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31 mai 2017 3 31 /05 /mai /2017 04:55

Une incessante pluie diluvienne tombe sur Rome en ce mois de septembre. Enrico Mancini est en poste au commissariat de Monte Sacro. Son épouse Marisa est récemment décédée d’un cancer, malgré les efforts de l’oncologue Mauro Carnevali. S’il a été un enquêteur hors-pair, adepte des méthodes scientifiques et techniques, le commissaire Mancini végète depuis son veuvage. Il ressasse encore des images trop vivaces de Marisa. Le chirurgien Carnevali ayant brusquement disparu, c’est la seule affaire à laquelle il s’intéresse. On sait que, suite à une mésentente grandissante avec sa femme, il avait déménagé depuis peu. Selon son épouse, il a certainement quitté l’Italie avec sa maîtresse. Mancini n’en est pas convaincu, conscient que la seule passion du chirurgien, c’était son métier.

Quand est découvert le cadavre martyrisé d’une barmaid rousse d’origine irlandaise, le préfet de police pense immédiatement que c’est l’œuvre d’un tueur en série. C’est au commissaire Lo Franco qu’échoit le début de l’enquête. Toutefois, le préfet n’oublie pas les compétences de profileur d’Enrico Mancini. Ce dernier se spécialisa grâce à Carlo Biga, un vieil expert aujourd’hui retraité, mais qui enseigne toujours son savoir à des policiers. Les faits et les détails pointus sont essentiels, mais Carlo Biga n’oppose pas profilage et fiction romanesque : la “structure du mensonge” peut permettre de cerner les intentions des tueurs en série. Un autre cadavre mutilé est retrouvé, pas très loin. Ce sexagénaire fut-il vraiment un sans-abri, comme le criminel a voulu le faire croire ? Pas sûr du tout.

La troisième victime est un moine franciscain âgé. Son corps se trouvait dans les anciens abattoirs désaffectés d’un quartier proche. Il semble avoir subi le traitement d’un animal, comme ceux qui autrefois étaient abattus ici. Cette fois, Mancini est contraint de prendre en main l’affaire. D’autant que ces crimes sont bientôt revendiqués par un inconnu qui, à l’instar de Jack l’Éventreur, se surnomme lui-même l’Ombre. Le commissaire choisit un local du genre bunker, afin d’éviter les indiscrétions, et forme son équipe. Carlo Biga et le médecin légiste Antonio Rocchi en seront les consultants. La séduisante juge Giulia Foderà sera son principal contact avec la hiérarchie. Surtout, il compte sur deux jeunes recrues prometteuses, l’inspecteur Walter Comello et la photographe policière Caterina de Marchi.

S’il ne perd pas de vue la disparition du chirurgien Carnevali, les recherches de Mancini et de son équipe se font tous azimuts. L’histoire des anciens abattoirs, celle de ce gazomètre abandonné de longue date où a été découvert un des cadavres, la vie du moine et l’autre métier de la barmaid, tout est passé au crible. Y compris les mails adressé par l’Ombre à un ex-journaliste. C’est sur le site des Thermes de Mithra, à Ostie, que le criminel a déposé sa quatrième victime. Hors du périmètre auquel pensait Mancini ? Oui, mais le commissaire ne tarde pas à en avoir l’explication. Quand les services du préfet arrêtent un suspect, ce déséquilibré Croate ne fait pas longtemps le poids face à Mancini. Tandis que le criminel prévoit d’autres victimes, la traque continue pour Mancini et son équipe…

Mirko Zilahy : Roma (Presses de la Cité, 2017) – Coup de cœur –

C’était le message d’un assassin lucide, sans aucun doute. Organisé et avec un objectif précis. Ce n’était pas un hédoniste : l’absence de violences à caractère sexuel, pré ou post-mortem, ou de cannibalisme, le laissait penser. Il pouvait cependant s’agir d’un dominateur, si Rocchi [le légiste] confirmait que les sévices sur les corps des victimes leur avaient été infligées de leur vivant. S’il les avait torturées pour jouir de leur terreur et exercer son pouvoir de prédateur.
Qu’étaient donc ces "morts de dieu" ? Et la charrue ? Que signifiait cet outil symbolique ? De la position des corps et de ces éléments, on pouvait déduire que l’Ombre était un meurtrier rituel, avec un niveau d’instruction moyen ou élevé. Il devait absolument répondre à ces questions pour cerner le profil de celui qui semait la panique et la mort, et vite, s’il voulait empêcher que seule triomphe la justice évoquée par ce monstre.

