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28 octobre 2015 3 28 /10 /octobre /2015 05:55

Markus Sedin est un financier finlandais âgé de quarante-deux ans, un des experts de la Norda-Bank. Il est l'époux de Taina, qui fut une très compétente gérante de fonds pour la même banque. Elle est désormais en longue maladie, s'occupant de leur fils Ville, gamin imaginatif. En mars à Ostende (Belgique), Markus Sedin et ses confrères doivent finaliser un partenariat avec la banque De Vries. L'accord ne se présente pas vraiment bien. Lors d'une soirée dans un club local, Markus fait la connaissance d'une prostituée mi-Hongroise mi-Roumaine. Âgée de dix-neuf ans, elle se prénomme Réka. De retour en Finlande, se démenant peu sur le plan professionnel, Markus retrouve sa femme et leur fils.

Il renoue bientôt avec Réka, trouve même l'occasion de la rejoindre dans son pays. Il lui donne une belle somme pour qu'elle aide sa famille qui vit dans un taudis. Il achète un appartement dans un immeuble neuf d'Helsinki, afin d'y loger Réka dès le mois d'avril. La jeune femme se montre reconnaissante envers lui. Il mène alors une double vie, les affaires financières et ses proches comptant moins que les moments passés avec Réka. Pourtant, le 1er mai, le destin de Markus Sedin bascule. Il se trouve d'abord dans un état second puis, face à la situation, il va faire preuve d'énergie pour éviter les conséquences. Il se peut que l'enquête des policiers d'Helsinki ne fasse pas le lien avec lui.

Veuf de sa compagne Sanna, le policier Kimmo Joentaa est toujours en poste à Turku, à une centaine de kilomètres d'Helsinki. Il entretient une relation avec Larissa, vingt-six ans, qui se montre très secrète sur son vrai nom et sur sa vie. Pour lui qui cherche un semblant d'équilibre, c'est compliqué. Il apprend qu'un ami, Lasse Ekholm, vient d'avoir un accident de voiture dans la soirée du 1er mai. Anna, la fille du conducteur, est morte sur le coup. Kimmo Joentaa s'efforce d'apporter son soutien et sa présence aux parents sous le choc, Lasse et Kirsti Ekholm. Le père se souvient juste d'une lumière, d'un éclair, à l'instant de l'accident. Comme si avait surgi une voiture roulant nettement trop vite. La mère d'Anna ne sait trop de quelle manière réagir, dans une sorte de déni. Le père est hospitalisé.

Par ailleurs, quelque part en Finlande, Unto Beck est un jeune homme de dix-neuf ans. Il a de curieuses obsessions, telle sa machine à coudre, et adore les bonbons. Solitaire dont la candidature a été refusée par l'Armée, Unto exprime ses délires via Internet. Il paraît idolâtrer un certain ABB, un criminel scandinave. Gagné par ses fantasmes, Unto se laisse parfois aller à des diatribes violentes, des menaces extrêmes. Un comportement qui n'est pas sans inquiéter sa grande sœur Mari. Malgré tout, un rapport psy ne conclut pas à sa dangerosité. Alors que le projet qu'il rumine dans sa tête serait multi-meurtrier.

Kimmo Joentaa ne suit pas de très près l'enquête en cours, menée par Sundström, patron de la Criminelle de Turku, et ses collègues. Des policiers d'Helsinki sont aussi concernés. Il s'agit d'investigations autour du Villa Bella, un club-sauna de Salo, ville des environs. Le propriétaire admet que bon nombre de filles étrangères s'y prostituent. Toutes viennent de pays d'Europe de l'Est, sans qu'on exige leurs papiers, ni de savoir si un proxénète profite de l'argent qu'elles gagnent. Ceci explique la progression lente des policiers, jusqu'à la fin du mois d'août. Le couple Ekholm ne se remet pas vite de la mort de sa fille, non plus…

Jan Costin Wagner : Le premier mai tomba la dernière neige (Éd. Jacqueline Chambon, 2015) – Coup de Cœur –

Bien qu'il s'agisse réellement d'un polar, il serait erroné de l'aborder comme un suspense noir, un roman d'enquête, ou un thriller aux péripéties spectaculaires. N'attendons pas non plus une étude sur la société finlandaise, trop souvent qualifiée d'exemplaire. C'est à une poignée de personnages, dans le contexte d'aujourd'hui, que s'intéresse l'auteur. En tête, Kimmo Joentaa, déjà héros de précédents titres. L'empathie n'est pas un vain mot pour ce policier plein d'humanité. Il en fait la preuve envers des parents meurtris, autant que dans le cas du généreux amant de Réka Nagy. “Un pigeon amoureux qui s'est fait entuber, un imbécile heureux” estiment ses collègues. Joentaa le voit plus positivement.

C'est avec délicatesse que l'auteur décrit le traumatisme du couple Ekholm, avec finesse qu'il montre l'attachement de Joentaa à sa défunte compagne, avec justesse qu'il dessine le portrait de Unto Beck. Ce dernier manque de repères, se réfugie dans une virtualité qui le conduit à admirer l'excès, sans doute à se prendre pour un héros. Les financiers ne sont pas caricaturés, mais apparaît en filigrane leur froide superficialité, leur esprit combinard. Quant à l'ombre de Larissa, elle compte dans la vie privée de Joentaa. Une intrigue riche en subtilité, basée sur des ambiances d'une palpable densité : on se laisse volontiers captiver par ce remarquable roman de Jan Costin Wagner.

