Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
17 août 2016 3 17 /08 /août /2016 04:55

Au Brésil, Antônio Francisco Bonfim Lopes naît le 24 mai 1976, dans la favela de Rocinha, une des plus populeuse de Rio-de-Janeiro. Antônio est le fils de Dona Irene, employée de maison, et de Gerardo Lopes, barman. Il a un demi-frère, Carlos, premier fils d’Irene. À cette époque, entre un afflux de gens venus de régions pauvres du pays et une économie mal en point, les favelas sont de plus en plus touchées par les trafics de drogue. Les gangs sont issus de mouvements guérilleros, tel le Commando rouge. Dênis de Rocinha est le premier caïd à s’intituler "parrain" et à instituer une organisation basée sur le narcotrafic. Il est soutenu par des représentants des quartiers, élus. Malgré le climat violent et la drogue qui circule, une certaine stabilité règne dans la favela de Rocinha, qui grossit.

Antônio est âgé de douze ans au décès naturel de son père Gerardo, qu’il vénérait. Garçon intelligent, il ne va pas se mêler des affaires crapuleuses liées aux trafics, mais obtenir un bon emploi et se marier avec Vanessa quelques années plus tard. Hélas, âgée d’environ neuf fois, leur fille Eduarda est victime d’une maladie rare, histiocytose langerhansienne. Le traitement s'avérera efficace, mais horriblement coûteux. Âgé de vingt-quatre ans, Antônio est contraint d’abandonner son travail. Dans le même temps, l’incompétence du nouveau président brésilien provoque une catastrophe économique dans le pays. À Rocinha, le taux de mortalité violente est en forte hausse. Soixante pour cent de la consommation de cocaïne de Rio passe par cette favela. Dênis étant hors jeu, c’est le "parrain" Lulu qui dirige les activités mafieuses. Il est nettement mieux organisé que son prédécesseur.

Un tournant s’opère dans la vie d’Antônio, qu’il faudra maintenant appeler Nem. Lulu lui a accordé un prêt, et l’a fait entrer dans son gang, avec un rôle modeste. Face à la police corrompue et aux milices paramilitaires crées dans les années 1990, les trois factions de trafiquants sont néanmoins prospères. Avec un taux de plus de soixante-dix homicides pour cent mille habitants, Rio reste une des villes les plus criminelles du monde. C’est en partie dû à la guerre opposant les gangs rivaux. Le "parrain" Lulu va y remédier en partie, grâce à une bonne gestion de Rocinha. Fermeté, générosité, bizness rentable, charisme, autant de qualités qui font qu’on le respecte. Antônio-Nem fait bientôt la preuve qu’il est un des meilleurs lieutenants du "parrain" Lulu, gérant avec fluidité ses responsabilités.

Côté personnel, c’est un peu plus compliqué pour Nem. Vanessa est de nouveau enceinte, mais sa nouvelle "fiancée" Simone, aussi. Les deux femmes n’entendent pas que Nem se défile. Le truand Dudu, ex-caïd de Rocinha, et sa bande disputent sa suprématie à Lulu. En avril 2004, à Pâques, ils causent de sérieux troubles dans la favela, sous l’œil du BOPE, le service d’action commando de la police. Malgré les conseils de Nem, Lulu est assassiné. Une période d’instabilité va logiquement s’ensuivre : trop fêtard, le "parrain" Bem-te-vi n’a qu’un rôle provisoire dans la succession. C’est Nem qui, avec l’aide de son ami d’enfance Joca, devient le nouveau chef. Il reste dans la ligne voulue par Lulu, limitant même le port d’armes dans les rues afin de faire baisser la mortalité violente.

Exit Joca, trop impétueux. Nem s’allie avec Bibi-la-dangereuse, bénéficiant ainsi de l’aide du truand Saulo. Mais diriger sans faille l’organisation est un vraie casse-tête pour Nem. “Une entreprise stressante et complexe, certes, mais qui tourne du feu de Dieu.” En 2008, il va se remarier avec la belle Danúbia, vingt-et-un ans, et apparaître tel un notable de Rocinha. Tandis que la politique du président brésilien Lula porte ses fruits, Nem est cible d’une enquête menée par un trio de policiers : Barbara Lomba, Reinaldo Leal et Alexandre Estelita ne le lâcheront plus, même si son arrestation doit être désordonnée. Réaliste et fatigué par une vie trop dense, Nem entame un processus de reddition…

Misha Glenny : Nem de Rocinha (Globe Éd., 2016) – Coup de cœur –

“Depuis l’arrestation de Dênis de Rocinha en 1987, plusieurs parrains se sont succédé pour diriger le secteur au nom du Commando rouge. Leur espérance de vie moyenne, une fois au sommet, était de dix mois environ, leur carrière étant abrégée soit par une arrestation, soit la plupart du temps par un assassinat. Au cours de cette période, Rocinha a souvent été répartie entre deux ou trois chefs, tous désignés par Dênis depuis sa cellule.
Ce dernier divisait pour mieux régner, ce qui provoquait de sérieuses frictions entre les dirigeants du haut et ceux du bas, leur autorité découlant directement du stock d’armes constitué grâce aux bénéfices du trafic de drogue. C’étaient en général de jeunes hommes entre dix-sept et vingt-huit ans. Si certains se montraient raisonnables, d’autres étaient de quasi-psychopathes avec un goût très marqué pour la violence. Lorsque Dênis donne sa bénédiction à Lulu en 1998, l’ambiance s’améliore donc grandement.”

Ce livre ne raconte pas seulement l’histoire d’Antônio, dit Nem de Rocinha. Ce reportage nous décrit la société brésilienne, la vie à Rio de Janeiro, en particulier depuis la décennie 1980, à travers un quartier singulier. Quelle image avons-nous de ces favelas ? Violentes mais pittoresques, populaires et gangrenées par les trafics ? C’est bien trop parcellaire pour en comprendre le fonctionnement. Car le système socio-économique qui s’impose ici n’a pas d’équivalent exact dans les pays occidentaux. Il serait trop basique d’affirmer que c’est l’argent de la drogue qui fait vivre ces faubourgs de Rio. Vrai, mais l’organisation des favelas est largement plus complexe. Les habitants miséreux ne pouvant pas compter sur les autorités, il s’est créé une autonomie financière de quartiers.

Économie parallèle et mafieuse ? Oui. Toutefois, le système doit autant à l’attachement des Cariocas à leur favela : même employés dans les secteurs chics de Rio, ils y gardent un lien fort. Souvent, ils y habitent toujours, bien que hantés par la peur, la mort étant omniprésente à Rocinha ou dans les favelas autour. S’il est concret, avec les rivalités entre gangs que ça suppose, et un rapide turn-over des caïds locaux, le concept de Mafia est facteur d’équilibre. Certains "parrains", tel Lulu, sont avant tout des "juges de paix", durs avec les malfaisants, bienveillants envers la population. Il suffit de corrompre des policiers mal payés pour s’assurer qu’ils laisseront tranquille les gangs. C’est ainsi que la notion de "sécurité" prend un tout autre sens, bien plus meurtrier, dans les favelas.