C’est sous un éclatant soleil permanent que l’on imagine Rome, la Ville Éternelle. Mais le décor de cartes postales, avec ses célèbres monuments riches d’histoire, ce n’est pas ce que veut nous montrer Mirko Zilahy, lui-même Romain. Les bâtiments où vont enquêter ses policiers sont, pour la plupart, déjà anciens et inutilisés. On risque fort d’y croiser bon nombre de rats. La population est plus hétérogène qu’on pourrait le penser. Le Tibre n’est pas simplement un fleuve pittoresque, surtout quand des pluies torrentielles font craindre des crues. Et durant la nuit, certains quartiers peuvent s’avérer inquiétants, angoissants.

Dans un roman, on peut ressentir de l’empathie pour le héros, d’autant qu’on nous décrit fréquemment des enquêteurs meurtris par un passé douloureux. Avec Enrico Mancini, veuf depuis peu, c’est le cas. Mais l’auteur réussi une belle performance, car on éprouve aussi un réel attachement pour l’équipe autour du commissaire. Carlo Biga dans le rôle du vieux sage, Comello le pétulant factotum de Mancini, la jeune et encore craintive Caterina, la juge Giulia Foderà mi-secrète mi-offensive, le légiste Rocchi aux analyses très précises… L’union fait la force, et Mancini en a bien besoin pour récupérer ses capacités de limier, face à un insaisissable adversaire. Nous autres lecteurs, qui les observons, on a envie de les encourager, afin qu’ils gardent le moral et dénichent les meilleures pistes.

Le "profilage criminel" tient une place d’importance dans cette intrigue. Néanmoins, sur le conseil de Carlo Biga, on n’écarte jamais l’intuition et la déduction, afin de mieux définir le profil psychologique de l’assassin, et le sens de ses actes. Un passionnant polar noir, où l’ambiance est aussi réussie que l’enquête est captivante. À découvrir absolument.

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12 mars 2017 7 12 /03 /mars /2017 05:55

Quinquagénaire, Baer Creighton est un célibataire habitant près de Gleason et d’Asheville, dans la campagne boisée de l’Est des États-Unis. Baer est distillateur d’alcools forts, sans doute le meilleur de la contrée. Son dispositif pour fabriquer l’alambic, aux parfums fruités supérieurs, est installé dans la forêt derrière chez lui, aussi protégé que possible. S’il compte peu d’amis, Baer a beaucoup de clients. Avec tous ses gains, il achète de l’or. Bien malin qui trouverait la cachette où il entrepose son trésor. Si Baer est fâché depuis longtemps avec son frère Larry, aujourd’hui comptable, il y a deux raisons à cela. D’abord, quand ils étaient ados, Baer fut accidentellement électrocuté par Larry. Ce qui lui a offert le don de lire dans les yeux de ses interlocuteurs quand on lui raconte des bobards.

Le second motif de leur fâcherie, c’est Ruth. Fille d’un nabab de la région, elle se fiança à Larry près de trois décennies plus tôt. Baer était lui aussi amoureux de la jeune fille. En l’absence de son frère, Ruth joua avec les sentiments de Baer. Elle se maria avec Larry. Ils eurent une fille, Mae. Ils ont divorcé voilà une dizaine d’années. Ruth s’est éloignée de Gleason, Larry la remplaçant par une certaine Eve. Baer écrit régulièrement des lettres à Ruth, bien qu’elle ne réponde jamais. Mère d’enfants en bas-âge, sa nièce Mae vit dans la précarité, espérant relancer ses études par correspondance. Baer consacre une partie de ses gains à approvisionner le garde-manger de Mae, pour les mômes. Il répare aussi la maison insalubre de sa nièce. Mais il sait surtout quel est le principal problème de Mae.