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18 septembre 2015 5 18 /09 /septembre /2015 04:55

Âgée de trente-sept ans, Alexandra Hemingway est policière à New York depuis dix ans, dont les sept dernières années à la Criminelle. De grande taille et sportive, elle pratique le kayak sur l'East River. Elle conduit son Suburban, un gros SUV, dans la circulation citadine. Elle s'est quelque peu éloignée de ses parents, mais garde contact avec sœur Amy, son frère Graham, et son oncle avocat Dwight. Elle vit avec Daniel, et vient d'apprendre qu'elle était enceinte de six semaines. Alexandra est une flic de choc, aux réflexes rapides et dure au mal. Suite au décès de son compagnon flic Moses Mankiewicz, l'affaire Decker entraîna des séquelles physiques pour elle. Se confier à la tombe du défunt policier participe à une sorte de psychothérapie. Son partenaire à la Criminelle, c'est Jon Phelps. Marié à Maggie, père de famille, il est bien plus âgé qu'elle. Il se cultive en regardant Discovery Channel. Bien que corpulent, Phelps est toujours vif quand il s'agit de réagir.

Des élèves de milieux fortunés âgés de dix ans, repérables dans leurs uniformes scolaires, sont kidnappés non loin de leurs écoles. Le cadavre du petit Tyler est retrouvé dans la rivière, deux heures après sa disparition, les pieds sectionnés. Puis, dans le cas de Bobby, on a égorgé son chauffeur qui l'attendait, avant de mutiler l'enfant à son tour. Les deux jeunes victimes étaient vivantes quand on les a amputées. Un suspect apparaît bientôt dans les fichiers de la police. Âgé de cinquante-six ans, Trevor Deacon fut inquiété trois décennies plus tôt pour pédophilie, mais peu poursuivi. Depuis qu'existe Internet, c'est si facile de trouver des mômes pour ces prédateurs. Les policiers débarquent dans le miteux logement de Deacon, muni de portes blindées. Ils y trouvent son cadavre découpé, depuis peu. Dans son congélateur, derrière une porte à l'effigie d'une araignée, soixante-quinze pieds d'enfants. Les pieds de ces garçons seront assez vite identifiés.

Après Bobby, retrouvé aussi dans l'East River, c'est le petit Nigel qui est victime du tueur. Tous trois ont été conçus par insémination à la clinique Park Avenue. Brayton, le médecin qui s'en chargea, a disparu depuis des États-Unis. Alexandra se heurte à l'hostilité de la féroce directrice, Marjorie Fenton, mais la policière fonceuse n'a pas peur d'elle. L'actuel médecin de la clinique, le docteur Selmer, se montre plus coopératif, parce qu'il sait que sa carrière est fichue. En fait, il sera bientôt éliminé. Probablement parce qu'il connaissait le nom de l'unique donneur, père génétique de soixante-sept enfants. La mort de Selmer permet à la police d'exiger l'accès à tous les dossiers des familles concernées. La plupart de ces parents ont des comportements spéciaux, aux yeux des enquêteurs. Alexandra fait appel à son oncle avocat afin d'explorer une autre piste, grâce au dealer de Deacon.

L'équipe d'Alexandra intervient à bord du ferry sur l'Hudson où on pense avoir localisé le tueur, à cause du GPS de son téléphone. Ils retrouvent encore une victime massacrée du même âge, le petit Zachary. Aucune trace du tueur sur les vidéos de surveillance du ferry. Le traitement à la clinique produisit également huit fillettes, autre piste pour Alexandra. Le tueur va viser la policière, mise en avant dans les médias qui traquent la moindre info dans cette affaire, mais se trompera de cible. Le tueur continue à s'attaquer à d'autres garçons, y compris lors d'une compétition sportive scolaire sur Randall's Island, où il supprimera un des collègues d'Alexandra. Comment cerner les vraies motivations et le mode opératoire de cet adversaire ?…

Robert Pobi : Les innocents (Sonatine Éd., 2015) – Coup de cœur –

New York est la métropole idéale pour situer une intrigue à suspense, quantité d'œuvres de fiction l'ont déjà démontré. Entre Central Park et l'East River, l'Upper East Side est le quartier le plus rupin de Manhattan. Population fortunée et classieuse, écoles huppées que fréquentent les heureux rejetons des meilleurs milieux. C'est dans ce décor peu anxiogène que l'auteur situe cette suite criminelle. Bien qu'on ne badine pas avec la sécurité dans ce secteur, une tension certaine va en gâter l'ambiance. D'autant que les médias racoleurs ne se privent pas d'alimenter l'inquiétude quels que soient les efforts de la police.

Au centre de l'affaire, une policière baroudeuse et son compère enjoué. Ils connaissent les statistiques sur ce sujet ultra-sensible : “Six mille cinq cents enfants disparaissent à Manhattan et dans les environs proches chaque année : quatre-vint-dix-sept pour cent de ces disparitions sont des fugues ; environ cent cinquante cas s'avèrent être des enlèvements commis par des parents qui n'ont pas la garde de ces enfants ou par des membres de la famille ; une quinzaine enfin disparaissent de la planète sans laisser la moindre trace.” Face à un tueur agissant vite, les flics se doivent d'être aussi réactifs.

L'étiquette "thrillers" s'applique à des romans souvent bien construits, riches en mystère et en rebondissements. Certains sont nettement plus convaincants que d'autres, quand ils parviennent à faire partager aux lecteurs le vécu et la psychologie des protagonistes dans un contexte particulier, troublant, angoissant ou sanglant.

Et puis, il existe des thrillers supérieurs, tel “Les innocents” de Robert Pobi. Non seulement, l'auteur utilise les meilleurs ingrédients du genre, mais il nous captive de la première à la dernière page. Parce que les victimes sont, pour l'essentiel, des enfants de dix ans brillants, surdoués ? Du fait que l'enquêtrice et ses collègues ne ménagent pas leur peine ? Parce l'assassin apparaît d'une grande perversité ? Oui, et pour beaucoup d'autres raisons. Un suspense enthousiasmant, palpitant, un des plus passionnants de l'année.

