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24 novembre 2014 1 24 /11 /novembre /2014 05:55

Bien d'autres romancières sont célèbres pour leurs fictions criminelles. Néanmoins, si le public ne retient qu'un seul nom pour désigner la Reine du Crime, ce sera Agatha Christie (1890-1976). Issue de la bonne société britannique, elle connut une vie bien remplie et un immense succès avec ses romans policiers. Ne regardons pas avec un dédain ironique son œuvre, bien plus excitante qu'usant de ce conformisme qu'on lui attribue souvent. Cette encyclopédie sur l'univers d'Agatha Christie explore quantité de facettes de son existence et de ses histoires. Définitions pas trop longues, toujours claires, pour cerner ses romans, ses personnages, certains lieux marquants, mais aussi les films, adaptations télévisées ou radio, pièces de théâtre, jeux vidéos et bédés tirés de ses créations.

On se précipitera sûrement vers les “entrées” concernant ses héros récurrents : Hercule Poirot, le Belge à moustache, aux légendaires petites cellules grises ; Miss Jane Marple, la vieille dame observatrice de St Mary Mead riche de douce sensibilité ; Tommy et Tuppence Beresford qui ont créé leur agence de détectives, un couple dont on nous rappelle ici les origines ; sans oublier le capitaine Arthur Hastings, fidèle faire-valoir d'Hercule Poirot, ni la romancière Ariadne Oliver se mêlant d'enquêtes, bien proche d'Agatha Christie elle-même. L'inspecteur Japp a bien le droit à sa notice, lui aussi. De Peter Ustinov à David Suchet, plusieurs articles sont dédiés aux comédien(ne)s qui ont incarné Poirot, ou vus dans des adaptations de ses intrigues. Retenons aussi le nom de Joan Hickson qui interpréta délicieusement Miss Marple pour la télé, de 1984 à 1992. Et celui d'Angela Lansbury, dont le personnage de Jessica Fletcher (Arabesques) fut très “christinien”.

Bien sûr, les lieux (au sens large) font partie de l'univers d'Agatha Christie. Qu'il s'agisse d'un hôtel en bord de mer, d'un manoir victorien, ou d'une demeure villageoise, c'est le théâtre dans lequel se joue souvent l'acte criminel. Burgh Island, par exemple, n'est pas un endroit anodin, puisqu'il inspira l'auteure. On évoque aussi Bagdad, en se souvenant qu'Agatha Christie voyagea jusqu'en Mésopotamie. Une “entrée” intéressante concerne les “villes imaginaires” dans l'œuvre de la romancière. Un détour par la Belgique évoque Spa et la ville d'Ellezelles, possédant une amusante particularité. Les lieux, ce sont encore les gares et les trains. L'Orient-Express, où Pierre Michel assure le service des wagons-lits, et le Train Bleu, mais aussi celui de 16h50 au départ de Paddington.

Anne Martinetti – Guillaume Lebeau : Agatha Christie de A à Z (2014, Éd.Télémaque)

En décembre 1926, la disparition d'Agatha Christie fit grand bruit, une absence sans doute volontaire mais dont les détails ne furent jamais réellement résolus. Certes, on peut se renseigner ici sur Archibald Christie, premier mari de la romancière, père de sa fille unique Rosalind. Le cas de Max Mallowan, son second époux archéologue, est aussi à découvrir. On n'oublie pas non plus qu'elle écrit sous le pseudonyme de Mary Westmacott des livres plus romantiques, comme “L'If et la Rose”. Derrière ses intrigues purement policières, elle exploita avec autant de réussite des thèmes ayant trait à l'Espionnage ou au Fantastique. Bien entendu, un article évoque le Detection Club, dont Agatha Christie fut un des piliers. Il est même question de Chandler, pas de l'écrivain Raymond Chandler, mais d'un père et d'un fils héros d'une nouvelle dans “Les travaux d'Hercule”.

Alors quoi, il n'est pas question de meurtres dans cette encyclopédie ? Armes à feu, contondantes, tranchantes, noyades, strangulations, accidents, poisons divers, chantages, crimes à huis-clos, un peu d'adultère, vengeance, autant d'actes et de mobiles conduisant à tuer son prochain… et surtout à faire fonctionner son cerveau pour résoudre les énigmes alambiquées que l'auteure concocta. Prenons le cas de Félicie Bault, dans la nouvelle “Le quatrième homme” (recueil “Le Flambeau”) : une jeune femme, mais quatre personnalités selon les témoins qui en parlent. “Ce personnage digne de Stephen King a inspiré de nombreux auteurs, et notamment Mary Higgins Clark” nous rappelle-t-on.

Multiples “entrées” autour d'Agatha Christie, donc, puisqu'il est aussi question de bateaux, de surf, de chiens et de chats, d'avions, d'archéologie, de chocolat, de féminisme, de tous les romans et nouvelles de l'auteure, de nombreux thèmes. On ne se lasse pas de sauter d'une notice à l'autre, chacune attisant notre curiosité. Deux cahiers-photos évoquent en image la “présence” encore vivace d'Agatha Christie. Il faut absolument saluer le travail remarquable d'Anne Martinetti et Guillaume Lebeau. Le couple nous présente un ouvrage désormais indispensable pour tous les passionnés de Littératures policières et pour les admirateurs d'Agatha Christie.

