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16 février 2018 5 16 /02 /février /2018 05:55

Ragtown est une ville de l’ouest du Texas qui s’est développée grâce au pétrole. Si Mike Hanlon a ainsi fait fortune, c’est parce qu’il a su habilement combiner ses affaires, quitte à causer quelques mécontentements. Puis il a construit un grand hôtel, le seul digne de ce nom dans cette ville dont il est le shérif en titre. Aujourd’hui, Mike Hanlon est impotent, en fauteuil roulant, ce qui ne l’empêche pas de garder un œil sur ce qui l’entoure. S’il s’est marié assez récemment avec Joyce, c’est peut-être pour qu’on l’envie d’avoir une jolie épouse ne manquant pas de caractère. Toutefois, Mike Hanlon se méfie d’elle, qui serait bien capable de le priver de la moitié de sa fortune, voire davantage. Il n’accorde aucune confiance non plus à Lou Ford, le shérif adjoint, qu’il devine totalement corrompu.

Le parcours de David McKenna, surnommé Bugs, a été plus chaotique que la moyenne, avec une grosse part de malchance. Sans doute se montra-t-il souvent trop impulsif dans les postes d’agent de sécurité qu’on lui confiait. Ce qui était dû à un tempérament d’une certaine rigueur et à des mauvais choix. Après plusieurs séjours en prison, il débarque à Ragtown tel un vagabond, frôlant de nouveaux ennuis. Bien que son casier judiciaire ne plaide guère en sa faveur, le shérif Lou Ford lui indique un job à sa mesure : Mike Hanlon cherche un agent de sécurité efficace. Joyce Hanlon approuve et appuie sa candidature. Bugs est bientôt engagé par le propriétaire de l’hôtel. Rapidement, il ressent une sincère sympathie pour Mike Hanlon, tout en évitant de trop l’afficher, restant à sa place.

Joyce s’avère plutôt câline envers Bugs, attitude dont il n’est pas vraiment dupe. Il y a une autre femme qui l’attire davantage à Ragtown, Amy Standish. Âgée de trente ans, cette institutrice est la fiancée du shérif Lou Ford. Une relation houleuse, constate Bugs. Il a donc de possibles chances de plaire à Amy, qui n’est pas contre des rendez-vous privés. Bugs doit se montrer prudent, maintenant qu’il a un job confortable, d’autant qu’il se doute que Lou Ford est un type malsain. Westbrooke, qui assure la gestion de l’hôtel, est un professionnel sérieux. Il a un problème avec l’ami comptable qu’il a lui-même engagé. Ce dernier a détourné 5000 dollars. Bugs ne comptait pas intervenir dans ce problème. Il eût été préférable qu’il n’aille pas sermonner le comptable, qui meurt à cette occasion.

Bugs sait avoir une part de responsabilité dans la mort du comptable. Mais puisque ça semble être un suicide et qu’il possède un alibi, il y a moins de risque. Par contre, on n’a pas retrouvé le petit pactole détourné. Et bientôt, Bugs reçoit une lettre de chantage. Jusqu’à là, il accordait sa confiance à Rosalie Vara, la femme de ménage métisse, dont il devinait l’intelligence. Mais il l’imagine bien capable de le faire chanter. À moins que ce ne soit Joyce, assez perverse pour jouer ce jeu-là. Si le gérant Westbrooke a sombré dans l’alcool, une cure lui permettra d’y voir finalement plus clair. De son côté, que projette Mike Hanlon concernant son épouse Joyce ? Il y a fort à parier que Lou Ford compte tirer profit de toutes ces embrouilles…

Jim Thompson : Ville sans loi (Rivages/Noir, 2018)

Westbrook se passa le dos de la main sur la bouche. Dit que, merde, il était désolé, il ne voulait pas que Bugs le prenne comme ça. Il n’avait rien fait de plus pour Bugs qu’il n’en aurait fait pour quelqu’un qu’il appréciait, et que Bugs ne lui devait pas un sou. Mais… mais…
Sa voix enfla, devint tout à coup vindicative. L’alcool déferlait sur lui comme une grande marée, anéantissant toutes ses inhibitions, ne laissant que sa terreur et un sentiment d’indignation. Sa petite bouche dure cracha un flot de paroles venimeuses et haineuses.
Il ne pensait pas ce qu’il disait. C’était l’alcool qui parlait, pas lui. Mais il y avait chez lui un cynisme inhérent qui lui donnait la faculté de mettre bout à bout diverses situations pour aboutir invariablement à des conclusions peu flatteuses. Des conclusions, des réponses, qui dénotaient un manque de logique risible mais étaient en même temps insidieusement convaincantes. Bugs le regardait bouche bée sans savoir s’il devait rire ou se fâcher.

La collection Rivages/Noir a entrepris de publier l’intégralité des livres de Jim Thompson (1906-1977), icône du roman noir. Avec beaucoup d’inédits, ainsi que des retraductions de titres parus précédemment chez d’autres éditeurs (tels “L’assassin qui est en moi” ou “Pottsville, 1280 habitants”). Datant de 1957, le présent roman fut publié sous le titre “Éliminatoires” dans la Série Noire, doté d’une traduction moins complète.

Pour être objectif, “Ville sans loi” n’est pas le plus remarquable roman de l’auteur. Mais même un livre un peu moins original de Jim Thompson, ça reste une excellente lecture. Ce qui peut légèrement dérouter, c’est qu’il n’y a pas de héros central dans cette histoire, si ce n’est l’hôtel Hanlon. Malgré un passé agité, l’agent de sécurité Bugs McKenna apparaît comme le moins malhonnête de l’intrigue, face à la sournoiserie ambiante. Au poker, on aurait un "full" avec les cinq cartes en jeu : trois Reines (Joyce, Rosalie, Amy) et deux Rois (Mike Hanlon, Lou Ford). Chacun dissimule ses intentions, les plus hypocrites étant les femmes, mais les hommes sont assurément aussi fourbes.

À travers les personnages d’Ed et Ted, employés de l’hôtel, Jim Thompson a voulu donner une touche drôlatique. Disons qu’ils peuvent prêter à sourire, sans plus. Moins de tension, d’intensité, et peut-être d’inspiration, que dans d’autres romans de l’auteur. Malgré tout, il maîtrise à merveille le chassé-croisé des protagonistes, et c’est avec un véritable plaisir que l’on suit leurs aventures.