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19 août 2015 3 19 /08 /août /2015 04:55

Ex-journaliste, auteur du livre “Neuf pères”, Adam Langer se considère tel un littéraire. En réalité, il végète quelque peu à Bloomington, dans l'Indiana. Il est marié à l'universitaire Sabine, d'origine allemande. Ils ont deux filles, Ramona et Béatrice, dont Adam s'occupe. Ce qui constitue l'essentiel de son activité. À part pour alimenter leur blog satirique avec Sabine, il n'écrit plus guère depuis six ans. Lorsque le romancier Conner Joyce vient faire une prestation à Bloomington, Adam le contacte. L'auteur des aventures de Cole Padgett se souvient de l'interview qu'il lui accorda quelques années plus tôt. Les ventes des livres de Conner Joyce faiblissent, il est moins inspiré, et son quotidien avec son épouse Angie (Angela De La Roja), ex-flic new-yorkaise, mère de leur fils, apparaît plutôt morose. Son éditrice préfère miser sur Margot Hetley et ses histoires abracadabrantes, qui se vendent beaucoup mieux que les polars un brin répétitifs de Conner Joyce.

À Chicago, le lendemain, le romancier est contacté par un certain Pavel Bilski. Il le met en contact avec le septuagénaire Dexter Dunford, Dex, qui l'appâte avec dix mille dollars. Ce dernier lui montre sa bibliothèque, unique en son genre. Car il est le seul lecteur d'œuvres écrites spécialement pour lui par des auteurs rares, tels Truman Capote, Norman Mailer, Harper Lee, Jaroslaw Dudek, J.D.Salinger, B.Traven. Il propose à Conner Joyce un contrat se chiffrant en millions de dollars pour écrire lui aussi un roman policier en un exemplaire. Cet accord doit rester strictement secret. Néanmoins, Conner parle de l'offre étonnante à Adam Langer. Peut-être est-ce là un aspect de l'avenir du métier d'écrivain, alors Conner aurait bien tort de refuser. Les semaines passent, la situation d'Adam Langer et de son épouse se complique, les espoirs universitaires de Sabine étant contrariés. Ayant terminé son roman pour Dex, Conner Joyce recontacte Adam, lui racontant tout. Au départ, il était excité d'écrire, mais ça ne prenait pas la tournure du polar exigé par Dex.

Au nom de la rentabilité, il fut carrément viré par son éditrice, choisissant définitivement la vulgaire Margot Hetley. C'est alors qu'un scénario lui vint à l'esprit. Dans “Manuscrit sous embargo”, Conner Joyce se défoula sur les travers du monde de l'édition, pouvant désigner pléthore de suspects dans une affaire criminelle. Pas grave s'il y citait de vrais noms, Dex et Pavel seraient les seuls lecteurs. D'ailleurs, Conner toucha la somme qui lui était promise. De quoi vivre une longue période dans la tranquillité financière.

Entre-temps, il avait dû mentir à son épouse Angie sur le projet en cours, ce qui ne resta pas sans conséquences. La suite des évènements pose un gros problème au romancier. Ayant ses propres soucis, Adam Langer ne tient pas à s'impliquer là-dedans. Il s'étonne même que Conner lui fasse tant de confidences. Écrire un second roman pour Dex, intitulé “Coup du sort”, pourrait sortir Conner Joyce de la panade, ou pas…

Adam Langer : Le contrat Salinger (Super 8 Éditions, 2015) – Coup de cœur –

On ne trouve dans ce roman que des atouts favorables. À commencer par sa construction. Le narrateur est bel et bien Adam Langer. Il nous retrace les mésaventures de son "ami" romancier, en témoin autant que par le récit direct, tout ça avec une remarquable fluidité et des chapitres courts. Une histoire assez addictive, il faut le reconnaître. Le postulat (un contrat singulier) est également séduisant. On pense à ces riches notables d'autrefois, qui commandaient des films érotiques à leur seul usage. En plus "élégant", bien sûr, puisqu'il s'agit ici de littérature.

Comment ne pas être touché par les références évoquant B.Traven, J.D.Salinger, Harper Lee, auteurs se comportant en ermites après leurs succès ? Pour l'anecdote, il est question de la suite "Écrivain", chambre 813, à l'hôtel Drake de Chicago. En hommage à Arsène Lupin ?

L'Édition et son bizness servent de toile de fond à ce roman. L'industrie culturelle a ses règles de fonctionnement, comme les autres. “Toutes les grandes maisons d'édition ont leur superstar...” C'est grâce aux ventes importantes de ces "locomotives" que chacun est payé, que l'on continue à publier des auteurs peu rentables, qu'on tente de nouveaux talents. Adam Langer ne dénonce pas un fait connu et légitime, s'insurgeant plutôt avec ironie contre des comportements hautains, désagréables et stupides. Quant à son propre personnage, il a lui aussi son parcours, avec des détails signifiants quant au sujet. Une formule biscornue, que les futurs lecteurs et lectrices comprendront. Une intrigue riche et diablement maîtrisée, sur le thème du livre et teintée d'un humour bienvenu : on ne peut que savourer avec délectation !

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8 juillet 2015 3 08 /07 /juillet /2015 04:55

Carl Belmeyer, c'est le journaliste-star qui présente depuis trois décennies le JT de 20h sur la principale télé française. Âgé de soixante-et-un ans, il est apprécié du public pour son professionnalisme, sa sincérité, sa solidarité corporatiste, sa compassion pour les victimes. Sa crédibilité, il l'a acquise grâce à son mentor Pierre-Yves Maillet, soixante-douze ans, toujours directeur de l'info de leur chaîne. Privilégier le spectaculaire et parler vrai, telles sont les clés de la popularité de Carl Belmeyer. Avec ce pro, la fabrication d'un JT, c'est du grand art. Ou plutôt une vaste manipulation, le mensonge à tous niveaux, le show de l'info dirigée pour influencer les cerveaux disponibles. Inventer des polémiques, choisir les plus racoleurs des sujets, voilà comment faire de l'audience. En réalité, Carl Belmeyer est un orgueilleux dépourvu du moindre sentiment. Il vit dans le luxe, fréquente les puissants.

