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12 mars 2016 6 12 /03 /mars /2016 05:55

Âgée de vingt-cinq ans, Penny Harrigan est originaire du Nebraska. Ses parents habitent à Omaha, où elle fut étudiante. Aspirante avocate, elle n'a pas encore réussi ses diplômes. Peut-être parce que Penny ne croit guère être destinée à ce métier. Depuis six mois, elle est employée dans un grand cabinet d'avocats à Manhattan. Elle est consciente de n'être qu'une sous-fifre besogneuse obéissant aux ordres. Moins réaliste, Penny imagine que des agents de sécurité lui servent d'anges gardiens à New York. Entre sa moqueuse collègue Monique et ses deux colocataires, elle se demande ce que l'avenir lui réserve. C'est alors qu'elle fait par hasard, au cabinet d'avocats, la connaissance de Linus Maxwell. Malgré l'allure assez quelconque de Penny, ce milliardaire l'invite à dîner le soir-même.

Maxwell est un bel homme de quarante-neuf ans. Il a fait fortune dans les technologies qui s'appliquent à tant de produits actuels. Propriétaire de médias, il soigne son image en jouant au pygmalion avec certaines femmes. Grâce à Maxwell, Clarissa Hind est devenue Présidente des États-Unis. Il a été le mentor de l'actrice française Alouette d'Ambrosia, qui a reçu plusieurs Oscars. Si la princesse anglaise Gwendolyn est montée sur le trône, c'est suite à leurs rapports. À chaque fois, les relations entre Maxwell et ses compagnes durent exactement cent trente-six jours. Que cet homme puissant s'intéresse à une jeune femme aussi ordinaire que Penny, c'est très flatteur pour elle. Tel un conte de fée dont elle serait la Cendrillon. C'est lors d'un séjour à Paris que débute vraiment leur idylle insolite.

Penny y croise Alouette d'Ambrosia, qui lui conseille de ne jamais faire l’amour avec Maxwell. Jalousie d'ex-amante ? Néanmoins, elle ne tarde pas à entamer une expérience sexuelle avec son prince charmant. Penny admet vite qu'elle sert de cobaye à Maxwell : il lui fait connaître l'extase absolue, la jouissance permanente, en testant sur elle tous les gadgets qu'il a inventés. Cette gamme de sex-toys est innovante, issue de ses recherches scientifiques depuis de nombreuses années. Ils sont conçus pour satisfaire sexuellement tous types de femmes, dont Penny est exemplaire de la "normalité". Ils vont bientôt être commercialisés sous le label Beautiful You. Même si leur relation s'achève brutalement, les aspects financiers et médiatiques devraient convenir à la jeune femme.

Les ventes de la gamme Beautiful You explosent rapidement. Monique, avec qui Penny habite maintenant, en est une utilisatrice forcenée, comme des milliers de femmes. Elles pourront se passer des hommes si ça continue ainsi. Mais le produit-phare Beautiful You, la libellule intime, semble souvent défectueux. Envisager une action en justice contre Maxwell ? Le jeune avocat Tad Smith, ami de Penny et Monique, n'y croit pas longtemps. La Présidente des États-Unis intervient en personne auprès de Penny. L'affaire ayant pris une tournure meurtrière, et les diverses conséquences de l'utilisation de ces sex-toys étant néfastes, Penny doit réagir. Elle entreprend un périple jusqu'aux confins du monde pour mesurer le danger des projets de Maxwell…

Chuck Palahniuk : Orgasme (Sonatine Éd., 2016) – Coup de cœur –

À n'en pas douter, voilà un des romans les plus enthousiasmants de l'année. La tonalité de la narration s'avère à la fois ironique et énigmatique. Ça commence à la façon de milliers de romances, par l'ébauche d'un amour improbable entre la pauvre héroïne et le séduisant mâle charismatique. À l'opposé des codes classiques, la jeune femme pénètre dans un univers de débauche, bien plus pervers que "Cinquante nuances de Grey". Sans vulgarité ni masochisme, puisqu'il s'agit d'expériences basées sur la science et certaines traditions, Penny jouit des initiatives de Maxwell, scènes à la fois chaudes et techniques. On mesure l'écart entre l'image proprette des Américaines et la quête de plaisir intense qui habite les femmes ciblées par le démiurge. Tout cela étant raconté sur un tempo sans temps mort.

Le suspense porte donc sur la finalité des manipulations dirigées par ce diable de Maxwell. L'intrigue joue sur ses secrets et ses méthodes. C'est là qu'intervient la part sociologique du roman. Le marketing (depuis la conception des produits jusqu'à la vente, en passant par la publicité, facile quand les médias vous appartiennent) permet le conditionnement des clientes de sex-toys. Peut-être au point d'en faire des zombies. Alors, pourquoi ne pas les attirer vers d'autres articles que vendent aussi vos sociétés ? Mais l'objectif est encore plus vaste. Répudiés, des hommes tentent vainement de contrer le phénomène, non sans créer des troubles à New York. Ce qui ajoute une dose d'humour mordant au récit. Quant aux secrets de Maxwell, sa protégée est loin de les imaginer.

Même si ce n'est pas la seule cause, Internet a entraîné le développement de bon nombre de pratiques décomplexées. Le sexe étant de moins en moins tabou, même des personnes en apparence équilibrées peuvent glisser vers l'excès. Il est évident que Chuck Palahniuk a bien observé nos mœurs actuelles pour écrire cette fiction incluant des péripéties agitées, une satire sociale, des agissements criminels, et de multiples sourires narquois sur la recherche du nirvana. Le résultat est carrément fascinant ! Une histoire particulièrement inspirée.