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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 05:55

Anna Fox habite une maison de plusieurs étages à Harlem, sur Hanover Park. Voilà dix mois qu’elle a abandonné son métier de pédopsychiatre, et qu’elle vit séparée de son mari Ed et de leur fille Olivia, huit ans. Recluse, elle souffre d’une forme sévère d’agoraphobie, un syndrome d’enfermement qui relève davantage de la neurologie que de la psychiatrie. Le docteur Fielding lui prescrit un traitement médicamenteux assez lourd, alors qu’elle s’alcoolise plus que de mesure au merlot, ce qui est incompatible. L’infirmière-kiné Bina passe chez elle régulièrement, soutien moral plutôt relatif. Outre son chat Punch, Anna n’est plus complètement seule depuis deux mois. Elle a loué le sous-sol à David Winters, séduisant homme jeune, peu envahissant, qui gagne sa vie en bricolant çà et là.

Si elle aime jouer aux échecs sur Internet, où elle prodigue gratuitement des conseils de psychothérapeute, la grande passion d’Anna c’est le cinéma. Plus précisément, les vieux films policiers en noir et blanc, ceux d’Hitchcock en particulier. Elle connaît par cœur les meilleures répliques et les scènes-clés. Depuis qu’Anna s’est isolée, son autre plaisir consiste a surveiller le voisinage. Sans mauvaises pensées, mais c’est obsessionnel. Ainsi, quand la famille Russell s’installe au 207, elle les observe attentivement. Alistair Russell, ex-cadre dans une société de Boston, n’a pas l’air très chaleureux. Jane Russell apparaît bien plus cordiale. Et puis n’est-elle pas l’homonyme d’une grande actrice (1921-2011), partenaire de Marilyn Monroe dans “Les hommes préfèrent les blondes” ?

Les Russell ont un fils de seize ans, Ethan, dont la chambre donne en face de chez Anna. Il est agréable et même serviable, mais manque encore de caractère. Ce qu’Anna attribue au comportement strict d’Alistair Russell, le père. Quelques jours après une longue visite de Jane Russell chez Anna, la recluse croit entendre des cris chez ses voisins. L’effet des médicaments et de l’alcool absorbés, peut-être, car personne d’autre n’a rien remarqué. Un soir où elle regarde “Les passagers de la nuit” (1947) avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, d’après un roman de David Goodis, Anna assiste au meurtre de Jane, poignardée. Elle tente de sortir pour intervenir, mais elle est victime d’un évanouissement. Quand elle se réveille, Anna a été hospitalisée, et la police est présente.

L’inspecteur Conrad Little n’est pas mauvais bougre, mais sa collègue Val Norelli se montre plus dure. Quand il raccompagne Anna à son domicile, Little ne lui cache pas qu’il pense qu’elle était sous le coup d’hallucinations, car il n’y a pas eu de meurtre chez les Russell. La brune Jane Russell qu’Anna aperçoit lui est parfaitement inconnue ; ce n’est pas celle qu’elle a rencontrée. Elle est certaine de ne pas faire erreur, qu’Alistair Russell a supprimé son épouse. Soumis à son père, Ethan n’est pas causant sur cette affaire. David ne tient pas à s’en mêler, pour des raisons personnelles. Anna se renseigne sur l’ancienne activité de Russell à Boston, qu’il aurait quitté précipitamment. Elle parvient à sortir de sa maison pour tenter un contact avec la deuxième Jane Russell, qui le prend très mal.

Anna ne trouve guère d’alliés : Ethan est trop faible et David n’est pas forcément fiable. S’estimant victimes de harcèlement, Russell et sa femme ont alerté la police. L’inspecteur Little, qui s’est informé sur le cas pathologique d’Anna, reste bienveillant. Mais quand elle prétend que quelqu’un s’est introduit de nuit chez elle, il peine à la croire…

A.J.Finn : La femme à la fenêtre (Presses de la Cité, 2018) – Coup de cœur –

D’où venait ce cri ? Dehors, il n’y a que des flots de lumière dorée et le vent dans les arbres. Est-ce quelqu’un dans la rue qui…
De nouveau, ce même cri déchirant, frénétique, poussé à pleins poumons. En provenance du 207. Les fenêtres du salon sont grandes ouvertes, les rideaux voltigent sous la brise. "Il fait bon aujourd’hui, m’a dit Bina. Pourquoi ne pas ouvrir une fenêtre ?"
Je scrute la maison des Russell. Mon regard va de la cuisine au salon, monte jusqu’à la chambre d’Ethan, revient vers la cuisine. Alistair a-t-il attaqué Jane ? "Il a tendance à vouloir tout contrôler" m’a-t-elle confié. Je n’ai pas leur numéro de téléphone. Je tire mon IPhone de ma poche, le fait tomber par terre. Merde ! Je le ramasse prestement et appelle les Renseignements.

Un pavé de cinq cent pages, ça peut donner un roman intéressant, mais on n’est jamais sûr d’adhérer en continuité à l’ambiance, de garder sa concentration sur les détails du récit, aussi réussi soit-il. Même si les personnages ne sont pas exagérément nombreux, et s’ils sont bien dessinés, éprouvera-t-on une réelle empathie ? Quant au suspense, il n’est pas rare qu’il soit dilué dans d’improbables fausses pistes, ou dans une psychologie plus approximative que crédible. Certes, l’intrigue peut ici rappeler celle de “Fenêtre sur cour”, mais le film d’Hitchcock était adapté d’une nouvelle de William Irish, pas d’un long roman. Pourtant, on aurait grand tort de ne pas faire la connaissance d’Anna Fox.

On imagine aisément cette ex-pédopsychiatre, alcoolique isolée, confinée dans une grande maison quasi-vide auprès d’un plaisant square new-yorkais. Internet restant son unique fenêtre sur le monde, elle a sans doute besoin d’espionner son entourage, surtout les nouveaux venus. Comment ne pas être compréhensif envers Anna, puisqu’elle vénère les films policiers de légende ? Si elle est aussi mal dans sa tête, c’est dû à un traumatisme dont elle garde le secret. Son locataire, le séduisant David, n’a pas tout dit sur son passé, lui non plus. Quant aux voisins d’en face, les Russell, sent-elle dès leur arrivée une part d’obscurité chez eux ? Il est vrai que, de nos jours, la courtoisie n’est plus toujours de mise en matière de voisinage. Néanmoins, Anna devrait arrêter d’abuser du merlot.