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23 novembre 2014 7 23 /11 /novembre /2014 05:55

Le Trégor se situe sur la côte nord-ouest de la Bretagne, du côté de Lannion. Ancien marin sexagénaire, Fanch Bugalez s'est y installé à Trébeurden avec sa famille. Gwendoline, son épouse venue du Saskatchewan (Canada), ex-chanteuse, est âgée de vingt-cinq ans de moins que lui. Ils sont les parents du petit Valentin, et de sa sœur. Ils ont repris le “Café du Loup rouge”, bar d'habitués contribuant à la vie locale. Eugène Cabioch, dit La Brebis, vieil ami de Fanch n'a pas loin de soixante-quinze ans. Tout en gardant ses bases dans leur Trélouzic natal, où ils ont vécu plusieurs aventures, Eugène reste proche de Fanch. Ils sont toujours en contact avec le commissaire Cesare Le Tellier, qui officie dans la région. Ce dernier va de nouveau devoir enquêter sur des crimes perpétrés dans les parages.

On a assassiné un fossoyeur, employé communal de Trébeurden, qui creusait une tombe. Le tueur a emporté un squelette qui gisait là, bien dissimulé. Puis c'est une femme qui est découverte morte, allongée dans un terrain vague, entourée de coquillages signant une curieuse mise en scène. Chanteuse lyrique âgée de trente-deux ans, Alexandra a été poignardée. Il ne faudrait pas que ces meurtres causent trop de remous, car actuellement un investisseur anglais séjourne par ici. Dave Nakheel-Sandman semble avoir des projets respectueux de l'environnement et des lois en vigueur. Toutefois, ses relations discrètes avec Susheila Winterhorn, une Australienne, pousseraient à s'interroger si elles étaient connues du grand public. Car tous deux sont liés à l'industrie sablière.

En effet, depuis quelques temps, des multinationales visent le sable du littoral breton, en particulier. L'extraction, assez près des côtes, ne serait pas du tout dommageable, selon les dossiers bien ficelés qu'ils soumettent. Pourtant, des études plus fouillées montrent les inévitables conséquences pour la dune sous-marine et la faune qui y vit, sur les courants marins, et pour l'ensemble des activités touristiques. Un collectif d'association a dénoncé le futur gâchis, “Le peuple des dunes en Trégor”. Se fiant à son instinct, Eugène Cabioch ne cache pas son scepticisme envers Dave Nakheel-Sandman. Tandis que des agences immobilières de la région ont reçu des lettres anonymes entraînant une petite enquête des gendarmes, le commissaire Le Tellier pourrait explorer la piste d'un expatrié disparu…

Yann Venner : Les chevaliers de la dune (Éditions de Trozoul, 2014)

Des débats concernant l'extraction de sable non loin des côtes ont bel et bien soulevé des réactions de la part des habitants, du Morbihan jusqu'au Trégor. Il ne s'agit pas d'un esprit de contestation contre toute modernité, tout changement. Certes, chacun sait qu'il faut du sable pour construire, pour le béton. Plus on le soutire près de chez nous, moins il coûte cher, c'est entendu. Toutefois, ce n'est pas sans influence sur l'environnement et le climat, ni sur l'économie locale. Des efforts sont faits pour protéger le littoral, attention aux effets néfastes de ces exploitations du sable. Tel est le thème qui sert de toile de fond à cette intrigue sympathique. Car, entre le gendarme retraité Félix Stereden, le vieil anar Eugène Cabioch, et quelques autres protagonistes, on sourit également.

Ce ne sont pas des enquêtes policières balisées ou rectilignes, que Yann Venner nous présente dans ses romans. Son commissaire explique très bien que la réalité des faits n'est pas obligatoirement le principal critère : “Mais le réel n'est pas que tangible, n'est pas fait uniquement d'évènements, de lieux, de mots prononcés. Bien sûr, le réel est cela, chargé d'actualité et d'histoire, mais s'y ajoute aussi la somme infinie de pensées et de leurs revirements, la somme des intentions, des éclats de désir ou de mémoire, des hypothèses, des possibles demeurés inaccomplis, des intuitions.” L'auteur nous invite à entrer dans l'univers de cette population qui, autour de Fanch Bugalez, aspire à une vie respectueuse des autres et de la nature. Une tranquillité troublée par ces faits de société inspirés du quotidien, et quelques crimes qui sont – ou non – en rapport avec tout cela.

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21 novembre 2014 5 21 /11 /novembre /2014 05:55

En 1857, des révoltes secouent depuis quelques temps les Indes Britanniques. Assiégée, la garnison de Kanpur n'a pas échappé aux destructions des insurgés de la région. À deux semaines de Noël, l'ambiance n'est pas aux festivités. D'autant qu'un prisonnier sikh, Dhuleep Singh, s'est s'échappé en supprimant le gardien, sikh lui aussi. Le fugitif détenait certaines informations capitales pour l'armée. Une patrouille militaire a été massacrée peu après, ne laissant qu'un survivant très mal en point, le soldat Tierney. L’État-Major est convaincu que Singh a bénéficié de la complicité de l'infirmier John Tallis. Le colonel Latimer charge Victor Narraway, âgé de vingt ans, d'assurer la défense de l'accusé. Affecté en Inde depuis un an, il n'est à Kanpur que depuis quinze jours.

Le lieutenant comprend immédiatement qu'on lui confie une cause perdue. Il est insensé de défendre un traître, de préparer un bon dossier en deux jours. D'autant que le major Strafford et le capitaine Busby, pour l'accusation, seront intransigeant avec l'honneur de l'Armée. On ne se prive pas de rappeler son devoir de fidélité à Victor Narraway. Bien qu'il n'ait pas d'alibi vérifiable, John Tallis nie être impliqué. Cet infirmier trentenaire à l'humour un brin cynique n'aurait rien vu. Le lieutenant interroge le caporal Grant, premier à être intervenu suite à l'évasion. Pour lui comme pour les deux autres soldats présents, les faits sont limpides, et la condamnation de Tallis est une évidence. Le médecin de la garnison ne voit pas d'autres versions possibles, lui non plus.