À l’opposé de tant de sujets sur le Brésil, le reporter Misha Glenny ne se contente pas d’un regard superficiel sur l’évolution récente de ce pays. Avec lucidité, il transcrit l’atmosphère dans laquelle vit le peuple brésilien. Il souligne cette capacité d’adaptation : le principe mafieux apparaît le "moins mauvais" pour surmonter la pauvreté, on l’adopte. Pour des gens intelligents comme Antônio, ça peut devenir un moyen – risqué – de grimper dans l’échelle sociale. Une ascension rapide ne permettant guère de rester au sommet, on s’en doute, car les rouages du système mafieux sont viciés. Il arrive même que des forces de police fassent correctement leur métier, puis que la justice écarte du jeu les "parrains" en les plaçant dans des prisons hautement sécurisées.

Voilà un livre vivant, édifiant, puissant, fascinant, retraçant la vérité tumultueuse d’une favela, explorant au-delà d’un reportage ordinaire des réalités brésiliennes humaines, tourmentées et brutales. Remarquable !

 

- "Nem de Rocinha" est disponible dès le 18 août 2016 -

Partager cet article
Repost0
5 août 2016 5 05 /08 /août /2016 04:55

Tom Kendall tient depuis an et demi une boutique de monnaies anciennes, timbres, livres d’occasion, magazines. Un commerce qui fonctionne, mais ne sera vraiment rentable que dans les années à venir. C’est pour Tom Kendall un moyen de reconstruire sa vie. Ancien combattant durant la guerre de Corée, il avait épousé la brune Marie, timide et taciturne. Une nuit, il retrouva Marie morte égorgée. Évidemment, Tom fut le premier suspect. Mais le docteur Greene démontra que son emploi du temps plaidait pour lui. Et qu’il pouvait s’agir d’un suicide, car la dépressive Marie souffrait de "mélancolie régressive". Leur ami Art Hughes avait tenté de la soutenir moralement. Après l’affaire, il resta fidèle à Tom.

Ce dernier fit un séjour en psychiatrie, puis ouvrit sa boutique. Sa petite amie Katherine Munson, dite Kit, une grande blonde au franc-parler, collabore avec lui et souhaite qu’ils se marient. Elle finit par quitter Tom, qui retarde toujours l’échéance car il culpabilise encore. Il imagine possible qu’il ait assassiné Marie. En effet, Tom a des "absences", des trous de mémoire sur des moments précis, quelques heures ou toute une nuit. Le fait qu’il ait tendance à s’alcooliser n’arrange rien. Les mots tels "tailler" ou "trancher" le révulsent. Son ami Art Hugues semble prendre ses distances, lui conseillant de consulter un psy. Un soir dans un bar, il est pris à partie par un sale voyou muni d’un couteau, Joe Calgary, bientôt stoppé par Tom et les barmen.

Tom finit la nuit avec Trixie Fisher, la fille rousse que l’autre ringard espérait racoler. Au matin, quand il se réveille, Tom se retrouve avec le cadavre ensanglanté de Trixie, égorgée. Il ne peut certifier qui l’a tuée, Joe Calgary ou lui. “Un couteau est silencieux”, se répète-t-il. Tom alerte la police, puis il est amené au commissariat. Le lieutenant de police Cohen fait correctement son métier. Le District Attorney Howard apparaît bien plus roublard. Vu le passé de Tom, de lourdes charges peuvent être retenues contre lui. Le poignard ayant servi pour tuer Trixie a été volé dans la boutique de Tom. Joe Calgary, introuvable, semble hors de cause.

Kit ne laisse pas tomber Tom : elle a engagé un avocat sérieux, son ex-fiancé Anthony Mingo. Toutefois, un témoignage accable Tom : il est reconnu par l’aveugle Blind Bill. Quand Joan, une amie de Trixie, est assassinée de manière identique, le D.A.Howard n’a d’autre choix que de faire libérer Tom. Ne pas se disculper par lui-même, comment serait-ce possible ? “Brusquement, je réalisai que je n’avais pas l’intention de tenir ma promesse envers Howard. Je ne pouvais pas rester à l’écart de ceci, parce que j’étais toujours dedans, jusqu’au cou. Et je resterais impliqué dans cette affaire jusqu’à ce qu’on ait retrouvé le tueur. Jusqu’à ce que j’aie été réellement innocenté et que Kit le sache, et n’ait plus peur de moi” se dit Tom.

Après que Blind Bill soit passé à sa boutique pour s’excuser de son erreur, Tom se rend chez l’avocat Mingo. Il s’aperçoit de la fascination de celui-ci pour les criminels sanglants d’autrefois. Une passion excessive, estime Kit, qui le connaît bien. Dans un bar mal famé, Tom est contacté par Helen Calgary. Sans nouvelles de Joe, celle-ci lui avoue tout ce qu’elle sait. Le policier Cohen préférerait que Tom cesse de jouer au détective amateur. Pourtant, il lui appartient de définir le rôle de chacun autour de cette série de crimes…

Robert Bloch : L’Éventreur (Fleuve Noir, 1983) – Coup de cœur –

Bien qu’il y ait évidemment ici des allusions au célèbre criminel londonien de 1888, il ne faut pas confondre ce roman avec “La nuit de l’Éventreur” du même auteur, qui évoque l’histoire de Jack l'Éventreur. Le présent titre fut publié (par François Guérif) en 1983 dans la collection Engrenage du Fleuve Noir, puis chez NéO en 1989, et chez Pocket en 1994. Plus aucune réédition depuis vingt-deux ans, ce qui est aberrant pour un suspense d’aussi belle qualité. Car c’est un chef d’œuvre du roman criminel qu’avait concocté Robert Bloch. Le mot n’est pas un superlatif exagéré : tout est agencé avec maestria pour ménager le suspense, offrir de multiples hypothèses – toutes plausibles – quant au nom du coupable, et même envisager que le héros ne soit pas si innocent qu’il le prétend.

Si le principal suspect se nomme Joe Calgary, ce n’est ni un hasard, ni en référence à la ville canadienne, dans l’Alberta. C’est un clin d’œil au film de Robert Wiene “Le cabinet du Docteur Caligari” (1920). D’ailleurs, il en est question dans une scène, citant en particulier les acteurs Werner Krauss et Conrad Veidt. Ce film-culte traite de la folie meurtrière, tout comme cette fiction de Robert Bloch. Un thème qui passionnait cet écrivain. Il prête à un de ses personnages une (malsaine) fascination comparable pour les assassins.

