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10 novembre 2014 1 10 /11 /novembre /2014 05:55

Accompagnée de son photographe Paco Alvarez, la critique gastronomique du magazine Plaisirs de table”, Laure Grenadier, compte consacrer son prochain numéro aux produits fermiers de Normandie. Durant leur séjour dans cette région, ils vont loger dans les chambres d'hôtes du manoir de Charles Moreau. Cet esthète parisien est un admirateur de Marcel Proust, qui entend proposer à sa carte les plats évoqués par le grand écrivain. Pour débuter leur reportage, Laure et Paco ont fait halte dans une institution du pays d’Auge au cœur du Calvados, Le Bocage gourmet”. Adrien Cornudet, le chef, y est intransigeant sur la qualité des produits. Il doit sa réputation à sa célèbre sauce à base de crème fraîche, dont la composition exacte reste secrète, accompagnant les escalopes.

Le repas prend des allures de massacre, quand neuf clients sont intoxiqués mortellement. Seuls rescapés avec les Varnetot, couple d'agents immobiliers, Laure et Paco doivent témoigner à la gendarmerie. Le capitaine Antoine Cadour montre une vraie froideur. Il est vrai que, outre le couple Eisenstein qui mangeait de son côté, plusieurs élus politiques français et allemands ont été atteints. Le duo rejoint Adrien Cornudet, qui n'y comprend rien. C'est plutôt son agneau de pré-salé qui lui pose un problème en ce moment, pas la crème. Toutes les suppositions sont possibles. Après un reportage-photos de Paco sur les traces de Proust à Cabourg, le duo continue à explorer la région.

Sur la Route du Cidre, ils font un arrêt à la Ferme des Billettes. C'est là qu'est produite la crème incriminée, dans laquelle on a relevé des traces de cyanure. L'exploitation est en péril. Déjà que, sur la même propriété ayant appartenu à un défunt comte, le haras voisin vient d'être acquis par des Qataris. Des haras, il est vrai qu'il existe sept mille en Basse-Normandie, première région française d'élevage de chevaux.

Laure et Paco poursuivent leur reportage à Bayeux et aux alentours. Sur un des sites du Débarquement, ils visitent le futur musée du neveu des agents immobiliers Varnetot. Celui-ci s'avère vindicatif contre les politiciens locaux qui lui auraient mis des bâtons dans les roues. Du cimetière de Colleville-sur-Mer à Isigny, en passant par la Tapisserie de Bayeux, les sujets ne manquent pas pour le duo. Quand Amandine, la fille adolescente de Laure les rejoint pour le week-end, elle émet une hypothèse qu'il serait bon de suivre…

Noël Balen – Vanessa Barrot : La crème était presque parfaite (Fayard, 2014)

Après “Petits meurtres à l'étouffée”, voici le deuxième épisode de cette série dédiée à des “crimes gourmands”. À la gastronomie lyonnaise, succède celle de la Normandie. Si l'on est au pays de Maupassant, c'est surtout Marcel Proust qui est à l'honneur du point de vue culinaire. De façon assez amusante, en effet. Laure Grenadier et Paco Alvarez ne sont en aucun cas des journalistes menant l'enquête sur un acte criminel. Il font leur métier, tout en fréquentant des lieux et des personnes impliquées dans l'affaire.

Des plages du Débarquement aux élevages de chevaux, en passant par les paysages du Pays d'Auge, ils ont beaucoup à découvrir dans ce secteur. Seize millions de litres de cidre (un million de plus qu'en Bretagne) sont produits en Normandie. Le lait, et donc la crème, sont encore une richesse économique pour la région. Bien entendu, on ne perd pas de vue le septuple meurtre initial. Un terroir de tradition, sa gastronomie et la grande Histoire, ça n'empêche nullement les enjeux financiers… et peut-être meurtriers. Un suspense très sympathique !

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9 novembre 2014 7 09 /11 /novembre /2014 05:55

Été 1982, la Coupe du Monde de football se dispute en Espagne. En ce 8 juillet, la demie-finale voit s'affronter l’Équipe de France et la Mannschaft, celle de la RFA. Les deux camps ont éliminé leurs précédents adversaires efficacement, mais sans prestige. Avant match, sur le papier, les Allemands apparaissent les plus solides, comme très souvent. Autour de Michel Platini, les joueurs français seront certainement les plus inspirés. Grâce au “Carré magique” du milieu de terrain (Giresse, Tigana, Genghini, Platini), on peut prédire qu'il y aura de multiples occasions. Quelles que soient leurs origines, les meilleurs footballeurs du moment ont été sélectionnés par Michel Hidalgo et Henri Michel.