S'il est inexpérimenté, Victor Narraway imagine toutes les hypothèses plausibles. Tallis n'avait aucune véritable raison de se faire le complice de Dhuleep Singh. D'autant moins dans le contexte actuel de l'Inde, où la confiance n'est plus de mise avec les autochtones. Le procès de John Tallis débute dès le lendemain, quasiment à huis-clos, mais le colonel Latimer tient à ce que soit respecté un semblant de procédure légale. Ça risque plutôt de ressembler à un simulacre de procès. L'accusation s'avère précise sur l'évasion de Dhuleep Singh, que l'on a jamais retrouvé, alors que le lieutenant n'a pratiquement aucune carte favorable en mains. Le sort de Tallis ne fait guère de doute…

Anne Perry : Un Noël à Kanpur (Éditions 10-18, 2014)

Les “Petits crimes de Noël” d'Anne Perry sont des romans un peu plus courts que ceux qu'elle écrit généralement, mais il possèdent un charme certain. Qu'on ne pense pas que les intrigues seraient moins ingénieuses ou les contextes plus mal dessinés. “Un Noël à Kanpur” démontre justement le soin pris par l'auteure à nous exposer une situation pas du tout ordinaire :

“Juger un soldat pour la mort d'un garde à Kanpur semblait ridicule alors que, partout dans le nord de l'Inde, des dizaines de milliers d'hommes se mitraillaient et se poignardaient, des hommes en qui ils avaient cru un an plus tôt sans la moindre hésitation.” Le siège de Kanpur, qui causa plus de quatre-cent victimes mutilées et pour beaucoup jetées dans le puits de Bibighar, est resté un épisode dramatique de l'histoire coloniale britannique. Il marqua les débuts de la révolte du peuple indien.

Contexte essentiel, dans cette histoire, on le comprend. L'accusé John Tallis fait preuve de lucidité quand il évoque le colonialisme :

“Nous sommes une poignée d'hommes blancs à un demi-monde de chez nous, quelques dizaines de milliers qui essayons de gouverner un continent entier ! On ne parle par leurs langues, on ne comprend pas leurs religions, on ne supporte pas leur maudit climat, on n'est pas immunisés contre leurs maladies… Pourtant, nous sommes là et nous voulons en plus qu'on nous apprécie ! Et nous sommes tous stupéfaits quand ils nous plantent un couteau dans le dos... Dieu nous préserve, nous sommes des imbéciles !” (traductions Pascale Haas).

D'autant que ces faits se produisent quelques temps après la Guerre de Crimée, où les Anglais ne furent pas très brillants, non plus. Un conte de Noël, oui, mais évoquant des circonstances fort tendues. Ce qui offre une belle intensité à ce suspense.

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20 novembre 2014 4 20 /11 /novembre /2014 05:55

En 2003, à New York. Barry Donovan est un policier de la Brigade Criminelle. Son épouse et sa fille sont décédées lors des attentats du 11-Septembre. “Vivant mort dans un monde dénué de sens, il lutta quotidiennement avec l'envie d'en finir avec une existence devenue vaine.” C'est par Internet qu'il a sympathisé “avec un dénommé Werner von Lowinsky, quinquagénaire énigmatique et spirituel”, lui aussi isolé à sa manière. Ils cultivent depuis une amitié quelque peu irrationnelle. Après une mission où il a été sévèrement blessé (lire “Les vestiges de l'aube”), Barry Donovan est de retour dans son unité. Il y retrouve ses partenaires Abigayle Raven et Jim Steranko (dit Spoutnik), ainsi que le capitaine Stanton. Pour le héros dont la santé est rétablie, il est déjà temps de s'occuper d'un curieux crime.

Le pasteur Deshawn Willard, cinquante-deux ans, et son fils de onze ans, viennent d'être assassinés dans leur appartement. La victime fut autrefois un boxeur puissant et réputé. On lui a tranché une main, qui reste introuvable. Par contre, on découvre bientôt l'arme du crime, une épée courte. Les empreintes confirment que ce sont celles de Jimmy Lean, le suspect resté sur les lieux après le double meurtre et des aveux téléphoniques à la police. Ce repris de justice, ex-toxicomane connu de Barry, était un ami du pasteur.

La victime faisait partie de l'organisation du Possible Pardon, qui s'occupe de Jimmy Lean. Cette enquête peut permettre à Barry de se rapprocher de Lana Carvey, la médecin légiste, tous deux ayant de fortes affinités. Celle-ci va être agressée par un mystérieux trio, deux types baraqués vêtus de longs manteaux et un plus petit au visage masqué par une capuche. Heureusement, Werner a pu intervenir à temps, se servant de ses pouvoirs.

En effet, Werner von Lowinsky n'entend pas rester confiné dans son nouvel appartement luxueux. Il usera au besoin de sa capacité de se transformer et de se servir de l'hypnose. Peut-être sent-il déjà qu'existe un lien entre cette affaire et son lointain passé. Celui qui manœuvre dans l'ombre, c'est le Maréchal Nicolae, assisté de fidèle aide de camp Jiles. Ils utilisent de gros moyens pour s'attaquer au convoi d'un transfert de prisonniers, car ils ont besoin de baroudeurs en vue de prochaines missions.

