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24 mars 2015 2 24 /03 /mars /2015 05:55

À Florence, durant l'été 1963. Le commissaire Bordelli est un célibataire âgé de cinquante-trois ans. Cet ancien combattant se montre bienveillant avec les gens modestes, fussent-ils des petits délinquants. Il circule en Coccinelle, apprécie les bons plats de son restaurant habituel, aime bien la mûre prostituée Rosa actuellement en vacances. Bordelli a noté les qualités du jeune policier Piras, dix-huit ans, originaire de Sardaigne. Pendant la guerre, le père de celui-ci fut le plus proche ami soldat de Bordelli. Malgré la chaleur, le commissaire va devoir enquêter sur une mort suspecte. Une riche vieille dame nommée Rebecca Peretti Strassen semble avoir succombé chez elle à une crise d'asthme. Toutefois, certains indices obligent à douter de cette version, tel ce flacon de médicament trop bien vissé.

Diotivede, le médecin légiste âgé de soixante-dix ans, partage les soupçons de son ami policier. On ne peut guère se fier au témoignage des voisines, affirmant entendre des cris et des coups dans la maison de la défunte. Le docteur Bacci, médecin traitant de la dame, précise que Rebecca Peretti Strassen était allergique à un pollen tropical. Après avoir entendu la déposition de Maria, dame de compagnie de la victime, le commissaire fait la connaissance de Dante, le frère de la défunte. C'est un scientifique, ou plutôt un inventeur farfelu aux allures de savant fou. Ce qui n'est pas pour déplaire à Bordelli. Pas plus que sa sœur, Dante ne fait confiance à leurs deux neveux, Anselmo et Giulio Morozzi. Ils risquent une grosse surprise à l'ouverture du testament de leur vieille tante Rebecca.

Les frères Morozzi étaient en vacances au bord de la mer, à Marina di Massa. Tandis que l'autopsie renforce les soupçons de meurtre, les neveux sont interrogés au commissariat. S'ils ont tous les deux un alibi en commun, une soirée de fête où beaucoup les ont vus, ils restent assez tendus face à Bordelli. Son ordinaire bienveillance ne s'appliquera pas à ce duo-là. D'ailleurs, avec le jeune Piras, il ne tarde pas à aller vérifier sur place si l'alibi des neveux est valable, ce qui semble le cas. Pourtant, un ami milanais des deux hommes, qui leur avait prêté sa puissante voiture, l'a retrouvée éraflée ensuite. Pas exactement une piste, bien sûr, mais une interrogation supplémentaire pour le commissaire.

De son côté, le légiste confirme qu'il n'y a pas d'erreur possible sur l'heure de la mort. S'il émet des hypothèses, le jeune Piras se perd en conjectures quant au mode opératoire du crime. Pénétrer dans la demeure de la victime, c'est explicable, mais comment a-t-on pu profiter de son allergie ? Le repris de justice Botta, fin cuisinier, a concocté un délicieux et surprenant menu pour les amis que le commissaire a invité à dîner. Non, ce ne sera pas en cette occasion que le policier fera toute la lumière sur l'affaire en cours. Un peu d'intuition et quelques preuves finiront par susciter des aveux…

Marco Vichi : Le commissaire Bordelli (Éd.Philippe Rey, 2015) – Coup de cœur –

Un nouveau personnage de commissaire de police, qui nous vient d'Italie ? On ne peut que se montrer curieux : sachant que l'intrigue se passe il y a un demi-siècle, s'agirait-il d'un énième clone de Jules Maigret, du même genre d'enquête ? Certes, c'est d'une affaire criminelle classique dont il est question, mais les caractéristiques du héros apparaissent sensiblement différentes. Le tolérant Bordelli ne croit pas en la prospérité économique affichée en Italie, dans ces années-là. La misère est encore bien présente : “Je suis fou parce que je refuse de condamner les pauvres gens et parce que je déteste ce pays ivre de rêves qui croit en la Fiat 1100.” On nous cite encore l'exemple de ce fonctionnaire rencontré par Bordelli, dont personne n'ouvrait les rapports depuis des années. Et puis, ces politiciens ex-serviteurs du fascisme, s'étant recasés dans la Démocratie chrétienne.

Le contexte n'est pas sans importance, en toile de fond. La guerre est toujours dans les esprits, datant d'il y a vingt ans. Bordelli l'a vécue, y pense souvent, et en parle entre amis. Au quotidien, le commissaire est ouvert aux rencontres, et rend même service à son cousin Rodrigo, touché par une passion amoureuse inattendue. Typique des années 1960, amusant à nos yeux, Bordelli commence à s'inquiéter de la nocivité du DDT, insecticide que l'on croyait la panacée… Et l'enquête, alors ? Elle progresse, sans précipitation mais sans lenteur non plus. C'est le “comment” qui est le plus compliqué à déterminer. Voilà donc un commissaire fort sympathique et humain, dans de savoureuses investigations. On espère vivement lire bientôt ses autres aventures, puisque l'auteur en a écrit plusieurs.

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1 mars 2015 7 01 /03 /mars /2015 05:55

Âgé de trente-cinq ans, Tony Perdudo est un célibataire napolitain myope. Son principal métier est journaliste, mais il arrondit ses fins de mois en bricolant pour un site Internet, et en donnant des cours au petit Carletto. Sa meilleure amie Marinella est docteur dans une polyclinique de la ville. Si les amours de la jeune femme manquent d'équilibre, Tony reste un copain fidèle. Parmi les casse-pieds l'entourant, il y a la mère du journaliste, ainsi que son rédacteur en chef, ne lui ayant jamais rien confié d'intéressant depuis dix-sept ans qu'il exerce ce métier. Tout ça peut expliquer les insomnies de Tony, qui se retrouve souvent tôt le matin à se balader dans les rues des quartiers espagnols de Naples.