Écrit en 1954, ce livre présente aussi un aspect sociologique. Le héros a été marqué par un épisode vécu durant la guerre de Corée, alors encore récente. Il souffre d’amnésie partielle, problème de santé longtemps mal compris aussi par la justice. À l’époque, les États-Unis n’admettant ni leurs faiblesses, ni les séquelles des conflits, la médecine s’occupe peu des troubles post-traumatiques. À noter aussi, deux belles pages sur la clochardisation : “Oh, c’est facile de se sentir satisfait de soi-même, distingué et supérieur, quand on passe à côté des clodos […] Il suffit de presque rien pour commencer, une toute petite pichenette… Vous perdez votre boulot, votre maison, votre femme ou les gosses, ou tout simplement vous perdez votre sang-froid…”

Ce roman n’est pas dénué d’humour. À l’exemple de Cohen, l’enquêteur, qui n’est pas un Irlandais comme beaucoup de flic d’alors, et n’a pas l’allure de sa fonction : “C’était peut-être un excellent policier, mais jamais il n’obtiendrait un rôle dans une émission policière à la télé.” Ou de ce barman, agacé par les ruses grossières des flics. Sans oublier une sacrée auto-dérision de la part du héros : “Tom Kendall, le détective amateur. Quelle était l’histoire déjà ? Ah oui, le détective amateur qui s’introduit dans la chambre du meurtrier, à la recherche de preuves et qui se fait assommer. Très amusant, vraiment, pourtant c’est ce que je faisais en ce moment même. J’étais là sans revolver, ni couteau, ni lime, ni pince-monseigneur, ni même une lampe électrique. Rien, à part une petite intuition et une grande case en moins.” [traduction de François Truchaud].

Bien au-delà d’un "classique de la Littérature policière", un roman magistral qui mérite un Coup de cœur pour son excellence absolue.

Partager cet article
Repost0
18 juillet 2016 1 18 /07 /juillet /2016 04:55

Vrainville est une petite bourgade normande au bord de la Manche, non loin de Dieppe. On y vit plutôt bien, car l’économie locale est depuis longtemps florissante grâce aux Ateliers Cybelle. C’est après la Première Guerre Mondiale que Gaston Lecourt entreprend de créer une activité qui profitera à toute la population. Une fabrique de sous-vêtements féminins voit bientôt le jour, employant toujours davantage de couturières. Gaston Lecourt négocie d’abord avec une acheteuse parisienne, puis développe la diffusion des produits haut-de-gamme des Ateliers Cybelle. On construit à Vrainville cent quarante-neuf maisons pour loger le personnel, sans exiger de loyer. Gaston Lecourt met à disposition de tous son vaste appartement parisien et sa grande villa, pour des activités de loisirs.

Son fils Marcel Lecourt prend sa succession, restant dans la ligne édictée par le créateur des Ateliers Cybelle. Le premier samedi d’août reste la fête rituelle en mémoire de Gaston Lecourt ; le jour où les ouvrières reçoivent leur prime annuelle, aussi. Les sous-vêtements se vendent toujours aussi bien, assurant encore la prospérité de Vrainville. Ensuite, c’est le fils de Marcel, Vincent Lecourt, qui reprend les rênes de la fabrique, assisté par sa sœur Hélène. Dans le même temps, son ami assureur Patrick succède également à son propre père, à la mairie de Vrainville. Étant déjà patron, Vincent n’a pas visé le poste de maire. Il envisageait une autre carrière, les circonstances l’ont amené à suivre la voie familiale. Il y a le cas de leur autre ami de jeunesse, Maxime, responsable du C.E. aux Ateliers.

Orphelin, Maxime fut élevé par sa grand-mère. On s’étonne ici qu’il soit resté à Vrainville, alors qu’avec son talent, il aurait pu connaître un autre destin. On le suppose attaché à la bourgade où il a toujours vécu. Mécanicien d’entretien à la fabrique, Maxime s’est marié avec Marie, employée aux Ateliers Cybelle. Par le passé, Marie a traversé une épreuve qui marqua sa vie. Âgée de dix-neuf ans, future aide-soignante en études à Nancy, elle fut une des trois victimes d’un violeur. On la rapatria rapidement dans son village natal, qu’elle n’a plus quitté depuis. Ces viols se produisirent dans la nuit du 12 juillet 1998, à l’heure où les footballeurs français furent sacrés champions du monde. Entre Dieppe et Vrainville, une autre affaire eut lieu la même nuit, un accident de voiture.

Vincent, Patrick et Maxime étaient à bord de la 205 GTI du premier, rentrant chez eux à la suite d’une soirée arrosée. La voiture des trois étudiants heurta la jeune Fanny, habitante de la commune. Lâchement, ils quittèrent les lieux, non sans avoir été repérés par le clan Lecarré, des marginaux bagarreurs qui firent après coup chanter Marcel Lecourt. Si le violeur de Marie fut arrêté, cet accident ne fut jamais élucidé. Sortie du coma handicapée, Fanny mit de longues années à se reconstruire, devenant finalement webmaster. Chacun des trois jeunes poursuivit son parcours jusqu’à aujourd’hui. Il convient aussi de citer la jeune Mélie née le 12 juillet 1998 à Marseille, admiratrice des Ateliers Cybelle ; et William, policier Noir, de parents Réunionnais, qui venaient en vacances à Vrainville autrefois.

La crise économique ! Les délocalisations, la compétitivité, le ralentissement de l’activité ! Les Ateliers Cybelle sont à leur tour touchés par le problème. C’est pourquoi, bien que lui-même continue à vivre dans le luxe, Vincent Lecourt a décidé de vendre son entreprise à un fonds de pensions américain, le Cabinet Barns. Un jeune avocat français cynique est chargé de préparer le rachat. Ou plutôt, de mettre la pression sur l’ensemble du personnel à commencer par le Comité d’Entreprise. D’imposer des loyers, jusqu’alors gratuits, et surtout de désorganiser la production des Ateliers. Mélie, engagée depuis peu, et Maxime motivent la population pour s’opposer au rachat. C’est seulement quand il y a un mort que les médias s’intéressent au combat solidaire des ouvrières des Ateliers Cybelle…

Hervé Commère : Ce qu’il nous faut c’est un mort (Fleuve Éd., 2016) – Coup de cœur –

Il est vrai que le monde bouge, que l’économie change, que la mondialisation a bouleversé les pratiques commerciales, que nous devons tous nous y adapter. Il est certain que des entreprises parfois centenaires ne peuvent plus fonctionner dans l’esprit des fondateurs, qu’elles ne peuvent plus être aussi généreuses avec leur main d’œuvre. Pourtant, cette approche comptable – donc dénuée d’imagination – de la gestion de sociétés, est-ce vraiment une fatalité ? Chacun rend l’autre responsable : les dirigeants d’entreprises qui fabriquent accusent le commerce de tirer les prix vers le bas. Les clients gagnent moins, dépensent moins, et c’est ainsi que déclinent les entreprises. Néanmoins, le train de vie des décideurs économiques n’a pas baissé, ni celui des actionnaires principaux. Quant aux cercles de la finance, ils se portent très bien, jouant avec des milliards.