De son côté, Barry Donovan ne croit pas en la culpabilité de Jimmy Lean, qui s'était rangé. Il devra contrer Harry Ziegler, le substitut du procureur, un arriviste prêt à livrer leur suspect à la vindicte populaire. Est-ce que le problème viendrait du “Possible Pardon”, en grosse difficulté financière ? La discrète et efficace protection de Werner n'empêche pas la menace de se rapprocher. La légiste Lana Carvey et Barry vont tomber dans les griffes de l'ennemi, dont l'implacable vengeance remonte à très très loin…

David Khara : Une nuit éternelle (Fleuve Éditions, 2014)

Barry Donovan et Werner von Lowinsky forment un étonnant duo, né dans “Les vestiges de l'aube”, premier roman de David Khara aujourd'hui disponible en poche, chez 10-18. Si leur complémentarité apparaît forte, c'est dû aux épreuves qu'ils ont traversées chacun de son côté. Un flic dans la réalité du 21e siècle, un vampire survivant depuis cent-cinquante ans : on comprendra que l'intelligence de l'auteur a consisté, dès la première aventure, à ne pas en faire une simple “histoire de vampire”. S'il suffit d'interventions sataniques ou magiques pour tout régler, il n'y a guère d'intérêt. Non, ce sont des enquêtes criminelles énigmatiques qui servent réellement de base aux intrigues conçues par David Khara.

Sans en dire trop, ce second épisode permet d'explorer le parcours singulier de Werner et son univers. S'il est issu du 19e, au temps de la Guerre de Sécession, c'est jusque dans la Moldavie du 13e siècle qu'il faut aller chercher des réponses. Réussir à concilier une part de Fantastique avec des investigations policières dans l'ambiance new-yorkaise récente, ça dénote d'une belle maîtrise. Portraits ciselés des personnages, narration fluide ; ajoutons-y des scènes-choc, telles l'attaque du transport de prisonniers ou le face-à-face final avec l'adversaire. Aucun doute, il s'agit là d'un vrai roman d'action et d'un excellent suspense, servi par la tonalité propre à David Khara.

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19 novembre 2014 3 19 /11 /novembre /2014 05:55

Parmi les très bons noirs polars réédités en format poche, deux titres sont à retenir en particulier. “On the Brinks” de Sam Millar, qui fut selon moi le meilleur roman de 2013. Il a été récompensé par un Trophée 813, d'ailleurs. Parce que les suspenses vraiment décalés ne sont pas légion, il faut aussi lire le fort original “Longue division” de Derek Nikitas.


Derek Nikitas : Longue division (Ed.10-18, 2014)

Dans la région d'Atlanta (Géorgie), la rousse Jodie Larkin, trente-deux ans, habite un petit studio avec son chat Nero. Femme de ménage pour la société Kwik Kleen, ce n'est pour elle qu'un job mal payé de plus. Chez un client, elle trouve l'occasion de dérober cinq mille dollars en billet. Elle a peu hésité, mais redoute d'être vite arrêtée. Lors de la soirée de fête chez sa collègue Inez et son ami Hector, Jodie vole une voiture, embarque son chat et l'argent. Hantée par le risque d'être pourchassée, elle prend la direction de Cape Fear, en Caroline du Nord. C'est là que vit son fils Calvin, quinze ans, qui lui a récemment adressé un message. Trop jeune alors pour l'élever, Jodie a dû l'abandonner. Il a été adopté par le couple Nowack. Cal est un garçon imaginatif et intrépide. Croyant avoir des tendances homo, l'ado contacte des inconnus par Internet. Déception assurée, mais ces rencontres aventureuses dopent son adrénaline. Cal repère bientôt sa mère naturelle, lorsqu'elle rôde dans son quartier. La rencontre mère-fils ne tarde pas. Cal et Jodie ayant des envies de départ, ils prennent ensemble en voiture la direction de New York. Un mot destiné aux parents adoptifs de Cal suffira. La mère et son fils n'ont aucune véritable raison de se rendre à New York, sinon d'essayer de se connaître mieux durant le long trajet

À Weymouth, Sam Hartwick est adjoint du shérif du comté. Homme mûr et pieux, il est l'époux de Jill. Celle-ci souffre d'un cancer en phase terminale. Ils ont prévu un voyage à l'étranger ensemble, ultime cadeau qu'il pourra lui offrir. Leur fille Erika suit des études littéraires à l'université locale. Quand cette nuit-là, Sam intercepte le véhicule du jeune Dwight Kopeck, il ne devrait pas le laisser filer. Dwight et son ami étudiant Wynn sont à la recherche de Cecilia Kopeck, qui a fui sa famille pour s'installer avec des marginaux. Son frère et Wynn la retrouve dans un camp de mobile-homes. N'ayant pas l'intention de les suivre, la jeune fille déphasée armée tire sur Dwight et le blesse. Dans un état second, Wynn abat la sœur et achève le frère, simulant maladroitement un échange de coups de feu entre eux. Le shérif adjoint Hartwick arrive le premier sur les lieux, après que Wynn ait déguerpi. Sam est conscient qu'il a une grosse part de responsabilité dans le carnage. Il affiche une froide réaction professionnelle face à ses collègues. S'il n'a pas l'air de mener son enquête perso, sa femme Jill se doute que quelque chose le perturbe…

Il s'agit ici des destins croisés de plusieurs personnages, que l'on suit en alternance. Avec cette construction d'histoire, on court parfois le risque de s'y perdre quelque peu. Ce n'est nullement le cas, cette fois. L'auteur est habile à nous présenter les protagonistes, d'une manière vivante, avec leur psychologie et leur quotidien, autant que leur mal-être. Car la vie de chacune des personnes impliquées est loin d'être droite et paisible. S'il existe une véritable tension autour de ces gens, on ne cherche pas à la rendre plus lourde que nécessaire pendant l'essentiel du récit. Un polar intense.