Dès les premières minutes, on sent énormément de tension sur le terrain. Beaucoup trop, un enjeu patriotique exacerbé planant sur les vingt-deux joueurs. Les Allemands sont coriaces, et les Français imprécis malgré leur parfaite entente. Les heurts sont sévères, les actions virulentes. But de la RFA à la 18e minute. Égalisation par un penalty signé Michel Platini, à la 26e. Dans le stade, le public reste modérément convaincu par cette Équipe de France qui, entre incidents et nervosité croissante, rate des possibilités de marquer. À la mi-temps, la pause dans les vestiaires ne fait guère baisser l'excitation. Il est décidé de faire jouer le remplaçant Patrick Battiston, une valeur sûre de l'équipe.

C'est à la 50e minute du match qu'un de ses coéquipiers cède la place à Battiston. Peu après, celui-ci est gravement accroché par le goal allemand, Harald Schumacher. L'arbitre n'a rien vu, les joueurs français ne comprennent pas mais réalisent vite le drame. Patrick Battiston va être hospitalisé, ce qui change la physionomie du match. Dans les esprits, des relents de violence nazie et de Boches barbares s'imposent, d'autant que Schumacher n'a pas paru s'inquiéter du sort de sa victime. Guerre, vengeance, successions d'assauts qui échouent, ainsi se poursuit cette demie-finale déjà faussée.

Débutent les prolongations, sous le signe de la paranoïa. Avec un peu de racisme, aussi. Mais, oubliant la fatigue, Gérard Janvion et Jean Tigana sont impeccables. Et c'est Marius Trésor qui marque le deuxième but français. Toutefois, cette période supplémentaire file rapidement. Score favorable, mais Platini et les autres continuent à attaquer. Bientôt, on en est à trois buts partout, de mauvais augure. Pour se départager, il ne va plus rester au bout du bout que les tirs au but. Exercice redouté par tous les joueurs car absurde. Nul n'est plus vaillant qu'un autre après deux heures sur le terrain. De l'espoir, il en reste un peu…

Michaël Mention : Jeudi noir (Ombres Noires, 2014)

Par la voix d'un des joueurs (fictif) de l’Équipe de France, Michaël Mention reconstitue ce terrible “match de légende” de la Coupe du Monde 1982. Car c'est vraiment à l'intérieur du groupe de sportifs que se passe, ici plus que jamais, la dramaturgie. Les phases de jeu sont rappelées, autant dans les gestes que par l'émotion ressentie par le joueur-témoin. Les spectateurs n'ayant plus revu ce match depuis ne peuvent se vanter de se souvenir de tout. Par contre, ils ont sûrement gardé l'impression du premier quart d'heure de la partie, une ambiance tendue à l'extrême, la froideur impitoyable des affrontements. Non, ce ne pouvait absolument pas être une demie-finale comme les autres. Non, un footballeur ne peut pas être brillant, voire héroïque, quand règne une animosité mutuelle si forte.

Non sanctionnée par l'arbitre, la faute qui entraîna l'hospitalisation de Patrick Battiston fut pour les supporters (aiguillonnés par le regrettable Thierry Roland) une “affaire d’État”. Une désagréable dérive du sport menant à la violence, c'est sûr. Depuis, un mémorable “coup de boule” a montré qu'aucun footeux n'est à l'abri de réactions malsaines. L'auteur évoque en filigrane le contexte des années Mitterrand. Espérance d'un renouveau social, contre radicalisation de “l'ex-majorité” virant à l'extrême. Ça n'influait probablement pas sur l'état d'esprit patriotique des Bleus, mais telle était l'époque. Voilà tout ce que retrace ce roman, bien documenté. Le foot version Platini et ses copains, c'était excitant.

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8 novembre 2014 6 08 /11 /novembre /2014 05:55

Certains personnages de bédé sont issus de la réalité, même les moins férus de planches, de cases et de phylactères le savent. Un des exemples les plus célèbres serait sans doute le physicien et explorateur helvète Auguste Piccard, qui servit de modèle au Professeur Tryphon Tournesol. Un savant original, dont le fils Jacques puis le petit-fils Bertrand ont hérité des mêmes rêves scientifiques, d'ailleurs. Dans l'univers de Tintin, on trouve aussi un sacré garnement de six ans, Abdallah, le jeune fils turbulent de l’Émir dans “Tintin au pays de l'or noir”, qui apparaîtra dans d'autres albums. Hergé s'est inspiré de Fayçal II, le dernier roi d'Irak, chassé du trône et exécuté avec les siens. Déjà, le pétrole semait la guerre et la mort dans ces pays du Moyen-Orient.