C'est ainsi que ce 21 juin, à cinq heures moins le quart, via Speranzella, Tony découvre le cadavre d'un ours. Entre la foule et les carabiniers, ça ne tarde pas à créer de l'animation dans cette rue. Les pompiers vont bientôt enlever cet animal mort. Ce qui doit clore le problème pour l'adjudant Fallone, que Tony connaît bien. Le rédac-chef veut un véritable scoop, mieux que les photos circulant déjà sur le web. Selon les vieux voisins sollicités par Tony, ce peut être un ours échappé du zoo désormais fermé. Pourtant, ce zoo est assez éloigné d'ici. Marinella va beaucoup aider son copain Tony : on a décelé trois impacts de pistolet sur le cadavre du vieil ours de type marsicain. Ayant de son côté retrouvé des douilles via Speranzella, Tony écrit son article qui va passer à la "une".

Compte-tenu des révélations du journaliste, l'adjudant Fallone doit lancer une enquête, sous la direction de la procureur Cristina Principe. Dès le départ, la juge est convaincue de sa propre hypothèse : c'est forcément un avertissement entre clans rivaux de la Camorra. Via Speranzella, une commerçante relance l'idée du zoo. Ce qui incite Tony à tenter une visite clandestine dans l'ancien parc. Très rapidement repéré, il est tabassé par des sbires expérimentés, avant d'être interrogé par les propriétaires du zoo. Il s'en sort en jouant au naïf. Son journal lui demande un article sur la "smorfia", loterie traditionnelle de quartier, un truc bien folklorique mais qui ne fera sûrement pas avancer l'affaire.

En présence du médecin légiste, la conférence de presse de la procureur Cristina Principe n'a d'autre but que de classer l'affaire. L'autopsie n'apporte pas d'élément nouveau. Et la thèse de la juge concernant la Camorra semble confortée par le fait qu'un des mafieux impliqués fut surnommé l'Ours, étant enfant. Explication plutôt boiteuse, selon Tony. Puisqu'on tient à fermer le dossier, il se consacre à son élève, Carletto. Ce dernier écrit une rédaction étonnamment bien rédigée, qui produit un déclic chez le journaliste. Il y est question d'un cirque où personne n'est vraiment joyeux, celui de Renato Orfeo. Or, celui-ci ressemble beaucoup à un des hommes que Tony a aperçus durant sa visite au zoo.

Le directeur du cirque recommande au journaliste de se mêler de ses oignons. D'ailleurs, on le lui fera comprendre en incendiant son scooter. Voilà quelques temps que Tony a remarqué par ici une énigmatique jeune fille brune en jeans et aux yeux bleus. Il se renseigne sur cette Tiziana Martino, dont l'aïeul fut un caïd apprécié dans le quartier. Après un article de commande sur les cafards qui pullulent en cette saison, Tony va explorer les dessous de Naples. Ce qui n'est pas sans danger pour lui…

Antonio Menna : L'étrange histoire de l'ours brun abattu dans les quartiers espagnols de Naples (Ed.Liana Levi, 2015) — Coup de cœur

Cette comédie à suspense renoue avec la meilleure tradition du polar. D'abord, il s'agit d'un roman parfaitement bien construit. Un mystère singulier, l'apparition d'un ours en pleine ville, conduit à plusieurs pistes plausibles. Bien sûr, il n'est pas question de croire une seconde à l'hypothèse de la Camorra. Et l'on verra que la vérité est diablement moins simple, donc beaucoup plus excitante.

Ensuite, nous avons là un "anti-héros" attirant la sympathie. Du moins celle des lecteurs, car il passe pour un homme sans grand relief au sein de son quartier. Tout juste le met-on en garde de ne pas trop chercher de secret dans une ville telle que Naples, mais le bonhomme est obstiné. Sa "partenaire" Marinella joue un rôle non négligeable à ses côtés.

Au final, l'impression générale est extrêmement agréable, car c'est le genre de livre qu'on dévore en douceur. Une histoire riche en bizarreries, dont on a franchement envie de découvrir les péripéties suivantes. D'une certaine façon, c'est également le portrait d'un quartier populaire napolitain, avec ses coutumes et ses habitants. Avec son omerta autant qu'à travers son quotidien. Ce remarquable suspense souriant mérite, à l'évidence, un chaleureux Coup de cœur.

- Disponible dès le 5 mars 2015 -

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10 février 2015 2 10 /02 /février /2015 05:55

À Bucarest (Roumanie), Andreï Mladin est un journaliste âgé de vingt-sept ans vivant avec son chat Mécène. Mal réveillé ce jour-là, il découvre un corps étalé au milieu de ses livres, tué à coups d'haltères. Il se souvient mal de la soirée de la veille. Le plus urgent reste de faire disparaître le cadavre, sans que sa curieuse voisine Madame Margareta s'interpose. Après avoir caché le mort à la cave, il nettoie son appartement…

Tout a commencé par l'interview de la jeune et belle violoniste Mihaela Comnoiu. Coup de foudre entre le journaliste et la virtuose. Certes, le père de la jeune femme, le Dr Paul Comnoiu se montre plutôt méprisant envers Andreï Mladin. Et le journaliste peut craindre que des rivaux, tel l'acteur beau-gosse Marian Sulcer, entravent leur idylle. Pourtant, l'enjôleuse Mihaela apparaît vraiment amoureuse de lui. Le journaliste reçoit des lettres de menaces, avant d'être agressé dans la rue. Puis au téléphone, des gens semblent prêts à payer cher pour qu'il cesse sa relation avec Mihaela.

