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4 janvier 2015 7 04 /01 /janvier /2015 05:55

Parmi les nouveautés en format poche de ce début 2015, deux titres publiés aux éditions Points sont incontestablement à retenir. “Terminus Belz”, le premier roman d'Emmanuel Grand, a été salué par les chroniqueurs autant qu'apprécié par les lecteurs. Quant à “L'étrange destin de Katherine Carr”, c'est un des plus insolites romans de Thomas H.Cook.

 

Emmanuel Grand : Terminus Belz

Belz est une petite île bretonne peuplée de pêcheurs, au large de Lorient. Marko Voronine y débarque, ayant été embauché comme marin-pêcheur par Joël Caradec. Ce que cherche surtout Marko, c'est qu'on l'oublie quelques temps. Clandestin venu d'Ukraine, il a fait le voyage dans un camion avec ses compatriotes Anatoli, Vasili et Iryna. Suite à un grave incident, ils ont supprimé les mafieux roumains qui les transportaient, récupérant l'argent qu'ils avaient versé. Les quatre Ukrainiens ont promis de se recontacter via Internet avant de tenter leur chance séparément. C'est ainsi que Marko a abouti sur Belz. Le microcosme insulaire n'est pas le meilleur endroit pour passer inaperçu. Un étranger inexpérimenté qui est engagé à la pêche au lieu d'un îlien chevronné, ça attire l'antipathie.

Pierrick Jugand, autre patron pêcheur local, apparaît le plus mécontent. Il semble prêt à dénoncer Marko. Dépressif, cet homme marié est tracassé par son métier toujours plus ingrat. Avec son équipage, c'est lui qui ramène d'une sortie en mer un pied humain coupé au tibia. Sinistre trouvaille, qui va amener sur l'île le commissaire Fontana, nouvellement en poste à Lorient, et son adjoint du cru, Pierre Nicol. Se montrant peu, Marko croise toutefois des gens moins hostiles. Tels Venel, le causant libraire, ou l'abbé Lefort, qui connaît bien les légendes et mystères sur cette “Île aux Fous”. Outre le vieux marginal Papou, figure insulaire qui se montre plutôt cordial avec Marko, l'Ukrainien fait encore la connaissance de la belle institutrice Marianne. Émissaire de la mafia roumaine, Dragos Munteanu est chargé de retrouver les fuyards…

Situer une intrigue sur une île est plus piégeux qu'il y paraît, une forme de théâtralité étant à craindre. Et les clichés (“l'environnement hostile”) ont la peau dire. Le réalisme naît d'abord à travers les personnages. Telle l'île balayée par les tempêtes, même s'ils sont tourmentés, ils se doivent de rester forts autant qu'ils le peuvent. Et d'agir à bon escient, ce qu'ils feront. C'est là que le clandestin Marko doit trouver sa place, dans un contexte qu'il ne maîtrise guère. S'il esquisse un peu de fantastique, avec l'Ankou symbolisant la mort dans l'univers celtique, l'auteur évite à juste titre de “charger” les effets. Ce mythe ayant beaucoup servi, il va ici “illustrer” l'aspect mortifère du récit. Quant à la mafia balkanique ou moldo-valaque lançant le menaçant Dragos à la poursuite des Ukrainiens, ça appartient au romanesque folklore des “méchants”. Un polar intense et convaincant, très agréable.

Polars poches 2015 : Emmanuel Grand – Thomas H.Cook (Éd.Points)

Thomas H.Cook : L’étrange destin de Katherine Carr

À Winthrop, George Gates rédige des portraits de personnalités locales, articles destinés au journal de cette petite ville. Cet écrivain a longtemps voyagé à travers le monde, ne négligeant pas d’en observer les facettes sombres. Finalement, il fonda une famille ici. Désormais, il vit seul, son fils Teddy ayant été enlevé et assassiné sept ans plus tôt. On n’identifia jamais le criminel. N’avoir pas su protéger son fils le rend encore maussade. Ancien flic, Arlo McBride ne put conclure deux enquêtes. Celle concernant Teddy, et une autre sur la disparition d’une poétesse de la région, Katherine Carr. Un suicide, selon la version officielle, peu satisfaisante. Par ailleurs, le cas de la jeune Alice, douze ans, ne peut laisser George Gates insensible. Atteinte de progéria, maladie du vieillissement accéléré, elle est très lucide sur son cas. Passionnée d’histoires à suspense, elle va l’aider dans ses investigations sur l’affaire Katherine Carr.

La disparition mélodramatique de cette femme de trente et un ans date d’une vingtaine d’années. Elle logeait en centre-ville, après avoir été violemment agressée dans la ferme isolée où elle habitait. Après cette attaque, elle vécut presque en recluse, sortant peu, n’écrivant officiellement plus. Katherine avait confié un manuscrit à son amie Audrey. Celle-ci accepte d’en prêter une copie à Georges Gates. Alice et lui vont le lire, l’étudier, le disséquer. Curieuse histoire mettant en scène un nommé Maldrow et son Chef, qui semblent animés de mauvaises intentions envers Katherine Carr elle-même. Encore que le rôle de Maldrow soit moins limpide que celui d’un simple tueur. Le scénario ressemble aux prémices de la disparition de Katherine. Mais les témoignages ne sont nullement clairs. Gates interroge Ronald, voisin qui fut suspecté d’être l’inconnu traquant Katherine. Il était hospitalisé quand elle a disparu, suite à une agression bizarre. Peut-être George devrait-il fouiner sur la piste d’un ex-employé de l’ancien abattoir, ou porter attention aux propos de cette femme inconnue qui s’adresse à lui ? Tandis que la mort avance, Gates essaie de percevoir la présence concrète du mal, comme la ressentait Katherine…

Avec Thomas H.Cook, il ne faut pas s’attendre à une enquête balisée. C'est un suspense frôlant le surnaturel, où l'on passe souvent de l'autre côté du miroir. Envoûtant, étrange, d'une construction très élaborée comme toujours. Plus que jamais, cet auteur expérimenté cultive les ambiances. Avec lui, on s’enfonce dans un épais brouillard de mystère, d’où aucune réponse ne parait pouvoir émerger. Peut-être n’est-ce pas nécessaire, d’ailleurs. Ce qu’il résume ainsi, au dénouement : “Une étrange lumière intérieure diffusait un éclat légèrement bleuté sur son visage, et sur ce visage, je lus toute une myriade de sentiments : chagrin, douleur, perte, pitié, et à cet instant, le bizarre et le fantastique, les touchers fantomatiques et les évènements insolites, les curieuses coïncidences et les coups du sort inexplicables se pétrifièrent dans mon esprit au point que j’eus la sensation d’être soudain tout au bord d’un étrange précipice face à une insondable infinité de possibles.” On remarque bien ici l’écriture raffinée de Thomas H.Cook, idéalement traduite par Philippe Loubat-Delranc. Un scénario qui s’avère diaboliquement fascinant.