Tintin croisera également le chemin de Basil Bazarroff, nom à peine déguisé du trafiquant d'armes Basil Zaharoff, figure pleine de mystère à laquelle les historiens se sont intéressés. Hergé s'inspira encore de Jacques Bergier, scientifique et écrivain. Mais c'est dans une autre série bédé, “Scott Leblanc”, que l'on voit l'ingénieur Wernher von Braun. Au service des nazis, ce passionné d'aéronautique créa les bombes volantes V1 et V2. Puis von Braun fut récupéré par les Américains, pour qui il dirigea la conception d'armement, de missiles, et jeta les bases du programme spatial de la NASA.

L'univers de Lucky Luke est lui aussi peuplé de personnages issus de l'Histoire. C'est avec l'arrivée de René Goscinny aux scénarios que ceux-ci ajoutèrent un savoureux piment aux aventures du cow-boy solitaire. Les frères Dalton, Billy the kid, Black Bart, Calamity Jane, Jesse James, le juge Roy Bean, Wyatt Earp, l'industriel pétrolier Edwin Drake, l'actrice Sarah Bernhardt, et le détective Allan Pinkerton furent quelques-uns des héros associés à Lucky Luke dans les albums dessinés par Morris. Bien qu'il ne soit pas évoqué ici, une pensée pour l'Empereur Smith, riche citoyen américain qui se prit pour Napoléon, dans un des très bons épisodes de cette série. Goscinny sut dénicher des personnages singuliers.

La bédé nous a donné d'autres cow-boys que Lucky Luke. En particulier, Kit Carson, dont les aventures en format “fumetti” connurent un long succès en Europe. La présentation de ces fascicules était moins élégante que pour les albums, mais surtout moins coûteuse. Et le public adorait ces scénarios mouvementés. Dans un autre genre, carrément comique, Turk et De Groot créèrent voilà une quarantaine d'années le personnage de Léonard, un savant très inventif qui s'inspire directement de Léonard de Vinci.

Philippe Mouret : La véritable histoire des héros de BD (Le Papillon Rouge Éd., 2014)

La bédé utilise également des célébrités du moment. Tel Régis Franc qui publia dans les années 1980 trois albums ayant pour héros Marcel Dassault (série “Tonton Marcel”). Plus récent encore, dans le diptyque “Quai d'Orsay”, c'est le politicien et diplomate Dominique de Villepin qui est mis en scène. Il semble que le scénariste ait appartenu au cabinet ministériel de l'intéressé, rebaptisé ici Alexandre Taillard de Vorms mais reconnaissable sans hésitation.

Ah, Betty Page, la reine des pin-up ! On a redécouvert depuis vingt ans ces jolies filles quelque peu dénudées qui firent fantasmer les générations des années 1950 et 1960. Betty Page fut le nom d'une de ces héroïnes court vêtues, passées de la photo à la bédé. Néanmoins, la “vraie” Betty Page eut sa propre carrière, son heure de gloire. Après des clichés sexy et enjôleurs, elle devint une icône grâce au photographe Irving Klaw. Betty Page posa pour des centaines de photos (et quelques films) sadomasochistes. Bien que célèbre et appréciée du monde du spectacle, Betty Page ne joua jamais dans les films plus traditionnels. Aussi se fit-elle oublier à partir de 1958. Mais l'inoubliable pin-up n'est décédée que cinquante ans plus tard, âgée de quatre-vingt-cinq ans.

Gilles de Rais, Raspoutine, Dracula, César Borgia, Casanova, le général Custer, et bien d'autres ont inspiré les auteurs de bande-dessinée. Au total 46 portraits, mi-héros de BD mi-personnalités originelles, c'est ce que nous présente Philippe Mouret dans cet ouvrage. Belle occasion de se souvenir de ces albums et, si l'on est moins spécialiste du genre, d'en découvrir quelques autres. Très bonne initiative, qui va au-delà du monde bédéiste.

