anciens régionalistes comme lui. La plupart étant plus que sceptiques doit surtout les convaincre du caractère pacifique du projet.

À l’approche de l’opération, ce ne sont pas les contrariété qui manquent pour Ange-Étienne. Il a préparé un arbre à demi-tronçonné, qui servira à perturber le passage de l’étape en barrant le passage. Il a également prévu une bâche revendicative pour attirer l’attention sur leur partie du Cap Corse. Deux amis transmettront aussi anonymement que possible aux médias le sens de leur initiative. Par contre, on risque une météo contraire pour l’étape concernée. Et un autre groupe de nationalistes menace d’empêcher le Tour de passer. Ange-Étienne avait omis la sécurité liée à l’événement : le jour venu, la route qu’il devait emprunter pour aller finir de scier son arbre-obstacle est strictement interdite. Négocier avec la maréchaussée n’avance gère les choses. Trop sûr de son fait, Ange-Étienne n’a pas vraiment prévu de "plan B". L’affaire risque fort de capoter.

Peu après, une jeune femme est mortellement victime d’un accident de la route : l’arbre d’Ange-Étienne a chuté sur sa voiture. Dans le contexte, les autorités doivent envisager un attentat terroriste islamique. La DCRI s’est déjà déployée sur l’Île. La Gendarmerie préfère y voir un exemple de la fatalité. Quant à la famille de la victime, elle engage un détective privé local pour établir ce qui s’est produit. Firmin Lagarce n’est peut-être pas le plus brillant des enquêteurs, mais avec son jeune assistant Baghdâd El Tayeb, on peut espérer des résultats. Baghdâd connaît la mentalité des Arabes, calmes en quasi-totalité. Firmin est Corse, avec de solides relations dans la région, y compris le brigadier de gendarmerie Yann Jaouen. Le duo tente de s’informer dans un bar du coin, mais à part un couple de Belges agaçants, rien à glaner. Un Rasta pourrait être suspecté, mais ça paraît fort aléatoire.

Firmin et Baghdâd se rendent sur le lieu de l’accident mortel. Firmin y relève quelques indices montrant que l’arbre fut pré-coupé, probablement par une personne ayant ses habitudes dans cet endroit. D’un côté, la DCRI ne lâche pas sa piste terroriste. Mais Firmin va exploiter une culpabilité locale. Peut-être finira-t-il par cerner le fautif ? Quant à Ange-Étienne, au besoin, il est prêt pour un baroud d’honneur…

Olivier Collard : Culpacciu (Éditions du Cursinu, 2018)

Mais alors pourquoi cette pauvre femme ? Pourquoi une innocente ? Les proches de la victime voulaient absolument savoir. Ils exigeaient une réponse satisfaisante, tandis que la Gendarmerie se bornait à répéter : "Le mauvais endroit, au mauvais moment". Bien que l’affaire ne fut pas officiellement classée, la Brigade de Recherches avait de toute évidence tourné la page. Elle avait d’autres priorités, et l’enquêteur en charge de l’affaire désirait manifestement passer à autre chose. Ce surcroît de travail au moment où tout le monde profite de ses congés d’été, cette épidémie de règlements de comptes, leur avait donné le tournis. Ainsi, lorsque le frère et les parents de la victime firent le déplacement en Corse, pour accomplir diverses formalités, avec toute la peine, toute la souffrance que l’on imagine, ils eurent la fâcheuse impression que les enquêteurs, dépassés par les événements, n’avaient accordé que très peu d’attention à cette tragique affaire.
Dépitée, la famille de la victime ne tarda pas à se tourner vers un détective privé.

On peut parler ici d’un roman policier de tradition. Si les personnage centraux en sont l’apiculteur Ange-Étienne et, au temps des investigations, le “privé” Firmin Lagarce, ancien policier, c’est bien la Corse qui importe dans cette histoire. Dans toutes les régions de France, aussi remarquables soient-elles, des villages sont désertés, n’intéressant ni les investisseurs ni le tourisme. Nul doute que ce soit le cas dans cette partie du Cap Corse, non-valorisée. Attirer l’attention à l’occasion du passage du Tour de France 2013 n’était pas une mauvaise idée, encore qu’un peu chimérique. Mais les initiatives même pacifiques ont parfois des conséquences désastreuses… Connaissant et aimant son territoire corse, Olivier Collard n’en fait pas seulement un décor, il nous en parle avec une tendresse certaine. Voilà un roman policier très agréable.

Les Éditions du Cursinu étant peu diffusées, il est préférable de les contacter.

Partager cet article
Repost0

Action-Suspense Contact

  • : Le blog de Claude LE NOCHER
  • : Chaque jour des infos sur la Littérature Policière dans toute sa diversité : polar, suspense, thriller, romans noirs et d'enquête, auteurs français et étrangers. Abonnez-vous, c'est gratuit !
  • Contact

Toutes mes chroniques

Plusieurs centaines de mes chroniques sur le polar sont chez ABC Polar (mon blog annexe) http://abcpolar.over-blog.com/

Mes chroniques polars sont toujours chez Rayon Polar http://www.rayonpolar.com/

Action-Suspense Ce Sont Des Centaines De Chroniques. Cherchez Ici Par Nom D'auteur Ou Par Titre.

Action-Suspense via Twitter

Pour suivre l'actualité d'Action-Suspense via Twitter. Il suffit de s'abonner ici

http://twitter.com/ClaudeLeNocher  Twitter-Logo 

ACTION-SUSPENSE EXISTE DEPUIS 2008

Toutes mes chroniques, résumés et commentaires, sont des créations issues de lectures intégrales des romans analysés ici, choisis librement, sans influence des éditeurs. Le seul but est de partager nos plaisirs entre lecteurs.

Spécial Roland Sadaune

Roland Sadaune est romancier, peintre de talent, et un ami fidèle.

http://www.polaroland-sadaune.com/

ClaudeBySadauneClaude Le Nocher, by R.Sadaune

 http://www.polaroland-sadaune.com/