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25 février 2016 4 25 /02 /février /2016 05:55

Danny Brogan et Claire Taylor vivent, avec leurs fillettes Barbara et Irene, à Madison dans le Wisconsin. Le couple partage les mêmes références culturelles, ayant trait à l'Amérique de 1930 à 1960. Danny a repris le bar-grill de son père, et ils habitent la maison familiale cossue. Sa sœur Donna s'est installée dans une autre ville du Midwest. Le parcours de vie de Claire Taylor, quadragénaire ayant huit ans de moins que Danny, fut plus sinueux. Elle fut adoptée à l'âge de trois ans. Adolescente, elle se passionna pour le théâtre. C'est ainsi qu'elle devint la petite amie de Danny. Ils se séparèrent quand Claire partit pour Chicago, dans l'espoir de développer une carrière de comédienne. Avec Paul Casey et leur groupe d'amis, elle vivota ainsi durant plusieurs années, sans rencontrer le succès. Huit ans plus tard, elle rentra à Madison, où Danny l'attendait. Depuis, ils mènent une vie stable.

À part Dee, son amie coiffeuse venue de Californie une vingtaine d'années plus tôt, qui lui a créé une page Facebook qu'elle n'utilise guère, Claire n'a que peu de relations. Le couple a perdu une forte somme d'argent voilà quelques mois, à cause de l'escroc Jonathan Gatt désormais en prison, mais Danny ne semble pas en faire un drame. Autour d'Halloween, pour se changer les idées, Claire vient de passer une semaine à Chicago. Elle a revu Paul Casey, par sentimentalisme mais pas vraiment pour renouer. Il a évité de lui préciser qu'il ne fait plus de théâtre, qu'il est employé dans la quincaillerie de son vieux père. Claire est de retour auprès de sa famille. Sauf qu'il n'y a personne chez eux. Elle s'aperçoit que la maison a été entièrement vidée, à l'exception de son espace personnel. Danny lui a laissé un signe rassurant. Claire est dans l'impossibilité de les joindre, ni lui, ni leurs filles.

Declan Hughes : Au-dessus de tout soupçon (Presses de la Cité 2016) – Coup de cœur –

Claire découvre le cadavre massacré de son chien dans leur propriété, telle une sinistre farce d'Halloween. Le lendemain, elle reçoit un avis officiel d'expulsion, la maison étant gage de leurs dettes. Puis se présentent deux flics locaux, Nora et Ken. Tous les trois constatent que le cadavre du chien a été remplacé par celui d'un homme. Gene Peterson, la victime, était un copain de Danny depuis qu'ils avaient onze ans. Claire l'a quelque peu connu aussi, plus tard. Le couteau de boucher de Danny est certainement l'arme du crime. Nora essaie de mesurer la situation. Par la suite, elle interrogera Dee et d'autres proches du couple. Ce sera une bibliothécaire ex-enseignante qui lui offrira les meilleures infos. La petite bande de copains composée de Danny Brogan, Dave Ricks, Ralph Cowley, et Gene Peterson fut autrefois au cœur d'une sombre affaire, qui marqua les esprits.

De son côté, Danny peut compter sur son ami cool Jeff Torrance pour qu'il le véhicule dans sa Mustang. Ayant mis ses filles à l'abri chez sa sœur Donna, il rencontre dans sa prison Jonathan Glatt. L'escroc nie toujours en être un. Surtout, il apprend à Danny une info fort troublante. Danny révèle ensuite à Jeff qu'il subit depuis son mariage un chantage, en lien avec son passé et celui de Ralph, Dave et Gene. Un manuscrit inachevé de Ralph Cowley relate l'affaire d'autrefois, accablant pour Danny. Le maître-chanteur est sûrement Gene Peterson, bien qu'il n'en ait pas la preuve. Encore ignore-t-il que Charlie Toland, Irlandais de Belfast, clandestin aux États-Unis reconverti en tueur-à-gages, est impliqué dans les faits actuels, en mission pour un certain M.Wilson de Chicago. Quant aux versions sur le drame du passé imputé à Danny, et sur la vie de l'orpheline Claire, il y en a plusieurs…

 

Declan Hughes concocte un suspense magistral, autour d'une famille supposée ordinaire. Que le mari soit encore perturbé par un épisode horrible vécu quand il avait onze ans, que sa femme ait traversé une époque plutôt bohème sans lendemain, ce sont des aléas de la vie. Chacun a bien le droit de taire, de laisser en retrait, des passages de son existence. Si ça n'impacte pas la "vie en société", les Américains tolèrent petits débordements et autres secrets très privés. Toutefois, l'apparence d'un mode de vie sans histoire peut devenir plus compliquée, si quelqu'un s'en mêle négativement. Harcèlement et manipulations pouvant entraîner des conséquences désastreuses, voire mortelles.

Si ce récit énigmatique nous procure une excellente impression, ça provient à la fois de la tonalité – avec un regard souvent ironique sur les protagonistes, des multiples faux-semblants, et des révélations que nous livre progressivement l'auteur – avec parfois quelques effets de surprise. Parmi les investisseurs floués par l'escroc, outre Danny et ses trois amis, il y a un cinquième nom qui étonne, par exemple. Une intrigue fascinante par sa solidité, impeccable avec sa précision d'orfèvre.

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9 février 2016 2 09 /02 /février /2016 05:55

À Rio-de-Janeiro, Teodoro Avelar Guimarães vit avec sa mère Patrícia, infirme en fauteuil roulant depuis l'accident qui causa la mort de son mari, et leur chien Sansão. Étudiant en médecine, Teo est depuis l'enfance indifférent au reste du monde. “Il n'aimait personne, ne nourrissait aucun attachement pour personne, n'éprouvait aucun manque, aucune nostalgie, aucune aspiration : il se bornait à vivre.” Existence routinière revendiquée : “Un vide rempli d'avance d'émotions ternes et timides. Et peut-être n'était-ce pas plus mal ainsi. En tout cas, il s'en accommodait.” Quand Noël approche, ce sont les vacances d'été au Brésil. Lors d'une soirée de fête où il s'ennuie autant que d'habitude, Teo fait bientôt la connaissance de Clarice Manhães, jeune fille menue âgée de vingt-quatre ans.