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29 décembre 2014 1 29 /12 /décembre /2014 05:55

New York, vers la fin des années 1960. Âgée de quinze ans, A.N. appartient à une famille de Noirs. Il y a sa mère, Esther. Sa sœur Harriet a treize ans et son frère Charles a douze ans. Et le petit Edgar, bébé d'un an et trois mois. Les quatre enfants sont issus de pères différents. Celui d'A.N. s'appelait Joseph, il avait environ seize ans quand elle est née, et déjà des ennuis avec la justice. Le père d'Edgar passe parfois la nuit chez eux, mais il ne s'occupe pas de son môme. Leur mère touche chaque mois un chèque de l'Assistance. Il y a intérêt à compter au plus juste entre loyer et nourriture. Pour les vêtements d'occasion, il faut aller au magasin de l'Entraide. Les enquêteurs sociaux passent périodiquement. Dans leurs carnets noirs, ils notent les besoins. Ils font ce qu'ils peuvent, selon les cas.

Depuis peu, A.N. et sa famille ont emménagé dans un immeuble de la 104e Rue Ouest, à deux pas de Central Park. Il a fallu colmater les trous par où passaient les rats. Contre les cafards, on ne peut pas grand-chose. Les toilettes communes sont souvent hors d'usage. On se lave comme on peut, sans intimité. On dort comme on peut, dans l'unique pièce du logement. Il paraît que sur les toits de ces immeubles, on se drogue et on fait l'amour. La plupart du temps, il s'agit de mineurs. Selon l'enquêteur social, “cet immeuble est destiné à être sale. Il existe pour être sale, il est habité par des gens qu'on n'accepte nulle part ailleurs, c'est le dépotoir du bureau de l'Assistance.” Pourtant, la mère d'A.N. ne fait pas beaucoup d'effort pour chercher ailleurs. Le reste du quartier ne vaut pas mieux, en fait.

D'avance, la mission des professeurs est un échec. Apprendre ? A.N. est une des rares qui va à l'école pour ça. Les autres font du chahut, mais savent à peine lire et écrire. Miss A. incite A.N. à persévérer, à passer des examens. Elle vient d'une famille d'enseignants et d'avocats, des Blancs aisés. Miss A. ne désespère pas encore de l’École, même si elle est lucide sur ses élèves. Lisant un maximum, A.N. part quelquefois à la découverte de sa ville, New York. Cet été-là, elle passera même deux semaines dans un camp de vacances, découvrant avec étonnement la campagne. Mais ce n'est que pour mieux revenir dans la crasse de cet immeuble vétuste de la 104e Rue Ouest. Dans sa famille, le quotidien ne fait que se dégrader. Charles et Harriet y sont pour beaucoup.

Son frère a commencé à se droguer. Puis il a fait une fugue, durant une douzaine de jours. On l'a retrouvé chez un homo malsain. À douze ans, Charles ne risque pas de poursuites. Il va bientôt quitter sa famille, et tout faire pour ne pas être repris. Harriet rate l'école, car elle couche avec un gars de son âge, espérant faire un bébé afin de mener sa vie au frais de l'Assistance. Elle risque surtout de récolter une blennorragie. Leur mère est hospitalisée un temps, suite à un avortement sauvage. Les enquêteurs sociaux se succèdent, pour la plupart peu motivés. Ils ne peuvent rien pour “cette espèce particulière de pauvres, les pauvres sacrés, qu'on ne doit pas toucher, pas déranger, pas troubler, à qui on ne doit pas poser trop de questions.” Parce que l'Assistance reste le moindre mal…

Julius Horwitz : Journal d'une fille de Harlem (Éd.Points, 2015)

Il ne s'agit ni d'une intrigue policière, ni d'un roman criminel. Par son aspect sociologique, par son contexte sur fond de violence et de drame, il mérite néanmoins l'étiquette “roman noir”. Si le journal intime de cette jeune Noire est fictif, il montre pourtant les réalités de la misère new-yorkaise dans ces années-là. Un témoignage basé sur l'expérience de Julius Horwitz, qui fut assistant social. Il n'est pas question de nier le désœuvrement d'une population, ni les trafics qui ne leur rapporte guère plus pour vivre. On ne se voile pas la face sur le cas de ces femmes ayant tant d'enfants de pères différents. Le sort des propriétaires de ces taudis n'est pas tellement plus enviable que celui des locataires.

Mais se pose également le problème concret : aucun dirigeant ne cherche à résoudre la situation, à améliorer le logement, à trouver un système meilleur. Alors, comme la mère d'A.N., on s'installe durablement dans la pauvreté. “Je suis sûre que les poulets qu'on va tuer, les poulets dans leur cage, sont mieux traités que nous et sont mieux protégés jusqu'à leur mort. Les poulets doivent être propres, parce que les gens veulent manger des poulets propres” écrit la jeune fille avec amertume. L’Éducation étant peu valorisée dans ces milieux, il faut redoubler de volonté pour entretenir l'espoir d'en sortir. Le niveau social a-t-il progressé depuis l'époque décrite ? Oui, mais peut-être pas tant. Fascinant de vérité, un livre marquant.

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21 décembre 2014 7 21 /12 /décembre /2014 05:55

Shug Francis et son associé Fizzy Waters dirigent un garage auto qui leur permet depuis des années de faire du trafic de voitures volées. Gros bizness, affaire rentable, mais Shug ambitionne de s'emparer du réseau de Peter Jamieson, le caïd du trafic de drogue. En s'alliant avec le mafieux Alex MacArthur, qui a de sérieuses complicités bien placées, c'est jouable. Pour Fizzy, il y a trop de risque. Fort possible, car le tueur à gages Calum MacLean vient de supprimer le comptable de Shug, Richard Hardy. En même temps que le nommé Kelly, pas réglo avec Jamieson. C'est ainsi que Calum compte enterrer sa dernière mission. Il lui faut disparaître sans laisser de traces exploitables par son patron.