Le danger pour elle vient de Cory Smylie, son mec. C’est à bon-à-rien traficoteur, dealer et frimeur, plutôt lâche. Étant le fils du shérif local, Cory bénéficie d’une certaine impunité. Sauf que Baer Creighton en a assez qu’il cogne sa nièce et fasse peur aux enfants de Mae. Un jour où l’autre, il faudra mettre Cory hors-jeu. Pour le moment, ce qui exaspère Baer, ce sont les combats de chiens organisé dans le secteur par Joe Stipe. Ce sexagénaire est à la tête d’une société de camionnage. Il s’est entouré d’une bande de vauriens du coin, afin de faire prospérer ses combines annexes. Dont les combats de chiens, auxquels assistent même le shérif et le pasteur. Joe Stipe a commis un énorme erreur : il a fait kidnapper le pitbull blanc de Baer, son chien Fred, son seul vrai ami avec lequel il fait la causette.

Depuis qu’il a retrouvé Fred en piteux état, qu’il l’a soigné aussi bien qu’il le pouvait, Baer n’a plus qu’une obsession : déterminer qui l’a enlevé pour le livrer à Stipe. Ce crétin de Cory Smylie, ou un autre ? Baer déclare ouvertement la guerre à Joe Stipe et à sa bande. Qu’il soit la cible de tirs d’avertissement ne l’affole pas. En répliquant avec discernement, Baer sait être à la hauteur. Tant pis s’il doit abattre le meilleur chien de Stipe. Tant pis si ce dernier s’arrange pour dénoncer à la justice l’activité de bouilleur de cru de Baer. Tant pis s’il doit prendre de sévères branlées. Tout ça, Baer l’assume. Quand Ruth est de retour à Gleason, doit-il y voir un signe ? L’avenir le dira. L’essentiel pour Baer, c’est de protéger sa nièce Mae, et d’aller jusqu’au bout de son combat contre Joe Stipe et ses complices…

Clayton Lindemuth : En mémoire de Fred (Éd.Seuil, 2017) — Coup de cœur —

La correction de l’autre jour ne m’a pas corrigé. Au contraire, putain ! Vous avez voulu me remettre à ma place, les gars ? C’est bien ce qui s’est passé, seulement ma place n’est pas celle que vous croyez. Je suis plus déterminé que jamais.
Rester à ma place, pour eux, ça veut dire gagner péniblement mon bifteck en fabriquant de la gnôle dans ces bois où je crèverai un jour tout seul. Ce qu’ils ne voient pas, c’est que si je vis au milieu de la forêt, c’est parce qu’elle a plus à m’offrir que le monde des hommes. Ici, je vais et viens à ma guise sans rendre de comptes à personne. Je réfléchis à tout ça au fond de mon sac de couchage bien au chaud, en maudissant cette lumière…

Certes, l’histoire n’est pas la même, et il convient d’être prudent sur les comparaisons. Néanmoins, Baer Creighton peut nous faire penser à Nick Corey, shérif de Pottsville, avec ses 1280 âmes. On pourrait invoquer des décors similaires, mais c’est principalement la motivation qui est très proche. Baer est un brave gars solitaire qui, après une jeunesse tumultueuse, s’est assagi et ne demande qu’une chose, qu’on lui fiche la paix. Joe Stipe a voulu lui racheter son activité de fabricant d’alcool, mais c’est ainsi que Baer a trouvé son équilibre personnel. Maintenant, il part en croisade. Car il en a marre de subir la bêtise de ses concitoyens. Tant que ces menteurs et escrocs nuls se bornaient à s’enivrer avec sa production de gnôle, il supportait. Avec leurs combats de chiens, qui ont salement abîmé son compagnon Fred, Baer a réalisé que c’est vraiment la crème des abrutis qui l’entoure.