Teo est troublé par la désinvolture déroutante de Clarice, fille de bonne famille, étudiante décomplexée qui projette d'écrire un scénario de film intitulé “Jours parfaits”. Il s'arrange pour obtenir des renseignements sur elle, pour entrer à nouveau en contact. Clarice n'est pas dupe du jeu de Teo. Quand elle s'énerve contre lui, il l'assomme et la kidnappe. Il va la droguer avec un des médicaments de sa mère Patrícia, une fois rendus à son domicile. Teo doit calmer aussi le chien Sansão, qui a senti un problème, au risque d'empoisonner l'animal. Il se procure dans un sex-shop des objets de bondage, afin d'empêcher Clarice de s'enfuir. Teo évite de dire la vérité à sa mère au sujet de Clarice, évoquant sa nouvelle petite amie avec laquelle il va partir quelques temps en voyage.

En effet, Clarice avait prévu de s'absenter durant plusieurs semaines. Elle avait réservé un chalet isolé à l'Hôtel du Lac des Nains, à Teresópolis, afin de travailler sur son scénario. Teo et Clarice s'y installent, la jeune fille restant séquestrée et menottée. Pas évident que le jeune étudiant obtienne cette symbiose amoureuse qu'il espère : “Tu crois vraiment que m'enfermer et me faire des piqûres de narcotique toutes les cinq minutes va m'inciter à t'aimer ?” s'insurge Clarice. Néanmoins, leur première semaine de séjour se déroule à peu près bien, selon les critères de Teo. Il finit par acheter des alliances de fiançailles. Clarice fait semblant d'accepter sa demande en mariage, mais va tenter de prendre sa liberté en mains. Teo maîtrise la situation, punissant sa compagne.

Le violoniste Breno, véritable petit ami de Clarice, s'introduit nuitamment au chalet. Teo ne peut pas rester sans réagir. Le couple quitte rapidement les lieux. Puisque Clarice avait prévu de faire un repérage pour son scénario sur l'Ilha Grande, c'est la destination choisie par Teo. Non sans quelques soucis en cours de route. Il loue pour un mois une maison à une vieille dame prénommée Gertrudes, prénom qui fait fantasmer Teo. Par téléphone, il est ponctuellement en contact avec sa mère et celle de Clarice. Il paraît que la police est à la recherche de Breno. Malgré le décor idyllique, il se peut que la relation entre Teo et sa captive change brutalement. Et que la suite se complique bien davantage…

Raphael Montes : Jours parfaits (Éd.10-18, 2016) – Coup de cœur –

Raphael Montes écrit que sa mère lui suggéra : “Si tu essayais plutôt d'écrire une histoire d'amour ?” Ce jeune auteur brésilien (né en 1990) a suivi son conseil. En effet, il s'agit ici d'une intrigue romantique, d'une certaine façon. Toutefois, rien à voir avec la platitude de ces récits où, après tant de déceptions sentimentales, la belle héroïne larmoyante trouve (malgré quelques écueils) l'amour auprès du prince charmant, séduisant et équilibré, dont elle a toujours rêvé. Raphael Montes a concocté une aventure mille fois plus excitante que ces niaiseries à la guimauve. Non seulement les péripéties se succèdent sur un tempo de bon aloi, mais la psychologie de tous les personnages est d'une sacrée justesse.

S'apitoyer sur le sort malheureux de Clarice ? Décréter que Teo est cruel et pervers ? Ce n'est nullement l'intention que fait passer l'auteur. On comprend que, tous deux issus de famille honorables, Clarice et Teo sont des monstres d'égoïsme. La jeune fille se fiche des conventions, l'étudiant en médecine est centré sur lui-même. Absurdement, Teo maltraite Clarice pour se faire aimer, mais celle-ci s'aime-t-elle vraiment ? On trouve une belle part d'humour noir dans cette affaire. Difficile de citer des passages explicites, car ces sourires sont liés au contexte. Telle cette grande valise rose, si pratique pour transporter une frêle jeune fille. Suspense mouvementé, états d'âme et drôlerie se marient harmonieusement dans ce roman remarquable.

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22 janvier 2016 5 22 /01 /janvier /2016 08:00

Furio Guerri est marié à Elisa Domini. Le couple a une fillette de six ans, Caterina. Ils habitent une charmante maison en Toscane, à Torre del Poggio, entre Florence et Pise. Furio est commercial pour un gros imprimeur de la région. Son Alfa Roméo de collection, c'est l'un des bonheurs de sa vie. Même si son métier empiète sur la famille, Furio essaie de consacrer du temps à sa fille. Caterina est une passionnée des Chevaliers du zodiaque, c'est de son âge. Plus que jolie, Elisa était la fille la plus convoitée lorsque Furio et elle étaient ensemble au lycée. Il manigança un peu pour entrer dans la famille Domini, faisant partie de la bonne société. Mariano, le frère d'Elisa, n'était-il pas destiné à devenir un prestigieux médecin ? L'objectif de Furio fut bientôt atteint, quand il épousa la belle Elisa.

Dans sa profession, il est efficace. Peut-être pas le meilleur, son collègue quinquagénaire Magnani ayant plus d'expérience que lui, et un secteur d'activité facile. Entre les impayés d'éditeurs homos, et la concurrence des impressions à bas pris de Hong Kong, le métier a ses aléas. Il peut arriver aussi à Furio de commettre des erreurs : ses patrons accentuent la pression sur lui, qui se traite de couillon. Néanmoins, il réagit en s'appuyant sur un gros client, qui rêve de publier son nébuleux polar n'intéressant personne. Il découvre une faille dans l'image de son collègue Magnani, ce qu'il ne tarde pas à exploiter afin de lui piquer son poste et de devenir chef de ventes. Furio est quelqu'un qui réussit toujours à dominer les problèmes professionnels. C'est quand même moins vrai dans son couple.

Avec Elisa, l'équilibre familial commence à mal fonctionner. Parce que son travail trop prenant ne leur permet pas un voyage à Paris, tant souhaité par la petite Caterina ? C'est plutôt que Furio soupçonne Elisa d'infidélité conjugale. En réalité, elle passe pas mal de temps en compagnie de son amie Romina Bianchi. Elisa envisage de travailler avec elle, qui entreprend une campagne politique, encore que son rôle reste imprécis. Initiative qui déplaît fortement à Furio, car elle offre à sa femme une indépendance trop grande à ses yeux. Certes, sa complicité avec sa fille Caterina s'avère renforcée, mais les querelles se multiplient au sein du couple. Sans doute Furio a-t-il sa part de responsabilité, de fautes. Les scènes de ménage se répètent, toujours plus nerveuses.