En ces temps de crise, c’est une grande partie de la population qui subit les conséquences de la baisse du pouvoir d’achat. Certes, on ne nous le cache pas, les médias relatent des cas houleux ou douloureux à travers la France. En se gardant bien de désigner les vrais fautifs, de dénoncer la connivence entre l’univers financier et ces "grands patrons" qui se moquent du sort de leur personnel. Plus facile de s’en prendre aux politiciens impuissants. Quant à ce qu’on appelait autrefois la solidarité ouvrière, elle a généralement disparu : on réclame des indemnités pour soi quand l’entreprise ferme, les autres on s’en fiche. Voilà la triste réalité. Il peut y avoir des situations différentes, plus réactives tant que l’esprit d’union existe encore. Ces exemples se font rares. C’est ce qu’Hervé Commère illustre remarquablement dans ce "polar social".

Cette histoire est un chassé-croisé de personnages. Puisqu’ils représentent la population, au-delà même de ce village, c’est légitime. On n’a pas de mal à discerner chacun dans son rôle, sans qu’il y ait la moindre caricature. À part des gens plus pervers que la moyenne, hermétiques à toute humanité tel l’avocat, il n’y a là ni gentil, ni méchant. Bien sûr, par égoïsme, le patron Vincent n’est plus dans la ligne de son aïeul, mais sa sœur Hélène tente de rester la garante des idées d’origine. Celle-ci admet qu’eux d’eux ne sont pas des victimes, contrairement au personnel des Ateliers Cybelle. Sauver cet outil de production, cela exige de s’engager, de se battre, d’y croire toujours. La jeune Mélie n’est pas la seule à "en vouloir" : on appréciera la façon dont elle humilie l’avocat. Pour ce qui est de faire connaître leurs revendications, il est évident qu’une mort suspecte attirera les médias.

Pour qu’on parle de "polar social", il est nécessaire qu’apparaisse un aspect criminel, voire plusieurs. Cette base est présente dès le début du scénario. Un viol et un accident, qui ont modifié tant de choses dans le parcours des victimes ! Puis intervient une autre mort, peut-être un suicide, ou un meurtre ? Si William, policier Noir de 38 ans, doté d’une ravissante épouse et d’un charmant bambin, suit les faits se déroulant à Vrainville, ce n’est pas strictement pour mener l’enquête. Plutôt pour comprendre ce qui a changé depuis son enfance dans ce village, naguère quasi-paradisiaque. Sa couleur de peau suscite un brin de racisme, mais lui octroie une position neutre dans le conflit social en cours. Si le puzzle est complexe – les êtres humains et leurs actions étant ainsi faits, Hervé Commère organise magistralement son récit. Un roman noir "véridique", a lire absolument.

Partager cet article
Repost0
18 juin 2016 6 18 /06 /juin /2016 04:55

Originaire de New York, Maureen Coughlin est âgée de trente ans. Elle s'est installée à La Nouvelle Orléans, où elle termine sa formation d'agent de police. À New York, quelques mois plus tôt, elle a traversé une épreuve violente, ce qui l'a incitée à tourner la page. Diplômée, elle doit faire ses preuves sur le terrain, avant d'être titularisée. Elle est tutorée par le sergent Preacher Boyd, gros bonhomme placide autant que chevronné. Ce qui contraste avec Maureen, sportive musclée mais plutôt maigrichonne. Elle reste en contact avec sa mère Amber, et le compagnon de celle-ci, Nat Waters, retraité du NYPD. Ils ont fêté ensemble sa remise de diplôme, dans le Vieux-Carré de La Nouvelle Orléans. Maureen veut prouver qu'elle a toute sa place dans la police d'ici, largement restructurée depuis le désastre causé par l'ouragan Katrina.

Bill Loehfelm : L'antre du mal (Éd.10-18, 2016) – Coup de cœur –

Suite à une arrestation agitée au sein d'un couple de junkie dans le 6e District, secteur où elle est affectée, Maureen espère que ça n'aura pas des conséquences négatives. Boyd ne manque pas de lui rappeler que, hiérarchie oblige, c'est à la Criminelle de poursuivre cette enquête, pas à une agente comme elle. Maureen doit observer les quartiers où ils opèrent, chercher à s'y intégrer. Par exemple, en ne bousculant pas la Mère Mairesse, vieille figure locale. Ou en restant courtoise avec Norman Wright, petit délinquant qui essaie de forcer la voiture d'un certain Bobby Scales. Autour, Maureen repère une nouvelle fois un trio d'adolescents. Des guetteurs au service des trafics, certainement. Elle finira par les identifier, mais n'est pas aussi rapide à la course que l'un d'eux, Mike-Mike, âgé de treize ans. Son "cousin" Goody, quinze ans, sait se faire discret.

Le troisième gamin a douze ans, il se prénomme Marques. Il est doué avec ses baguettes pour jouer de la musique. Il fait partie de l'orchestre Roots of Music, destiné à l'insertion des jeunes. Un môme récupérable, peut-être. Contrairement à ce jeune plus âgé, affichant une allure à la Bob Marley, qui semble bien être le second de l'introuvable Bobby Scales. C'est quand le voleur Norman Wright est assassiné, que Maureen entre en contact avec Christine Atkinson, capitaine à la Criminelle. Elle va collaborer avec l'enquêtrice sans pour autant oublier qu'elle n'est qu'une "bleue". Côté vie privée, ce n'est pas la stabilité pour Maureen : elle est l'amante de Patrick, cuisinier promis à un bel avenir, mais celui-ci va finalement rompre. Pour tous deux, c'est leurs métiers respectifs qui priment. Maureen se recueille parfois dans une église désaffectée, comme pour effacer son passé new-yorkais.

Lorsque la Plymouth de Bobby Scales est retrouvée incendiée, la policière Atkinson fait de nouveau appel à Maureen. Car, dans le coffre, on a découvert le cadavre d'un des jeunes du trio qu'elle connaît. Étonnant que l'affaire se soit produite dans ce secteur si fréquenté, estiment l'enquêtrice et Maureen. Sans doute la jeune agente de police ne passe-t-elle pas inaperçue, car elle est bientôt menacée par l'émule de Bob Marley. Dont le boss reste dans l'ombre. Preacher Boyd et Maureen obtiennent des infos sur le trio d'ados : seul Marques n'est pas encore un repris de justice fiché. Il est possible que le rôle de la Mère Mairesse ne soit pas si neutre dans tout cela. Même lors de ses heures de repos, Maureen reste impliquée dans le dossier, bien que ça n'entre pas dans ses fonctions. Sa ténacité risque d'obliger Bobby Scales à réagir avec violence…

Bill Loehfelm : L'antre du mal (Éd.10-18, 2016) – Coup de cœur –

Voilà un authentique roman noir à classer parmi les histoires de durs-à-cuire. Au centre, une jeune femme dont le portrait nous est dessiné avec une subtile crédibilité. Son aventure précédente, retracée dans “Face au Mal”, est un sinistre épisode de sa vie, ce qui marque encore sa mémoire. L'essentiel, c'est qu'elle prend un nouveau départ, faisant preuve d'un beau volontarisme.