La qualité première de cet authentique suspense, c’est sa fluidité narrative. C’est une histoire très vivante qui nous est racontée, sans la moindre lenteur, ni aucun passage superflu. En face d’Anna, que l’on admet fort perturbée, les autres protagonistes ont des réactions logiques et plausibles. Même l’inspecteur Little fait preuve d’une patience louable à son égard. Est-ce que, comme dans l’excellent “La femme au portrait” de Fritz Lang, (“The Woman in the Window”, même titre que ce livre), le final se dénouera grâce à une astucieuse pirouette ? On le verra, mais entre-temps, le scénario s’est ici avéré fascinant. Voilà un suspense vrai de vrai, à ne pas manquer.

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12 février 2018 1 12 /02 /février /2018 05:55

Le parcours du quinquagénaire Mc Cash a toujours été chaotique. Né d’une mère Bretonne et d’un père Irlandais, il a grandi dans la violence à Belfast. C’est ainsi que Mc Cash est devenu borgne. S’installant en France à l’âge adulte, il devint policier. Sans perdre ses addictions pour l’alcool et les drogues. Ce qui influait sur son caractère autant que sur sa santé. Son bon œil restant lui cause de plus en plus de douleurs. S’il a quitté la police, c’est pour ça et parce qu’il appliquait ses propres méthodes, hors des règles. Également, parce qu’il a depuis peu une enfant à charge. Alice, treize ans, n’est pas issue de son mariage avec la Sénégalaise volcanique Angélique, mais d’une relation beaucoup plus éphémère. Si Mc Cash doit mourir bientôt, autant jouer pendant quelques temps le rôle de père.

Voyageant au hasard vers la pointe de la Bretagne-sud dans la Jaguar de l’ex-policier, le duo débarque finalement dans la région d’Audierne. C’est là que Mc Cash apprend la mort de son ami Marc Kerouan. Appartenant à une riche famille, ce dernier était avocat. Mais la véritable nature de Marco, c’était de bourlinguer sur les mers à la voile. Marin aguerri et alcoolique cynique, l’ami de Mc Cash était toujours un authentique aventurier dans l’âme. Il venait d’acquérir un nouveau voilier en Grèce, et le ramenait par la mer en Bretagne, quand il a été victime d’un naufrage. Étonnante disparition, estime Mc Cash, à moins qu’il ait malencontreusement croisé un gros navire qui l’aura éperonné. L’ex-policier cherche des informations à Brest, où il fut en poste et où il garde une poignée de relations.

Mc Cash ignorait que Marc Kerouan s’était marié et avait un enfant en bas âge. L’épouse du disparu n’est autre que Zoé, la sœur d’Angélique, l’ancienne femme de Mc Cash. Toutes deux travaillent dans le domaine social, du côté de Douarnenez. L’ex-policier apprend que la Sénégalaise se trouvait à bord du voilier de Marc, navigant vers la France. Angélique a donc péri avec lui. Mc Cash ne tarde pas à identifier le cargo qui a probablement heurté le bateau de Marc. Ce navire grec, le Jasper, est provisoirement bloqué à Brest. Lorsque Mc Cash s’en approche, il est agressé. Par ailleurs, il va devoir se frotter à Yann Lefloc, un ex-flic devenu détective privé. Ce dernier est employé par la famille de Marc, qui n’entend pas laisser une partie de sa fortune à une Africaine telle que Zoé.

Tandis que le cargo Jasper est autorisé à repartir vers la Grèce, Mc Cash laisse plusieurs cadavres derrière lui. Confiant sa fille à la sœur de Marc, il s’envole vers Athènes. Déjà, il sait que le voyage maritime de Marc et Angélique ne consistait pas seulement à convoyer le voilier vers la France. Mais l’essentiel reste d’affronter les commanditaires du naufrage. C’est dans un bar-rock de la capitale grecque que Mc Cash débute son enquête. Il parvient à entrer en contact avec Stavros Landis et ses amis militants, qui ne supportent pas que l’Économie de leur pays soit pillée sous la pression internationale. Maintenant, il s’agit de savoir ce que le Jasper a dans le ventre…

Caryl Férey : Plus jamais seul (Série Noire, 2018)

Un pic glacé traversa l’œil de Mc Cash, qui le fit vaciller. Une crise. Son étreinte se relâcha sur le pouce du frisé, qui se dégagea aussitôt. Mc Cash voyait double, triple. Une crise fulgurante, comme elles lui tombaient parfois dessus. Le frisé agita sa main endolorie en pestant. D’autres phrases dans leur langue, l’arme dans son dos, ses sbires qui approchent : Mc Cash vivait au ralenti. Il chancela, les vit à peine l’empoigner par le col de son blouson et le tirer derrière le hangar.
Ils chuchotaient dans leur langue, l’homme armé à leur suite. Les docks déserts, leurs pas pressés sur le bitume, les avant-bras puissants qui lui pressuraient la glotte, le réel avait suspendu son vol ; ils plaquèrent Mc Cash contre un mur de tôle et lui maintinrent les bras. Il ne résistait plus. D’un uppercut, le frisé le cueillit au foie. Mc Cash avala ses poumons, en apnée. Une larme coula de sa prothèse tandis que des mains fouillaient ses poches. Il distinguait mal les visages à l’ombre du hangar.

Après “Plutôt crever” (2002) et “La jambe gauche de Joe Strummer” (2007), ce diable de Mc Cash est enfin de retour. Si au début de cette troisième aventure, usé par les douleurs, il n’a pas l’air en grande forme, ne nous y fions pas. La hargne qui l’anime est toujours aussi vive, et ses réflexes ne laissent que peu de chances à ses adversaires. La mort d’un de ses meilleurs amis est trop mal expliquée pour que ça ne cache pas quelque chose de très sombre. Mener une enquête quand on n’est plus flic, encombré qu’il est par une fille qui est à peine la sienne, rien d’insurmontable pour Mc Cash. Croiser son ex-belle-sœur et poursuivre ses investigations en allant se faire voir chez les Grecs, c’est à sa mesure.