Un accident mortel s'est produit en direct dans une émission putassière de télé-réalité. Ce qui entraîne une situation de crise au sein de la chaîne. Rien d'insurmontable, mais déjà un public hostile se mobilise, manifestant contre eux. Un show fédérateur autour d'une vieille gloire du spectacle ne suffira pas à calmer l'opinion. Pour riposter avec efficacité, Carl Belmeyer est l'atout n°1 de sa chaîne. Pierre-Yves l'envoie faire un reportage spécial au Liberia, pays en plein chaos ravagé par la guerre civile. Si Belmeyer hésite, son image quelque peu écornée par ailleurs l'amène à accepter. L'argument du “retour au journalisme de terrain”, ça fonctionne, ça fait sérieux. D'autant que, dès l'aéroport, le départ de Carl Belmeyer est très médiatisé. C'est ainsi qu'avec une équipe technique de choc, il débarque peu après de l'avion à Monrovia. Où il retrouve sa consœur et ex-amante Sarah Rouvier.

Dans ce pays où toute règle a disparu, le journaliste masque mal son stress, sa trouille. Il n'a pas tort d'avoir peur car, rapidement, un grave incident oppose leur petit groupe à des militaires excités. Carl Belmeyer enlevé et séquestré, voilà qui est excellent pour la chaîne et ses audiences. Pierre-Yves supervise la campagne de communication visant à sauver cet otage du terrorisme qui ne faisait que son métier. Conditionné, le public va adhérer en masse. On distribue des badges et des tee-shirts, on a écrit une chanson interprétée par des étoiles filantes de la variété actuelle, on prépare un livre sur l'évènement signé par le kidnappé. Une vidéo où, sous la menace, Carl Belmeyer transmet les exigences de ses ravisseurs passe de l'AFP jusqu'au sommet de l’État. Tout cela n'est que mystification. Il est vrai que la journaliste n'est pas libre, mais il se trouve bien loin du désordre africain.

Le mercenaire serbe Emir Zarkan ? Même quelqu'un de bien informé comme Belmeyer ignore à peu près tout de lui, de ses actions meurtrières à travers le monde, au service du plus offrant. Il a failli être intercepté à New York, ce que le JT traita tel un simple fait divers. On ne le surnomme pas au hasard “le Chat” : Zarkan semble avoir droit à plusieurs vies. Seuls les services secrets de plusieurs nations mesurent la dangerosité réelle de ce tueur. Il paraît prêt à se laisser approcher aujourd'hui, non sans difficultés. Vrai-faux prisonnier, Carl Belmeyer peut-il jouer un rôle dans cette affaire ? Certains le pensent…

Michaël Mention : Le carnaval des hyènes (coll.Ombres Noires, 2015) – Coup de cœur –

Informer, éduquer, distraire, ce sont les missions de la télévision depuis le développement de ce média dans les années 1950. Il vaut mieux en parler au passé, car ces principes ont depuis longtemps disparu du petit écran. Côté information, la télé d’État gaulliste relayait déjà une image truquée du pays. Par la suite, tous les gouvernants et autres politiciens d'opposition se sont servis à outrance de la télé. Rares étant ceux qui leur aient apporté la contradiction, ils auraient eu tort de se gêner. Depuis les années 2000, via les émissions de témoignages ou les micro-trottoirs, l'info prétend donner la parole à la population. Un simulacre cynique de démocratie, autant que ces "marches blanches" existant seulement parce que la télé vient les filmer. Le public critique la télé-réalité, les talk-shows ineptes, les débats orientés, et les jeux débiles, mais ils les regardent… et y participent.

Déontologie journalistique ? Voilà la formule la plus hilarante du 21e siècle. À la télévision, le moindre journaleux se prend pour un roi de l'info. S'il se déplace à deux cent mètres de ses studios, le voilà intronisé reporter. S'il intervient ponctuellement au JT, sur les chaînes info, c'est la consécration. “Le succès des uns, c'est avant tout la crédulité des autres” est-il dit dans ce roman. Ce n'est pas favoriser la fameuse "théorie du complot" de rappeler que la communication et la manipulation sont omniprésentes. Choix d'invité(e)s toujours plus catégoriques dans leur propagande idéologique, de pseudo-experts plus affirmatifs que de véritables spécialistes attestés, de montrer un pape agréable succédant à un pape antipathique, de tous ces thèmes traités "qui intéressent les Français" alors qu'ils nous les imposent : gobez cette mixture antalgique sans réfléchir, c'est pour votre bien.

Ce n'est pas une thèse sur l'info télévisée que nous propose Michaël Mention, c'est un vrai roman noir d'aventure, riche en péripéties. Et en personnages, tous plus pourris les uns que les autres, il faut bien l'avouer. On en finirait presque par avoir de la sympathie pour le héros, présentateur du JT. Ça ne va pas jusqu'à là, car cette histoire mouvementée est l'illustration de la désinformation telle qu'elle se pratique de nos jours. Surtout ne jamais évoquer ce qui se passe dans l'ombre, les enjeux politiques ou financiers, internationaux ou locaux. Le journaliste va passer cette fois de l'autre côté de ce miroir-là, celui dont il exploite la version orientée dans son JT. "Liberté d'opinion, liberté de la presse", oui. Ce qui ne signifie pas être dupe des charlatans de l'information. Entre action et réflexion sur un aspect de notre société, encore un excellent roman de Michael Mention.

Michaël Mention, novembre 2014.

Michaël Mention, novembre 2014.