Le premier aspect que l'on retient, c'est donc son initiation au métier de policière. D'agent de police de base, dans les rues, et non pas – c'est important – d'enquêtrice gradée. Elle doit apprendre à maîtriser ses réactions rageuses, à écouter et à parlementer, à s'insérer dans la population à majorité noire. Son sympathique formateur lui répète assez quelles sont les règles à suivre ! Lui non plus, on n'a pas de mal à l'imaginer, ce gros flic vite essoufflé, néanmoins donnant de bons conseils et sachant jauger la future titulaire. Duo percutant auquel il convient d'ajouter la capitaine Atkinson. Un modèle à imiter pour Maureen. Un personnage d'un professionnalisme froid, mais plus cordiale en privé.

Toutefois, ce polar ne se résume assurément pas à sa part criminelle. C'est, probablement avant tout, un magnifique hommage à cette ville complexe qu'est La Nouvelle Orléans. Entre le sinueux Mississippi et le lac Pontchartrain, la géographie s'y exprime de façon différente d'ailleurs : “Aucun témoin n'indiquerait que le suspect s'était enfui vers l'est ou vers l'ouest. Sur les canaux de la police, les opérateurs radio recouraient aux points cardinaux, mais pour tous les autres, rien n'était au nord ou au sud. C'était lakeside, côté lac, ou riverside, côté fleuve. Rien n'était à l'est ou à l'ouest. C'était uptown ou downtown.” Du Superdome, temple du football américain et de l'équipe des Saints, au Vieux-Carré, vestige touristique de la colonisation française, La Nouvelle Orléans possède une identité – qui échappe au reste des habitants des États-Unis.

Ce n'est pas dans les lieux assez connus que Maureen débute en tant qu'agent de police, mais dans des quartiers populaires. Dont l'auteur parvient à nous faire sentir l'ambiance. Avec ses maisons shotgun, ici ses parcs et ses ruelles, là ces lieux (tel le Charity Hospital) pas tous réhabilités après Katrina. Ou encore ces gargotes, vendant des plats cajuns ou mexicains. Même si tout est gangrené par les trafics et la violence, on veut encore croire au "thou shalt not kill" (Tu ne tueras point) biblique. Cette ville singulière et attachante, Maureen va elle aussi tomber sous son charme.

Un roman noir remarquable, à ne surtout pas manquer.

Partager cet article
Repost0
29 mai 2016 7 29 /05 /mai /2016 04:55

Mattia Lorozzi, onze ans, élève de CM2, est orphelin de père depuis plusieurs années. Son père Ryad Younès fut éducateur de quartier dans cette ville. Demi-frère de Mattia, Stefano est un chirurgien trentenaire. Il n'a jamais voulu se mêler de la nouvelle vie de leur mère. Jeune adulte, Gina, la sœur de Mattia, voyage beaucoup depuis quelques temps, comme si elle fuyait leur ville. Amélia, la mère du gamin, a souhaité confier son fils à Zé, qui en est devenu le tuteur légal. Âgé de vingt-quatre ans, Zéphyr Palaisot est un gardien de nuit passionné de grande poésie littéraire. À cause de la mort de l'étudiante Émilie Vauquier, il a traversé une sombre période. Issu d'une famille honorable, il a rompu avec ses parents. Il vit avec la jeune Gabrielle, une suicidaire qui vient encore de se rater. Elle risque à tout moment d'être internée en psychiatrie, même si Zé la protège autant qu'il le peut.

Réfractaire à toute forme d'enseignement, Mattia baigne dans une ambiance dépressive. Silencieux de nature, ça lui convient malgré tout. Il est préférable de faire profil bas face aux services sociaux, mais Zé et lui n'y échapperont certainement pas. Mattia est suivi par une psy, à laquelle il se confie modérément, mais dans un climat de confiance. Elle peut, le moment venu, lui éviter de finir dans un foyer. Amélia, sa mère, ne donne plus signe de vie depuis quelques semaines. Sa sœur Gina réapparaît le soir de Noël. Néanmoins, pour Mattia, le bilan actuel n'est guère joyeux. D'autant que deux hommes rôdent autour de Zé et lui. Probablement des policiers. Les flics ne sont pas appréciés dans cette ville, depuis une bavure remontant à une quinzaine d'années. Le policier qui tua l'adolescent Saïd Zahidi bénéficia de la mansuétude de la Justice, ce qui entraîna quelques heurts.

Mattia n'était pas encore né au temps de cette affaire. Il a compris que son père fut très marqué par la mort de Saïd. Certes, la victime était un ado turbulent, frondeur, sûrement de la graine de racaille. Pourtant, son décès n'eut rien à voir avec de la légitime défense : le flic Thomas Ross l'a tué volontairement. Ce qui provoqua l’écœurement de Gina et de la population du quartier de Verrières. Aujourd'hui, on voit de nouveau fleurir des tags à la mémoire de Saïd sur les murs de la ville. Que l'on efface bien vite. Ces rappels du passé sont l'œuvre de Karim, un ami de Gina resté fidèle aux proches de Saïd, dont la jeune Siham. Pris sur le fait par la police, Karim résiste fièrement aux interrogatoires, refusant de signer toute déposition. Des tags, c'est nettement moins grave que le meurtre de Saïd. Il n'est pas exclu que quelqu'un ait envie de venger sa mort, même quinze ans après.