Si Mc Cash est un personnage paraissant ambigu, c’est parce qu’il ne s’aime pas. Ce qui a pour conséquence une certaine détestation des autres, du moins de ceux qui préfèrent le confort de la norme plutôt que de s’exposer au risque. Tel est le point commun avec Marc, son ami disparu en mer. Toutefois, ce dernier avait entrepris de se mettre au service d’une cause utile. Un trafic "positif", contrecarré par des malfaisants dont c’est le bizness. C’est dans les remarquables paysages de la Cornouaille bretonne que commence le périple de Mc Cash, et d’Alice. De Concarneau et Penmarc’h jusqu’à la rade de Brest, en passant par la baie d’Audierne et celle de Douarnenez, même si la mer est clémente, il y a avis de tempête autour de l’intrépide borgne. Son séjour en Grèce ne sera pas plus calme.

Les enquêtes de Mc Cash, ce sont de magnifiques romans d’action, cultivant une ambiance énigmatique sur un rythme hard-rock. On frappe, on riposte, on menace, on dézingue, on dégage les importuns, on force le passage, on ne fait pas de cadeau. C’est la seule vie qui vaut d’être vécue pour un homme tel que Mc Cash… Quant à la noirceur, elle est aussi dans le contexte, en ce monde actuel où l’Économie est manipulée par quelques-uns, au détriment de l’être humain. Non, Mc Cash n’est pas si indifférent au sort des autres. Cette remuante aventure s’avère franchement excitante.

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10 février 2018 6 10 /02 /février /2018 05:55

Il vaut mieux être prévenu : Estéban Lehydeux n’est pas un curé-standard. Il a quarante-cinq ans, et il est prêtre exorciste. De nos jours, le démon s’exprime rarement à travers la possession des âmes et des corps, mais il peut se produire des exceptions. Estéban a ses propres méthodes, qu’on peut qualifier d’énergiques. Quand il entre en action, on l’appelle plutôt Requiem, car ses adversaires ont du mouron à se faire et peuvent numéroter leurs abattis. Cette fois, c’est à Dunkerque que l’Évêché a besoin de lui. Monseigneur Gillio a signalé le cas de la jeune Christine, dix-sept ans, qui semble en proie à Satan. Vu qu’elle appartient à une famille bourgeoise catholique fervente et passéiste, l’évêque souhaite un désenvoûtement. Hélas, le temps qu’arrive Estéban, la jeune fille s’est suicidée.

Si l’exorciste ne décèle aucun signe du diable dans la chambre de Christine, il explore les fichiers informatiques de la défunte. Son secret, c’était une relation perverse masochiste avec un adulte. Requiem pense que c’est à Sainte-Croix du Christ Rédempteur, le lycée où étudiait Christine, qu’il dénichera des réponses. Un établissement où on ne badine pas avec la discipline. Le père Chaval, son directeur, est un religieux strict qui n’apprécie guère les zazous dans le genre d’Estéban. Néanmoins, puisqu’il faut remplacer le prof de philo Eugène Lantier – qui a brusquement quitté ses fonctions, y compris la prêtrise – Requiem va prendre le poste. Avec la bénédiction de l’évêque, à défaut de celle du dirlo. Le meilleur moyen d’observer les élèves qui côtoyaient la regrettée Christine.

À Dunkerque, c’est l’époque du carnaval, le délire est dans les rues. Ce qui n’explique pas cette épidémie de suicides chez des jeunes ayant fréquenté le lycée Sainte-Croix du Christ Rédempteur. Son ami policier Régis indique à Requiem que circule actuellement ici une drogue nommée la Licorne. Si ça ressemble à des bonbons, c’est sévèrement puissant. Il est possible que Christine en ait pris, tout comme ce jeune de vingt-et-un ans qui repose aujourd’hui à la morgue. Un troisième, qui jouait de l’orgue dans une église, s’est jeté du clocher. Suicide en public, pas banal. Il y en aura bientôt un quatrième, complètement halluciné aussi, qui se supprime en se jetant à la mer. Tous sont issus de bonnes familles catholiques, ont étudié dans la même école et ont abusé de la Licorne.

Ce n’est pas une mise en scène pseudo-satanique approximative dans la cathédrale qui va effrayer Estéban. Ni même d’être agressé dans la rue, car il a une soigneuse experte qui saura le câliner. La bonne question, c’est de comprendre l’objectif de ceux qui diffusent la Licorne. Simple trafic de drogue chimique destiné à enrichir des dealers ? Pas sûr. Si la jeune Lucie savait quelque chose, on s’est chargé de la faire taire définitivement. Il est temps que Requiem passe à la vitesse supérieure…

Stanislas Petrosky : Le diable s’habille en licorne (Éd.Lajouanie, 2018)

Si le démon était passé par cette piaule, je peux te dire que cela aurait déménagé sévère, il y aurait eu du dégât. La bête aurait tenté de m’empêcher de continuer, de me faire fuir la pièce, les objets auraient lévité, m’auraient blessé, puis les forces maléfiques seraient apparues. Mais là, rien…
Donc si, et je dis bien s’il y a eu envoûtement, ce n’est pas ici, et quand bien même, vu que des crises ont eu lieu ici, j’aurais trouvé des traces. D’ailleurs en causant traces, c’est vachement propre et bien rangé, cela n’a rien à voir avec les photos que j’ai vu envoyées par Monseigneur Gillio. Vu que je suis peinard et quand même bien intrigué par cette histoire, je fouille un peu.
Pas grand-chose, des livres de peinture, des écrits classiques, des livres pieux, une adolescente qui a l’air bien sage. Elle était vachement croyante la petite, des croix, des chapelets, des icônes. Il y a d’ailleurs un Jésus tout chromé qui m’attire l’œil, je fous la pogne dessus. Bingo, c’est une clé USB, je l’empoche et redescends voir la famille et mon supérieur.