Cette période de sa vie laissera des séquelles profondes dans l'esprit de Furio. Il est sujet à des cauchemars, où il est question d'une île. Il suit irrégulièrement le traitement médical qui lui est prescrit. Son Alfa Roméo de collection reste un des repères de son existence. Il poursuit seul un but qu'il s'est fixé. Pour y parvenir, il aura besoin de l'enseignante Laura Aletti. L'anonymat d'Internet va lui être utile, également. Heathcliff, le héros du roman "Les Hauts de Hurlevent", lui offre un atout majeur pour aller au bout de ce qu'il a prévu…

Giampaolo Simi : La nuit derrière moi (Sonatine Éd., 2016) ― Coup de cœur ―

Quoi qu'il en dise, Furio Guerri n'est pas un monstre. Grâce à son caractère déterminé, il est arrivé à une certaine réussite sociale. Il nous en raconte les détails, se souvenant du temps où il courtisait sa future femme, ne cachant pas son parcours en entreprise. Entre ce qu'il advient sur le moment et ce qu'il ressent a posteriori, son récit se veut honnête. Il a toujours aimé dominer les situations. Même quand elles se dégradaient au sein de son couple, au point de basculer. Bien que perturbé (“Ne pensez pas à la nuit qui va arriver, pensez à la nuit que vous avez laissé derrière vous” lui conseille son médecin traitant), il a une sorte de mission à accomplir.

Tous les éléments présents dans cette chronique sont exacts. Pourtant, ce roman ne se présente pas ainsi. Sa construction est bien moins linéaire, sans être tarabiscotée. Après une centaine de pages, l'histoire devient même limpide pour les lecteurs, tout en gardant sa forme particulière. Et sa vivacité narrative, car le rythme ne faiblit jamais. Faisant monter la tension, tandis que progressivement on s'attache aux personnages, l'auteur préserve le suspense avec une sacrée maîtrise. Captivant, ce polar de Giampaolo Simi ? C'est peu dire ! Une histoire intense par son sujet, remarquable par sa structure.

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12 janvier 2016 2 12 /01 /janvier /2016 05:55

Romain Delorme est né en 1870. Il est le fils d'Anselme Delorme, qui fit carrière dans la police avant une retraite financièrement aisée. Il est donc légitime que Romain entre dès 1908 dans les Brigades mobiles crées par Georges Clemenceau, les Brigades du Tigre. Par patriotisme, contre l'avis paternel, il s'engage comme combattant en 1914. Il va côtoyer entre autres le lieutenant Louis Pergaud, prix Goncourt quatre ans plus tôt. Romain frôle la mort en 1915, sauvé par un caporal juif, avant d'être hospitalisé à Paris. Il y retrouve Caroline Rémy, dite Séverine (1855-1929), journaliste libertaire féministe. Cette activiste, cible d'adversaires acharnés qu'elle ne craint pas, a des révélations à lui faire sur ses vraies origines. Ce qui permettra à Delorme d'affronter sans complexe son "père".

Depuis un quart de siècle, Romain a suivi un parcours plus que singulier. Il n'avait guère qu'une vingtaine d'années quand il fit ses premiers pas dans la police secrète, grâce à son mentor, Louis Andrieux. Si celui-ci tient un rôle ambigu, c'est pour le bien de la démocratie en France : “Un deus ex machina que rien ne gratifiait autant que d'élaborer dans l'ombre plans et manœuvres pour réduire des ennemis dont il se persuadait, non sans quelque raison, qu'ils étaient avant tout ceux de la République...” L'époque fourmille d'opposants : nationalistes, royalistes, anarchistes, anciens Communards. En permanence, leurs ligues défient l’État. Leur point commun, c'est l'antisémitisme. Tous estiment que les Juifs ont un pouvoir exorbitant. Les nationalistes proches des catholiques s'avèrent les plus féroces.

Officiellement journaliste, mais bel et bien policier pour Andrieux, Romain ne tarde pas à fréquenter les sphères politiciennes. Sous prétexte de reportage, il devient bientôt un proche du marquis Antoine de Morès. Cet aristocrate fit fortune en Amérique, avant de se présenter comme un des plus fervents ennemis des Juifs en France. Ami de Jules Guérin, qui publie des journaux antisémites, Morès bénéficie de soutiens influents qui financent son action. Les bouchers de La Villette, la Cité du sang, lui servent d'hommes de mains. À chaque scandale dénoncé, telle cette livraison à Verdun de viande à soldats prétendument avariée, Morès et ses partisans crient "victoire" contre les Juifs. Leur impact est encore faible, mais Andrieux redoute la montée en puissance de Morès et de son mouvement.

Assisté d'Aurore, son amante et sa secrétaire, Romain observe les évènements qui agitent cette fin de siècle. Tout un ramassis de contestataires provoquent de graves incidents, comme au mariage de Juliette de Rothschild. Autour de Jules Guérin et de son journal "La libre parole", ils excusent le terroriste poseur de bombes Ravachol, accusant la République de tous les maux. Tel Morès, on se bat en duel pour ses idéaux, on commet des meurtres caractérisés, on est acquitté quand même. Romain en tirera cette conclusion : “Je me vautre dans un monde effrayant où la parole donnée n'a aucun sens, où des traîtres de mélodrames passent leur temps à ourdir des machinations sordides et des complots si alambiqués qu'on se demande comment ils peuvent se tirer eux-mêmes du labyrinthe issu de leurs cerveaux pervers.”