Le cadavre est celui du vieux Valentin Meranu, qui est au service de la famille Comnoiu. La veille, lors d'une soirée chez le père de Mihaela, on a cru Andreï Mladin ivre parce qu'il était victime d'un malaise. Valentin et l'acteur Marian Sulcer l'ont raccompagné chez lui. Il semble que Sulcer ne soit pas monté à l'appartement du journaliste. Si l'acteur a un alibi, celui-ci est bientôt informé par sa concierge. Le Dr Paul Comnoiu n'apprécie guère quand le journaliste l'interroge sur son emploi du temps de la nuit en question. Et, inquiète pour le vieux Valentin, Mihaela lui reproche son comportement d'alcoolique.

Une inondation a envahi la cave de l'immeuble d'Andreï Mladin. Le corps de Valentin ne s'y trouve plus, on l'a ramené à l'appartement. Le journaliste s'arrange pour s'en débarrasser, malgré sa voisine curieuse, Madame Margareta. Dès le lendemain, la police découvre le cadavre sur un terrain vague voisin. Andreï Mladin poursuit son enquête, sur la piste d'une Ford Capri rouge. S'ensuivent de multiples péripéties, indiquant qu'il est personnellement visé par une complexe machination. Les bienveillants policiers Buduru et Pahonţu vont discrètement suivre l'affaire, et ne seront pas loin pour arrêter les coupables…

George Arion : Qui veut la peau d’Andreï Mladin ? (Genèse Éd., 2015) — Coup de cœur —

Préfacée par Claude Mesplède, cette excellente comédie policière nous est racontée par le héros, Andreï Mladin, ce qui donne comme toujours une belle vivacité à l'histoire. D'autant que les chapitres courts relancent le récit. Parmi les éléments souriants, il utilise de nombreuses fois l'expression “fin de citation” après avoir évoqué des paroles venues de son grand-père, par exemple. On nous l'explique : “Pendant le régime autoritaire, l’expression «fin de citation» était employée par tout orateur reprenant les propos du Conducator. La redondance de cette rhétorique est bien entendu tournée ici en dérision par l’auteur.”

Car c'est bien dans la Roumanie du temps de Nicolae Ceaușescu, que se déroule cette affaire. On le constate aussi par certains détails : la nourriture provient des pays frères et amis : “En route vers mon appartement, je prends mon courage à deux mains et entre dans un magasin pour y faire quelques courses : une boîte de haricots chinois, un pot de poivrons bulgares, une boîte de sardines soviétiques et une bouteille de vin albanais...”

Un petit journaliste face à la bourgeoisie communiste, telle est la place d'Andreï Mladin : “– J’ai élevé Mihaela loin de toute vulgarité. Je lui ai appris à résister, à ne pas être engloutie par l’anonymat, à monter aussi haut possible, parmi les élus, les génies. Ce sont eux les véritables maîtres du monde (…) Toi aussi, tu as voulu rejoindre cette sphère, Mladin ! En vain ! Il est impossible à un vagabond de prendre la place d’un roi ! Tu auras beau porter les vêtements les plus élégants, fréquenter les salons les plus huppés, tu resteras un insecte rampant qui n’habitera jamais qu’une grotte sordide.”

Entre cadavre encombrant et innocent persécuté, l'histoire est racontée avec une bonne part d'humour. C'est ainsi que George Arion s'inscrit dans la meilleure tradition du polar. On a hâte de lire d'autres romans de cet auteur.

 

- Disponible dès le 13 février 2015 -

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26 octobre 2014 7 26 /10 /octobre /2014 05:55

À La Nouvelle-Orléans, que s'est-il passé dans les années qui suivirent l'ouragan Katrina, catastrophe qui détruisit une partie de l'agglomération ? Dans un premier temps, parce qu'il faut reconstruire et relancer l'économie locale, l'argent afflue et le crédit permet de croire en un avenir plus serein. Vivement décriée avant et pendant le sinistre pour son racisme et sa corruption, la police se réorganise. Fut-ce pour protéger des quartiers neufs comme les maisons Brad Pitt, situées en bordure du Marais aux Alligators. C'est dans cette brigade qu'a été affecté Luke Martin, flic issu du ghetto voisin. Plus jeune, il fut tenté par les bandes sévissant depuis le Marais aux Alligators. Bien vite, Luke Martin réalise que le plus puissant des gangs, c'est la police.

Même en disposant de moyens et en bénéficiant de l'impunité, “tenir” ce quartier sensible semble mission impossible. Luke et sa brigade parviennent à montrer leur détermination aux voyous d'en face. Bien que l'insécurité ait nettement baissé, les politiciens ne font guère écho à ce succès, préférant cultiver les craintes de la population. Luke obtient un poste au centre-ville de La Nouvelle-Orléans. Il se marie bientôt à Luella Johnson, institutrice mais fille d'une famille de flics, dont le père retraité a encore une petite influence. Au cœur de La Grosse Facile, surnom qu'il attribue à La Nouvelle-Orléans, Jean-Baptiste Lafitte est le patron de plusieurs bars et autres bordels dans le secteur de Bourbon Street. Lui aussi profite du regain d'activité des dernières années.