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25 juin 2015 4 25 /06 /juin /2015 04:55

Né en 1952, David Lamb est aujourd'hui âgé de cinquante-quatre ans. Il exerce le même métier depuis dix-neuf ans. Sans être fortuné, Lamb est aisé. Séparé de Cathy, il a pour amante Linnie, qui ignore qu'il ne vit plus avec sa femme. Dans la banlieue de Chicago, Lamb vient d'assister aux obsèques de son vieux père. Dans la rue, il est abordé par une enfant de onze ans, sorte de jeu entre élèves d'une classe de 5e. Cette fillette malingre, avec ses tâches de rousseur, se prénomme Tommie. Lamb la situe bientôt : “Une gamine livrée à elle-même. Qui obtient tout juste la moyenne à l'école. Ni jolie, ni sportive, ni intelligente. Simplement une gamine qui a grandi moins vite que les autres mais qui veut rester dans la course...” Tommie vit dans un quartier très modeste avec sa mère et le compagnon de celle-ci, Jessie. Pas malheureuse, mais rien de très chaleureux dans son existence.

Dès leur deuxième rencontre, une complicité naît entre Lamb et Tommie. Peut-être parce qu'ils sont tous deux plutôt solitaires. Il sent que cette enfant a besoin d'une autre vie, et lui parle d'aller camper ensemble quelques jours. Au fil de leurs rendez-vous, Lamb lui fait miroiter les décors des grands espaces, des prairies de l'Amérique rurale montagneuse. À son travail, on comprend que Lamb ait besoin de prendre du recul après le décès de son père. Normal qu'il prenne des vacances en ce beau mois de septembre. Pour Tommie, leur relation n'est pas conventionnelle, mais acceptable : “Et qu'est-ce que sa démarche avait de répréhensible ? Qu'un type comme lui offre un bon déjeuner à une gamine comme elle, qu'il la gâte un peu ? À elle, cela lui faisait du bien. Lui, cela agissait comme un remontant pour son cœur meurtri. N'est-ce pas ?” Ils vont effectivement partir ensemble, en pick-up.

De Chicago, ils voyagent vers le Wyoming et le Nebraska. Lamb l'apprivoise, joue au guide à travers les paysages si différents qu'elle découvre, s'improvise conteur lors des étapes en motels. La nuit étoilée, elle ne la remarque jamais en ville à cause des lumières. L'idée de rentrer la titille, forcément, car elle sait que leur périple passerait facilement pour un kidnapping. D'ailleurs, pendant ce temps, que se passe-t-il du côté de Chicago ? Lamb et Tommie arrivent à destination, une propriété campagnarde sur El Rancho Road. Il y a un chalet, qui mérite une sérieuse remise en état. Leur installation restera précaire, même s'ils complètent par quelques achats pour la fillette dans une petite ville des environs. Il ne faudrait pas que le vieux voisin Forster s'intéresse de trop près à eux. Ni que les souvenirs douloureux de Lamb remontent à la surface, gâchant cet épisode paradisiaque…

Bonnie Nadzam : Lamb (Éd.Points, 2015) – Coup de cœur –

En 2011, ce roman fut couronné par le Flaherty-Dunnan First Novel Prize. Les flagrantes qualités humanistes de cette histoire ont assurément pesé dans l'attribution de ce Prix littéraire. Il figura parmi la vingtaine de titres sélectionnés du "Women's prize for fiction 2013". Il s'agit bien d'un "roman noir", davantage au sens sociétal de cette appellation, qu'au niveau criminel. Néanmoins, une mineure de onze ans partant à l'aventure avec un quinquagénaire qu'elle connaît à peine, c'est assimilé à un enlèvement, au moins dans tous les pays occidentaux. Qu'elle soit consentante, qu'il soit généreux, qu'il la traite amicalement en la surnommant "porcinette", que cette initiative n'ait absolument rien de sordide, l'adulte est coupable. Même si la tendresse, la gentillesse ne sont pas des crimes.

Pourtant, le but de David Lamb est clair : “Tu verras, tout le monde va en sortir gagnant. Ça renforcera l'amour que [ta mère et Jessie] éprouvent l'un pour l'autre, et l'amour qu'ils ressentent pour toi… Tu posséderas en toi la quiétude de la terre. Tu sauras tellement plus de choses. Tu auras touché du doigt l'âme secrète de ce pays. Tu en seras même imprégnée. Et tu la transmettras aux autres.” Subsiste-t-il des ambiguïtés dans le rapport entre la fillette et l'homme ? La psychologie de Lamb est à la fois plus tortueuse et plus subtile que celle d'un ravisseur d'enfant. C'est un besoin profond qui explique cette espèce de fugue avec la jeune Tommie, comme la nécessité d'une étape hors des sentiers battus, en décalage avec la normalité du monde, avant une possible suite. Pas un strict polar, mais une remarquable intrigue, digne d'un sincère "Coup de cœur".

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28 mai 2015 4 28 /05 /mai /2015 04:55

En 1919, La Nouvelle Orléans est une grande ville comptant plus de 380.000 habitants. Malgré une géographie particulière et des ouragans ponctuels, sa prospérité vient de ses différences avec tant d'autres villes américaines, plus puritaines. Multiculturelle, "The big easy" tolère tous les excès permettant de faire la fête, même si le quartier de Storyville n'est plus autant un lieu de débauche. Si la forte population noire subit comme ailleurs la ségrégation, c'est elle qui donne sa tonalité musicale à cette agglomération, grâce au jazz et au blues. À l'image de ce jeune cornettiste de dix-huit ans, qui se nomme encore Lewis Armstrong. La mafia italienne est très présente à La Nouvelle Orléans. Ses membres sont des Siciliens, tous venus de Monreale, ce qui limite les guerres de clans. Gangrenée par la corruption, la police locale a une réputation exécrable.