Entre-temps, Romain a été témoin des suites de l'affaire Dreyfus, en attente de révision d'un procès inéquitable ; il a contribué à la riposte d'Andrieux contre les nationalistes, et à la contre-attaque de Clemenceau qui va provoquer la chute de Morès ; il a participé à l'affaire de Fort Chabrol, chez les antisémites de Jules Guérin ; il a appris la vérité sur la mort plus que suspecte d’Émile Zola, et bien d'autres situations où la police secrète eut un rôle à jouer. En 1934, quand il raconte tout cela, ressurgissent les sulfureux nationalismes, autant basés sur le populisme que sur les traditions anti-républicaines, prétextes à de virulentes campagnes anti-juifs…

Roger Martin : Il est des morts qu'il faut qu'on tue (Cherche-Midi Éd., 2016) – Coup de cœur –

Le titre, “Il est des morts qu'il faut qu'on tue”, est emprunté au poète Fernand Desnoyers. Il exprime bien la violence politique régnant en France à la fin du 19e siècle, depuis "la Semaine Sanglante" qui acheva la Commune, jusqu'aux débuts du siècle suivant, avec ses résurgences précédant la 2e Guerre Mondiale. Dans une démocratie terriblement fragile, chaque manifestation se solde par des morts. "Se battre pour ses idées" signifie souvent risquer sa vie, dans un climat larvé de guerre civile. Beaucoup complotent pour renverser le système en place, mais d'autres aussi pour le protéger. Manipulés, les "gauchistes" d'alors vont plus tard réaliser que le combat antisémite n'est pas le leur, l'affaire Dreyfus n'y étant pas pour rien. En ce temps-là, les nationalistes (notion à ne jamais confondre avec le patriotisme) se croient des opposants capables d'arriver aux portes du pouvoir.

C'est une fresque historique s'appuyant sur une documentation pointue que nous dessine Roger Martin. Bien qu'il s'agisse d'une fiction, on y croise des personnalités réelles d'alors. Dont ce méprisable marquis de Morès, aventurier fantasque plus escroc que fin politique, charismatique meneur des xénophobes de son époque. L'auteur ne s'attarde pas sur le procès de Dreyfus, mais sur ses conséquences, avec la mort douteuse de Zola, et son houleux transfert au Panthéon. Sans oublier l'épisode répressif du 51 rue de Chabrol, qui calma un moment les mouvements précurseurs du fascisme. Quant au politicien Louis Andrieux, luttant avec fermeté contre le désordre ambiant, il n'est autre que le père d'un célèbre écrivain du 20e siècle.

La "toile de fond" est historique, au plus près des réalités. Toutefois, connaissant bien les littératures policières, Roger Martin revendique plutôt le roman noir qu'un cours d'histoire. Les péripéties priment tout, ce qui est l'apanage de la fiction. S'il y a effectivement une leçon à tirer, elle peut s'adresser à d'autres auteurs, grâce à deux éléments exemplaires : la structure sinueuse du récit, merveilleusement maîtrisée, navigue à travers les époques sans que le lecteur ne s'égare jamais ; et la narration est d'une souplesse remarquable, d'une fluidité hyper-agréable. Qu'on ne s'étonne pas que soit utilisé un vocabulaire anti-juifs tel que celui de ce temps-là. Si quelques révélations plus obscures sortent de l'ombre en cours de route, l'auteur a misé (à juste titre) sur la plus grande clarté d'écriture. Voilà un roman magistral, de qualité vraiment supérieure.

- Ce roman est disponible dès le 14 janvier 2016 -

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30 novembre 2015 1 30 /11 /novembre /2015 05:55

À Barcelone en 1952, Ana Martí Noguer est pigiste à La Vanguardia, journal dont son père fut écarté à cause de ses opinions. Avec son épouse Patricia Noguer, Andreu Martí vivote désormais comme épicier. Ce sont le gouverneur civil Acedo et le procureur Joaquín Grau qui choisissent La Vanguardia pour couvrir une nouvelle affaire criminelle. Veuve depuis deux ans du médecin Jerónimo Garmendia, notable franquiste, la quinquagénaire Mariona Sobrerroca a été assassinée chez elle. Elle a été frappée puis étranglée mortellement. Elle était connue du grand public, souvent invitée pour des mondanités. Alors que le Congrès Eucharistique va se tenir bientôt à Barcelone, une enquête rapide et rigoureuse s'impose. C'est à Isidro Castro, modeste inspecteur obéissant aux ordres, qu'elle est confiée.

Son rédacteur-en-chef offre à Ana Martí l'occasion de démontrer ses compétences. Même si elle peut citer Raymond Chandler, elle reste néophyte en criminologie. Pas question de copier les rapports de police, néanmoins. Déjeunant chez ses parents, Ana est fière de leur montrer ce premier article plus sérieux que ses chroniques mondaines habituelles. Les autorités font pression sur la police pour obtenir des résultats, sans importuner les milieux huppés de Barcelone. Malgré tout, Castro et Ana interrogent Conchita Comamala ou Claudia Pons, bourgeoises épouses d'industriels qui connaissent déjà la journaliste. Peut-être sont-ce des ragots, mais il semble que Mariona ait eu depuis peu un amant. Effectivement, Ana repère des lettres stylées de celui-ci, signées du pseudo chevaleresque d'Octavio.

Ana n'a guère de relation avec la famille de sa mère. Suite à des obsèques, elle prend contact avec une cousine quadragénaire, Beatriz Noguer. Cette intellectuelle, linguiste éminente, vécut un temps en Argentine. Elle aimerait retrouver un poste à l'étranger. Elle est contrainte de vendre de précieux livres pour glaner un peu d'argent. De bon conseil, Beatriz a évité des pépins à son neveu Pablo, jeune avocat. Ana la consulte au sujet des lettres d'Octavio. Elle en déduit que Mariona a rencontré cet inconnu par petits annonces. Ana ayant déniché l'adresse du correspondant, à Martorell, toutes les deux explorent le logement de cet Abel Mendoza. Documents et comptabilité indiquent qu'il s'agit bien d'un gigolo, ayant extorqué de l'argent à quelques femmes romantiques par le même moyen.