Les Lézards de la finance ont lancé une nouvelle arnaque, la Grande Déflation. Revaloriser le super-dollar peut sembler une excellente idée. Sauf pour tous ceux qui ont des crédits, dont les salaires ne peuvent suivre les remboursements. La police est chargée d'exécuter les avis d'expulsion contre les endettés, ruinés par cette opération monétaire. J.B.Lafitte s'inquiète, car il n'est pas plus à l'abri que les autres. Par un ordre de mission, Luke Martin est chargé de s'auto-expulser de sa maison. Il arrive à gagner du temps, en obtenant le soutien de Big Joe Roody, chef du Syndicat de la Police. Luke doit passer à la vitesse supérieure, militer activement contre les expropriations. Dans son premier discours public, il appelle les policiers de la ville à refuser de se charger des expulsions.

Bien qu'étant blanche de peau, MaryLou Boudreau a compris que le meilleur filon qu'elle puisse exploiter, c'est le Vaudou. Initiée au “loas”, esprits mystérieux de cette culture, elle devient une disciple d'Erzulie, se laissant habiter par cette démone bénéfique. C'est sous le nom de Mama Legba que MaryLou devient une célébrité du sud de la Louisiane. Avec sa Troupe surnaturelle, elle anime même une émission de télé à succès. En tant que leader du mouvement anti-expulsions, Luke sera invité dans ce talk-show. Ou plutôt imposé, par le Syndicat de Big Joe Roody et les politiciens démocrates. Alors que l'élection du futur gouverneur approche, il faut contrer la clique des Républicains de Bâton-Rouge, au service des financiers. “Rendre le pouvoir au peuple”, voilà ce dont Luke doit être le symbole.

Grâce aux pouvoirs de Mama Legba et d'Erzulie, la fête du Mardi-Gras de La Nouvelle-Orléans a été débridée cette année, sans aucun interdit, et les ouragans ont épargné la région. Un vrai miracle, après lequel ses amis incitent Mama Legba à se porter candidate au poste de gouverneur. Mais si elle gagne, la Garde Nationale risque d'être envoyée pour restaurer l'ordre à La Nouvelle-Orléans. Pas plus que MaryLou, le très chrétien colonel Hathaway n'est un politicien. Éviter l'insurrection et protéger la population, même si ce n'est pas sans danger pour Mama Legba, tel est leur objectif. Et peut-être viendra le temps de la prospérité dans un État de Louisiane libéré…

Norman Spinrad : Police du peuple (Fayard, 2014) – Coup de cœur –

Né en 1940, l'écrivain Norman Spinrad est un grand nom de la Science-Fiction. Toutefois, c'est sous le signe de la “politique-fiction” que se place ce nouveau roman. Une genre qui laisse sceptique certains lecteurs, pensant qu'on va leur asséner un énième discours vide sur les bienfaits de tel ou tel dogme. Non, la politique n'est pas que propagande. “Et si, après une gigantesque catastrophe, on imaginait un nouveau départ, une remise à zéro des compteurs pour que le peuple vive mieux qu'avant ?” : tel est ici le propos de l'auteur. Écrire une thèse aurait moins d'impact que de l'illustrer par une histoire, qui met en scène les protagonistes de terrain, ceux qui peuvent initier ce changement.

Spinrad n'a pas choisi par hasard la police comme socle du renouveau. Il faut se souvenir de l'exécrable réputation, parfaitement justifiée, des flics de la Nouvelle-Orléans avant le passage de Katrina. Les actes racistes se multipliaient, la corruption était de mise. Autour de l'ouragan, les policiers ne vinrent quasiment pas en aide aux victimes. La rumeur les accusa même de piller les maisons désertées pour cause d'inondation. Elle a été capable du pire, elle serait donc capable du meilleur, estime l'auteur. Encore faut-il des leaders qui soient téméraires, qui n'aient pas peur du Pouvoir officiel, limitant les compromissions afin d'atteindre le but fixé. Dans le cas présent, passer d’un “État policier” (titre original) à une “Police du Peuple” (titre en français). Soulignons que la traduction de Sylvie Denis paraît effectivement dans l'esprit et la tonalité fluide de Norman Spinrad.

Résumer un roman aussi riche oblige à n'en retenir que la ligne principale, à occulter tant de détails qui en font la saveur. Le parcours de Luke (Martin Luther) Martin, les calculs de Big Joe Roody, ou l'apparente désinvolture de J.B.Lafitte sont décrits avec une précision qui les rend très crédibles. Sans doute dépassée par les évènements, sous l'emprise du Vaudou, MaryLou devenue Mama Legba se doit d'être l'icône de ces temps nouveaux. En fait, les intérêts des personnages présentés seraient assez divergents : l'indépendance face à la finance et à ses larbins les réunit. Pour que l'humain prime sur tout le reste, pour qu'un autre monde moins stressant soit possible, pas forcément idéal ou plus joyeux, mais sans pesant dirigisme.

La solidarité a disparu au profit d'un individualisme effréné, la politique n'est plus que gestion comptable. Grâce à Norman Spinrad, voilà un scénario inverse et optimiste – utopique ou pas – que l'on aimerait voir se réaliser. Un Mardi-Gras festif perpétuel, comme à La Nouvelle-Orléans, pourquoi pas ? Un roman très excitant.