Polars en poche : Derek Nikitas (Ed.10-18) et Sam Millar (Ed.Points)

Sam Millar : On the Brinks (Ed.Points, 2014)

Son grand-père Alexandre Millar venait d’une famille très protestante. Sa grand-mère Elizabeth O’Neill était une catholique militante. Ce fut elle qui imposa la religion de la famille. Sam Millar vécut son enfance à Belfast, dans le quartier de Lancaster Street, durant la décennie 1960. Pas facile d’être un catholique pauvre dans ce secteur où défilaient régulièrement les Orangemen, venant les provoquer. Pas simple, quand on a une mère dépressive alcoolique et un père au caractère dur. “Les catholiques sont comme des soucoupes en Irlande du Nord : près de la tasse, mais jamais autorisés à savourer son contenu” disait-il avec colère. Et puis, il y eut la manifestation meurtrière du 30 janvier 1972. Avec son frère aîné Danny, Sam en revient sain et sauf, mais marqué par la violence des Anglais. À quatorze ans, c’est le début de sa conscience politique. Son meilleur ami Jim Kerr, dix-sept ans, est assassiné par un protestant. Désormais, pour Sam, c’est la fin de la soumission aux Beefs et aux Orangemen extrémistes. Toutefois, l’action politique le mène très vite en prison, à Long Kesh. Pas question d’être assimilé aux vulgaires détenus, puisqu’il est prisonnier politique. Un long tunnel éprouvant : huit ans de prison, de guerre psychologique. Puis arriva la mort de Bobby Sands, le plus symbolique des martyrs de la cause nord-irlandaise. Négocier avec l’ennemi ou tenter de s’évader ? Sam Milar les aura à l’usure. Il est finalement relâché.

Sam s’est installé à New York, dans le Queens. Clandestin, il fréquente le milieu des casinos plus ou moins illégaux, tolérés, rançonnés. Il pourrait y trouver sa place, en tant que croupier. À moins qu’il ne choisisse de suivre son ami Ronnie Gibbons, qui compte ouvrir son propre casino. Sam reste méfiant, il n’a pas tort. Autour de Ronnie, l’organisation familiale fausse le projet. Et cette cliente âgée à l’allure digne, mieux vaut ne pas être trop gentil avec elle. Ratage sur toute la ligne. Connaissant Tom, un ex-flic aujourd’hui agent de la Brinks, Sam songe à un braquage de leur entrepôt. La première tentative, avec Ronnie, échoue presque inévitablement. Avec la complicité de son copain Marco, en janvier 1993, la seconde est la bonne. Malgré la façade de respectabilité qu'il va ensuite afficher, les ennuis ne sont pas finis...

Il y a des livres autour desquels il n’est pas indispensable d’argumenter. Comme une évidence, cet ouvrage est de qualité supérieure, voilà tout. Cette histoire n’est pas de la fiction, plutôt un “polar-vérité”, s’il faut imaginer une étiquette plus précise. Le parcours d’un type pas ordinaire, son témoignage. Digne d’un incroyable scénario à suspense, c’est vrai. Sans doute un des meilleurs polars qu'on puisse lire, surtout sachant qu'il est autobiographique.

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16 novembre 2014 7 16 /11 /novembre /2014 05:55

À travers une vingtaine de portraits illustrés, ce sont d'authentiques criminels qui sont ici présentés par ce duo d'auteurs. Toutefois, si l'assassinat est souvent un acte ne visant que peu de victimes, l'Histoire ne manque pas de meurtriers responsables de multiples crimes. Pour des raisons politiques, guerrières ou mafieuses, des exécuteurs staliniens, asiatiques, nazis, franquistes ou autres, ont commis de monstrueux crimes, ciblés ou collectifs. Il arrive que certains homicides, en particulier raciaux, entraînent des conséquences allant au-delà des faits. Ils ont émaillé l'histoire du monde entier, ces “personnages” terrifiants de cruauté et de froideur. Ils se distinguent des criminels ordinaires, par des motivations dominatrices. Parmi les vingt cas évoqués, en voici quelques-uns de marquants...

Il règne un réel désordre dans le royaume de France autour de 1590, à cause des guerres de religions affaiblissant le pouvoir d'Henri III, bientôt assassiné. Né vers 1572, Guy Eder est un jeune aventurier breton qui, après quelques études à Paris, retourne dans sa région d'origine. Se faisant appeler La Fontenelle, il entend profiter de la pagaille ambiante, avec le soutien de troupes du royaume d'Espagne. Il regroupe une petite armée qui va vivre de pillages à travers la Bretagne. Soi-disant au service du seigneur de Mercœur, les viols et les exécutions sont nombreuses sous les ordres de La Fontenelle. Arrêté une première fois, il n'en continue pas moins son périple, s'emparant entre de la ville de Carhaix, avant de prendre possession de l'île Tristan, en face de Douarnenez. Ce sera pendant plusieurs années son QG, ses centaines de soudards continuant à tuer et à piller. Son allégeance au nouveau roi, Henri IV, n'aura guère de valeur. Malgré sa puissance, le cruel La Fontenelle est très endetté et perd finalement ses soutiens.