Il n'a guère pu mettre d'argent de côté, car l'organisation de Jamieson surveille sûrement ses mouvements bancaires. Depuis l'affaire Frank MacLeod, on lui fait confiance, mais jusqu'à un certain point. Calum a donc besoin de son frère William pour obtenir certains faux-papiers. Lorsqu'on remarque la disparition du comptable Hardy, ça intéresse l'inspecteur Michael Fisher. Vu qu'il était employé par Shug Francis, les dossiers de Richard Hardy pourraient parler. Deana Burke, la compagne de Kenny, contacte le policier Fisher. Elle est convaincue de la mort de son ami, indic de l'inspecteur. Jamieson et son associé Young restent informés de tout ce qui se trame, via le truand George Daly ou le flic corrompu Greig. Ils savent pour Deana et la police.

Ils envoient quelqu'un pour la calmer, celle-là. Après la visite de l'émissaire du caïd, Deana informe avec véhémence l'inspecteur Fisher qu'il y a des fuites dans son service. Greig, très certainement, se dit le policier. Ce qui conforte la piste Shug Francis. William MacLean doit inventer une histoire pour leur mère, afin qu'elle ne s'inquiète pas de ne plus voir Calum. Il se méfie aussi du faussaire, mais il obtient les papiers commandés. Tout se passe bien, en apparence, sauf qu'un fouineur a compris le lien entre le faussaire et le gang Jamieson. Shug Francis demande à Hutton, son tueur à gages, d'éliminer son associé Fizzy, malgré leur amitié de toujours. Mauvaise idée, selon Hutton. Alors, il consulte indirectement le camp Jamieson pour savoir comment agir…

Malcolm Mackay : Ne reste que la violence (Éd.Liana Levi, 2014)

Il existe mille manières de décrire les milieux mafieux, et d'évoquer l'un des personnages-phares de cette mythologie, le tueur-à-gages. On imagine que ces exécuteurs n'ont guère la possibilité de “sortir du dispositif”, puisqu'ils savent qui commanditent les meurtres. Le cas de Calum MacLean est un peu singulier car on le voit tel un homme encore jeune, non pas comme un baroudeur blasé. Après “Il faut tuer Lewis Winter” et “Comment tirer sa révérence”, c'est la dernière étape de la trilogie dont il est le héros. Nul besoin d'avoir lu les précédents titres pour se plonger dans ses mésaventures. Impliquant son frère, non sans égoïsme s'avouera-t-il finalement, il profite de l'imbroglio créé entre les caïds de la région. Car c'est un chassé-croisé entre eux qui est le moteur de cette intrigue. Le policier Fisher espère, de son côté, ramener dans sa nasse de gros poissons du banditisme.

Les chapitres sont courts. L'auteur ne situe pas les lieux géographiques, esquisse tout juste les décors des scènes. Une volonté qu'on peut regretter, çà et là quelques précisions n'auraient pas nui. On l'a bien compris, la tonalité se veut sèche. À l'exemple de Deana, face à Fisher qui reste distant : “Elle peut voir ses efforts. La tension que lui impose la simple conversation. Mais elle ne perçoit pas sa répugnance, ou du moins ne l'identifie pas. Elle pense seulement que c'est un con arrogant.” Qu'on ne cherche aucun humour, même allusif, dans le récit. Le crime pur et dur ne fait pas de sentiment. Une sombre froideur règne dans cette histoire, exprimant le besoin viscéral de Calum de disparaître. En semant le chaos derrière lui, si possible. Les amateurs de noirceur dans le polar ne peuvent qu'apprécier ce suspense.

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19 décembre 2014 5 19 /12 /décembre /2014 05:55

Un recueil de neuf nouvelles de Pascal Garnier (1949-2010)

"Elle et lui" : C'est certainement la première fois qu'ils prennent le même métro. Elle, jeune employée de bureau, mène une vie très active et aime à se cultiver. Elle rêve parfois à Constantine, le ville d'origine de ses parents. Elle n'attire pas plus que ça l'attention. Lui, il travaille au rayon poissonnerie d'un supermarché. Même en se nettoyant bien, un odeur de marée persiste sur lui. Il rentre chez lui, s'inquiétant pour son vieux chat. Une panne du métro, ça perturbe et retarde les passagers. Il fait nuit quand elle et lui descendent à la même station.

"Vieux Bob" : Le café-tabac-restaurant d'Arlette, elle l'a hérité de sa mère. De même que le vieux berger allemand Bob, gardien illusoire des lieux. Il se traîne quelquefois, rarement, jusqu'à l'arbre d'en face pour y faire ses besoins. Sinon, il reste douillettement installé non loin du comptoir. Pendant le service, il gêne le personnel qui va et vient. Bien davantage que Pierrot, le pilier de comptoir qui écluse bière sur bière. Qu'on l'envoie faire un tour à la campagne, ça ne dérange pas le vieux Bob.

"Cabine 34" : C'est un vacancier anonyme en villégiature pour une quinzaine de jours en bord de mer. À la plage, allongé sur sa natte, il observe la famille qui occupe la cabine 34. Des gens qui possèdent sûrement une villa cossue dans les environs. Parmi leurs enfants, c'est surtout la gamine qui retient l'attention de ce touriste. Au point de lui inspirer un désir obsédant. Il aimerait bien approcher de plus près cette famille et la petite fille, savoir où donc habitent ces voisins de plage et leur chien Boulou.

"Ville nouvelle" : La famille Jantet s'est installée ici voilà une douzaine d'années. C'était plus que neuf, puisque tous ces quartiers étaient encore en chantier. Robert et Édith, les parents. Olivier et Nelly, les enfants. Les Brisseau et leur fils Antoine, les voisins. Ni loin, ni près de Paris, propre mais pas tellement vivant, comme souvent ces villes nouvelles. Le temps a passé. Il y a un an que, après Olivier, sa sœur Nelly a quitté la maison. Une sorte de fuite, car elle revient rarement déjeuner en famille. Édith ressent une nervosité morose qu'elle s'efforce de masquer tant bien que mal.