Le sommeil de Mattia est troublé par d'oppressants cauchemars, des hallucinations. La psy explique qu'il s'agit de "paralysie du sommeil", problème récurrent chez Mattia. Entre le saccage de l'appartement de Zé, la demande d'internement par un tiers visant Gabrielle, une visite des services sociaux, et le passage devant un juge pour décider si Zé doit rester son tuteur, l'univers de Mattia n'a rien de tranquille. S'il se sent aussi volontaire que sa sœur Gina, et bien qu'ils soit intelligent et observateur, il reste un enfant de onze ans. Quoi qu'il arrive par la suite, il aura besoin d'un équilibre mental dont son environnement est plutôt dépourvu…

Cloé Mehdi : Rien ne se perd (Éd.Jigal, 2016) – Coup de cœur –

Si Cloé Mehdi avait rédigé un plaidoyer militant, une charge contre les abus policiers, le roman n'aurait pas grand intérêt. La délinquance existe, et les forces de l'ordre font leur métier, intervenant contre ceux qui défient les lois. En cas de meurtre, pour la Justice, il ne doit pas y avoir deux poids deux mesures, voilà tout. On est d'accord pour "préserver la paix sociale", éviter par exemple des émeutes. Toutefois, n'oublions pas de mesurer les conséquences de certains faits, touchant personnellement témoins ou protagonistes. Il y a ceux qui garderont une distance, quasi-indifférents au sort des autres, tel Stefano. Et puis d'autres qui prendront à cœur les circonstances du drame. Ce qui fut le cas du père du petit Mattia. Répondre qu'il s'agit alors de schizophrénie ? “C'est à peine si tu trouveras deux psychiatres capables de t'en donner la même définition” admet la psy de Mattia.

L'angle choisi par l'auteure est nettement plus habile. À travers le regard de ce gamin, on suit ici son quotidien chahuté par les réalités du monde des adultes. Gabrielle n'est pas la seule à trouver que vivre est d'une lourde complexité. S'il n'a que vingt-quatre ans, s'il fut un étudiant exemplaire, le parcours de Zé a été très vite semé d'embûches, suite à un épisode déterminant. Il en va de même pour tout l'entourage du petit Mattia. Et c'est ce qui fait la force de cette histoire, évidemment. Il est facile de décréter qu'il s'agit de "cas sociaux", d'une sorte de fatalité. La psychiatrie, puisqu'il en est largement question, n'est pas un problème de génétique, ni de milieu social. Ça vient d'une perception intime, d'un sentiment d'impuissance face à ce que l'on ne peut gérer. Ceux qui se croient forts ou supérieurs devraient y réfléchir : au cours d'une vie, certains faits sont pesants à porter.

Un thème aussi noir doit comporter des passages plus légers, nul doute que l'auteure le sache. Une part de poésie, comme quand Mattia et sa sœur grimpent sur une grue pour regarder la ville. De la tendresse protectrice, dans la relation entre Zé et Gabrielle. De l'humour grinçant, quand il faut incarner "la famille idéale" aux yeux des travailleurs sociaux : correspondre aux normes, simuler le conformisme façon télé-réalité ou sitcom à l'américaine, oui c'est de la bêtise. En toile de fond, l'intrigue criminelle issue du passé, mais probablement pas close, apparaît telle une ombre. Il convient de saluer la subtile écriture de Cloé Mehdi : chacun des aspects de cette fiction apparaît d'une juste tonalité, chaque instant du récit décrit le vrai vécu ordinaire des personnages. Coup de cœur évident pour un remarquable "polar social".

Partager cet article
Repost0
18 mai 2016 3 18 /05 /mai /2016 04:55

Frank Cairnes est plus connu en tant que Felix Lane, pseudonyme sous lequel il signe ses romans policiers à succès. Veuf âgé de trente-cinq ans, il habite depuis cinq années dans un cottage du Gloucestershire. Son fils Martie avait à peine sept ans quand, le 3 janvier de cette année-là, il fut victime d'un mortel accident de la route. Le chauffard qui l'a renversé s'est enfui. Felix Lane culpabilisa d'abord, puis reçut des témoignages de sympathie. Pas plus que la police, il ne trouva de renseignement sur le responsable de la mort de Martie. Néanmoins, il confie dans son journal intime sa volonté inébranlable de châtier le coupable en préservant sa propre impunité. Parmi ses hypothèses, il en retient une qui explique que la voiture cabossée du chauffard n'ait pas été retrouvée : il s'agit certainement d'un pro de la mécanique, peut-être d'un garagiste capable de réparer les dégâts.

Alors qu'arrive l'été, Felix trouve finalement un témoin : prénommé George, le conducteur coupable était accompagné d'une jolie passagère. Il est bientôt établi que c'est l'actrice de cinéma Lena Lawson. Felix s'installe à Londres, et trouve facilement un prétexte pour faire la connaissance de la jeune femme. Après quelques dîners et autres sorties ensemble, la frivole actrice s'avoue éprise de Felix (qu'elle surnomme Pussy). Grâce à elle, il obtient le nom qu'il cherche : George Rattery, propriétaire d'un garage automobile à Severnbridge, dans le Gloucestershire, est le beau-frère – et l'ex-amant – de Lena Lawson. Felix et elle vont séjourner en ce mois d'août chez les Rattery. Outre l'antipathique et brutal George, tyran domestique nerveux et méprisant, s'y trouvent son épouse trop soumise Violet, leur fils de douze ans Philip, ainsi que la rigide mère du chef de famille, Ethel Rattery.

À cet endroit, la rivière Severn est assez large pour pratiquer le nautisme, un des loisirs favoris de Felix Lane. Ce qui l'inspire pour son projet d'éliminer George Rattery, assassin de son fils. Mais, ne sachant pas nager, le garagiste n'est guère pressé d'accepter son invitation à une balade en bateau. Felix se sent proche du jeune Phil : parce qu'il lui fait penser à son fils, et parce qu'il est rudoyé par son père George et sa grand-mère Ethel. Il est temps pour Felix de convaincre le garagiste, et d'organiser le chavirage du voilier qui causera la mort de George. Rapidement, la navigation sur la Severn s'avère fort agitée, Felix s'arrangeant pour effrayer son passager. Toutefois, George est d'un caractère méfiant et il a pris quelques dispositions en cas de décès suspect. L'auteur de romans policiers se retrouve dans une impasse. Néanmoins, George va mourir peu après.

Nigel Strangeways est un détective amateur qui, avec son épouse Georgia, contribue aux enquêtes de Scotland Yard. D'ailleurs, c'est son ami l'inspecteur Blount qui s'occupe de la mort de George Rattery. Le suicide ayant été écarté, Felix Lane apparaît comme le plus suspect dans l'entourage actuel du défunt garagiste. Son journal intime montre qu'il était déterminé à supprimer George, quoi qu'il soit advenu. Première interrogée, Lena Lawson défend ardemment Felix. Nigel et son épouse comprennent qu'il est souhaitable d'écarter le petit Phil de ce drame, et le prennent sous leur protection. Ce qui mécontente la mère du garagiste, Ethel Rattery. Les investigations de Nigel s'annoncent sinueuses…

Nicholas Blake : Que la bête meure (BibliOmnibus, 2016) ― Coup de cœur ―

On peut l'affirmer sans crainte : “Que la bête meure...” figure parmi les chefs d'œuvres de la littérature policière. Claude Chabrol ne s'y trompa pas, en l'adaptant à l'écran en 1969. La structure de l'histoire est exemplaire : le "journal" de Felix Lane nous éclaire sur toutes les circonstances de l'affaire, puis vient une tentative vengeresse de meurtre, à laquelle succède l'enquête du détective amateur, avant la conclusion explicative de l'ensemble des faits. On ne nous cache rien des péripéties, ni des éventualités. Peut-être garde-t-on plus secrètes les intentions de certains protagonistes. Tous sont là, devant nos yeux, présentés avec leurs défauts et leurs qualités, leur psychologie et leurs actes. Le récit limpide est parfaitement ajusté pour nous offrir un suspense impeccable. Et même intense.