Norman Spinrad : Police du peuple (Fayard, 2014) – Coup de cœur –
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1 octobre 2014 3 01 /10 /octobre /2014 04:55

Marco Benjamin est lieutenant de police à Lyon. Âgé de quarante-trois ans, il est divorcé de Caroline. Marco et elle ont une fille de seize ans, Chloé. Son ex-femme vit désormais avec l'artiste-peintre Julio Savenaze. Le commissaire Massé, son supérieur, n'ignore pas l'impétueuse nature de Marco Benjamin. Il l'a pourtant désigné comme chef de groupe, pour enquêter sur un tueur en série qui s'attaque à des adolescentes. Le coupable est un cruel sadique qui torture à mort ses victimes. La dernière disparue est une fugueuse âgée de seize ans, Jennifer. Telle sa fille Chloé, celle-ci a pu fréquenter des concerts de rock, et y croiser un pseudo-photographe qui l'aurait enlevée. Un guérisseur apprécié des notables lyonnais, Ismaël, pourrait probablement aider Marco.

Le policier se rend dans une ferme ardéchoise afin de rencontrer cette espèce de gourou, sosie d'un Jésus-Christ idéalisé. Ses visions semblent précises. Marco se lance dans une opération en campagne, entre une vache excitée et un corbeau mort. Il découvre bientôt la cabane où a été torturée Jennifer, ensanglantée et moribonde. Image fantomatique qui ne va plus le quitter, jusqu'à ce qu'il mette la main sur le tueur. Un tel choc entraîne pour Marco quelques séances chez un psy. Auquel le policier préfère parler des comics Marvel et des super-héros de bédé, plutôt que de son état de santé. Marco invente un personnage à son image, Suicide-Man. Il crée un site Internet à la gloire de ce héros dépressif mais invulnérable. Sur les photos, Marco arbore le tee-shirt de Superman.

Entre son ex Caroline et Chloé, qui demande à prendre la pilule, le moral ne risque pas de s'améliorer pour Marco. Son collègue Paul est blessé d'un coup de couteau le soir où Marco et lui pensent avoir identifié le tueur. Après avoir pris en otage une fillette, l'homme s'enfuit. Suicide-Man a sauvé la gamine, c'est le plus important. Tout juste âgée de dix-huit ans, la rousse Elsa est une fervente admiratrice du site de Suicide-Man. Elle a fugué, ce qui se conçoit quand on constate la bêtise de son père. Marco accepte d'héberger la jeune fille, malgré l'ambiguïté de leur différence d'âge. Le policier et Elsa consultent à nouveau Ismaël, au sujet du tueur qui a blessé Paul avant de disparaître. Le spiritisme du gourou ne donne cette fois que des indications imprécises.

Disposant d'un appât, Marco et Ismaël vont traquer avec succès le criminel. Toutefois, le policier reste insatisfait, imaginant que leur suspect a été piégé par son donneur d'ordres. Pour le commissaire Massé, les clowneries de Suicide-Man ont suffisament duré. Joanna, l'assistante d'Ismaël, va requinquer sexuellement Marco. Au grand dépit de la jalouse Elsa. Le policier va être accusé d'un meurtre. Ça n'est pas pour déplaire à son collègue Lanson. Si Suicide-Man n'a pas dit son dernier mot, il lui faut d'abord échapper à la police…

Alain Gagnol : Un fantôme dans la tête (Le Passeur Éd., 2014) – Coup de cœur –

Certes, les enquêtes de police ordinaires ne sont pas sans charme. Un flic bedonnant qui fume la pipe, collecte les indices, interroge les témoins puis le suspect, un scénario de bon aloi. Néanmoins, quand le flic est beaucoup plus déjanté, pas loin d'avoir “les fils qui se touchent”, au point de se transformer en personnage de bédé pour éviter de sombrer dans la plus noire dépression, ça devient nettement plus excitant. Quand il s'occupe des crises de somnambulisme de son ex-épouse, s'inquiète de l'obsession pour la pilule de sa fille, se fait casser les oreilles dans des soirées rock pour djeunes, ça le rend plus attirant. Quand il s'invite dans une sorte de secte façon hippie, écoute un Jésus-Christ réincarné, se laisse séduire par une adepte bronzée, c'est peu conventionnel et bien plus piquant.

Marco Suicide-Man ne perd jamais de vue la monstruosité du tueur qu'il pourchasse. Mais lui-même applique des méthodes pouvant laisser perplexes sa hiérarchie et ses collègues. C'est dire qu'il s'embarque (et le lecteur avec lui) dans des aventures mouvementées et pleines de risque. Sans se départir d'un humour mi-jovial, mi grinçant : “J'aime bien quand tu te compares à des hémorroïdes, Lanson, cela prouve qu'il te reste encore des moments de lucidité.” Vêtu d'un vieux tee-shirt défraîchi de Superman censé le protéger, notre héros bouscule avec bonheur les investigations classiques. Sourires et succession de péripéties sont au programme de cet excellent suspense. Bravo à Alain Gagnol pour ce polar, un des plus endiablés de l'année. Coup de cœur.