Les aventures de Requiem, c’est clairement de la comédie policière. En témoignent les précédents épisodes, aux titres évocateurs : “Je m’appelle Requiem et je t’...” et “Dieu pardonne, lui pas”. Toutefois, Stanislas Petrosky étant un adepte de San-Antonio, ce qu’il revendique, il sait qu’il ne suffit pas d’aligner des pitreries plus ou moins lourdingues pour faire un bon roman. D’abord, le héros se doit d’être singulier, ce qui est effectivement le cas de ce curé exorciste de choc. Quitte à heurter les croyants compassés (et présents), sa morale s’inspire avec souplesse des règles liturgiques. Ce qui ne l’empêche pas de rappeler à ses ouailles que la charité chrétienne est la première des vertus.

Surtout, même quand la drôlerie est omniprésente, un polar se base sur une intrigue bien pensée, où l’action est privilégiée. Dans cette affaire, les péripéties ne vont pas manquer, selon la tradition. C’est sur un tempo percutant que l’intrépide Requiem entraîne dans son sillage ses chers lecteurs, et ses lectrices car le bougre n’est pas indifférent au beau sexe. Même si l’on aime les sujets plus noirs, il est bien agréable de savourer également des polars à suspense divertissants et agités, tels que ceux de Stanislas Petrosky.

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8 février 2018 4 08 /02 /février /2018 05:55

Wild Thyme est une bourgade tranquille du nord-est de la Pennsylvanie, au milieu de ses collines boisées. Depuis quelques temps, on y procède à des forages pour trouver du gaz naturel. Ça enrichit ceux qui vendent des parcelles, mais une partie de la population n’y tient pas tellement. L’agent Henry Farrell est le policier municipal de Wild Thyme. Homme mûr mais encore jeune, il est veuf après avoir vécu avec son épouse dans le Wyoming. Il compte ici un couple d’amis, Ed et Liz Brennan – celle-ci s’occupant du dispensaire local. Les pouvoirs de police d’Henry restent limités. Le shérif Dally, du comté de Holebrook, est plus qualifié que lui quand il s’agit de traiter une affaire criminelle.

Justement, le cadavre d’un jeune homme a été découvert dans la colline, sur la propriété d’un vieux fermier, Aubrey Dunigan. Ce bonhomme, c’est un cas psychologique, mais pas un assassin. Son neveu Kevin préfère le laisser à la charge de la police le temps que ce crime soit résolu. Ni Henry, ni le shérif n’ont d’indice sérieux sur l’identité de cet inconnu auquel il manque un bras. Peu après, George Ellis – l’assistant d’Henry – disparaît. Il va le retrouver mort, abattu dans sa voiture de service, à la décharge. Le suspect n°1, c’est Danny Stiobhard. Il existait une forte rivalité entre George et lui. À cause de la belle Tracy Dufaigh, employée du haras tenu par le couple Bray, Shelly et Joshua.

Henry connaît bien la famille Stiobhard, des gens assez singuliers. Les parents et la sœur cadette de Danny le défendront, quoi qu’il arrive. Son frère Alan, marginal vivant dans la forêt, sûr de l’innocence de Danny, affrontera lui aussi Henry. Il ferait pourtant un meilleur coupable que le vieux Aubrey Dunigan. En réunion avec le shérif, il est décidé de ne pas trop médiatiser ces deux meurtres, ce qui n’empêchera pas journalistes et curieux de se pointer du côté de Wild Thyme et des terrains d’Aubrey. Tant que les amis alcoolos de George ne réagissent pas, c’est moindre mal. Car dans le secteur, tout le monde est armé, possédant souvent un véritable arsenal plus ou moins déclaré.

Henry s’intéresse aux propriétés voisines de celle d’Aubrey. Il y a le camp de vacances Branchwater. Barry Nolan, le gardien divorcé, est réputé pour la chasse au cerf. Et puis la famille Grady, que quelques incidents ont opposé à Aubrey. Car le père pense à ses deux fillettes, et se méfie du vieux voisin. Il y a également les écuries du couple Bray. Henry admet trouver attirante la belle Shelly. Tous ont des armes, mais pas de véritable raison de tuer George ou ce jeune inconnu. Un autre mystère va survenir, lorsque le cadavre d’une femme est déterré d’une tourbière. On peut supposer que le corps de cette "Helen" est là depuis bien longtemps. À force de fureter dans les parages, Henry a des chances de découvrir la vérité…

Tom Bouman : Dans la vallée décharnée (Actes noirs, 2018)

Je suis allé prendre le fusil et ma torche dans le compartiment sous le siège passager, et j’ai lentement décrit un cercle en tenant la lampe dans la main gauche et la crosse de l’arme dans la main droite, le canon au-dessus de mon avant-bras gauche. C’était pratique, mais ça faisait de moi une cible parfaite. J’ai éteint la lampe, et les phares aussi. Quand j’ai renversé le baril de pétrole pour récupérer mon arme, plusieurs litres d’eau ont débordé. J’ai dû le retourner complètement pour que le calibre 40 finisse par tomber par terre. Je l’ai remis mouillé dans son holster, j’ai rallumé ma torche et je me suis dirigé vers la voiture-radio de George.
Celui qui l’avait allongé de côté sur la banquette arrière avait procédé avec le plus grand soin, mais il était mort, et ses armes avaient disparu. À l’arrière de son crâne, ses cheveux étaient tout collés, maculés de sang, comme le pardessus d’uniforme qu’on avait roulé avant de le glisser sous sa tête en guise d’oreiller. Il avait les yeux à demi ouverts et au niveau de la pommette, on voyait la plaie par où la balle était sortie.

C’est la Pennsylvanie rurale qui sert de décor à cette première enquête d’Henry Farrell (qui sera suivie d’une autre intitulée “Fateful mornings”). L’affaire se déroule de nos jours. La population locale est pour l’essentiel issue de familles venues d’Irlande ou d’Écosse, qui sont installées depuis plusieurs générations. Stiobhard se prononce Stewart, et les Farrell se nommaient Fearghails à l’origine. Dans ce terroir pas très peuplé, on aime contourner la loi, traficoter sur divers produits, braconner ou commettre de petits larcins. “Et comme on reçoit rarement la visite des officiels fédéraux de haut rang, c’est à moi, le simple flic du coin, qu’ils ont collé le rôle du tyran à la solde du gouvernement” dit Henry Farrell. En temps normal, un job sans complication, mais cette fois le cas est plus grave.