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6 novembre 2014 4 06 /11 /novembre /2014 06:26

Quatre joueurs attablés : C'était il y a dix ans, une photo en témoigne. Steins, Caron et le narrateur formaient un petit groupe d'oisifs désinvoltes, aux plaisirs narcissiques. Leur égérie, c'était la belle Eva, dont ils avaient tous été l'amant. Eux et bien d'autres, car les idolâtres ne manquaient pas autour d'Eva. Elle avait écrit un livre sur sa vie, ses libres expériences. Un ouvrage qui connut un beau succès, apprécié même des critiques. Si la célébrité fut pesante pour Eva, d'autres s'y accrochent quand ils en bénéficient.

Aux abois : Un septuagénaire est décédé en bas de son immeuble. “À l'évidence, l'enquête de voisinage ne donnerait rien. Au mieux, les uns et les autres nous décriraient une ombre furtive et des soupçons inventés après coup. La violence de ces dernières heures leur donnerait raison.” Pourtant, Louis Lorrain est mort injustement, la bêtise collective ayant fait son œuvre. Victime insignifiante, qu'on s'empressera d'oublier par lâcheté... Un texte inspiré d'un vrai drame, où les fautifs ne méritent pas l'absolution.

La racine du fleuve : Une grande ville bourgeoise d'autrefois, quelque peu endormie. Dans le cercle des magistrats locaux, si fiers de leur statut social, l'arrivée du juge Touraine ne passa pas inaperçue. Il venait des Colonies, où il avait exercé de hautes fonctions dans la Pénitentiaire, disait-on. On lui donna comme assistant le modeste greffier Rohmer, qui nota l'allure hautaine du juge : “Je ne le voyais que de profil mais l'essence était là, une splendeur ancienne, pareille à celle des statues antiques que rongent une lèpre lente, jour après jour. Siècle après siècle. Sous la peau, sous l'os, j'ai vu briller une âme corsetée, perchée sur un balcon à l'aplomb duquel nous pourrions défiler jusqu'à l'épuisement sans jamais l'émouvoir.” Dès le premier crime qu'il eut à traiter, la méthode du juge Touraine parut singulière. Il resta secret, comme au sujet de cette jeune lingère du Royal Bellevue. Il fréquentait aussi La Forge, un bouge du quartier le plus mal famé de la ville. Il intervint sûrement pour faire libérer le nommé Bellonte, une crapule rencontrée à La Forge, devenu son partenaire d'échecs. Le meurtre d'une fillette de huit ans, Marie-Céleste, fuit suivi de l'arrestation du coupable. Touraine fut chargé de le faire avouer… Le noir passé du juge peut-il le rattraper ?

Alain Émery : La racine du fleuve (Paul & Mike Éditions, 2014)

L'heure des braves : Un ancien adjudant de gendarmerie, retraité dans un hospice de bonnes sœurs se remémore de basses affaires criminelles d'antan. Tel le cas de ce Laffont, minotier qui braconnait et distillait sa gnôle. Activités illégales qu'il avoua lorsqu'il fut arrêté. Mais quel fut son rôle dans la mort d'Hortense Charbonnier ?

Les ficelles : Le fossoyeur local et le Dr Alexandre étaient de bons amis. “Que savent-ils d'Alexandre, au juste ? Qu'il était le plus connu des médecins de la région et qu'il écumait la campagne dans une camionnette qui embaumait le camphre et le chien mouillé (…) Qu'il était l'aîné d'une famille de chiffonniers et avait grandi dans la crasse et la pestilence d'un quartier de tanneurs. Il ne s'en cachait pas et en tirait même un peu de gloriole.” La mort à peine suspecte d'une jeune femme entraîna les plus sales rumeurs au sujet de ce médecin, le noircissant à souhaits…

 

Il s'agit d'un recueil de cinq nouvelles. Ou, plus exactement, de quatre nouvelles et d'un roman court, “La racine du fleuve”. Car cette histoire-là, construite autour de la lecture du carnet intime du héros, dessine le portrait d'un personnage singulier. Sa froideur n'est pas née avec son arrivée dans une ville trop tranquille. Alain Emery ne cache pas son plaisir d'écrire des nouvelles, de nous promener dans des décors où évoluent des gens ordinaires ou très particuliers. Des affaires criminelles, sans doute. Mais le crime autorise la nuance, car on peut en commettre par passivité autant que par brutalité. L'auteur excelle dans les descriptions d'ambiances quelque peu malsaines, incertaines, ou interrogatives. N'en déplaise à sa modestie naturelle, Alain Emery figure parmi nos meilleurs auteurs de nouvelles. S'il a été récompensé par plusieurs prix littéraires, ça ne doit rien au hasard.