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22 septembre 2014 1 22 /09 /septembre /2014 04:55

Gillian Carax, c'est la flic de choc de la police lilloise. Elle s'autorise une vraie liberté dans sa vie intime, entre son pizzaïolo préféré et son collègue Dubois. Ce dernier est marié à Sandy, psychologue scolaire, ce qui les oblige à interrompre leur relation. Leur complicité de policiers reste intacte, y compris face à leur supérieur Pelletier. Tenu par l’Égyptien Bachir Hassan, le Bar des Îles est un des endroits que Gillian fréquente volontiers. On vient d'y retrouver le cadavre au visage mutilé de Djamila, serveuse dans ce bar, et prostituée à l'occasion. C'était une des indics de Gillian. Le corps a été tué ailleurs, puis déposé ici. Déjà sur l'affaire, Paul Dubois va être rejoint par son amie Gillian. Bachir dit ne rien savoir, mais on ne peut pas lui accorder une totale confiance.

Dans l'appartement de Djamila, Gillian découvre des vêtements de luxe. Facile de deviner que la victime faisait des extras, participant à des soirées sexuelles. La laide prostituée Soraya, Égyptienne d'origine aussi et copine de Djamila, n'aide pas tellement Gillian. Le proxénète Sergio ferait un possible suspect, mais ce n'est pas un type si violent, et il a un bon alibi. Il y aurait encore un certain Mustapha, mais son arme habituelle n'est pas celle du crime. La victime étant cliente de la discothèque Le Pirate, Gillian y tente sa chance. Elle fait la connaissance d'un cardiologue quadragénaire, Albin Lefébure, dit “Frédéric”. Elle se fait appeler “Mélissa”. Il lui propose bientôt de participer à des soirées sado-maso où, vu son allure de guerrière, elle jouera de façon convaincante le rôle de dominatrice.

C'est du côté de Courtrai, en Belgique, qu'une certaine Marilyn tient un club SM. Première soirée un peu trop simplette pour Gillian-Mélissa, si ce n'est qu'elle reconnaît un client de l'endroit, un magistrat lillois. L'enquête avançant trop lentement, Gillian se permet une visite clandestine chez le couple Lefébure. Elle y dérobe l'ordinateur et le portable du fameux “Frédéric”. L'expertise n'y trouvera rien de vraiment compromettant, le médecin et son ami magistrat s'avérant prudents. Par contre, il se confirme que “Frédéric” possède un alibi solide le jour de la mort de Djamila.

Une branche familiale égyptienne de la victime semble pratiquer l'intégrisme religieux. Peut-être les enquêteurs devraient-ils chercher de ce côté ? Quand Gillian provoque une nouvelle rencontre avec “Frédéric”, il lui propose un scénario plus élaboré que la première fois. Chez Marilyn, va avoir lieu un simulacre de cérémonie héritée de l’Égypte ancienne, dans une sorte de temple antique reconstitué. Avec le magistrat et deux jeunes femmes, Eva et Audrey. Cette fois, les choses vont s'accélérer. Les coupables éliminent les traces, compliquant la tache de Paul Dubois et Gillian. Celle-ci prétextera finalement un voyage à Londres pour régler quelques comptes...

Lucienne Cluytens : La panthère sort ses griffes (l'Atelier Mosésu, 2014) – Coup de cœur –

S'il est un roman qui répond exactement à la définition du polar d'action et de suspense, c'est bien ce nouveau titre de Lucienne Cluytens. Elle a concocté une solide histoire, ce qui tient au fait que l'auteure n'est nullement une néophyte. Elle publie depuis dix ans, chez Liv'Éditions (deux romans), puis chez Ravet-Anceau (quatre titres dans la collection Polars en Nord), ainsi que chez Krakoen. Lucienne Cluytens est une romancière qui maîtrise ses intrigues, sachant dans le cas présent exploiter une tonalité rythmée. Car ça bouge sans temps mort, dans cette aventure trépidante de la fonceuse Gillian.

Voilà donc une héroïne intrépide qui pourrait rivaliser avec les plus redoutables flics de la littérature policière ou du cinéma, sans craindre les adversaires dangereux, musclés ou rusés. C'est dans le cadre de “soirées spéciales” qu'elle va intervenir. En effet, la Belgique frontalière a la réputation d'abriter des clubs sulfureux. Si, dans la majorité des cas, le SM sert juste de piment à des jeux sexuels assez ordinaires, des séances scénarisées sont sûrement plus extrêmes. Pas de voyeurisme exagéré : l'érotisme reste ici lié à l'affaire criminelle. Quoi qu'il arrive, la détermination de Gillian-la panthère à éclaircir l'affaire est sans faille, qu'on se le dise ! Un polar très excitant, dans la meilleure tradition.

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5 septembre 2014 5 05 /09 /septembre /2014 04:55

Gérard Escaude est un policier de quarante-trois ans, en poste au commissariat Ouest de Toulouse, quartier Saint-Cyprien. Surnommé Gégé, voilà vingt ans qu'il exerce le métier, avec des hauts et des bas. Il trouve prétentieux son supérieur actuel, Le Ninir, qui n'a rien d'un flic de terrain. Il est actuellement flanqué d'un stagiaire, le jeune Victor Galéras. Son expérience, Gégé essaie de la transmettre à ce policier à peine sorti de Cannes-Écluses. Le vendredi 12 avril, un week-end peinard s'annonçait pour Gérard. Mais une sexagénaire, Mme Duval, a été poignardée à son domicile. En état de choc, son mari a été hospitalisé. Le retraité de la SNCF Marcel Duval est le présumé assassin de son épouse. Il essaie de s'évader de l'hôpital, avant d'être rapidement rattrapé et interrogé par Gégé.