En Italie, fin des années 1690. Guido Franceschini est issu d'une famille noble originaire d'Arrezo, en Toscane. Désargenté, il va tenter sa chance à Rome, où vit son frère, l'abbé Paolo. Bien que proche des autorités catholiques pendant près de dix ans, Guido ne va pas s'enrichir. La meilleure solution reste de faire un mariage d'argent. Âgée de treize ans, Francesca Pompilia est la cible idéale. Ses riches parents seraient honorés d'épousailles avec un aristocrate tel que Guido. Un séjour dans sa propriété quasi en ruine leur montre les réalités de leur gendre. Celui-ci ne tarde pas à faire preuve de violence, envers sa si jeune épouse. Il l'oblige à écrire une lettre affirmant qu'elle est heureuse. Car Guido n'a pas encore touché l'essentiel de la dot prévue. Une affaire qui secoue la bonne société de Rome. Surtout quand en janvier 1698, les beaux-parents sont retrouvés assassinés, et la belle Francesca lardée de multiples coups de poignard. Le coupable est évident.

Au cœur de la Révolution Française, Joseph Le Bon est prêtre du côté d'Arras. Passionné par les évènements en cours, il prête bientôt serment en tant que curé, contrairement à ceux restant réfractaires. Son destin n'est pas de dire des messes, mais de haranguer les foules populaires. Il sera brièvement nommé maire d'Arras, mais il vise davantage. Étant mandaté par le Comité de Salut Public, le prêtre défroqué est doté de pouvoirs illimités afin de traquer les ennemis de la révolution. Cet exalté qu'est Joseph Le Bon fera exécuter quantité de suspects, d'abord parmi la noblesse. Y compris chez des gens du peuple, ou des commerçants auvergnats de passage. La plus noire Terreur règne. Sur ses ordres, on enferme à tour de bras dans les prisons d'Arras et de la région. Ses excès de zèle ont le soutien de Robespierre, natif d'Arras. Même si le vent commence à tourner, le sang des victimes de Joseph Le Bon continue à couler à flots.

Philippe di Folco – Yves Stavridès : Criminels (Sonatine Éditions & Éd. Perrin, 2014)

Germaine Berton naquit en 1902 dans une famille modeste d'un milieu ouvrier. Son père ne mâche pas ses mots dès qu'il s'agit de politique, ce qui plaît à Germaine. Elle n'a qu'une dizaine d'années quand elle découvre le plaisir de dévorer des livres. Elle se forge ainsi sa propre base culturelle. Arrive l'assassinat de Jaurès, la première guerre mondiale. Dès cette époque, Germaine la pacifiste réalise l'acharnement de Maurras et, surtout, de Léon Daudet à pourrir le climat politique français. Après guerre, si elle est tentée par le communisme, c'est du côté de l'anarchie qu'elle trouve sa place. Si Clémenceau ne vaut guère mieux que Daudet à ses yeux, elle reste obsédée par ce dernier. Germaine tombe amoureuse du jeune Philippe, qui fuit son milieu familial oppressant. Puisqu'il lui est impossible d'approcher Léon Daudet, c'est Marius Plateau, secrétaire général de l'Action Française, que Germaine va abattre. Elle est emprisonnée, au grand désespoir de son amant, Philippe Daudet.

En août 1955, le cadavre d'un jeune Noir est retrouvé mutilé dans la rivière Tallahatchie, État du Mississippi. Le corps est nu, lesté de fils barbelés à une lourde hélice. Il s'agit d'un adolescent noir de quatorze ans, Emmett Louis Till. Son oncle Moses Wright reconnaît bientôt le cadavre. Le meurtre serait vite classé, mais le gouverneur décide que “Noire ou Blanche, toute victime mérite une enquête.” D'ailleurs, il n'est pas difficile d'identifier les coupables. Roy Bryant et J.W.Milam sont nés de la même mère, de pères différents, dans une fratrie de onze enfants soudés. Ex-soldats, ils restent des rednecks. Roy Bryant et sa femme tiennent une épicerie à Money, dans le même comté de LeFlore. Emmett Louis Till aurait, selon le témoignage de l'épouse, tenté de la draguer dans son commerce. Fureur des deux frères, qui voulaient lui administrer une correction. Après avoir été innocentés lors du procès, ils se glorifieront dans la presse de leur méfait. À l'heure où Rosa Parks se rebelle dans un bus, la suprématie blanche décline et le déshonneur guette les deux frères.

À Montréal, le mercredi 6 décembre 1989, un étudiant de vingt-cinq-ans entre armé à l'école Polytechnique. Il se nomme Marc Lépine, et connaît bien les lieux. Son Ruger à la main, il va sillonner les salles de cours. Son but est d'abattre un maximum de jeunes filles avant de se suicider. Bilan de cette fusillade : quinze morts, dont treize étudiantes, une employée de l'école, et Marc Lépine lui-même. Durant le carnage, il a laissé entrevoir ses motivations, qui seront confirmées par une lettre écrite auparavant. Le jeune homme est hostile aux féministes, de façon obsessionnelle, les accusant de tous les pires maux. Au Canada, son acte va relancer tout un débat sur le féminisme. Élève moyen, Marc Lépine vécut dans une famille instable, principalement élevé avec sa sœur par leur mère. Avec les filles, il est sûrement maladroit. Intérieurement, il cultive une sourde haine… ce qui va se conclure de manière sanglante.