Vivre "entre soi", plutôt modestement – même si de futures extractions de gaz naturel peuvent aider les gens à s’enrichir un peu – ne présente pas que des avantages. Entre certaines familles subsistent sûrement de vieilles rancœurs, les copains de chasse ou de bars ne sont pas forcément de grands amis, les initiatives touristiques ne fonctionnent pas avec succès, et l’on y trouve des bonshommes assez étranges. C’est le cas du vieil Aubrey Dunigan, solitaire passant pour demi-fou, pas antipathique mais un brin inquiétant. Voilà le contexte dans lequel le policier municipal évolue. Officiellement, sa fonction n’inclut pas d’enquêter, il le fait pour qu’avance l’affaire et parce qu’il connaît son petit monde. C’est ce qui rend Henry Farrell humain, donc attachant, même s’il n’est guère souriant.

La part sociologique n’est pas négligée, complétant les investigations policières. Décrits avec leurs bons et mauvais côtés, les gens du cru apparaissent proches des véritables habitants actuels de ces campagnes américaines. En décalage avec l’image des États-Unis urbanisés et modernes, c’est évident. Cet aspect-là participe à l’ambiance. Un roman noir de belle qualité.

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 05:55

Été 1947, à Hollywood. Billie Dixon est une jeune femme brune venue du Texas. Elle se verrait bien scénariste, mais reste consciente que le monde du cinéma n’est ouvert qu’à une poignée de personnes. Elle a accepté un job pour la Producers Releasing Corporation, une société produisant des films de série B. La PRC assure la distribution de ses films grâce à des gens comme Billie, sillonnant les Etats-Unis pour vendre leurs produits. Pas de stars à l’affiche, mais des scénarios suffisamment distrayants pour plaire au public des cambrousses américaines. C’est ainsi que Billie arrive dans l’Arkansas, dans la région des Ozarks, à Stock’s Settlement. Dans cette bourgade de quelques centaines d’âmes, on ne va guère au cinéma. Très influent, le pasteur Obadiah Henshaw y a mis son veto.

Héros de la guerre du Pacifique, dont il est revenu aveugle, l’homme d’Église prône une intransigeante moralité. Alors que le cinéma est le vecteur de tous les vices, selon lui. Il ne fait pas exception en recevant Billie, rageant contre les films. À cette occasion, Billie est immédiatement fascinée par Amberly Henshaw, la magnifique épouse du pasteur. Si l’homosexualité est réprouvée par la loi, Billie n’a aucun mal à se trouver des compagnes d’une nuit quand elle réside à Los Angeles. Il existe des clubs assez discrets où elles se rencontrent. Qu’on l’ait baptisée William, qu’elle transforma en Billie, n’explique pas forcément cette attirance sexuelle pour les femmes. Amberly et elle deviennent bientôt intimes, l’épouse du pasteur se confiant sur sa vie – qu’elle n’a pas vraiment choisie.

Une autre femme de Stock’s Settlement impressionne Billie. Lucy Harington fait office de shérif ici, même si c’est son frère Eustace – déficient mental – qui occupe le poste. Elle ne manque pas de caractère, Lucy. Pour éviter une situation malsaine et compliquée, Billie va retourner rapidement à la PRC. Sans jamais cesser de penser à Amberly Henshaw. C’est ainsi que, quelques semaines plus tard, Billie revient dans l’Arkansas. Il semble que le pasteur souhaite avoir une conversation avec elle. En réalité, Obadiah Henshaw se montre très violent, exigeant même que Billie assassine son épouse, la menaçant de gros ennuis. Dès le lendemain, sur le chemin de l’église, il se produit un accident de voiture mortel : Billie renverse le pasteur. Bien qu’un peu approximative, sa version des faits est crédible.

Sans doute la shérif sans titre Lucy Harington a-t-elle envisagé une autre possibilité. Tant qu’elle ne découvre pas le rondin de bois avec lequel Billie a achevé le pasteur, tout va bien. Et puis, d’une certaine façon, Billie est "adoptée" par les paroissiens et bénéficie de la clémence générale. Elle ne doit cependant pas s’attarder à Stock’s Settlement. Mais elle ne partira pas seule, pour ce long trajet de retour vers Hollywood. Qui ne va pas du tout se dérouler comme Billie pouvait l’espérer. Elle n’en a pas fini avec l’Arkansas…

Jake Hinkson : Sans lendemain (Éd.Gallmeister, 2018) – Coup de cœur

En entendant mes pieds frotter sur le plancher, [le pasteur] dit :
— Cela ne sert à rien de courir. Si tu t’enfuis, je dirai ce que tu as fait. Il te sera impossible de quitter l’État avant qu’ils t’attrapent. La dépravation sexuelle n’est pas seulement un péché, tu sais, c’est un crime. Et Amberly ne prendra pas ta défense. Je te le garantis. Elle dira que tu l’as immobilisée, que tu l’as forcée. Que tu lui as infligé de mauvais traitements avec… avec quoi ? Une brosse à cheveux ? Ouais, je ferai en sorte qu’elle dise ça. Une brosse à cheveux. Réfléchis. Hollywood, fini. Le travail dans le cinéma, fini. Ton portrait à côté d’une photo d’une brosse à cheveux dans le journal et une longue peine de prison au pénitencier d’Eastgate. Si j’étais du genre à faire des paris, je parierais que les gardes là-bas se relayeront pour te sauter pour que tu renonces à ton vice. Ce genre de choses à prouvé son efficacité, dans le passé.

Qu’il est délicieux de lire un authentique roman noir, digne de la plus pure tradition ! Jake Hinkson connaît ses classiques, nous présentant là une remarquable intrigue. L’époque qu’il choisit, l’après-guerre, s’y prête à merveille. Le conformisme est la règle, s’appuyant sur un strict puritanisme d’inspiration religieuse. Le maccarthysme sévit à Hollywood. Être communiste ou être lesbienne, telle Billie, c’est à peu près aussi condamnable. Il est bon de préciser que la société PRC, qui sera rachetée et rebaptisée Eagle-Lyon, exista réellement. Elle faisait partie de ces studios sans prestige surnommés "poverty row", ne produisant que des films à petits budgets, diffusant ses films comme montré ici. Pourtant, PRC eut de bonnes réalisations à son actif, tel l’excellent “Detour” d’Edgar G.Ulmer, d’après le roman de Martin M.Goldsmith (Éd.Rivages, 2018).