Marcel Duval n'a rien d'un criminel endurci. En policier chevronné usant de psychologie, Gégé l'amène naturellement aux aveux. Une ultime dispute entre les sexagénaires, qui a entraîné ce meurtre, c'est presque banal. Duval avait une jeune amante, de la moitié de son âge, amatrice d'art comme lui. Un message maladroit de cette Marie-Jo Vigouroux a déclenché le drame. L'enquête de voisinage évoque, pour les Duval, un couple fréquentant peu de monde, sans histoire. L'autopsie révèle que la victime avait avalé une forte dose de phénobarbital, avant l'avalanche de coups de couteau. C'est un médicament devenant vite mortel, interdit depuis bon nombre d'années. Il est vrai que la défunte mère de Mme Duval en a utilisé pour soigner sa schizophrénie, naguère. Il en reste à leur domicile.

Marcel Duval n'explique rien quant au phénobarbital. Toutefois, il a un fils de vingt-six ans, Théo, interné à Paris, souffrant de schizophrénie. Après avoir questionné le psy ayant traité le jeune homme, Gégé profite d'un week-end à Paris chez son copain Maurice, pour se renseigner. De l'hôpital Sainte-Anne à une clinique spécialisée de la rue du Banquier, on lui confirme l'éventuelle dangerosité de Théo. Son récent emploi du temps laisse perplexe le policier. De retour à Toulouse, Gégé rencontre la prostituée Katia, de son vrai nom Marie-France Bentajou. Elle a vécu quelques temps en Ariège, façon baba-cool, avec Théo. Elle affirme que Marcel Duval fréquenta avec une belle assiduité ses collègues prostituées. Gégé et Victor vont bientôt pourchasser leur suspect le plus probable…

Patrick Caujolle : Beau temps pour les couleuvres (Éd.du Caïman, 2014) – Coup de cœur –

Ancien policier, Patrick Caujolle entretient sa vocation littéraire depuis plusieurs années. Il a publié de la poésie, des ouvrages consacrés à des cas criminels dans le Sud-Ouest, ainsi que “Ennemis publics n°1” et “Les casses du siècle” chez Le Papillon Rouge Éd. On avait pu remarquer une jolie souplesse narrative dans ses livres précédents. Entre des récits courts et un roman, existe néanmoins une grosse différence de format, voire de style. C'est avec grand plaisir que l'on constate que Caujolle est ici tout aussi convaincant. D'abord, par sa tonalité plutôt enjouée : “Et puis les amis, c'est comme les voitures, les jardins ou les maîtresses, ça s'entretient, tandis que les ennemis c'est tout de même plus confortable à gérer. Une fois que vous en avez un, avec un peu de chance, c'est pour la vie.”

Il s'agit donc d'un roman d'enquête ayant pour héros un policier. Rien de plus logique, vu le passé de l'auteur. Autant parler de ce que l'on connaît, de l'agglomération toulousaine et des investigations ordinaires d'un policier, en l’occurrence. Sans oublier le contexte qui fut longtemps alcoolisé dans les commissariats, Gégé le reconnaît : “Crois-moi, ce que tu peux voir aujourd'hui dans les services n'est qu'une métastase de ce qui se passait autrefois. Maintenant, entre les jeunes intellos clonés qui passent le concours, et la hiérarchie sans couille qui nous dirige, je peux te dire que les apéros d'autrefois ont presque tous disparu […] Autant boire pour boire est nul, autant un apéro ou une bouffe avec le boss en jeans est primordial. C'est ça qui soude.”

Toutefois, Caujolle ne se borne pas à une caricature. À travers son héros, il retrace aussi l'état d'esprit du métier de policier, l'évolution des pratiques. “Maintenant, c'est vrai, avec votre technique, vous en savez parfois autant, et ça fait moins d'alcooliques, mais c'est plus pareil. Chacun son groupe, chacun son morceau de gras, et la hiérarchie distribue les bons points en fin d'année pour faire des jaloux […] L'ADN est une preuve, pas un aveu. Et tu t'apercevras dans ta carrière que le plus important pour les familles des victimes, c'est de comprendre...” Le témoignage est un des éléments de cette histoire, sans oublier pour autant une véritable intrigue. Un roman policier authentique, bien écrit, et passionnant.

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22 août 2014 5 22 /08 /août /2014 04:54

Ce n'est qu'à partir de septembre 1981 que Christian Napier s'interroge sur l'histoire de sa famille. Né en mars 1936 à Truro, en Cornouailles, il est donc âgé de quarante-cinq ans. Dans les années 1960, Chris tenta une aventure musicale. Il épousa la chanteuse Melody Farren (de son vrai nom Myfanwy Probin) qui eut son heure de gloire. Bien que divorcés, elle l'aida financièrement quand il créa une activité sérieuse à Pangbourne. Le commerce de voitures anciennes de prestige, telle est la vocation de l'entreprise Les Décapotables de collection Napier. Ça fonctionne plutôt bien. D'autant que Chris ne boit plus une goutte d'alcool, son vieux démon, depuis une dizaine d'années. Il a une sœur aînée, Pam, mariée à Trevor Rutherford. Leur fille Tabitha se marie, ce qui donne l'occasion à Chris de revenir à Tredower House, qui est désormais un hôtel de luxe appartenant au couple Rutherford.