Les autres criminels dont les parcours sont retracés ici : John Chivington, Vassili Blokhine, Shiro Ishii, Antonio Vallejo-Nagera, Oskar Paul Dirlewanger, Luciano Leggio, Dmitri Bogrov, Du Yuesheng, Griselda Blanco, Honore-François Ulbach, Giuseppe Zangara, Eugène Weidmann, Dawood Ibrahim, Bay Vien. Des noms peut-être ignorés ou oubliés, mais qui appartiennent à la vaste galerie de portraits des grands meurtriers. Un ouvrage qui nous rappelle que, sous de multiples formes, le crime est omniprésent dans l'Histoire. Vraiment passionnant.

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14 novembre 2014 5 14 /11 /novembre /2014 05:55

Qui ne connaît pas Gabriel Lecouvreur, que l'on surnomme Le Poulpe à cause de ses longs bras façon tentacules. Témoin de notre époque et de tous ses dysfonctionnements, c'est un esprit libre qui va fouiller dans les poubelles souvent fétides de l'énigmatique. Si une vérité n'est pas destinée à être dévoilée, ça titille Gabriel jusqu'à lui donner une furieuse envie d'enquêter. Il suffit d'un fait divers dans la presse, que la plupart des lecteurs auront trop vite lu, pour que Le Poulpe se mette en chasse. Prenez l'exemple de cette prostituée qui a disparu du côté de Sainte-Mère-des-Joncs, ce bled de trois-cent-quinze âmes où un projet d'aéroport est lancé. Cette info n'excite pas grand monde, même pas les autorités. Sauf Gabriel Lecouvreur, ainsi que le Professeur Morillons, un voyant aveugle.

Jérômette Blanchon, seize ans de tapin dont trois pour une agence, grande expérience et petite vertu, se faisait appeler plus noblement Roxanne. Pas de la vulgaire pute de trottoir, ça non. Clientèle Internet qui sélectionne et qui paie recta : la société des sœurs Broutë qui l'emploie, c'est du sérieux. Disparition ambiguë, oui. Pour Morillons, Roxane “elle est perdue. Tellement perdue que certains se demandent si elle a jamais existé.” Pourtant, ses trois patronnes trouvent encore des traces de son activité. Pour cette mission pas claire, son vieil ami Pedro fournit une identité au Poulpe : Tristan Izeux, délégué du Ministère de l'Agriculture. Direction Sainte-Mère-des-Joncs, pas loin de Nantes, mais au milieu de nulle part, où le modeste Hôtel du Centre servira de camp de base à Gabriel.

Les patrons de l'hôtel sont plutôt favorables à l'installation du futur aéroport, dont ils espèrent des retombées économiques. Ce n'est rien à côté du maire qui, lui, a carrément la folie des grandeurs, imaginant un essor faramineux. Gabriel se sent surveillé. Un type bizarre que l'on surnomme Jerry Lewis, semble-t-il. C'est Sergent Pepper que le Poulpe va interroger ensuite. Ce clone vieillissant de John Lennon, emblématique des opposants au projet, est un des occupants la ZAD, les terrains destinés à l'aéroport. Des arguments, il en a quelques-uns contre ce monde où tout est “trop”. Où chacun est devenu l'esclave volontaire de sa voiture, de sa télé, de son portable. L'aéroport, projet de “trop” ?

Sous une pluie incessante, Gabriel revient au village où il a rendez-vous avec Roxane. Au 21 de la grand'rue, c'est la divine Émilie qui accueille Le Poulpe. Ce n'est pas celle qu'il cherche, d'autant qu'elle n'a pas l'air d'une pute. Celle qui lui succède n'est pas non plus Roxane : la Tatie Lucie est vieille, laide, peu soignée. Gabriel ne tient nullement à tenter une expérience sexuelle avec elle. Peu après, il est agressé par un homme aux allures de grizzly, qui finira par avoir plus de mal que lui. Ses conversations avec le patron du café des Sports, avec la nymphomane Dr Dorothée Dechines, puis avec le vieux paysan Louis pourraient l'aider à trouver une bonne piste d'atterrissage pour son enquête…

Hervé Sard : La catin habite au 21 (Baleine, Le Poulpe, 2014)

Et voici notre ami Le Poulpe reparti pour une nouvelle aventure. Toute ressemblance avec le site de Notre-Dame-des-Landes, projet contesté d'un futur aéroport, ne serait peut-être pas imaginaire. Dans cet endroit désert longtemps inexploité par l'agriculture, les enjeux écologiques pèseront-ils davantage les enjeux financiers tous azimuts ? En réalité, Gabriel n'est pas sur place pour prendre parti sur la pertinence ou non de ces installations à venir. Il s'agit pour lui de retrouver une femme. Une zézayante, une mignonne, une laide, une nympho, il va en croiser plusieurs. Et quand il est trop sollicité, il finit par ne plus être un ange, Gabriel.

Évidemment, c'est sous le signe de l'humour que se déroule cette enquête tâtonnante. Par exemple : “[au sujet de la prostituée] d'après l'architecte, il y a tromperie sur la marchandise. Il avait réservé un canon, on lui a refilé un boulet” ou encore “Aucune agence immobilière ne propose de maisons avec fissures, plancher en pente, vue sur l'autoroute ou truffées de termites et à portée d'odorat d'une décharge publique. Dans le petit monde de l'immobilier, il n'existe que des bonnes affaires...” L'auteur nous dresse les portraits d'une galerie de personnages hauts-en-couleur, délicieusement caricaturés. On connaît le talent d'Hervé Sard pour nous raconter de savoureuses histoires. Son épisode du Poulpe s'avère parfaitement réussi.