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5 novembre 2014 3 05 /11 /novembre /2014 05:55

Les Jensen forment une famille genevoise aisée. Paul et Iris, les parents, ont quarante et trente-sept ans. La fille Lou et le fils Stanislas sont âgés de quatorze et neuf ans. Le père fait carrière dans la finance. La mère se remet oisivement de certains problèmes de santé. L'adolescente Lou entretient un esprit rebelle et possède déjà un corps de petite femme. Très intelligent, le jeune Stanislas apparaît assez malingre pour son âge, ainsi que plutôt craintif. Paul est un homme athlétique. Iris espère dégager encore le charme de la maturité. Ont-ils besoin de vacances exotiques tous quatre ensemble ? Iris estime que c'est le cas, et réserve un séjour dans l'île de Nomad Island, du côté de l'Océan Indien.

Après “vingt heures de carlingues, de salles d'attente, de lumières artificielles, de sons ouatés, d'air frelaté”, le long trajet s'achève sur le petit aéroport de l'île volcanique. Où un personnage unisexe arrive en retard pour les prendre en charge. Pour rejoindre le Resort, ils vivent un parcours quelque peu agité. Le résultat en vaut la peine : de leur bungalow au crépuscule, c'est un panorama magnifique qui s'offre aux Suisses. Le séduisant Mike explique à la famille Jensen quelques règles de la vie sur place. C'est à dire dans l'enceinte étendue du domaine dont les Résidents sont priés de ne pas sortir. Bien qu'un peu directif, Iris trouve ce beau Mike à son goût. Sa fille Lou se dévirginiserait volontiers avec lui.

Le premier jogging intensif de Paul le mène jusqu'à la clôture du domaine, avec un retour plus harassant. Stanislas et ses nouveaux copains Charlotte et Hugo ne se sentent guère d'affinités avec cette Denise qui leur enseigne la plongée de base. Au beach-volley, Lou se fait vaguement des amies parmi les filles de son âge. Iris suscite la curiosité des autres Résidentes en testant le Little Market du Resort. Le Centre de Bien-être lui conviendrait sans doute davantage. Les Jensen sont conviés par Mike à un pot de bienvenue au Club. Rien d'antipathique, mais l'ambiance reste peu excitante pour Paul, qui boit trop. Tous ces gens en blanc semblent conditionnés, oubliant qu'ils sont dans un décor paradisiaque.

Les Jensen ont, comme les autres, perdu la notion des jours, du temps qui passe. Seuls Stan et ses deux amis, se réfugiant dans un Éden secret, en sont conscients. Si sa femme et sa fille sont ensorcelées par cette vie enchanteresse, Paul et son fils conservent encore une lucidité. Malgré les drones survolant l'île, Paul se munit d'une combinaison néoprène et d'un fusil de chasse sous-marine pour explorer les possibilités de fuir. Au risque de croiser d'hostiles sauriens. Stan, Charlotte et Hugo tentent une voie souterraine. Alors que les forces invisibles de l'île se rapprochent, Paul et les enfants ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour s'évader…

Joseph Incardona : Aller simple pour Nomad Island (Seuil, 2014)

C'est une histoire extrêmement troublante que nous raconte Joseph Incardona. Un sombre roman d'aventures, puisque les péripéties s'y succèdent sur un tempo soutenu. On se dit qu'on va sourire des déboires de cette petite famille en vacances. Pourtant non, même si pointe parfois une certaine drôlerie, on comprend très vite dans quel guêpier ils se sont fourrés. Dans la réalité déjà, les clubs de vacances exotiques prennent en main les loisirs des touristes, qui ensuite se déclareront ravis de n'avoir eu qu'à se laisser vivre. Ici, on peut craindre l'assujettissement de ceux qui posent le pied sur Nomad Island.

Face à l'envoûtement, les quatre membres de la famille réagissent différemment. Chacun sa psychologie personnelle (peut-être ambiguë) au gré des évènements : voilà ce qui fait la force du récit. Joseph Incardona fait partie de ces romanciers qui “écrivent”, peaufinant les nuances des intrigues. Sommes-nous tellement pressés d'aller au Paradis, d'y mener une existence idéalisée ? Qu'on ne cherche pas une stricte morale, l'auteur n'est pas un donneur de leçons. Il crée une ambiance qui fait penser aux séries télévisées d'antan, “L'Île fantastique” et “Le Prisonnier”. Laissons-nous séduire par ce bon scénario, à défaut d'apprécier le climat de cette île de malheur.