L'inspecteur Isidro Castro se dit mécontent et peu convaincu par les investigations d'Ana. Toutefois, quand on découvre le cadavre de Mendoza sur la berge de la rivière voisine, il semble que soit résolu le meurtre de Mariona Sobrerroca : il a tué sa maîtresse et, se sachant traqué par la police efficace de la Nouvelle Espagne, il s'est suicidé. Explication qui ne convient guère à Beatriz, laquelle transmet ses doutes à Ana. Quand le procureur Joaquín Grau lit le dernier article d'Ana, il n'est pas satisfait par la tonalité ambiguë qu'elle emploie. Retourner aux chroniques futiles est un moyen de protéger la jeune femme. Mais un nouvel élément va bouleverser la donne : quelqu'un est en mesure de rétablir la vérité sur Mendoza, qui n'était pas l'assassin de Mariona. Après un autre meurtre, le danger va se rapprocher d'Ana, de Beatriz et de son neveu Pablo…

Rosa Ribas – Sabine Hofmann : La mort entre les lignes (Seuil, 2015) – Coup de Cœur –

Disons-le clairement, ce roman est une excellente surprise. Par sa thématique, on pouvait craindre une histoire austère par son climat, autant que didactique sur les effets de la dictature franquiste, voire accusatrice. Certes, on ne nous cache pas l'appauvrissement de ceux qui ne collaborent pas avec le régime. Ni la prudence d'un journal tel La Vanguardia, risquant quelque rétorsion ou la censure. Même l'ambitieux procureur, ex-juge militaire, reste sur ses gardes. Malgré la propagande élogieuse suggérant une Espagne "moderne", c'est dans une société sclérosée que vivent les protagonistes. La "bonne société" donne l'illusion d'une opulence, d'une normalité et d'un dynamisme, qu'on devine factices.

L'intelligence du duo d'auteures consiste à ne pas charger l'ambiance, à gommer une part de noirceur, à nous offrir une tonalité bien plus légère. Si l'enquête policière est au crédit d'Isidro Castro, c'est la jeune Ana Martí Noguer qui en est l'héroïne. Ce qui agace son collègue machiste qui eût dû suivre l'affaire, et laisse sceptique l'inspecteur Castro. Issue d'une famille de journalistes, astucieuse pour obtenir certains renseignements, son instinct féminin constitue un de ses meilleurs atouts. Sa cousine universitaire Beatriz Noguer va, elle aussi, tenir un rôle non négligeable dans cette aventure. Ce qui témoigne en filigrane de la solidarité qui, en ces époques d'intransigeance politique, régnait dans les familles espagnoles fidèles à un autre idéal que le franquisme.

Des crimes, oui, mais aussi beaucoup d'occasions de sourire, en suivant les tribulations d'Ana. Qui la mènent à travers les quartiers du Barcelone d'alors, des Ramblas à Montjuïc, jusqu'aux rives du fleuve Llobregrat. Évocation subtile d'un autre temps, telle par exemple cette gare qui “était devenue la destination d'arrivée des émigrants du sud de l'Espagne, désireux d'échapper à une faim qui, selon la version officielle du régime, n'existait pas.” Le tempo narratif plein de vivacité, excluant toute lourdeur, nous entraîne fort agréablement. Un polar extrêmement séduisant et malin, une véritable réussite.

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22 novembre 2015 7 22 /11 /novembre /2015 05:55

En Californie, les deux frères Spellacy étaient natifs du quartier de Boyle Heights, peuplé de prolos d'origine irlandaise. En ces premières décennies du 20e siècle, avec tous ces catholiques fervents de leur entourage, devenir religieux ou policier constituaient les meilleures voies pour progresser. Desmond Spellacy choisit la prêtrise. Durant la guerre, il fut aumônier-parachutiste. Ce qui lui octroya des médailles et de solides relations. Il entra tôt dans la hiérarchie épiscopale. En 1947, âgé de trente-huit ans, fréquentant les milieux huppés, Desmond est chancelier auprès du cardinal Hugh Danaher. Ce dernier s'affiche exigeant sur le financement des projets de l’Église. Il peut faire confiance à Desmond pour trouver les solutions, quitte à frayer avec des mafieux de la construction.

Il est l'ami de gens troubles tels que Jack Amsterdam, Mexicain par sa mère, Juif par son père, homme d'affaire dont l'entreprise de bâtiment masque des activités illégales. Son passé de proxénète, on ne doit plus s'en souvenir. Desmond Spellacy couvre aussi les écarts des dignitaires catholiques. À ce rythme, vu son efficacité, on le nommera Évêque auxiliaire avant ses quarante ans. Ce qui signifie pour lui être “enterré vivant”, car son équilibre dépend de sa vie publique, golf et soirées mondaines. Même si des morts suspectes se produisent, ce sont des incidents que Desmond ne craint pas de surmonter, en bon combinard. On peut déjà dire que, vingt-huit ans plus tard, au milieu des années 1970, on le retrouvera dans une paroisse oubliée de tous au milieu du désert.

Son frère Tom Stellacy est devenu policier. Il a fondé une famille, mais son épouse a été internée à Camarillo pour raisons psychiatriques. Sa fille est devenue nonne, son fils a une entreprise vendant des objets religieux. Toujours l'influence catholique. Tom fit partie de la brigade des mœurs de Wilshire. À cause d'embrouilles avec la prostituée Brenda (au service de Jack Amsterdam), il fut muté grâce à des appuis à la Brigade criminelle de Los Angeles, où il se trouve en 1947. Il a alors une quarantaine d'années. Son supérieur Fred Fuqua applique des méthodes "modernes", espérant devenir préfet de police. Tom a pour partenaire Frank Crotty, flic plus ancien que lui. Avec son langage "direct" et son manque de conscience professionnelle que Tom tolère volontiers. Frank a investi ses bakchichs dans une affaire commerciale avec des asiatiques.

Ce sont les patrouilleurs Bingo (pas très futé) et Lorenzo (un Noir consciencieux, promis à de hautes fonctions bien plus tard) qui sont les premiers à trouver un cadavre de femme découpé en deux, à l'angle de la 39e Rue et de Norton. L'inconnue a un cierge planté dans le vagin et un rose tatouée près du pubis. Les indices autour sont brouillés. Cette belle jeune femme sera difficile à identifier. Frank Crotty estime logiquement que leur enquête est vouée à l'échec. Leur chef Fuqua crée une "brigade des crimes graves" à cette occasion, ce qui n'a guère de sens. Les dénonciations et autres témoignages farfelus ne vont pas les aider. Savoir, grâce au légiste asiatique, qu'elle mangea peu avant sa mort des pâtés impériaux, non plus. Le journaliste Howard Terkel attend, lui, des révélations croustillantes sur cette affaire criminelle. L'affaire de "la Vierge impure" est lancée.