"Paris-Melun-Paris" : Un trajet dans un train de banlieue. C'est aussi bien un vieux couple qui rentre vers Melun, sans avoir grand-chose à se dire, observant le paysage déjà connu. Ou, dans l'autre sens, un jeune homme un peu tendu accompagné de ses parents. Lui, il va prendre le train seul, abandonnant ses proches sur le quai de la gare.

"Eux" : Ils se sont rencontrés la veille dans un bal, à Caen. Victor est Malien, vivotant depuis quelques années en France, logeant dans un foyer, s'habillant classe pour sortir. Il bosse aux entrepôts, derrière la gare. Née ici, la très brune et rondelette Zoubida est fille de Harki. L'ambiance familiale est plus ennuyeuse que tout pour elle. Chacun de son côté, Victor et Zoubida estiment que ce bal n'a rien de tellement excitant. Ensemble, ils éprouvent un besoin d'évasion. Une parenthèse qui n'a pas nécessité de les mener loin, juste jusqu'au bord de la mer.

Pascal Garnier : Vieux Bob (Éditions In-8, 2014)

Publié dans la collection Polaroid dirigée par Marc Villard, ce recueil inclut encore trois autres nouvelles : “La barrière”, “Couple chien plage”, “Ami”. Dans tous ces textes, c'est un regard aiguisé sur le quotidien que porte Pascal Garnier. Peu de faits marquants, ni de réel héroïsme, dans la population lambda. Invisible parmi la foule, on prend le métro ou le train. Ou, tels Édouard et Marie-Hélène, jeune couple modeste et futurs parents, on se balade dans les rues tristes avec un landau. On rumine certains souvenirs, peut-être des moments un brin plus heureux.

Il arrive qu'un fantasme malsain traverse l'esprit, avec ou sans conséquence. On va au boulot, à la plage, ou manger dans ce bistrot dans lequel rôde un vieux chien inoffensif. Ces moments et ces images, c'est avec humanisme que l'auteur savait les décrire. Photos instantanées qui nous parlent du monde tel qu'il va, en bien et en mal, beaucoup mieux que ne le ferait un sociologue. Pascal Garnier a su illustrer la banalité apparente de notre quotidien, ces neuf nouvelles en témoignent.

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12 décembre 2014 5 12 /12 /décembre /2014 05:30

Chaque mois de décembre, Action-Suspense vous présente une sélection de ses meilleurs polars de l'année. Cette fois, il y en aura douze. Sélectionner, c'est se montrer subjectif. Choisir, c'est éliminer et garder, en restant le plus honnête possible. À contre-cœur, se résoudre à limiter, afin d'éviter une liste pléthorique qui n'aurait plus aucun sens. Quels critères ? Quelques-uns de ces titres-là ont très probablement eu moins d'écho en 2014, ou trop brièvement. D'autres possèdent une force flagrante ou une originalité bien réelle. Et puis proposer des univers différents, des tonalités personnelles, un certain sens de la narration ou de l'écriture. Six Français, six Étrangers, la diversité est toujours le maître-mot. Y compris en ce qui concerne les éditeurs, onze pour douze titres.

Avant de découvrir cette liste, un tir groupé pour saluer l'excellence d'un auteur hors sélection. Avec ses trois titres publiés en 2014, “Dernière conversation avec Lola Faye” (Points) - “Le dernier message de Sandrine Madison” (Seuil) - “Le secret des tranchées” (Ombres Noires), Thomas H.Cook reste un écrivain remarquable, supérieur. Lui qui débuta par d'aimables romans dans la Série Noire, a affiné son style au fil des ans et des romans. On le pressentait avec “Les rues de feu” (1992), il l'a confirmé avec chacun de ses titres suivants, jusqu'à aujourd'hui encore. Plus que jamais, si ce n'est pas encore le cas, voilà un écrivain à lire. En marge de cette sélection, il méritait un hommage particulier.

2014 - Les 12 meilleurs polars de 2014

Les 12 meilleurs polars de 2014 :

Shannon Burke « 911 » (Ed.Sonatine)

Alain Gagnol « Un fantôme dans la tête » (Ed.Le Passeur)

Norman Spinrad « Police du peuple » (Ed.Fayard)

Nicolas Mathieu « Aux animaux la guerre » (Ed.Actes Noirs)

Dan Fante « Point Dume » (Ed.Seuil)

Elena Piacentini « Des forêts et des âmes » (Ed.Au-delà du Raisonnable)

Chris Womersley « La mauvaise pente » (Ed.Albin Michel)

Franck Bouysse « Grossir le ciel » (Ed.La Manufacture de Livres)

Marco Malvadi « La briscola à cinq » (Ed.10-18/Christian Bourgois – inédit)

Jacques-Olivier Bosco « Quand les anges tombent » (Ed.Jigal)

Håkan Nesser « Un été avec Kim Novak (Ed.Seuil)

Patrick Caujolle « Beau temps pour les couleuvres » (Ed.du Caïman)

2014 - Les 12 meilleurs polars de 2014

Shannon Burke « 911 » (Ed.Sonatine) : En 1993, Oliver Cross débute comme ambulancier à la Station 18 de Harlem. Il compte de nouveau tenter l'examen d'entrée en médecine. Ce qui lui vaudra d'être surnommé “Le Légiste” par ses collègues. Ollie admet être moins combatif que sa petite amie Clara, déjà admise en médecine. Chez les urgentistes new-yorkais, il va devoir s'accrocher. D'abord, éviter d'être éjecté… Se servant de sa propre expérience d'ambulancier à New York, Shannon Burke va très loin dans le réalisme. Une histoire puissante, un témoignage sans lyrisme excessif, un roman remarquable.

Alain Gagnol « Un fantôme dans la tête » (Ed.Le Passeur) : Le commissaire Massé, son supérieur, n'ignore pas l'impétueuse nature de Marco Benjamin, flic lyonnais quadra. Il l'a pourtant désigné comme chef de groupe, pour enquêter sur un tueur en série qui s'attaque à des adolescentes. Le coupable est un cruel sadique qui torture à mort ses victimes. La dernière disparue est âgée de seize ans, Jennifer. Il retrouve son corps ensanglanté. Plutôt que de sombrer dans la déprime, il créé le personnage de Suicide-Man. Il applique des méthodes pouvant laisser perplexes sa hiérarchie et ses collègues. Il s'embarque dans de passionnantes aventures et mouvementées.