Cette année-là, un criminel vite surnommé "le Tueur à la hache" assassine sauvagement depuis quelques semaines des couples d'épiciers d'origine italienne. Sur les lieux, il laisse à chaque fois une carte de tarot, images de luxe peut-être françaises, pas de la fabrication courante. C'est le policier Michael Talbot qu'on charge d'enquêter sur ce meurtrier qui va bientôt récidiver en tuant le couple Schneider, dont lui est avocat. Michael Talbot est marié avec Annette, ils ont deux enfants. Un mariage clandestin, car son épouse est Noire. Il sait que sa mission est une sorte de piège. S'il est très mal vu, c'est parce qu'il dénonça un de ses collègues, Luca d'Andrea. Cet inspecteur participait à de nombreux trafics. Il vient de sortir de prison, après une détention de cinq années.

Ida Davis est une jeune métisse de dix-neuf ans. Amie de toujours de Lewis Armstrong, elle n'ignore pas les tourments familiaux de celui-ci, même s'il conserve le moral grâce à la musique. Ida Davis est secrétaire de l'agence Pinkerton de La Nouvelle Orléans, dirigée par le flemmard Lefebvre. Pour prouver sa valeur de détective, Ida entreprend d'enquêter sur le "Tueur à la hache". Son ami Lewis va souvent l'accompagner, car la ville n'est pas si sûre. Ils interrogent d'abord Mme Hawkes, infirmière des premières victimes. Ida pense que cette série de meurtres masquent un trafic de fausse monnaie. Prenant en filature un jeune voleur malingre, Ida et Lewis aperçoivent son boss, Cajun massif à la barbe rousse. Il semble s'agir d'un nommé Morval, propriétaire d'une usine.

Côté police, Michael Talbot ne néglige pas les tuyaux du journaliste John Riley, qui lui conseille de rechercher un certain Lombardi. Kerry Behan est un jeune agent arrivé depuis peu de son Irlande natale. Il est conscient que Michael est mal aimé des autres, mais il va grandement l'aider. En 1911, le policier Jake Hatener traita une affaire ressemblant fort à celle du "Tueur à la hache", mais ce flic désagréable s'est bien gardé d'en parler à Michael. Suivant la consigne de leur supérieur, Michael et Kerry se renseignent sur des repris de justice supposés cinglés. Pourtant, c'est plutôt vers "la Main Noire" des Siciliens, que les deux policiers espèrent trouver des indices. Les mafieux prétendent que l'assassin ne peut qu'être un Noir, ce qui est très improbable pour Michael.

Mandaté par Don Carlo, le vieux caïd de la mafia, l'ex-policier Luca d'Andrea mène aussi son enquête. Un moyen de financer son retour en Sicile. Il va même jusque dans le bayou, contactant la prêtresse vaudoue Simone, sur le conseil d'un vieil ami Haïtien. Quand il est arrêté pour avoir cambriolé le bureau d'une des victimes du criminel, Luca d'Andrea propose à Michael Talbot de travailler de façon complémentaire. Quand John Riley publie une lettre écrite par le "Tueur à la hache", la panique gagne jusqu'à la mairie de La Nouvelle Orléans. D'autant que la ville est menacée par l'arrivée d'un nouvel ouragan…

Ray Celestin : Carnaval (Le Cherche Midi, 2015) ─ Coup de cœur ─

Pas de hasard si ce suspense a été récompensé en Grande-Bretagne par le Prix John Creasey du premier roman, par la Crime Watchers Association. L'intrigue s'inspire du cas réel d'un tueur en série signant Axeman qui, tel Jack l’Éventreur, cessa brutalement ses crimes (en octobre 1919) et ne fut jamais identifié. L'auteur reproduit la vraie lettre que ce meurtrier adressa à la presse. Cette fiction ne prétend pas reconstituer l'affaire telle qu'elle se déroula. Ray Celestin crée des personnages qui, selon des motivations diverses, enquêtent afin d'arrêter le coupable. Si le policier intègre Talbot et son assistant Kerry ont un rôle officiel, la mafia missionne un ancien flic pour mener d'autres investigations.

Il faut avouer que les deux plus attachants protagonistes sont Ida Davis, la téméraire secrétaire de chez Pinkerton, prête à sillonner la ville du French Quarter jusqu'aux docks, en passant par les honky tonks de Back'O Town et autres quartiers typiques, avec son ami musicien. C'est un Louis Armstrong jeune, à l'air encore poupin (“Son visage rond d'un noir très sombre était l'écrin idéal pour son sourire si reconnaissable”), mais qui a déjà traversé quelques épreuves, qui deviendra quelques années plus tard un maître du jazz. On frémit avec ce couple d'amis, déterminé et sans trop de complexes, mais plutôt inexpérimenté. Ils seront directement en danger : “Ida hurla et Lewis la dévisagea avec de la panique dans le regard. L'une des brutes, le plus petit, sortit une matraque et assomma Lewis.”

Enquête criminelle, certes. Néanmoins, c'est le contexte de La Nouvelle Orléans qui offre sa force à ce roman. Les décors sont restitués avec soin, sans toutefois s’appesantir. La mythologie de cette ville cosmopolite est évoquée. Non sans humour, lorsqu'est cité un héros local, Jean Lafitte : “Sans ce pirate on serait Anglais, et on parlerait leur langue.” S'il est question de culte vaudou, la prêtresse Simone est surtout guérisseuse, soignant même les pauvres filles après avortement. Bien que majoritaires, les Noirs ne peuvent pas grand choses contre le racisme ambiant, ni contre les lois. Mais à l'occasion d'obsèques, ou sur les bateaux à vapeurs du Mississippi, les meilleurs joueurs de blues et de jazz s'expriment, améliorant tant soit peu leur condition sociale.