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3 novembre 2014 1 03 /11 /novembre /2014 05:55

Quand se tient le procès de Jean Chardin, il est âgé de trente-neuf ans. Homme costaud, obèse et mollasson, il est accusé de viol sur mineure commis trois ans plus tôt. Isabelle Delcourt, sa victime, avait seize ans. Il ne l'a pas tuée, ce qui apparaît assez surprenant. L'étudiante indemne assiste au procès, prenant quantité de notes, au côté de son avocate. La famille Chardin a été durablement marquée par la déveine, en particulier à cause des déboires du père, boucher. Sa femme, sa fille, son fils, et lui ont vécu dans un trop petit logement, dans une promiscuité dérangeante. Enfant et ado, Jean Chardin n'était pas de ceux qui se font beaucoup de copains, ni qui plaisent illico aux filles. Sympa et serviable, il l'était pourtant. Il était plutôt gros, mais jamais agressif envers quiconque.

Outre le confinement familial, la solitude lui convenait aussi parfaitement. La preuve, c'est que quand il s'installa seul dans son studio à l'âge de vingt-sept ans, son ambition restait de vivre “peinard”. Bon mécanicien apprécié de son patron, il avait un job dans un garage. Jean Chardin donnait volontiers un coup de main à des copains ou à la famille pour des petits travaux de maçonnerie. Ayant acquis une camionnette blanche d'allure banale, il en prenait grand soin. À l'intérieur, un panneau équipé pour la pêche et un autre pour tout le bricolage, aménagés par lui-même. Plus un matelas pouvant lui servir de lit. Car, libre de ses loisirs puisque sans compagne, Jean Chardin aimait s'offrir de temps à autres un petit séjour en bord de mer. Un plaisir sans doute moins anodin qu'il ne semblait.

À l'âge de dix-neuf ans, Jean Chardin fit deux ans de prison pour attouchements sexuels sur mineure. Une accusation certainement exagérée. Il promit à son entourage de ne plus faire de bêtise. Néanmoins, au bord de la mer, les gamines largement dénudées sont fort attirantes sur leurs vélos. Paré de ses lunettes de soleil ocres, il ne les effraie pas malgré sa stature. Irène (fuguant avant son mariage), Mélusine (bientôt seize ans), Jeanne (dix-sept ans) l'ont croisé, pour leur malheur. Il y eut un précédent en Espagne, à San Sebastian, en 1998. Sa sexualité étant basée sur des films X, c'est la domination qui guide à chaque fois Jean Chardin. Ruses grossières pour les attirer, suivies de violences sexuelles.

La dernière fut donc Isabelle Delcourt. Dès l'enfance, elle se méfia des adultes, garda ses secrets. La séparation de ses parents, quand elle avait quatorze ans, affermit encore son caractère, elle qui se montrait déjà peu liante. Quand son amie Cécilia l'initia au théâtre, Isabelle s'ouvrit un peu plus. Elle adopta quand même Yann, le nouveau compagnon de sa mère. Il sera un allié, le moment venu. L'agression, sauvée par les mots qu'elle prononce. Le procès, qu'elle affronte avec une sérénité quelque peu étonnante. Si le père de Chardin est intransigeant, les témoignages de la défense plaident plutôt en faveur de l'accusé. Ce dernier voit en Isabelle “un petit sphinx” dont il convient de se méfier…

Sylvie Granotier : Personne n'en saura rien (Albin Michel, 2014)

Sylvie Granotier est une des romancières les plus douées pour concocter des suspenses psychologiques. Avec “Personne n'en saura rien”, elle le démontre une fois de plus. Nous raconter in-extenso le procès d'un pervers pourrait être intéressant, mais n'aurait rien de novateur. Évoquer les crimes pédophiles, les disparitions d'enfants, c'est se souvenir des cas d'Estelle Mouzin, de Natascha Kampusch, ou même du procès fait à Michaël Jackson. Autant d'affaires complexes : voilà ce que Sylvie Granotier souligne à travers les portraits de l'accusé et de sa victime. La vérité ne suit pas un chemin linéaire dans ces dossiers-là.

