Le 11 juillet 2010, je posais la question « L'éditeur Gallmeister aime-t-il le roman noir ? ». À la lecture de ses interviews, ceci ne me semblait pas probant. Puisqu’Oliver Gallmeister a pris la peine de répondre, il serait injuste de confiner ses propos dans les commentaires dudit article. Voici donc le texte intégral de son courrier.
« Cher Monsieur,
Puisque l’intitulé de votre message comporte une question, j’ai pensé qu’elle était peut-être une invitation au dialogue et je vais essayer de préciser en quelques mots ma démarche éditoriale.
D’abord, à titre personnel, oui, j’aime le roman noir. Sans en être un spécialiste ou prétendre appartenir à cette «famille» du polar que vous évoquez, j’en lis beaucoup et depuis longtemps. D’autres seraient en revanche certainement mieux placés que moi pour créer une maison d’édition dédiée intégralement à ce genre. Car ma passion est avant tout la littérature américaine, littérature dont le roman noir est l’une des composantes essentielles mais non exclusive. Mon désir était donc de devenir un éditeur de littérature américaine et particulièrement de littérature de l’Ouest américain, encore peu traduite. Le roman noir (et/ou policier, c’est un autre débat) est l’une des facettes de cette littérature des grands espaces et c’est pourquoi, par goût personnel et par souci de cohérence, j’ai décidé de lui consacrer une collection.
Quant à notre collection Americana, qui est dirigée par Philippe Beyvin, elle reflète ses goûts qui le portent vers une littérature plus urbaine et contestataire. Notre collection de poche en revanche décline l’ensemble de notre ligne éditoriale dont les romans noirs. Nos collections Nature writing et Noire sont ainsi deux déclinaisons d’une même sensibilité à la littérature des grands espaces. J’avoue que certains textes pourraient figurer dans l’une comme dans l’autre de ces collections.
"Sukkwan Island" n’est en rien un polar mais l’atmosphère et le suspens de ce roman peuvent correspondre au goût des amateurs du genre. Dans ce cas précis, jamais je n’ai pensé jouer avec "Sukkwan Island" la carte d’un élitisme. Si nous avons choisi de le faire entrer dans notre collection Nature Writing c’est que dans la démarche de David Vann, rien n’indiquait une appartenance au monde des littératures policières. Je pense que le débat qui consistait à défendre le polar face à une littérature prétendument plus haut-de-gamme est dépassé. Si la place du roman noir dans les média n’est peut-être pas encore ce qu’elle devrait être, libraires et lecteurs ne sont plus à convaincre de la valeur que peuvent avoir certains grands romans noirs. Comme le dit Craig Johnson, les auteurs de polars contemporains doivent composer pour des lecteurs exigeants qui veulent à la fois des intrigues captivantes et bien menées, une véritable qualité littéraire, des personnages construits, des dialogues enlevés, un véritable discours sur le plan sociologique etc. Vous savez mieux que moi qu’un polar réussi peut être un vrai bijou sur bien des plans.
Enfin, je n’ai pas l’intention «d’appâter» qui que ce soit vers ma collection Nature writing via ma collection Noire. Si les amoureux des littératures policières trouvent du plaisir à lire les polars des grands espaces que je publie tant mieux. Qu’il fasse ensuite confiance à l’ensemble de mes choix éditoriaux est une marque d’estime dont je les remercie. On peut, comme moi, être lecteur de polar sans être exclusif et sans considérer que le polar n’est qu’une sous catégorie littéraire à la valeur purement mercantile.
J’espère avoir répondu à quelques unes de vos questions et reste à votre disposition pour une conversation sur le sujet. Merci dans tous les cas de vous être penché sur mon travail.
Bien cordialement,
Oliver Gallmeister »