Le décor principal, c’est un village rural, là où s’arrête le Midwest et où commence le Sud. Billie Dixon était prévenue : “Plus on s’enfonce dans les Ozarks, plus les gens deviennent bizarres… Ces péquenauds de l’Arkansas, ils sont méchants comme des teignes.” Dominé par son "Église baptiste du tabernacle racheté par le sang", c’est un endroit typique de l’Amérique profonde. Toute forme de modernité y est bannie, puisque fatalement inspirée par le Diable pour détourner le bon peuple de la Foi. Sans oublier que le patriotisme y est une valeur majeure, la 2e Guerre Mondiale étant terminée depuis peu. Mais Billie, si elle supporte au début les invectives du pasteur, n’est pas du genre à se soumettre à ses injonctions furibardes. Très beau portrait d’une femme assumant son libre-arbitre.

On peut affirmer que “Sans lendemain” est un des meilleurs polars noirs de l’année.

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 05:55

L’assassinat d’un Immortel – Un écrivain a été tué chez lui, dans son bureau. Le policier interroge son employée (d’origine arménienne), la nièce du défunt (qui le considérait comme vaniteux et prétentieux en privé), son éditeur (qui lui apprend que l’écrivain postulait pour l’Académie d’Athènes), la critique littéraire Mme Kouranu (sévère sur le talent relatif du mort). Son adversaire pour l’Académie, l’écrivain Romylos apparaît modérément motivé. Il faudra probablement se souvenir d’un autre meurtre dans le milieu littéraire, cinq ans lus tôt, qui présente des similitudes avec celui-ci…

En terrain connu – Un Turc s’est installé de longue date en Allemagne. Son fils, policier formé en Allemagne, parti vivre en Turquie, vient découvrir la maison actuelle de son père. C’est ainsi qu’il apprend le meurtre du voisin et meilleur ami de son paternel. Ce dernier projetait de bâtir une mosquée locale, qui échapperait à la montée des intégrismes religieux. En effet, deux fanatiques de l’Islam l’aurait menacé. Parfois, les intérêts de ces islamistes ultras et de l’extrême droite allemande convergent. La police ne s’est guère éternisée sur ce crime, considérant qu’il s’agissait juste d’une affaire "entre Turcs".

Trois jours – 1955. Vassilis est un commerçant qui fait partie des Grecs de la Ville à Istanbul. Sa famille avant lui a souvent subi le sort chaotique des Grecs installés ici. Lui-même est proche de la ruine. Sous l’influence d’Atatürk, le nationalisme turc se fait de plus en plus exigeant dans le pays. Son ami commissaire prévient Vassilis que la situation est en train d’empirer pour les Grecs de la Ville. Les Turcs alimentent le conflit chypriote, et un attentat (certainement simulé) visant la maison d’Atatürk ne font qu’aggraver les choses. Avec la complicité des forces de l’ordre, des émeutes entretiennent le chaos. Les Grecs de la Ville sont visés par le vandalisme. Vassilis n’y échappe pas. C’est ainsi qu’il découvre un squelette dans la cave (invisible d’accès jusqu’à là) de sa boutique. Un mystère qui réveillera son passé familial…

Le cadavre et le puits – Quand le cadavre d’un homme de trente-cinq ans est découvert dans un puits, ça entraîne une enquête de police. D’autant que la victime avait des idées de gauche, était même syndiqué. Mais les apparences sont parfois trompeuses. Une mise en scène meurtrière peut induire en erreur les enquêteurs…

Ulysse vieillit mal – Un Athénien s’est pris de sympathie pour un petit commerçant d’Istanbul faisant partie des Grecs de la Ville. Toutefois, le septuagénaire Ulysse sent le besoin de quitter la Turquie. Il va finalement habiter dans un hospice, en Turquie, où l’Athénien lui rend quelquefois visite – rarement, car leur relation n’est plus la même. Tardivement, il apprend la mort d’Ulysse. Rien de suspect, c’est un infarctus suite à un ultime "coup de sang" de révolte…

L’arc de Pompéi – En Grèce, le père Ioannis est très actif dans l’aide aux nécessiteux et aux migrants. Ce que lui reproche un comité nationaliste grec, des enragés hostiles à sa généreuse démarche. Mais le père Ionnais n’est pas de ceux qui cèdent aux pressions, il persistera. Sans doute ne mesure-t-il pas que ses ennemis (il ne s’agit plus de simples adversaires) sont des jusqu’au-boutistes…

Tentative tardive – En juillet 1944, le couple Krull accorde toujours sa confiance à Hitler. Ceux qui ont organisé un attentat raté contre le Führer sont, pour les Krull qui refuse d’y voir le début de la fin, des traîtres – qu’on va bien vite juger et condamner mort. Malgré la fermeté toujours affichée par le Reich, l’Histoire est en marche…

Crimes et poèmes – Le commissaire Charitos enquête sur un meurtre commis au cœur de la nuit près d’un café-librairie, suite à une soirée de danse à laquelle participèrent le policier et son épouse. La victime est un cinéaste connu, actuellement sur un projet de nouveau film. Si Charitos interroge un modeste marchand de fleur, c’est davantage en tant que témoin que comme suspect. Le policier comprend de plus en plus mal son pays : “Les metteurs en scène se font tuer, les flics écrivent des poèmes, les maisons d’édition se changent en bistrots, la Grèce est mal barrée.”

Petros Markaris : Trois jours (Seuil, 2019)

En marge des enquêtes du commissaire Charitos, ce recueil de huit nouvelles offrent une autre facette du talent de Petros Markaris. On y retrouve la même lucidité de l’auteur sur son pays (à la fois Istanbul dont il est natif, et la Grèce) et son histoire. C’est particulièrement vrai dans “Trois jours” qui illustre la position souvent incertaine des Grecs d’Istanbul. Il traite aussi de sujets de société d’aujourd’hui, avec la radicalisation contre les immigrés en Grèce, et l’Islam qui installe ses théories fortes y compris en Allemagne. Par ailleurs, ce sont des enquêtes de police plus classiques qu’il nous invite à suivre – soulignant quand même la déliquescence de la culture en Grèce. Ces crimes ne relèvent pas de la tragédie, dont ce pays fut autrefois maître en la matière. Markaris ne manque pas de nous faire sourire dès que s’en présente l’occasion. Comme dans ses romans, on savoure son regard sans préjugé.