Bien que l'intrigue se place vers 1938, il serait absurde d'y voir quoi que ce soit de "daté" ou de "vieillot". Canots à voile et TSF ont été remplacés par nos voiliers et médias actuels, mais le contexte général est valable à toute époque, y compris aujourd'hui. La vengeance est un thème éternel, d'autant plus quand il s'agit d'un parent s'en prenant au meurtrier de leur enfant. Notons encore que la partie "enquête criminelle" ne se résume pas à une audition de témoins tant soit peu balisée. Elle explore toutes les facettes des relations entre les personnages impliqués, imagine des hypothèses contradictoires mais crédibles. Écrit avec maestria, construit avec brio, ce polar d'énigme reste une véritable référence.

Partager cet article
Repost0
20 avril 2016 3 20 /04 /avril /2016 04:55

Mère d'une fillette de dix ans, Kristine Rush est âgée de vingt-sept ans. Elle est assistante en salle d'opération à l'hôpital de Las Vegas. Kristine est originaire de Tonopah, modeste bourgade minière du Nevada. À cause de sa mère junkie, elle n'en garde pas que de bons souvenirs. Le chirurgien Daniel Hawthorne, le fiancé de Kristine, appartient à une famille bien plus aisée. Le défunt père du praticien était vétérinaire. Imogene, sa mère, habite leur propriété familiale près du lac Arrowhead, en Californie. En ce 3 juillet, Kristine et Daniel comptent fêter le lendemain l'Independence Day chez Imogene. Ils roulent depuis Las Vegas sur l'I-15, à travers le désert Mojave, où la température dépasse 40°.

Le couple doit faire halte dans une station-service désaffectée. Alors qu'elle se change dans les WC, Kristine est agressée par un inconnu. De retour à leur véhicule, la voiture est toujours là, mais Daniel a disparu. Des messages SMS via le téléphone du chirurgien vont vite confirmer qu'il a été enlevé. Kristine imagine que c'est une affaire d'argent, qu'une rançon sera bientôt réclamée. Le ravisseur prétend s'appeler Malthus. Il la surveille depuis dix mois, semblant tout savoir de la jeune femme. Sans doute reste-t-il non loin d'elle, lui imposant la suite. Un jeu de piste débute sur l'aire d'un casino, autour d'une attraction, où on remet à Kristine une carte routière indiquant l'étape suivante.

Sur place, Malthus provoque la mort d'un agent de sécurité du casino. C'est Kristine qui risque fort d'être accusée, car on l'aura vue en conversation avec le vigile, puis le frôlant en voiture. Elle prend la fuite, évitant par ailleurs d'expliquer ce qui se passe à Imogene, sa future belle-mère qui la relance par téléphone. La carte indique qu'elle doit s'arrêter à Baker, petite ville du désert, où on lui donnera d'autres indications dans un "diner" (snack-bar). Kristine est contrainte de s'humilier devant la serveuse Lacy et un consommateur, heureusement compréhensif. L'étape d'après la conduit, en début de nuit, dans un parc aquatique à l'abandon. Elle y découvre un homme mourant, vêtu des habits de Daniel.

Kristine est prise en auto-stop par la camionneuse Crystal. Malgré l'aspect malpropre de la jeune femme errante, elle accepte de la déposer à Barstow, en Californie. Mais c'est dans une pouilleuse chambre de motel que Kristine se réveille finalement, sanglante, car il y a un nouveau cadavre auprès d'elle. Comme pour celui du parc aquatique et pour le vigile, tous les indices la désigneront en tant que coupable. Avec cruauté, se vantant de sa méchanceté, Malthus ne se prive pas de le lui rappeler par téléphone. Kristine réussit à voler une moto, mais elle n'ira pas aussi loin qu'elle voulait. Enfin, vient la confrontation directe avec Malthus. Cette fois, Kristine et sa fille Abby sont en danger de mort…

Vicki Pettersson : Survivre (Sonatine Éd., 2016) – Coup de cœur –

Vicki Pettersson n'est pas une néophyte en écriture. Sa trilogie “L'étreinte du Zodiaque” a été traduite en français, depuis 2014. Il s'agissait de romans appartenant au Fantastique, où l'intrépide héroïne Joanna Archer évoluait entre le Bien et le Mal dans les décors de Las Vegas, ville natale de l'auteure. Ici, c'est dans un thriller qu'elle entraîne ses lecteurs. Les personnages viennent toujours de la célèbre ville du jeu, dans le Nevada. Et c'est encore une jeune femme énergique qui va être au centre de l'intrigue. Étrange aventure, certes, mais il s'agit donc d'un jeu de piste sanglant, d'une sorte de course-poursuite perverse, qui s'inscrit dans la meilleure tradition des romans "sous tension". Ajoutons-y la chaleur étouffante du désert Mojave, on imaginera facilement les tourments de l'héroïne.

Si on entre vite dans l'action, pour notre plus grand plaisir, le portrait de Kristine Rush est agréablement nuancé. Cette jeune femme au caractère volontaire s'avoue incapable de pleurer, ce qui n'en fait pas une baroudeuse pour autant. Elle a gravi l'échelle sociale avec intelligence, mais se trouve face à une situation exceptionnelle qui ne peut que la secouer. Elle espère pouvoir saisir sa chance d'en sortir, malgré l'omniprésence dans l'ombre de cet adversaire, pour lequel la vie humaine n'a pas d'importance. Après les douloureuses premières épreuves, le nommé Malthus sera identifié. C'est bel et bien un tueur en série, dont les motivations psychologiques sont obsessionnelles et mortifères.

Magistralement construit, “Survivre” fait partie de ces polars effrénés que l'on dévore, qui rendent accro au point d'en reprendre au plus vite la lecture. Plus on avance au côté de l'héroïne, plus on approche du dénouement en frémissant avec elle, plus on est certain d'un final en apothéose. Voilà un remarquable suspense intense !