À la veille de la Prohibition (qui entra en vigueur en janvier 1920), on consomme ici de l'absinthe, pourtant déjà interdite. La Nouvelle Orléans étant un port important, tous les trafics s'y développent. Bien entendu, tout en restant assez discrète, la mafia pèse sur l'économie de la ville. Les conditions climatiques ont aussi un sens, car la pluie drue est annonciatrice d'une tempête féroce. On le constate, l'aspect meurtrier n'est pas le seul atout favorable de ce remarquable suspense. Quant à découvrir l'identité du "Tueur à la hache", on verra bien si nos enquêteurs y parviennent. Un roman de qualité supérieure.

La Nouvelle Orléans en 1919 ( coll.Richard Campanella : www.richcampanella.com )

La Nouvelle Orléans en 1919 ( coll.Richard Campanella : www.richcampanella.com )

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12 mai 2015 2 12 /05 /mai /2015 04:55

Jarring est un lobbyiste quadragénaire carrément speedé. L'argent, il n'en manque pas, claquant de belles sommes pour s'acheter toutes sortes d'excitants, de drogues. Il en a besoin afin que son énergie ne retombe jamais. Son suivi chez un psy et les quelques antidépresseurs qu'on lui prescrit n'y suffiraient pas. D'autant que, quand il n'entend pas la voix de son défunt père, c'est celle de son chat qui lui parle. Ce qui est paradoxal chez lui, c'est qu'il est allergique aux félins au point de les maltraiter, mais qu'il ne peut s'en passer. Des problèmes auxquels il remédie grâce à l'alcool et aux substances illégales. Dans son job, il doit être shooté au maximum. Laissons-le expliquer son métier :

Je bricole des stratégies cyniques pour contrer les attaques permanentes des entreprises concurrentes de mes clients, je travaille aussi pour des politiques en manque d'image, ou tout simplement avec des petits soucis. J'adore mon job. Je bosse jour et nuit, vis à cent à l'heure […] Je suis le "Scarface" de la communication, "L'Inspecteur Harry" du lobbying. Je massacre, j'égorge, j'impose dans la douleur mes idées… enfin, celles de mes clients […] Ma réputation me précède. Des clients, j'en ai eu des milliers. Des stars, des gros poissons, des ministres. Mon carnet d'adresses est bourré à craquer de gens qui ne diront que du bien de mon travail. Que je sois défoncé, obsédé, pédé, drogué, complètement taré, ils s'en moquent. Je suis celui qui les a sortis de la merde…”

Sa nouvelle mission, pour laquelle son devis réclamera un budget conséquent, c'est de valoriser les OGM, de positiver autour de ces produits, peut-être de faire passer des lois qui les autoriseront sans restriction. Un tel projet tient sur un Post-It : “Une stratégie médiatique, un mouvement populaire, une réaction en chaîne sur les OGM. Une "réaction sociétale", faire entendre à la majorité d'un peuple que bouffer de la merde est vital, voire épanouissant.” Pour ça, il a besoin des méthodes de la communicante Catherine, une vraie tornade en contact perpétuel avec des tas de décideurs, et de son équipe affûtée. En plus, côté sexe, c'est aussi hyper chaud quand Catherine se déchaîne. Pour le défoulement, il se procure aussi un Magnum 357 digne de son héros, l'inspecteur Harry Callahan.

Trouver une personne charismatique qui incarnera les bienfaits des OGM, voilà la carte à jouer. Un casting, mille possibilités pour le staff de Catherine. Jarring pense que c'est un homme politique qu'il lui faut, pas trop connu donc malléable. Il repère le candidat idéal, député-maire dans un bled du Sud. Avec son dernier chaton et un stock de drogues, il file sur l'autoroute, trajet halluciné jusqu'à cette bourgade endormie. Hermétique aux réseaux Internet, ce trou perdu, ça ne va pas l'aider. À cause du chat, il est refoulé à l'hôtel local, et doit dormir dans sa voiture. À cause de sa désinvolture, n'ayant pas de rendez-vous, il est pareillement refoulé à la mairie. Il n'est pas coutumier de ces contretemps.

Difficile à joindre, le politicien lui donne finalement rendez-vous dans un garage de la commune. Pas de maire, mais des types patibulaires dans cet endroit louche. Le but est de le décourager, en employant la force sans hésiter, qu'il comprenne une fois pour toutes. Heureusement que, en état de choc, il va trouver un pharmacien compatissant. Le député-maire, il en a besoin pour l'opération OGM, mais il ne renonce pas à se venger des brutes qui l'ont tourmenté, non plus. Quitte à dépasser un point de non-retour…

Jérémy Bouquin : À mort le chat ! (Éd.Lajouanie, 2015) Coup de cœur

C'est un roman trash, agressif, décalé, provocant. Le premier chat-pitre est là pour nous donner la tonalité : sous amphétes et autres dopants type "pot belge", ça va zigouiller sec et remuer grave. Âmes sensibles et amis des chats s'abstenir. Le lobbying, ça ne fait pas dans la guimauve ultra-sucrée, ni dans la balade automobile respectueuse des limitations de vitesse. On charge la dose de stimulants sans modération, puis on secoue les idées et les gens, on force le passage et on impose son tempo d'enfer, dans ces milieux-là. Aucun sentiment, de l'efficacité. Tout est un produit, la politique venant en tête : “La politique est devenue un passe-temps. Les guerres de partis : ridicules ; depuis longtemps, j'ai compris que les valeurs, la vitrine, n'existent pas. Ces types sont des cannibales, des prédateurs juste bons à se massacrer... Escroqueries, abus, détournements, tout cela n'est que le triste background d'une caste qui préfère diriger à trouver des solutions.”