Norman Spinrad « Police du peuple » (Ed.Fayard) : À La Nouvelle-Orléans, après l'ouragan Katrina, parce qu'il faut reconstruire et relancer l'économie locale, l'argent afflue et le crédit permet de croire en un avenir plus serein. Quand les financiers risquent de ruiner la ville, un jeune policier et un patron de bordel prennent la tête de la rébellion, avec une célèbre prêtresse vaudoue comme icône. Malgré les pressions et les élections en cours, ils ont de bonnes chances de transformer les flics locaux en Police du Peuple, et de faire régner ici une fête permanente. Un roman très excitant, imaginant un utopique nouveau départ sur des bases saines, après la catastrophe et malgré le pouvoir de l'argent.

2014 - Les 12 meilleurs polars de 2014

Nicolas Mathieu « Aux animaux la guerre » (Ed.Actes Noirs) : Dans les Vosges, aujourd'hui. Martel est syndicaliste à l'usine Velocia, fabriquant des fournitures pour l'automobile. La crise s'y fait de plus en plus sentir, confortant son rôle social. Même si, par besoin d'argent, il se livre à des activités illégales. Rita Kleber est inspectrice du travail. Elle exerce son métier avec fermeté, mais humainement, sans chercher à nuire aux entreprises de la région. C'est de La Ferme de Pierre Duruy, ancien de l'OAS, que s'est échappée la jeune Victoria. Rita préfère éviter de la confier à la police… Un véritable «roman social» comme on n'en écrit plus guère, hélas. Un des titres marquants de 2014.

Dan Fante « Point Dume » (Ed.Seuil) : Retour au bercail pour JD Fiorella, 44 ans. Il a exercé plusieurs jobs à New York, dont celui de détective. Cet ex-alcoolo migraineux désargenté sujet à des cauchemars est revenu s'installer chez sa mère, à Point Dume. Longtemps isolé, ce quartier de Malibu héberge d'anciennes gloires d'Hollywood, friquées mais pointant comme lui aux réunions des Alcooliques Anonymes. Son pote Woody lui a trouvé un boulot de vendeur à la concession Toyota du coin. Mais les ennuis vont vite se bousculer sur son parcours… Dans la meilleure tradition du roman noir,où le héros loser est confronté à des aventures mi-sombres, mi-amusantes.

Elena Piacentini « Des forêts et des âmes » (Ed.Au-delà du Raisonnable) : Experte en informatique, la frêle Aglaé Cimonard appartient à l'équipe du commandant Pierre-Arsène Leoni, à la Brigade criminelle de Lille. Elle est dans le coma, victime d'un accident avec une voiture pendant son jogging. Tandis que Mémé Angèle la réconforte, Leoni et la médecin légiste Éliane Ducatel vont enquêter dans les Vosges… Nul favoritisme dans le choix de ce polar, car l'auteure nous a concocté un suspense impeccable, prouvant là qu'elle figure parmi les meilleures romancières françaises du moment.

2014 - Les 12 meilleurs polars de 2014

Chris Womersley « La mauvaise pente » (Ed.Albin Michel) : La première mission importante du jeune Lee, malfaiteur âgé d'une vingtaine d'années, consistait à intervenir chez la famille Stella, mêlée au trafic du caïd Marcel. Ils lui ont tiré dessus, puis ils ont déposé son corps dans un motel miteux, avec la valise de Lee contenant 6000 $. Wild est un médecin quinquagénaire aux yeux bleus, à l'allure fatiguée. Morphinomane, il a plusieurs fois tenté de décrocher, sans succès. Sa dépendance lui a fait commettre une erreur médicale. Ayant tout quitté, il s'est arrêté dans ce même motel minable où Lee gît, gravement blessé. Ils auront bientôt aux trousses le vieux truand Josef… Parfait exemple du roman noir, où le Destin des protagonistes est implacable.

Franck Bouysse « Grossir le ciel » (Ed.La Manufacture de Livres) : Quinquagénaire célibataire, le paysan Gustave Targot (dit Gus) vit dans la ferme héritée de sa famille, avec son chien Mars, dans les rudes montagnes des Cévennes. Son voisin, c'est le veuf Abel Dupuy, dans les 70 ans. Tous deux sont un peu chasseurs, bien sûr. Ils ne se fréquentent pas tellement. En ce froid hiver neigeux, Gus est triste d'apprendre le décès de l'Abbé Pierre. Ce jour-là, il entend cris et coups de feu du côté de chez Abel. Il y a des traces de sang dans la neige. Ce n'est pas son voisin qui lui fera des confidences… Intrigue à suspense et écriture d'excellent niveaux, un polar rural qui sonne juste.

Marco Malvaldi « La briscola à cinq » (Ed.10-18/Christian Bourgois) : Trentenaire divorcé, Massimo Viviani est le propriétaire du BarLume, un bistrot de Pineta, station balnéaire proche de Livourne, en Toscane. Son grand-père Ampelio (82 ans) et ses amis sont des habitués. Avec eux, il arrive qu'il joue à la briscola, un jeu de cartes typique, où jusqu'à cinq joueurs se confrontent. Ce jour-là, les quatre mousquetaires de sa terrasse s'intéressent à l'affaire où Massimo a découvert le cadavre de la jeune Alina Costa dans une poubelle. Selon la population, “l'Illustrissime Commissaire Fusco” est un couillon incompétent. Massimo va mener sa propre enquête… Il s'agit d'un inédit en format poche, une délicieuse comédie policière traditionnelle, très souriante, avec son lot d'hypothèses.

2014 - Les 12 meilleurs polars de 2014

Jacques-Olivier Bosco « Quand les anges tombent » (Ed.Jigal) : Cinq enfants viennent d'être séparément kidnappés, avant d'être séquestrés ensemble sur un bateau. Pas n'importe quels mômes : Il s'agit de la fille de l'avocate Nathalie Ruiz et de Matéo Rizzo, de celle du juge Tranchant, de la fillette du policier Lauterbach, des fils du préfet de police Rollin et d'Elvio Vitalli. Le kidnappeur c'est le cruel Vigo Vasquez, parvenu à s'évader de prison grâce à des circonstances particulières. Il exige que la vérité soit faite sur l'accusation de meurtre d'enfants qui le conduisit en taule… Un roman d'action d'une belle vivacité, riche en rebondissements et en suspense. On se régale, tout simplement.