Pendant l'entre-deux-guerres, les grands-parents de Chris exploitaient une petite épicerie à Truro. La grand-mère Adelaïde vendait, à l'étage, des vêtements de mode à crédit. Le père de Chris, Melwyn (marié à Una), prit la suite du commerce parental. Adelaïde avait un frère, Joshua Carnoweth, grand-oncle de Chris. Le temps de la ruée vers l'or était clos ou presque quand il tenta sa chance en Amérique. Néanmoins, dans le Yukon canadien et en Alaska, il en trouva assez pour faire fortune. Le grand-oncle Joshua s'engagea durant le premier conflit mondial, puis revint s'installer à Truro. Il fit l'acquisition du domaine de Tredower House. Joshua prit pour gouvernante son ex-fiancée, veuve d'un M.Lanyon. Les Lanyon vécurent chez le grand-oncle durant de nombreuses années. Le dernier fils de la lignée, Nicky Lanyon, fut durant leur enfance le meilleur ami de Chris Napier.

Les premiers souvenirs de Chris remontent à l'époque de la Seconde guerre mondiale, et aux années suivantes, agréables pour l'enfant qu'il était. Tout bascula durant l'été 1947. Avec un complice, son ami Edmund Tully, Michael Lanyon assassina le grand-oncle Joshua. Bien que l'exécutant ait certainement été Tully, ce dernier ne fut pas condamné à mort. Étant l'instigateur, le père de Nicky Lanyon fut pendu. Pourquoi éliminer leur protecteur ? Il semble que Joshua ait prévu de modifier son testament, bien davantage en faveur de la famille de sa sœur Adelaïde, les Napier. En effet, après la mort de Michael Lanyon, ceux-ci purent jouir de la fortune de Joshua et développer leurs commerces. Aujourd'hui retraité, le policier George Treffry enquêta sur le meurtre de Joshua. Un cas limpide à ses yeux. Michael Lanyon fut d'autant plus justement condamné qu'il fit tuer son bienfaiteur.

Nicky avait une sœur, Michaela, née après la mort de leur père. Leur mère s'était remariée avec Neville Considine, qui prit en charge les deux enfants. Michaela a disparu depuis seize ans, probablement victime d'un tueur en série. Personne ne l'a vraiment cherchée. Après le suicide de Nicky, Emma Moresco contacte Chris. C'est Michaela, qui vit sous cette fausse identité. Il va la tenir informée de son enquête, et plus si affinités. Par contre, une femme se faisant appeler Paula Lucas, Laura Banks ou Marilyn Buckley, rôde autour de la famille Napier. Elle semble animée de mauvaises intentions, à l'égard de Chris mais aussi de Trevor Rutherford. Depuis sa libération, on ne trouve plus signe de vie d'Edmund Tully, le complice. Chris essaie d'exploiter cette piste. Témoin au procès Lanyon, Sam Vigus va faire douter encore davantage Chris. Il ira jusqu'au bout de ses découvertes…

Robert Goddard : Le retour (Sonatine Éd., 2014) – Coup de cœur –

Sachant que ce n'est pas en une quarantaine de lignes qu'on résumera ce genre d'histoire, il est toujours délicieux de synthétiser un tel livre. On peut bien révéler deux ou trois éléments, car quantité d'autres surprises attendent les lecteurs – et le héros. Notons une première subtilité, à son sujet : en effet, Chris mène “une sorte d'enquête”. Qui n'a rien à voir avec des investigations policières. Il s'informe en tâtonnant, se remémore l'époque, rend visite à des gens qu'il a connus, subit divers déboires. Homme mûr, il conserve un flegme bienvenu. Ce n'est pas strictement la justice qui le guide, mais le besoin de savoir.

Si la formule “secrets de famille” est très souvent exagérée pour présenter une intrigue, il faut reconnaître qu'elle s'applique ici. Non seulement, le destin des Napier et celui des Lanyon est intimement lié depuis les grands-parents, mais leur sort à tous reste marqué d'une proximité depuis par ces faits initiaux. Y a-t-il une faute à l'origine ? Le grand-oncle Joshua a-t-il commis une erreur, autrefois ? Là encore, il existe davantage de finesse dans le récit. Car tous les protagonistes, y compris des personnages annexes, possèdent une véritable densité : chacun a joué (ou joue encore) un rôle à part entière dans l'affaire.

La méthode narrative rappelle quelque peu certains romans de Thomas H.Cook. Le passé côtoie le présent de façon très naturelle, sans qu'une transition soit indispensable. Parfaite description de la vie d'antan, il faut le souligner. D'ailleurs, Chris assume : “Vivre dans le passé. Cette phrase est toujours employée de façon péjorative, comme si le passé était nécessairement inférieur au futur, ou en tout cas moins important. On ne reproche jamais à personne de regarder vers l'avant, seulement de regarder en arrière. Mais la vérité, c'est que nous vivons bel et bien dans le passé, que ça nous plaise ou non. C'est là que notre vie prend forme. Quelque part devant nous, près ou loin, c'est la fin. Mais derrière, enveloppé dans les nuages de l'oubli, se trouve le commencement.” (traduction Élodie Leplat).

Dans le décor des Cornouailles, une fascinante saga familiale racontée avec maestria, un roman d'une magnifique intensité. Ce suspense de Robert Goddard, le quatrième publié en France, s'avère absolument remarquable.

- "Le retour" de Robert Goddard est disponible dès le 28 août 2014 -

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