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12 novembre 2014 3 12 /11 /novembre /2014 05:55

La Nouvelle Orléans, au printemps 2008, trois ans après le désastre causé par l'ouragan Katrina. Âgée de vingt-sept ans, la brune Nola Céspedes est aujourd'hui journaliste pour le Times-Picayune, après ses études à l'université Tulane. Fille d'une réfugiée cubaine qui l'a élevée sans père, Nola est issue d'un quartier populaire détruit depuis. Encore peu aisée, elle circule dans sa vieille Pontiac Sunfire, et habite en colocation avec Uri, un serveur gay. Côté sexe, Nola privilégie les rencontres “one shot”. Elle compte plusieurs copines, noires ou hispaniques, plus fortunées qu'elle. Outre Fabi et Soline, commerçante avisée, Nola est assez proche de Calinda. C'est une des rares Noires employées au bureau du procureur. Un contact utile pour obtenir des dossiers, en vue de l'article que Nola va devoir traiter.

À l'heure où l'étudiante Amber Waybridge vient de disparaître à l'hôtel Copper Pot, Nola se voit proposer par son rédacteur en chef une enquête sur les pédophiles et violeurs qui ont profité du désordre de Katrina pour s'évaporer. Alors que la loi de Megan les obligerait à se signaler aux autorités. Un bon sujet pour sortir de la rubrique Loisirs du journal. Mais, par définition, ces clandestins n'ont pas intérêt à se faire connaître. Après une visite à un psy spécialisé dans les délinquants sexuels, une visite à la prison d'Orleans Parish lui donne une première approche de la question. Mike Veltri, un ex-condamné, accepte néanmoins de témoigner. Dans cette ville où tout le monde est armé, Nola s'est munie d'un Beretta, sécurisant pour une jeune femme devant rencontrer des pervers sexuels avérés.

Ancien directeur adjoint d'école habitant le typique Vieux Carré de La Nouvelle Orléans, Blake Larusse est prêt à parler de son passé, lui aussi. Il y aura un autre témoin anonyme, un brin narcissique, fier de vivre maintenant non déclaré, en marge du système. Javante Hopkins a certainement gardé des instincts sadiques, et ne paraît pas à Nola d'une grande sincérité. Outre ces adresses obtenues grâce à Calinda, la journaliste interroge quelques femmes sensibilisées. Bourgeoises de Garden District sévères avec ces délinquants qui seraient une menace pour leurs enfants, ou habitantes de quartiers modestes fatalistes par nature, ça complète le sujet à traiter. Quant à l'affaire Amber Waybridge, la police ne semble pas très active pour la résoudre. On finit par retrouver son cadavre mutilé.

En parallèle, Nola continue à rendre chaque dimanche visite à sa mère, encore paumée bien qu'elle ait un job et un logement. Une fois par semaine, une petite fête réunit Nola et ses copines. Calinda est au courant, mais les deux autres ignorent son enquête en cours. Si la jeune femme refuse d'être complaisante dans un article sur une “plantation”, domaine touristique qui oublie d'honorer la mémoire des esclaves noirs, Nora redécouvre sa ville. Si fascinante malgré tous ses défauts. Toutefois l'ombre du prédateur plane toujours. Avant qu'il fasse une autre victime, sosie d'Amber Waybridge, Nola va tenter d'agir…

Joy Castro : Après le déluge (Série Noire, 2014)

À travers le regard d'une native de La Nouvelle Orléans, l'auteur dresse un portrait nuancé de l'évolution de cette ville particulière. Depuis l'installation des Français il y a plus de trois siècles, son histoire est d'une richesse infinie. Du Couvent des Ursulines au Vieux Carré du Quartier Français, on nous rappelle çà et là quelques aspects du passé. Avec Nola, nous visitons aussi bien les rues animées de Charles Street ou Royal Street, les parcs tel celui dédié à l'ornithologue Audubon, que les endroits moins brillants de l'agglomération. Sans doute a-t-on relogé une partie de la population dans des “shotgun shacks”, ces bungalows longs qui font proprets, mais la discrimination n'est pas éteinte ici. Les Noirs restent peu souhaité dans le décor urbain vivant pour l'essentiel du tourisme.

À l'inverse, quand il s'agit de crimes sexuels, ils sont les tout premiers désignés. Pourtant, dans les fichiers de police, toutes les races sont représentées à peu près à égalité. “Dans plusieurs États, plus d'une centaine de délits différents, dont le recours aux service d'une prostituée, peuvent valoir à leur auteur la triste qualification de «délinquant sexuel» ; en Louisiane, ils incluent les «crimes contre nature» qui vont du sexe oral à la zoophilie et à la nécrophilie. Autant dire que très peu de ces «criminels» constituent une menace pour la société mais, depuis l'instauration de la loi de Megan, ils sont tous mis dans le même sac.” Joy Castro relativise avec raison cette stigmatisation censée rassurer les voisinages. Sans être dupe, non plus, des pervers qui se prétendent (faussement) guéris après la prison.

Derrière ses attraits festifs, la ville est menaçante, voire dangereuse, et la possession d'armes par les civils n'arrange rien. Le côté polar ou roman noir sont bien présents dans cette histoire, bien sûr. Néanmoins, ce qui en fait l'intérêt majeur, c'est ce qui concerne la sociologie. Y compris via la psychologie de la journaliste Nola, entre attirance et répulsion. Si elle fréquente des copines riches, dont Fabi Torres d'une famille mexicaine fortunée, elle a vécu le sort des hispaniques pauvres dans la ville en Noirs et Blancs. Au-delà d'une intrigue policière convaincante, voilà un suspense plein de qualités.

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