Håkan Nesser « Un été avec Kim Novak » (Ed.Seuil) : Début des années 1960, en Suède. Erik est un adolescent de quatorze ans. Il a un grand frère, Henry, de huit ans son aîné. Il est prévu qu'Erik et Henry passent l'été dans leur maisonnette appelée Tibériade, au bord d'un lac à vingt-cinq kilomètres de chez eux. Henry veut en profiter pour écrire un roman existentialiste. Edmund, récent copain de classe d'Erik, va partir en vacances avec eux. Une enseignante remplaçante a marqué les esprits durant les dernières semaines de l'année scolaire. L'éclatante beauté d'Eva Kaludis est comparable à celle de Kim Novak, une des stars américaines de cinéma de l'époque. Erik et Edmund fantasment sur elle. Eva est fiancée à Bertil Albertsson, dit Berra, champion de hand-ball connu dans toute la Suède. L'été s'annonce moins paisible que prévu, quand Henry devient l'amant d'Eva… Un suspense nuancé, tout en finesse, dans une ambiance sixties de bon aloi. Une histoire plus perverse qu'il y paraît.

Patrick Caujolle « Beau temps pour les couleuvres » (Ed.du Caïman) : Gérard Escaude est un policier de 43 ans, du commissariat Ouest de Toulouse, quartier Saint-Cyprien. Vingt ans qu'il exerce le métier, avec des hauts et des bas. Une sexagénaire, Mme Duval, a été poignardée à son domicile. En état de choc, son mari a été hospitalisé. Le retraité de la SNCF Marcel Duval est le présumé assassin de son épouse. Il essaie de s'évader de l'hôpital, avant d'être rapidement rattrapé et interrogé par Gégé. Une affaire pas si banale que l'a cru Gérard, qui risque d'être berné malgré son expérience… À travers son héros, l'ancien policier Patrick Caujolle retrace l'état d'esprit du métier de policier, l'évolution des pratiques. Le témoignage est un des éléments de l'histoire, sans oublier pour autant une véritable intrigue. Un roman policier authentique, bien écrit, et passionnant.

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11 décembre 2014 4 11 /12 /décembre /2014 05:55

Vous avez perdu vos parents dans un laps de temps finalement assez court, trois ans. Crise cardiaque pour l'un, Alzheimer pour l'autre, imparable et ordinaire. Votre frère aîné Antoine n'a pas paru plus ému que ça. Ensuite, votre trajet pour rentrer du boulot sous la pluie vous semble sale, morne, insipide. Une halte dans un bistrot où l'on ne vous connaît pas ne vous requinque guère. Ça ne vous surprend pas. Enfin, vous regagnez votre logement loué depuis une dizaine d'années, resté anonyme. Autant que vous l'êtes aussi, transparent, au bureau vis-à-vis de vos collègues. Pour Noël, vous allez réveillonner chez votre frère et son épouse enceinte, Isabelle. Ça ne change rien à votre solitude, ambiance trop convenue malgré la sympathie de votre belle-sœur.

Inadaptation au monde réel, vous savez bien que tel est votre cas. À cause de la fatigue au travail et de cette multitude croisée dans les rues, vous avez l'impression que votre appartement a été visité en votre absence. Vous n'imaginez pas qu'il s'agit de paranoïa. Vos photos de familles confirment douloureusement votre peu d'importance depuis toujours. Vous admettez être attiré par votre belle-sœur. Non pas pour le lien qu'Isabelle préserve avec votre frère Antoine. Juste parce que c'est elle, et qu'elle hante quasiment en permanence vos pensées. Vous vous interrogez sur la réalité des gens autour de vous, dans ce théâtre qu'est la rue.

Vous vous débarrassez de votre téléphone qui sonne, mais auquel vous ne répondiez plus. Ainsi, vous coupez le contact avec Isabelle. Vous vivez tel recroquevillé dans votre appartement. Que vous videz bientôt de tout ce qui vous dérange, vous étouffe. Votre obsession envers Isabelle s'amplifie, image sans doute déformée. Dehors, vous y allez encore, malgré ces passants trop nombreux, obligé de vous frayer un passage. Vous utilisez le téléphone public d'un hall d'hôtel. Ce n'est pas à Antoine que vous voulez parler. Isabelle, sa voix au bout du fil, vous fait-elle toujours du bien ? Aller jusqu'à chez eux, clandestinement, peut-être. Aller jusqu'où dans votre isolement, dans votre tête ?

Sylvain Kermici : Hors la nuit (Série Noire, 2014)

L'auteur s'impose un double handicap. D'abord, il s'agit d'un court roman de cent pages. Le format “novela” ne convainc pas forcément, bien qu'il puisse s'avérer le mieux adapté à certains textes, comme ici. Ensuite, il est légitime de se poser des questions sur le côté “exercice de style” choisi dans ce cas. Très souvent, le résultat est abscons, creux, trop peaufiné au point d'en devenir artificiel, avec parfois une “déconstruction” outrancière du récit. On n'aborde pas sans méfiance un roman court cultivant une écriture particulière, il faut le reconnaître. La forme voulue par Sylvain Kermici offre, malgré la quasi-absence de dialogues, un vrai tempo à cette intrigue. Il ne tombe jamais dans le piège du “décousu”. Le pari est donc parfaitement réussi.

Ce narrateur anonyme, mal dans sa peau et dans son quotidien, nous apparaît familier. On a connu un voisin ou un collègue comme lui. Ni antipathique, ni assez liant pour qu'on s'en fasse un ami. Est-ce lui qui s'écarte sur le passage des autres, ou l'inverse ? Est-ce qu'il fuit parce qu'il est trop timoré, se réfugiant certainement dans son espace privé ? On n'a pas à s'attarder sur le sujet. Fait-il une fixation sur une séduisante employée qu'il côtoie, sur une femme du voisinage ou de sa famille ? Son anonymat le rend pourtant asexué aux yeux des autres. Dans notre société du “socialement inséré”, aucune raison de redouter un dérapage criminel, un passage à l'acte. Néanmoins, le subconscient de chacun reste fort énigmatique. Le portrait d'un de nos contemporains, voilà ce que dessine Sylvain Kermici dans cette histoire à découvrir.