Jean Chardin, un “prédateur sexuel” ? La formule est médiatique, trop floue. D'une bonne intelligence moyenne, possédant du sens pratique, se laissant rarement entraîner par ses pulsions, il n'est pas vraiment conscient de sa monstruosité. Il copie sa vie sexuelle d'après les films X par facilité, sans y réfléchir. Il récidive, juste parce que l'occasion s'en présente. Quant à Isabelle, victime plus “chanceuse” ? Pas exactement. Il faut observer l'évolution de sa vie si l'on veut comprendre son caractère. L'entourage mi-protecteur mi-distant de l'ogre, celui plus perturbé de la jeune fille : au final, ces univers ont un sens.

C'est avec une belle maestria que Sylvie Granotier dépasse l'intrigue classique, pour nous proposer un suspense remarquable.

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2 novembre 2014 7 02 /11 /novembre /2014 05:55

En ce 11 novembre 1968, New York commémore le cinquantenaire de l'Armistice de 1918, dans la joie. “Altman lui-même avait du mal à croire que cette date était arrivée pour de bon. Cinquante années avaient passé depuis la fin de la Grande Guerre, et les prédictions improbables de quelques optimistes à tout crin s'étaient avérées justes.” Âgé de soixante-quinze ans, Franklin Altman est un bibliophile érudit. Ce marchand de livres anciens s'est spécialisé dans les ouvrages et manuscrits datant d'après la guerre de 1914-1918, époque où son pays d'origine était au bord de l'effondrement économique et social.

Prénommé à sa naissance Ziegfried, Altman appartenait à une famille berlinoise aisée. Il fit de brillantes études, avant de participer au conflit mondial. Il ne fut pas un combattant, ayant été affecté aux services de renseignement à Berlin, où sa maîtrise de l'anglais était sûrement utile. Malgré la défaite, les agents furent décorés par le Kaiser. Altman quitta sa famille fortunée installée en Autriche peu après, direction l'Angleterre puis les États-Unis. En expert, il collectionna les livres publiés en cette période trouble d'après-guerre. Il lui arrive, comme en ce jour symbolique, de donner des conférences en public.

Parmi les lecteurs venus écouter son exposé dans cette librairie, il y a un petit homme qui semble vouloir le rencontrer ensuite. Âgé de soixante-dix-neuf ans, l'individu à l'air d'un pauvre diable, à “la silhouette spectrale, pâle comme un fantôme”, vêtu modestement et peu à l'aise pour s'adresser à Altman. Il s'agit d'un ancien condisciple, qui fréquenta la Realschule de Linz en ce temps-là. L'individu falot, usé par la vie, n'en garde pas d'aussi bons souvenirs que ceux d'Altman, dont un oncle enseignait l'anglais dans l'établissement. Le bibliophile l'invite à dîner dans un snack voisin, où il a ses habitudes.

L'homme fut soldat sur le terrain durant le conflit. Il en conserve une certaine amertume. Il vit mourir des amis, des fermiers bavarois comme lui. Son après-guerre fut nettement moins doré que celui de Franklin Altman. Outre le sentiment de trahison, il vécut dans la misère, avant de quitter l'Allemagne. Il fut docker, sur les quais de Brooklyn. Rien d'aussi prestigieux que le métier de son ex-condisciple. Néanmoins, il a écrit un livre, une sorte d'autobiographie sur son expérience de l'époque, contenant un épisode marquant pour lui. Un manuscrit qui est resté inédit depuis bientôt cinquante ans…

Thomas H.Cook : Le secret des tranchées (Ombres Noires, 2014)

Thomas H.Cook s'est imposé parmi les meilleurs écrivains américains grâce aux suspenses très personnels dont il est l'auteur. La construction des intrigues et la psychologie y sont toujours d'une finesse exceptionnelle. Ici, c'est une nouvelle de soixante-dix pages qu'il propose aux lecteurs. Elle s'inscrit dans un contexte historique, sur fond de guerre. “C'est surtout l'histoire de deux hommes, dont aucun ne comprend l'Histoire avec un grand H, et à la fin du récit, aucun des deux ne la perçoit mieux qu'au début” explique Thomas H.Cook dans l'interview qui suit le texte.

Rencontre entre deux expatriés allemands, où l'un affiche une arrogance élitiste, où l'autre garde en lui une sourde rancune. Le temps qui passe peut aveugler ceux qui se pensent supérieurs, il n'efface rien quand on se sait victime. Un texte plus court que d'ordinaire, qui se lit avec autant de plaisir que les autres œuvres de Thomas H.Cook.