Partager cet article
Repost0
6 avril 2016 3 06 /04 /avril /2016 04:55

Écosse, été 1946. Homme mûr, Douglas Brodie vient d'être engagé comme reporter à la Gazette de Glasgow. Policier avant la guerre, il fut sous-officier dans la 51e Division des Highlands. Avec la blonde avocate Samantha Campbell, ils ont besoin de se remettre d'un cas dramatique récent, qui leur a valu quelques mésaventures. Le meurtre spectaculaire d'Alec Morton, élu local chargé des finances, c'est son expérimenté collègue journaliste Wullie McAllister qui va enquêter là-dessus. Les budgets pour la reconstruction de Glasgow doivent attirer toutes sortes de margoulins. La corruption toucherait-elle les élites, ou bien Morton a-t-il voulu y faire obstruction ? Wullie cherchera tous azimuts des infos secrètes.

Douglas Brodie est contacté par un certain "Ismaël", afin que Samantha Campbell défende un ancien soldat de son unité vivant dans la misère, ayant commis un méfait. L'avocate parvient à limiter la peine de prison, mais l'ex-militaire condamné se suicide bientôt. Parmi les faits divers, Douglas note quelques graves agressions ressemblant à des règlements de comptes. Ces actes sont vite revendiqués par Les Marshals de Glasgow, justiciers signant soit en coupant un bout de doigt, soit en laissant une marque infamante sur les victimes. Douglas recense dix-neuf hommes attaqués par ces commandos masqués. Ceux qui sont visés semblent être des coupables trop légèrement sanctionnés par la justice.

Ça donne matière à des articles qui intéressent le public, quelle que soit l'amoralité de ces agressions. Douglas est convaincu que le fameux "Ismaël" est l'organisateur de ces actes. Sans approuver, il admet que l'iniquité des juges peut entraîner de telles réactions. Et ce n'est pas avec l'inspecteur-chef Sangster que la police fera correctement son métier. Le reporter a davantage confiance dans l'honnête sergent Duncan Todd. Glanant çà et là des indices, Douglas essaie de calmer sur le whisky, et de retrouver la forme en pratiquant la natation. Il s'installe dans la grande maison de Samantha, même s'ils ne sont pas prêts à entamer une relation intime. Peut-être menacée par Les Marshals de Glasgow, la mère de Douglas va un temps séjourner avec eux, à l'abri du risque.

Agressé chez lui, en famille, un avocat est hospitalisé dans un état très sérieux. Douglas ne se prive pas de provoquer par ses articles les justiciers autoproclamés. Les extraits de la Bible, cités par les vengeurs violents, ne font que souligner le narcissisme sadique du nommé "Ismaël" et de ses sbires. Quand ils s'introduisent chez l'avocate et Douglas, il est temps de sortir les fusils de chasse Dickson du père de Samantha, qui pourront servir. Les justiciers changent de méthode, appelant désormais la population à dénoncer les salauds. La vague d'agressions qui s'ensuit n'est pas forcément légitime. Quand un homosexuel est tué au Monkey Club, on peut conclure que Les Marshals de Glasgow sont allés trop loin.

Contactant directement le reporter, "Ismaël" prétend qu'ils ne sont pas coupables de ce crime. Il n'empêche que deux autres homos sont assassinés à leur tour. Les recherches de Wullie McAllister, le journaliste chevronné, commencent à porter leurs fruits. Des notables de Glasgow, possiblement concernés par le meurtre de Morton, Douglas ne va pas tarder à en rencontrer lors d'une soirée mondaine. En effet, Samantha Campbell appartient aussi au gotha. Douglas remarque un de ces hauts-responsables : “Entre lui et moi, ce fut la haine au premier regard.” Le reporter devra clarifier ses rapports avec "Ismaël" s'il veut espérer comprendre ce qui se passe actuellement dans cette ville…

Gordon Ferris : Les justiciers de Glasgow (Éd.Seuil, 2016) – Coup de cœur –

Après “La cabane des pendus", première aventure du héros démobilisé Douglas Brodie, retour dans le Glasgow de 1946 pour la deuxième étape d'une tétralogie dédiée à l’Écosse d'après-guerre. Il n'est pas indispensable d'avoir lu le titre précédent, que l'on ne peut que conseiller, désormais disponible en poche chez Points. Gordon Ferris nous plonge directement dans l'ambiance et les lieux de l'époque : c'est donc avec un vrai plaisir que l'on s'installe durablement dans la lecture de cet excellent roman noir.

Bien sûr, l'action criminelle est présente tout au long du récit. Avec tout ce que l'on peut soupçonner de corruption d'un côté : “Venez profiter d'une occasion de tripler votre mise comme il ne s'en présente qu'une fois par siècle ! Les appels d'offre pleuvraient, et leurs heureux bénéficiaires s'enrichiraient au point de faire passer Crésus pour un clochard…” Il est plus que probable que, en Écosse comme dans toute l'Europe, la reconstruction ait occasionné maintes malversations. Certes, ces chantiers ont donné du travail au peuple, mais ont surtout engraissé honteusement de sales combinards.

D'autre part, l'auteur retrace les comportements revanchards, incitations à la délation qui ciblent des gens jugés avec trop de clémence. Avec le risque de sérieux dérapages, trop punitifs selon les cas, ou donnant le prétexte de se venger de personnes innocentes. Dans tous les cas, c'est franchement malsain. Même si, au départ, on s'interroge comme Brodie sur le bien-fondé de ces actes, on réalise bientôt leurs excès. Y compris sous couvert de citations bibliques, la haine n'amène que la haine… C'est ici tout un contexte, décrit avec une belle souplesse narrative, qui rend fascinante cette sombre histoire.

Une chanson évoquée dans ce roman, de l'immense artiste Peggy Lee.

Partager cet article
Repost0

Action-Suspense Contact

  • : Le blog de Claude LE NOCHER
  • : Chaque jour des infos sur la Littérature Policière dans toute sa diversité : polar, suspense, thriller, romans noirs et d'enquête, auteurs français et étrangers. Abonnez-vous, c'est gratuit !
  • Contact

Toutes mes chroniques

Plusieurs centaines de mes chroniques sur le polar sont chez ABC Polar (mon blog annexe) http://abcpolar.over-blog.com/

Mes chroniques polars sont toujours chez Rayon Polar http://www.rayonpolar.com/

Action-Suspense Ce Sont Des Centaines De Chroniques. Cherchez Ici Par Nom D'auteur Ou Par Titre.

Action-Suspense via Twitter

Pour suivre l'actualité d'Action-Suspense via Twitter. Il suffit de s'abonner ici

http://twitter.com/ClaudeLeNocher  Twitter-Logo 

ACTION-SUSPENSE EXISTE DEPUIS 2008

Toutes mes chroniques, résumés et commentaires, sont des créations issues de lectures intégrales des romans analysés ici, choisis librement, sans influence des éditeurs. Le seul but est de partager nos plaisirs entre lecteurs.

Spécial Roland Sadaune

Roland Sadaune est romancier, peintre de talent, et un ami fidèle.

http://www.polaroland-sadaune.com/

ClaudeBySadauneClaude Le Nocher, by R.Sadaune

 http://www.polaroland-sadaune.com/