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10 décembre 2014 3 10 /12 /décembre /2014 05:55

Cette édition regroupe en deux volumes l'ensemble des 137 nouvelles (sans Maigret) parues sous son nom, de Georges Simenon. Elles furent publiées dans la presse, puis reprises dans des recueils ou non. Classées par ordre d'écriture, de 1929 à 1953 en deux tomes, elles ne sont pas toutes policières, montrant l'universalité du grand écrivain belge. Elles sont préfacées par Jean-Baptiste Baronian, écrivain, critique, président des Amis de Georges Simenon, ancien éditeur. Chaque nouvelle est accompagnée d'une notice bio-bibliographique. Ce qui permet d'éclairer, année après année, ce qu'était la vie et la production de Simenon. Détails qui offrent une perspective intéressante sur les sources de son inspiration.

Même si l'on pense connaître globalement le parcours de Georges Simenon, il faut lire la double préface de Jean-Baptiste Baronian : “Itinéraire d'un écrivain gâté et boulimique” (tome 1) et “Affamé de littérature” (tome 2). Il nous raconte de manière très vivante les étapes et les motivations de l'écrivain. Les deux ouvrages reprennent les séries d'enquêtes qui furent réunies dans “Les treize mystères” puis les recueils qui suivirent, ainsi que les enquêtes de l'Agence O (du détective Torrence) et celles du Petit Docteur. Et bien d'autres textes variés, évidemment.

Ce n'est pas le genre de livre qu'on lit en une seule fois. Pour en apprécier les intrigues, pour les savourer, on aime picorer çà et là, au gré de notre humeur. Dans la chronologie d'écriture ou pas. Selon les cas, lire juste une ou deux nouvelles, peut-être se laisser séduire par une douzaine de textes. On garde ces ouvrages à portée de main, le moment propice pour s'y replonger se présentant souvent. Si Georges Simenon est le “père” de Maigret, la lecture de ces nouvelles prouve une autre facette de son talent.

 

Quelques exemples choisis parmi ces 137 nouvelles nous montrent bien la diversité des intrigues exploitées par Simenon.

Sing-Sing (1931) : Dans le port de Boulogne. Naguère, ce rouquin avait acquis un dundee de cent-vingt tonneaux, un fier navire. Il eut des ennuis qui le conduisirent en prison pour plusieurs années, aux États-Unis. C'est de là que vient son surnom, Sing-Sing. Revenu à Boulogne, il est simple docker, “rat de quai”. Cette nuit-là, on tire sur un négociant un peu saoul rentrant chez lui. Il n'est que blessé. Le client de la chambre 15 du Grand Hôtel semble peu désireux de croiser Sing-Sing. Fanny, la fille de salle du bistrot Chez Émile, est une des clés de cette tentative de meurtre. (Début d'histoire proche d'un des grands titres de Simenon, “Le chien jaune”).

L'as de l'arrestation (1934) : L'inspecteur Sancette a la réputation avérée d'être un expert pour alpaguer les suspects. La présence du truand américain Ted Brown est signalée dans un palace parisien. Ce pro du banditisme est capable de tout faire exploser si on tente de l'arrêter. Ça ne décourage pas le policier Sancette, qui semble au contraire s'en amuser.

Popaul et son cuisinier (1935) : En Afrique-Équatoriale, Popaul exploite une concession d'okoumé et d'acajou. Gros travailleur, il gagne beaucoup d'argent durant quelques années. Il est aussi généreux quand il fait la fête. Popaul sait que, tel son voisin Janvier, on peut perdre la tête dans ces forêts isolées, et finir en prison. Entouré de nègres malsains, lui-même n'est pas à l'abri d'un dérapage.

Georges Simenon : Nouvelles secrètes et policières 1929-1953 (Omnibus, 2014)

L'aventurier syndiqué (1935) : Ce navigateur à la voile débarque à Wellington, en Nouvelle-Zélande. C'est un pays bien plus froid qu'il ne l'imaginait. Il repère bientôt un compatriote français. Âgé de trente ans, Millet est parti à l'aventure après un scandale étouffé par son père, avocat parisien. On aboutit toujours là où on n'a pas prévu d'arriver, admet Millet. Il espérait au moins jouir d'une véritable liberté en se posant ici. Entre son job routinier sur les quais et le mode de vie local, rien d'excitant.

Monsieur Mimosa (1936) : Une petite ville de banlieue parisienne. Trois galopins observent les policiers qui ont investi la maison d'un suspect en son absence. Sûr qu'ils sont là pour le cravater dès son retour en soirée, après qu'il ait passé l'après-midi à jouer aux courses. Pourtant, ce Monsieur Mimosa aux allures de gentleman très british, le trio de mômes n'a rien à lui reprocher. Non, il n'a jamais été agressif envers eux.

Le baron de l'écluse (1940) : Sur le canal de la Marne à la Saône, se trouve l'écluse de Bissancourt, la n°68. À deux kilomètres et demi du village, il y a là une maison d'éclusier et le bistrot restaurant de Maria. Par une hivernale période pluvieuse, le yacht Potam fait relâche à cet endroit. Il se dirige vers la Côte d'Azur. À son bord, Jo Dossin – appelé communément le Baron, et son amie demie-mondaine Lola. Bien qu'ils ne disposent plus que de quelques francs, avec sa belle casquette et son monocle vissé sur l'œil, le Baron reste digne. Il espère un mandat de 200.000 Francs de la part de son ami John. Il l'a gagné en tant qu'intermédiaire dans une transaction, sa spécialité. À la poste du village, le mandat n'arrive pas malgré le télégramme du Baron adressé à John, signalant l'urgence. Sans manger, Lola et le Baron s'enivrent à bord. Le Baron a sans doute remarqué que sa prestance ne laissait pas insensible la douce Maria. (Un classique du cinéma français sorti en 1960, dialogué par Michel Audiard, avec Jean Gabin, Micheline Presle et Blanchette Brunoy, touchante dans le rôle de Maria).

