Dans le N°11 de leur magazine L’Indic (mars 2012), nos amis de Fondu au Noir présentent des articles variés. Ça va de l’image de la femme dans l’univers polar, à la parole donnée à
trois petits éditeurs, en passant par des chroniques Verdict sur plusieurs romans. Sans oublier, l’itinéraire du lecteur Éric Maneval par rapport à sa collection fétiche, Rivages/Noir. Le dossier
principal est consacré au thème "Polar & politique".
Ce qui donne envie de se replonger dans le livre d’Alain Lacombe publié en 1975 chez 10-18: “Le
roman noir américain”. Sachant que le mot Politique désigne tout ce qui est relatif à une société organisée, à la vie de la cité, on peut s’intéresser au chapitre que
l’auteur consacre à la Ville. Car c’est le premier échelon du pouvoir politique, celui qu’ont souvent traité les auteurs historiques du roman noir : “Dans le concept de «pouvoir
éligible», nous engloberons toutes les fonctions sociales et politiques qu’une personne ou un groupe est amené à exercer à la suite d’une élection ou d’une nomination. Dans le Roman Noir, cette
catégorie de personnes n’est composée que d’individus ayant une mainmise sur les prolongements de leurs fonctions (…)
Beaucoup plus que des problèmes de personnes, le Roman Noir s’attaque à un système qui privilégie l’agression sous
toutes ses formes. Un des grands mérites du genre est d’avoir montré les compromis qu’il faut concéder pour arriver au poste de premier citoyen [maire]. Les auteurs de la première génération (en
gros jusqu’au début des années 40) se sont attachés à démontrer ce mécanisme délicat dont la phase ultime est le reflet du tragique américain: le détenteur du pouvoir ne serait qu’un homme de
paille, dépendant complètement d’une force qui dépasse largement le cadre de la gestion d’une seule ville (…)
L’autre élément important dans la gestion de l’univers urbain est le chef de la police. Il est le garant de la
sécurité de la trajectoire conquérante du maire (…) Pour tenir en main une ville, il faut partager les
protections entre les postulants qui tentent d’accéder aux postes confortables du «mandarinat». Pour être définitivement efficace, il suffit d’avoir la certitude de pouvoir disposer des services
du Juge, cette autre figure vitale qui régit la texture de la parfaite domination. Le maire, le policier le juge, tels sont les trois tenants du Pouvoir (…)
Le Roman Noir s’attaque à la corruption. Il situe ses héros dans le cadre d’une parole dénonciatrice de la
corruption. On achète le silence, des actes et diverses autres attitudes permettant aux candidats en place de voir renouveler leur bail (…)
Dans les descriptions des rondes et des rafles, on retrouve constamment l’ambivalence du mot «l’Ordre». On a pu
remarquer dans les intrigues du Roman Noir que la police officielle outrepassait ses droits, et n’était ni plus ni moins que l’instrument efficace et légal pour briser toute tentative
d’opposition à l’équipe en place. Ce sont des policiers assermentés qui investissent physiquement la ville (…)
Les auteurs décrivent des êtres friables dont la sensibilité ne résiste pas à l’hostilité ambiante de la ville.
Criminels et/ou psychopathes sont les fils spirituels d’une littérature éprise de comportement et de psychanalyse (…) Lâcher dans la ville un tueur fou est un excellent prétexte pour dévoiler les
leurres et les lâchetés dont sont tissées les grandes cités américaines. Pour les écrivains, il s’agit de lutter contre une indifférence qui s’installe
dans la réalité des rapports d’agression qu’impose la vie urbaine. Les vieilles peurs sont médiatisées (…) La ville a besoin de héros, mais aussi de victimes
exemplaires…”
Cette analyse d’Alain Lacombe (livre qu’on trouvera plus sûrement dans les livres d’occasion) mérite, par bien des
aspects, d’être redécouverte. Le roman noir est certainement plus sociologique que purement politique. Néanmoins, aujourd’hui encore, le polar se doit de s’interroger sur quiconque accède à une
parcelle de pouvoir.
Pour le n°11 de L'INDIC, on se renseigne en cliquant ici.