Tom trouve un peu de répit auprès de son amante, Corinne Morris, qu'il sauva naguère lors d'une prise d'otage foireuse. Quand Mgr Gagnon est victime d'un infarctus alors qu'il se trouvait avec une pute, Tom et Frank avec Bingo et Lorenzo s'arrangent pour exfiltrer le cadavre. Desmond et le cardinal imagineront une explication du décès digne du prélat défunt. Les frères Spellacy se revoient pour un déjeuner, même s'ils restaient en contact. Les vacheries fraternelles fusent entre eux. Si l'épouse de Tom devait sortir de psychiatrie, ce qu'annonce Desmond, ça risquerait de bientôt compliquer la vie privée du policier et de Corinne.

On ne peut se contenter de vagues suspects, dans le genre du pervers Rafferty. Par son ex-colocataire Gloria, la victime est finalement identifiée : Lois Fazenda. Le CV de cette jeune femme de vingt-deux ans, originaire de Medford dans le Massachusetts, vivant en Californie depuis trois ans, montre son instabilité. Ses proches actuels et ses amants de passage disposent d'alibis. Serait-ce dans le milieu ecclésiastique, avec ses prolongements financiers, que Tom Spellacy devrait enquêter ? Ce dossier, officiellement résolu par Frank Crotty, ne sera pas sans impact sur son frère Desmond et lui…

John Gregory Dunne : True confessions (Éd.Seuil, 2015) – Coup de cœur –

Le meurtre jamais élucidé après-guerre d’Elisabeth Short à Los Angeles, voilà une histoire qui nous rappelle quelque chose ? Une dizaine d'années après le présent roman, James Ellroy écrira “Le dahlia noir” s'inspirant du même sujet. D'une façon plus factuelle et dure, avec une narration moins enjouée et moins souple que dans ce “True confessions”. Les deux titres ont chacun leurs mérites, mais l'ambition n'est pas identique.

John Gregory Dunne pointe du doigt l'hypocrisie générale régnant en Californie après la guerre. En plein essor, cet État se veut dynamique, s'autorisant jusqu'à des malversations financières qui ne semblent inquiéter personne. Corruption et faux-semblants à tous les niveaux : au sein de l’Église catholique (tels ces civils décorés d'Ordres religieux, ce Monseigneur recevant de luxueux cadeaux à chaque anniversaire, sans parler des contrats d'urbanisme dévolus aux amis), dans la police (entre lucratifs pots-de-vins aux inspecteurs et honneurs pour les chefs), tandis que la presse en tire profit également.

Le récit est ponctué de sourires, en témoigne ce passage. Desmond évoque un futur pèlerinage de groupe en Europe, quinze étapes en quatorze jours : “On saute Paris pour gagner directement Lourdes, avec un peu de chance on y entendra parler un sourd-muet, ou un aveugle recouvrira la vue en notre présence. Un voyage pareil, ça doit être marqué par des temps forts. Puis une nuit à Fatima. Apparemment, on fera halte à tous les endroits où la Sainte Vierge a atterri. Puis une audience générale du pape à Rome, pour les élèves du Saint-Rosaire et quinze mille de leurs amies les plus proches. Je servirai de chaperon, c'est tout. ─ De peur qu'elles se fassent niquer par les macaronis ? ─ C'est curieux, Tommy, j'avais l'intuition que tu ferais une remarque dans ce style.” D'autres scènes et dialogues sont d'un humour encore plus grinçant.

Initialement paru en français sous le titre “Sanglantes confidences”, ce roman bénéficie d'une nouvelle traduction. Si des écrivains confirmés comme George Pelecanos (qui signe la préface de cette édition) et Thomas H.Cook considèrent que c'est un roman majeur, on ne pourra pas les contredire. D'abord, soulignons une belle galerie de personnages, où chacun est présenté avec autant de franchise que de subtilité. On visualise aisément le mafieux entrepreneur Jack Alexander, l'arriviste chef de la police Fuqua, le cardinal qui s'affiche intransigeant, les flics de base Bingo et Lorenzo, la décomplexée Corinne, ainsi que tous les autres. Avec, au centre, les frères Spellacy. Tous deux intelligents, ils portent un regard divergeant sur ce qui les entoure, et sur leur propre vie. Bien que sa foi soit très relative, Desmond pense grimper encore dans l'échelle sociale. Tandis que Tom apparaît d'un cynisme blasé, pas dupe de la médiocrité ambiante, fut-ce chez les catholiques.

Latinos, Noirs, Asiatiques, Irlandais, et bien d'autres communautés ethniques, cohabitent dans l'agglomération de Los Angeles en 1947. John Gregory Dunne s'applique à nous faire partager le climat de l'époque, dans une brillante reconstitution. Sans porter de jugement, il esquisse les réalités. Son “écriture” s'avère splendide, non seulement fluide mais avec le ton juste, dans les dialogues autant que dans la structure scénaristique. Par exemple, il insère en finesse le passé militaire de Desmond, pour nous faire comprendre que le "plan de carrière" du prêtre débute là. Pas si anecdotique non plus, le cas des pompes funèbres de Sonny McDonough, dont un ou deux paragraphes expliquent son arrangement avec l'épiscopat pour les obsèques de paroissiens pauvres. Habiles retours sur l'origine des frères, ou sur la folie de l'épouse de Tom, aussi. Ce sont tous ces détails qui offrent du caractère, de l'humanité, de l'authenticité à l'histoire.

L'enquête sur le meurtre de "la Vierge impure", Lois Fazenda ? Elle progresse, bien sûr. On connaîtra le nom du présumé assassin. Ce dont, ainsi que le dit George Pelecanos, on se contrefiche. Ce n'est pas un roman d'énigme. Il s'agit d'un portrait soigné de la Californie d'alors, d'un puzzle parfaitement cohérent. Y compris dans sa conclusion, vingt-huit ans après les faits criminels. “True confessions” de John Gregory Dunne est un roman noir d'une qualité exceptionnelle, ça ne fait aucun doute.