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31 octobre 2014 5 31 /10 /octobre /2014 05:55

Manchester est une des grosses agglomérations anglaises, à trois-cent-vingt kilomètres au nord de Londres. Âgé de trente-trois ans, Joe Parker y est avocat pénaliste. Pour traiter les affaires en cours, il est assisté de la quinquagénaire Gina Ross, ex-policière, et de la jeune Monica Taylor, étudiante en formation. Frère aîné de Joe, Sam Parker est inspecteur de police, à Brigade Financière. Marié à Alice, il est père de famille. Bien des années plus tôt, les Parker ont été frappés par un drame. Leur sœur Eleanor (Ellie) n'avait que dix-huit ans quand elle a été assassinée. Le criminel n'a jamais été retrouvé, malgré une enquête sérieuse à laquelle participa Gina Ross. Veuve, la mère de Sam et Joe Parker élève vaille que vaille leur sœur Ruby, âgée de treize ans. Joe reste marqué par ce meurtre.

Si l'avocat ne choisit pas toujours ses clients, c'est cette fois Ronnie Bagley qui fait appel à Joe, après avoir rejeté un cabinet concurrent. Carrie, la compagne de l'accusé, et leur bébé Grace, ont disparu après que Ronnie ait frappé la jeune femme de trente ans lors d'une dispute. Il a tardé plusieurs jours avant d'avertir la police, puis il s'accusa dans un premier temps d'avoir tué Carrie, revenant ensuite sur ses aveux. Au tribunal, Joe plaide l'absence de cadavres, afin d'obtenir la libération conditionnelle de Ronnie Bagley. Joe s'étonne un peu que la procureure, son ambitieuse amie Kim Reader, ne se montre pas plus combative. Bientôt libéré, Ronnie Bagley sera hébergé chez sa brave mère. Pendant ce temps, à l'insu de Joe, la police n'est pas inactive.

Sam Parker est contacté par la Brigade Criminelle, car le cas de Bagley leur pose question. Mais c'est surtout l'affaire Ben Grant, emprisonné depuis déjà longtemps, qui semble rebondir. Flic débutant, Sam procéda un peu par hasard à l'arrestation de ce tueur en série de jeunes filles. Ces derniers temps, quatre adolescentes ont disparu, ayant toutes un rapport direct avec des gens concernés par le procès de Ben Grant. Et il existe un lien avec Ronnie Bagley : sa compagne Carrie fut, avant leur rencontre, celle de Ben Grant. On va bientôt recenser une cinquième disparition. Julie McGovern ne sera peut-être pas la dernière. Joe, Gina et Monica se consacrent à la préparation de la défense de Bagley : “On ne le sent pas dangereux, mais on dirait qu'il cache quelque chose. Rien n'assure que les jurés le trouveront sympathique.” L'idéal serait de retrouver vivantes Cassie et Grace…

Neil White : Les prochaines sur la liste (Éd.Philippe Rey, 2014)

Ayant à son actif huit suspenses, Neil White n'est pas un débutant, mais c'est le premier titre de cet auteur traduit en français. Il a publié une série de romans ayant pour héros la sergent-détective Laura McGanity et le reporter Jack Garrett. Avec “Les prochaines sur la liste”, Neil White entame les enquêtes des frères Parker (qui se poursuivront avec “The death Collector”). Le rôle de Joe l'avocat peut apparaître prioritaire, puisqu'il s'agit de la défense d'un suspect. Les séances au tribunal et le milieu carcéral sont décrits avec grand soin. Toutefois, la fonction de Sam le policier a tout autant d'importance. Il n'est pas fâché, lui qui végète à la Financière, de revenir au cœur du terrain.

Personnages en opposition, les deux frères étant dans des camps opposés ? Certes, mais la mort de leur sœur Ellie reste un lien puissant entre eux, y compris avec leur mère et la jeune Ruby. Au départ, l'ambiance est professionnelle, aussi bien pour l'avocat que du côté des flics. Puis, avec des intermèdes évoquant l'assassin, et le duo Parker (et l'équipe de Joe) s'impliquant toujours plus, on va glisser vers davantage de froideur, de dureté. Le crime est sale et impitoyable, d'autant plus quand il comporte une forme vengeresse. Neil White fait monter la pression, dessinant ses personnages, ciselant à la perfection son intrigue, jouant avec un scénario qui “tient son lecteur”. Un nouvel auteur à découvrir, oui. On espère d'autres traductions de ses polars.

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