Voilà quelques nouvelles de Petros Markaris qu’on a grand plaisir à lire.

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4 février 2018 7 04 /02 /février /2018 05:55

À Nice, la quinquagénaire Ghjulia Boccanera est détective privé. Ses amis l’appellent Diou, ainsi que se prononce son prénom. Elle loge au quatrième d’un immeuble du Vieux-Nice, entre son colocataire Dan et son vieux voisin M.Bertolino. Elle fut la compagne du policier Joseph Santucci, cinquante-deux ans, duquel elle reste très proche. C’est le manque d’instinct maternel de Ghjulia qui les a séparés. Peut-être aussi une tension interne chez elle, qui consomme exagérément du café et qui dort mal. Un nouveau client se présente : Dorian Lasalle, vingt-cinq ans. Il était l’amant de Mauro Giannini, ingénieur employé par la société de BTP Rafaelo. Ils prévoyaient de se marier, et de s’installer à New York où Mauro avait obtenu un poste avantageux. L’ingénieur a été assassiné chez lui. Meurtre, peut-être sexuel, suivi d’un cambriolage ? Dorian ne croit pas en cette version.

Ghjulia est bien obligée de passer par l’agente immobilier Élisabeth Tordo, qu’elle n’aime guère, pour avoir les clés de la villa de Mauro Giannini. Pas grand-chose à glaner, puisque la police a déjà tout fouillé dans cette maison. Malgré tout, elle dégote une clé USB ayant appartenu au défunt. Elle contient des dossiers techniques géologiques, que Ghjulia serait bien en peine de décrypter. Il est possible que le réfugié syrien Mohamed, ou son épouse, puissent l’y aider. Est-ce que les tableaux d’un certain Toussaint Geronimi seraient une piste à suivre ? La détective ne l’exclut pas. C’est au tour de Dorian Lasalle d’être assassiné. Il a été torturé, et la médaille offerte par Mauro qu’il portait autour du cou a disparu. L’ancien petit ami de Dorian méritant d’être suspecté, Jo Santucci vérifie s’il possède un alibi. Mais ces crimes sont certainement plus complexes que cela.

Après un passage avec Jo au siège de l’entreprise Rafaelo, où ils sont reçus par une cadre peu cordiale, Ghjulia contacte le père artisan de Dorian Lasalle. Ce dernier l’engage afin qu’elle découvre la vérité sur les meurtres. Par contre, elle ne risque pas de sympathiser avec le frère homophobe de Dorian. Alors qu’elle rentre chez elle, Ghjulia est agressée par un inconnu, qui cherche à la tuer. Son voisin M.Bertolino intervient, ne ratant pas le type en question. Il s’agissait d’un policier syrien qui, selon Jo Santucci, fit naguère un stage à Nice. Ghjulia pense à Mohamed et sa famille, mais ceux-ci auraient plutôt tendance à fuir ce genre d’énergumène. Aux obsèques de Dorian, la détective retrouve les amis de celui-ci, des transformistes du club Zanzib’hard. Dont le viril Emiliano.

Peu après la cérémonie, Jo Santucci est visé par deux tireurs à moto, et très gravement blessé. L’enquête du policier et de la détective sur le double meurtre dérange fortement quelqu’un, plus de doute. Grâce à une info anonyme mais sérieuse, Ghjulia fait appel à Shérif, intransigeant inspecteur du travail, ce qui fera avancer ses investigations…

Michèle Pedinielli : Boccanera (Éd.l’Aube noire, 2018)

La lumière s’éteint. Je m’écroule à quatre pattes. Tente de me relever et d’enchaîner avec ce qu’on m’a appris : lancer le coude en direction du sternum de l’agresseur mais là, rien, j’effleure à peine une manche. Ça ne sert pas à grand-chose contre un type qui m’a explosé une épaule et se tient maintenant au dessus de moi. Je sens soudain quelque chose autour de ma gorge, une corde peut-être, qui commence à se resserrer. Je me jette en arrière par réflexe. Mauvaise idée, le type m’enfonce un genou entre les omoplates. Pour échapper à cette pression, je ne peux que basculer en avant et offrir un peu plus ma gorge au lien qui m’étrangle. J’essaie d’agripper ce qui m’étouffe mais mes doigts ne saisissent rien, je me laboure la peau pendant que mon larynx commence à s’écraser. Plus d’air. Plus d’air du tout. Ça ne peut pas. Finir comme ça. Je dois pouvoir respirer. Ce n’est pas possible de mourir…

S’extasier à la lecture d’un "premier roman", c’est une réaction souvent trop facile. En particulier dans le polar où, depuis l’origine du genre, rares sont les intrigues et leurs ambiances n’ayant pas été explorées. Pourtant, il existe réellement des talents émergents et Michèle Pedinielli en fait visiblement partie. Lorsqu’on nous propose une histoire de détective privé, comment résister ? Quand ça se passe à Nice, on est dans un décor certes ensoleillé mais propice à la noirceur, on a des chances d’adhérer. Et puisque l’enquête est menée par une femme, il ne nous reste plus qu’à la suivre dans ses tribulations. Niçoise d’origine connaissant donc son sujet, Ghjulia ne nous embarque pas trop longtemps dans une visite guidée de la ville, car c’est l’affaire criminelle qui importe.

Il est souhaitable que les auteurs soient aussi des lecteurs, qu’ils connaissent les rouages narratifs autant que les codes du polar. On peut penser que Michèle Pedinielli a apprécié quelques maîtres en la matière, dont le créateur du shérif Walt Longmire. En outre, un détective qui ne prendrait pas de mauvais coups, qui interrogerait sans jamais se mettre en danger, ce serait manquer à la tradition. Que l’on se rassure, l’intrépide Ghjulia étant confrontée à forte partie, ses aventures seront mouvementées au fil d’un récit fluide. Pour notre plus grand plaisir, on l’avoue volontiers. On ne peut qu’espérer la revoir dans de futures enquêtes, aussi toniques et palpitantes.

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