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2 novembre 2015 1 02 /11 /novembre /2015 05:55

Chastity Riley est procureur à Hambourg, au nord de l'Allemagne. Elle apprécie le quartier animé de Sankt Pauli où elle vit, près du port. Elle est la fille d'une mère allemande volage partie s'installer aux États-Unis, dans le Wisconsin. Son père américain l'éleva seul du côté de Francfort. Il se suicida quand elle eut juste vingt ans. Il repose à Belhaven, en Caroline du Nord (États-Unis) auprès de sa famille. Chastity préféra son pays natal, et Hambourg. Elle n'a qu'une seule amie, la brune Carla, qui tient un bar. Ensemble, elles assistent aux match de l'équipe de foot de Sankt Pauli (3e division) qui compte beaucoup de supporters. Grande fumeuse, buvant sec, sujette à des vertiges, Chastity reste volontiers célibataire.

Non sans des rapports sexuels épisodiques et torrides avec (Henri) Klatsche. Ce jeune et séduisant voisin est un ex-repris de justice, reconverti dans la serrurerie. Au bar de Clara, Chastity côtoie depuis peu le distingué Zandvoort. Assez agréable, peut-être envahissant pour elle. Chastity pense qu'il remplacerait avantageusement l'amant de Clara, Fernando, avec qui son amie a eu des problèmes. Mais Clara choisit un Écossais pour nouvel amant. À la Kripo, la police criminelle, Chastity éprouve de l'affection pour le commissaire Faller. Marié et plus âgé, il se montre paternel avec elle. Elle fait aussi confiance à l'inspecteur Calabretta, d'origine italienne, professionnel solide. Assistante du légiste, Betty Kirschtein lui semble posséder un caractère volontaire, qui en ferait une possible amie pour Chastity.

Le cadavre d'une jeune femme nue coiffée d'une perruque de fête est découvert sur les rives de l'Elbe, près du port d'Hambourg. Elle a été scalpée, après avoir été endormie au phénobarbital à haute dose. Cette inconnue âgée d'environ vingt-cinq ans n'a pas subi de relation sexuelle. Grâce à Klatsche, Chastity a rendez-vous avec un petit mac de Sankt Pauli, Basso. Mais ils le retrouvent massacré chez lui. Avec ou sans lien vis-à-vis de cette affaire, car il était mêlé à divers traficotages. Selon des contacts chez les prostituées, la victime était plutôt strip-teaseuse dans l'un des clubs du quartier chaud du Diez. En effet, finalement identifiée, cette Margarete y était employée. Le commissaire Faller suit une autre piste : Siggi Poings-de-Fer, ex-caïd de ce secteur, peut-être pas si "rangé".

La deuxième victime découverte au bord de l'Elbe par un pêcheur à la ligne est une jeune femme de dix-neuf ans, Henriette Auer. Même barbiturique et même mode opératoire que dans le cas précédent. Elle aussi était danseuse au club l'Acapulco, ce que ne nie pas le patron de l'établissement. Klatsche avise son amie Chastity des rumeurs qui commencent à circuler dans Sankt Pauli. Tout ce dont la police est sûre, c'est que les victimes ont suivi sans méfiance leur assassin. C'est Chastity elle-même qui trouve le troisième cadavre, en se promenant sur une plage de l'Elbe. Strangulation, victime scalpée et perruque, une fois encore. Peut-être que des traces de pneus sur la plage offriront un indice utile.

Les journaux de Hambourg mettent la pression sur la Kripo. Les flics ne restent nullement inactifs : ils surveillent discrètement l'Acapulco, dont les danseuses servent d'appâts. Ils identifient presque à coup sûr le propriétaire du véhicule. Et découvrent les raisons de la mort du petit truand Basso. Certes, l'assassin des filles sera arrêté. Ce ne sera pas sans conséquences dangereuses pour Chastity et le commissaire Faller…

Simone Buchholz : Quartier rouge (Black Piranha, 2015) – Coup de Cœur –

Un excellent roman policier se démarque principalement grâce à deux éléments, la qualité de son intrigue criminelle et la capacité de restituer un ambiance singulière, authentique. Sur ce point, aucun doute : nous voilà plongés dans le district de Sankt Pauli à Hambourg, sous la grisaille qu'illuminent les néons, avec l'Elbe et les infrastructures du port. C'est l'auteure qui en parle le mieux : “Quelque part derrière les nuages, les étoiles brillent dans le ciel et un agréable sentiment de bien-être me gagne : ici, je suis chez moi. Dans ce petit quartier miteux, avec ses pavés esquintés, ses immeubles sombres, ses guirlandes lumineuses, ses joies et ses peines, ses histoires dérisoires mais sympathiques, son éternel crachin.”

Elle dessine encore d'autres moments : “C'est vendredi soir, et le quartier rouge brille de mille feux. Les rues se remplissent… Le week-end, le public du Kiez est incroyablement varié. Parfois, j'aimerais que le quartier redevienne comme il était il y a cinquante ans, lorsque personne n'osait y mettre les pieds...” Une vraie déclaration d'amour au quartier.

Quant à l'aspect criminel de cette histoire, c'est également du costaud. Pas seulement parce que des meurtres de prostituées, ça apparaît réaliste : quantité de faits-divers ont relaté ce genre de crimes. Le modus operandi est fatalement celui d'un tueur en série, aux sombres motivations. Surtout, on retient l'imbrication entre le métier et la vie privée, chez la procureure Chastity Riley et dans son entourage (on suit aussi les amours agités de son amie Carla).

Entre Klatsche, plus jeune qu'elle, et le protecteur commissaire Faller, trop âgé pour être son amant, Chastity se cherche quelque peu. Elle n'est pas insensible au charisme de l'inspecteur Calabretta, non plus. Ce qui n'empêche pas la jeune femme d'être intrépide dans son boulot. Une héroïne idéale, à laquelle on s'attache très vite. Un suspense énigmatique et percutant, addictif. On espère que les quatre autres polars de cette série seront prochainement traduits en français, car celui-ci est impeccable. – Coup de Cœur –

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