Le bateau d’Émile (1945) : A Fécamp, Émile Bouet vient de racheter le meilleur bateau de son ancien employeur, le riche François Larmentiel. Âgé de trente-huit ans, Émile vit depuis cinq ans avec Fernande, ex-prostituée. Une relation parfois brutale, sur laquelle beaucoup ici s'interrogent. Il vaut mieux qu'Émile fête son acquisition au bistrot de Léon, entre amis, qu'au café où se réunissent les petits armateurs locaux. Obsédé par Fernande, il s'enivre plus qu'il ne devrait. D'autant qu'Émile pourrait devenir le fiancé de l'héritière Larmentiel, il l'a bien compris, au lieu de végéter avec Fernande. Les jours suivants, il tarde à démarrer sa première campagne de pêche. Il compte éloigner sa compagne de Fécamp, pendant qu'il sera en mer. Pourtant, c'est à cause de lui si elle rate son train. Trop alcoolisé, Émile envisage de se débarrasser de Fernande. Sauf que c'est quelqu'un d'autre qui est à l'origine de ses tourments. S'il est un homme, Émile doit agir. (Excellent film de 1962 adapté de cette nouvelle, dialogué par Michel Audiard, avec Lino Ventura, Annie Girardot, Pierre Brasseur, Michel Simon).

Le gros lot (1953) : Marié depuis dix-sept ans, Charles Perrin est un petit comptable de quarante-trois ans sans la moindre ambition. Jamais il ne demande d'augmentation à son patron. Entre sa femme et sa fille Nicole, quatorze ans, sa vie dans le quartier Saint-Antoine suffit à son bonheur. Un jour, il gagne le gros lot de la Loterie Nationale. Perrin touche anonymement cette grosse somme sans en parler à sa famille. Il démissionne de son poste de comptable, et passe son temps à la Bibliothèque Nationale pour se cultiver. Pour son épouse, il s'invente de meilleures conditions de travail, un meilleur salaire.

À noter, “Le petit tailleur et le chapelier” (1947) et “Bénis soient les humbles” (1948), deux nouvelles aux dénouements différents. Le tailleur Kachoudas et le chapelier M.Labbé seront finalement les héros du roman “Les fantômes du chapelier”, publié en 1949.

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9 décembre 2014 2 09 /12 /décembre /2014 05:55

D'origine française, Dany Cohen et Guy Touitou sont devenus policiers en Israël, où ils se sont installés. Une famille de cinq personnes a été massacrée dans une colonie juive, non loin de Naplouse. C'est le Shabak, la sécurité nationale, qui est chargée de l'affaire, Dany et Guy n'étant que des observateurs. Le mari, chimiste dans une société pharmaceutique, et sa famille n'étaient pas des fanatiques de la colonisation dans les territoires occupés. C'est par proximité de l'emploi de M.Uzan qu'ils habitaient là. Néanmoins, Guy et Dany ont trouvé 90.000 dollars en liquide cachés chez lui, et encore 4.500 dollars dans son bureau. Ce qui mériterait des réponses. Le Shabak se pose moins de questions. Ils procèdent à l'arrestation d'une brochette de suspects à Naplouse malgré de faibles indices. Un attentat n'empêchera pas ces interpellations. Un des suspects en fuite sera bientôt abattu.

Âgée de trente-cinq ans, Maïssa Thabet est capitaine de police à Ramallah. Ses parents ont fait partie des proches de Yasser Arafat. Elle reste en contact avec des anciens de la cause palestinienne, aujourd'hui aisés et pacifiques. Suite aux arrestations, Maïssa est envoyée en mission à Naplouse. Les familles nient l'implication de leurs fils. La sœur d'un suspect fournit un alibi à son frère, ce qui sera confirmé par des caméras de surveillance. Hélas, une preuve trop vite détruite car la fatalité s'en mêle. Le riche Habib Marouane, ami des Thabet, avoue à Maïssa être finalement sceptique sur l'utilité d'une enquête. Quant à Oussama, le supérieur de la policière, il n'y croit guère non plus. Les enjeux sécuritaires d'Israël sont plus forts que l'action de la police de l'autorité palestinienne.

Un trafic de méthamphétamines sévit dans la région niçoise. Une affaire sur laquelle Gabin Mournet, flic des Stups, enquête avec d'autres services de police. La piste du patron du club Blues Power se précise, après les aveux d'un consommateur de meth. Une rafle dans cette boite permet d'arrêter Christophe Chambon, un dealer, et d'explorer ses douteuses relations monégasques. À Jérusalem, un type excité est abattu tout près du Mur des Lamentations. Sur lui, la police découvre exactement la même drogue que celle circulant à Nice. Il se la serait procurée du côté de Naplouse.

Gabin Mournet est envoyé en Israël, où Dany et Guy devront coopérer avec lui. Informée de ce trafic de drogues, Maïssa se rend au camp de Balata, sans doute au cœur de l'affaire. Un possible lien existerait avec le puissant Hamas, ou peut-être avec des religieux musulmans. Maïssa et son collègue y sont visés par des tirs. En parallèle ou ensemble, le flic français, le duo de policiers juifs et leur consœur palestinienne plongent dans un imbroglio d'autant plus périlleux qu'on est dans une région du monde instable…

Pierre Pouchairet : Une terre pas si sainte (Éditions Jigal, 2014)

Rares sont encore les polars ayant pour décor l’État d'Israël aujourd'hui. D'autant moins quand une part des faits se déroule côté palestinien. D'ailleurs, il est bon de se remémorer la géographie, même sommairement. Israël plus la Cisjordanie correspondent environ à la superficie de la région Bretagne. En plus désertique, mais avec une population plus dense en zones urbanisées. Les “colonies juives” sont ultra-protégées, ce qui coûte très cher à Israël. Sans oublier le Mur construit par les Israéliens, rendant les parcours entre les deux secteurs assez compliqués. Telle est la situation extrêmement complexe qui sert de toile de fond à cette histoire policière, et lui offre une originalité certaine.

Comme chacun sait, même en temps de guerre, le commerce continue. Autrefois, ce fut le marché noir. Désormais et depuis longtemps, malgré des contextes belliqueux, ce sont les trafics en tous genres qui fleurissent. Il serait surprenant qu'Israël échappe à ces bizness illégaux. Quand il met en scène ses quatre principaux personnages, l'auteur a l'habileté de nous les présenter comme des policiers expérimentés. Chacun est influencé par sa culture, mais ils restent des enquêteurs professionnels. Une aventure fort agitée les attend, non dénuée de réels dangers, où il est difficile de faire confiance à qui que ce soit. Un roman d'action réaliste et actuel, un suspense entraînant et très crédible, c'est ce qu'a concocté Pierre Pouchairet pour le plaisir des lecteurs.

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