Dans la vie réelle, il semble que les carrières de lobbyistes ne soient pas tellement longues, ils tournent la page, trouvent une planque chez leurs relations. Ici, le héros aura-t-il cette sagesse ? À trop jouer avec le feu, à trop se prendre pour l'inspecteur Harry, les abus finissent par se payer, on s'en doute bien. Surtout si tout cela repose sur des bases plus tourmentées qu'il y paraît… Soyons clairs : la psychologie y étant brutale, il est plus que probable que ce roman noir déplaise à des lectrices et lecteurs habitués aux intrigues conventionnelles, aux histoires énigmatiques. Pour d'autres, ce rythme effréné, en sur-régime, avec ses moments sanglants et crasseux, c'est justement ce qui offre sa saveur acidulée à ce suspense. Voilà pourquoi “À mort le chat !” mérite un grand Coup de cœur.

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21 avril 2015 2 21 /04 /avril /2015 04:55

Âgé de vingt-six ans, Patrick Cusimano vit à Ratchetsburgh, dans la banlieue de Pittsburgh (Pennsylvanie). Célibataire, il est employé de nuit dans une station-service. Il est amateur de films d'horreur et de hard rock métal. Il habite avec son frère Mike et sa petite amie Carolyn dans la maison de leur père. John Cusimano est en prison après avoir, en état d'ébriété avancé, heurté et tué un enfant dans un accident de voiture. La population ne cache pas son hostilité envers ses fils Patrick et Mike, qui ont tardivement alerté la police. Sur Internet, on réclame la vengeance aussi à leur encontre. Troublé après un choc avec un cerf, Patrick ne veut plus conduire. Laisser sa voiture garée devant chez les voisins ne va guère leur plaire. Par ailleurs, au hasard d'une absence de Mike, Caro couche avec Patrick. Pour ce dernier, si proche de son frère, difficile d'effacer cette trahison.

Jeff Elshere est pasteur d'une communauté catholique radicale. Son épouse et lui ont deux filles. L'aînée, Layla, est une lycéenne âgée de dix-sept ans. Elle doit son prénom à une chanson célèbre d'Eric Clapton, avant que ses parents n'adhèrent à la religion. Son look gothique, Layla l'a choisi depuis l'an dernier, après un problème au lycée, polémique dans laquelle son père joua un certain rôle. Depuis, elle joue les rebelles avec une bande d'amis provocateurs. Entrant au lycée, sa jeune sœur Verna subit les conséquences de la pagaille semée par Layla. L'anonymat, elle ne doit pas y compter. Un groupe d'élèves imbéciles la surnomme Vénérienne, en raison de son prénom curieux. Il n'y a que le jeune Jared qui lui montre un peu de sympathie en cours de dessin. Au fond, Verna admet que Layla n'a pas tort de la traiter de "zombie obéissante", conforme à l'attente de leurs parents.

Tandis que Verna suit Layla et sa bande d'amis marginaux, allant jusqu'à se teindre les cheveux à l'exemple de sa sœur, la gothique Layla a fait irruption dans la vie de Patrick. Elle vient l'asticoter à la station-service, le relance ensuite pour qu'ils sortent ensemble. Le jeune homme sait que neuf années de différence, Layla étant mineure, ça risque de poser un sévère problème. Caro commence à vraiment s'inquiéter des menaces contre les frères Cusimano. La maison est toujours au nom de leur père : certains vengeurs pourraient bien faire pression pour qu'elle soit vendue. Se marier avec Mike, mener leur vie ailleurs, Caro ne sait si ce serait mieux. Pour l'heure, afin d'éviter un problème de voisinage, il faut vider le garage des affaires du père pour y ranger la voiture de Patrick.

Au lycée, Verna se forge une carapace pour résister : “Elle s'en fichait. Elle était coriace. Elle était du titane.” Après les saloperies des forums Internet, les graffitis sur son casier, et un "cadeau" de très mauvais goût, Verna est agressée et humiliée par le groupe de lycéen(ne)s hostile, qui filme la scène. La direction du lycée ne l'aidant pas, Verna rejoint sans complexe Justinien et les amis rebelles de Layla. La gothique et Patrick sont devenus de plus en plus intimes, même si le jeune homme ne sent pas de sentiment pour elle. Car il y a aussi Caro. Sans oublier tout le reste de leurs ennuis présents et à venir. Règlements de comptes et dérapages funestes sont à craindre…

Kelly Braffet : Sauve-toi ! (Rouergue Noir, 2015) – Coup de cœur –

Quelle place peuvent espérer les jeunes des classes moyennes modestes dans l'Amérique actuelle ? Le monde est-il si exemplaire, qu'il suffise de suivre un chemin tracé ? Est-il normal qu'on les confine dans des jobs sans intérêt, qu'on instrumentalise leurs esprits au nom d'une religion ou des codes traditionnels ? Pourquoi accable-t-on des fils pour la faute d'un père, pourquoi laisse-t-on l'impunité à des cadors de lycée persécutant les plus faibles ? Pourtant, ces jeunes gens sont simplement issus du quotidien et ne réclament que la paix, une vie tranquille. Qu'on leur accorde plus de confiance ou de liberté, face aux valeurs strictes en vigueur, est-ce si grave ? S'ils se marginalisent après avoir été montrés du doigt, n'est-ce pas la société qui risque d'en faire des monstres ?

Ces questions-là, Kelly Braffet ne les formule pas ouvertement. Néanmoins, c'est bien ce qu'elle illustre à travers cette histoire. Le regard qu'elle porte sur un aspect des États-Unis incite à la réflexion, non pas à juger les personnages. Leurs douleurs intimes, elle nous les transmet avec une belle empathie. C'est l'oppression "des autres" qui les perturbe, qui complique leur vie ordinaire. La force de se défendre, Layla l'a peut-être trouvée. Sa jeune sœur tente d'y parvenir. Patrick s'est replié sur lui-même, avec une part d'indifférence. Caro et Mike croient encore au futur. Une intrigue aussi sombre que fascinante de réalisme et de crédibilité, une sorte de témoignage sociologique, voilà ce que Kelly Braffet nous présente dans cet excellent roman noir humaniste.

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