Comme pour Nick Corey, il existe un certain mysticisme dans la guerre qu’il va mener. On le vérifiera dans la description d’une des scènes finales. L’auteur nous explique que lui-même croit au Bien et au Mal, à une forme de moralité. Dans le genre “Œil pour œil”, en preux chevalier solitaire, et sans pitié pour les malfaisants indignes de respect, quand même. Dans ce foutu bourbier, il n’y a que sa nièce Mae avec ses mômes qui méritent d’être sauvés. Si Ruth en réchappe, n’a-t-elle pas "laissé passé son tour" ? Opération de nettoyage, donc. Toutefois, le récit ne se contente pas d’échanges de coups de feu, de maltraitances envers les chiens ou visant Baer et Mae. Clayton Lindemuth sonde aussi l’esprit des protagonistes de l’affaire. Le meilleur exemple en est sûrement – outre ce salopard de Joe Stipe, le caïd local – le jeune Cory Smylie, déjà pourri jusqu’à l’os.

Ce roman n’est pas dénué d’une forme d’humour (cachette des pièces d’or, échange avec le Président du Tribunal, dialogues avec Fred…). Malgré l’adversité, l’obstination du héros prête parfois à sourire. En effet, la tonalité n’est pas lourdement sinistre ou morbide, au contraire. Ça reste un noir suspense qui, après “Une contrée paisible et froide”, nous offre une lecture diablement excitante. À découvrir dans la nouvelle collection "Cadre noir", qui succède à "Seuil Policier", où fut publié le premier titre de cet auteur.

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26 février 2017 7 26 /02 /février /2017 05:55

À l’origine, c’est à l’orphelinat Saint-Gabriel que se forma cette "famille". William Malone, surnommé Boo, et Darrell McCullough, qu’on appela Junior, y devinrent des frères pour la vie. Il y avait aussi Twitch, aux capacités surprenantes, et Ollie, le plus fragile d’entre eux. Leur union les souda face à un costaud pervers de leur âge tel que Zack Bingham. Depuis, vivant tous à Boston, ils restent proches. Boo et Junior ont monté une petite société de sécurité. Rien d’aussi prestigieux que leurs concurrents de l’IronClad Security, qui bossent pour le caïd Ian Summerfield, patron de boîtes de nuits sélects. Boo et Junior exploitent aussi un club, le Cellar. Clientèle alcoolo-rock’n’roll, qu’ils ont intérêt à maîtriser. Avec ses cent kilos, Boo fait généralement le poids pour calmer la faune des excités.

Ayant été blessé à une jambe dans une précédente affaire, Boo boitille quelque peu, et ça l’handicape en cas de baston. C’est ainsi qu’il se fait humilier lors d’une sévère bagarre par Marcus, de l’IronClad, et par Summerfield. Double honte pour Boo, car son ex-petite amie Kelly Reese fricote en ce moment avec le mafieux en question. Par ailleurs, la serveuse du Cellar, Ginny, a besoin d’un coup de main. C’est sa coloc Dana qui est harcelée par son ancien petit copain, Byron Walsh. Ce musicien de jazz plus ou moins junkie veut récupérer les objets lui appartenant, laissés chez Dana et Ginny. Sûrement des trucs plus précieux que sa trompette et quelques frusques, peut-être de la drogue. Boo et Junior s’arrangent pour piéger et secouer le nommé Byron avec une bonne dérouillée, aussi solide soit-il.

Boo et Junior s’aperçoivent que Dana n’est pas "une" colocataire, c'est un homme. Byron et lui sont gays. Depuis sa jeunesse, Junior a des raisons de se montrer homophobe, Boo l’admet. Dans l’immédiat, il faut riposter lorsque les gros bras de l’IronClad reviennent à la charge. Twitch a anticipé ce genre d’embrouille, tous les quatre – y compris Ollie, moins impliqué – se replient au Cellar. C’est là qu’apparaît le cinquième mousquetaire de Saint-Gabriel : Brendan Miller, surnommé Underdog. Il est devenu inspecteur de police. Même si c’est leur ami, il vient faire son job de flic. Byron Walsh a été retrouvé mort après avoir été copieusement frappé. Boo et Junior l’ont cogné, pas tué. Sauf qu’un indice désigne formellement Junior, bientôt arrêté. Un cas de meurtre homophobe, c’est du sérieux.

La menace reste forte autour de Ginny et Dana. Leur appartement va être le théâtre du meurtre d’un policier, abattu par Twitch en présence de Boo. Peu importe que la victime ait été vraiment flic ou pas, il faut rapidement se débarrasser du cadavre. Heureusement, les gangs irlandais locaux disposent d’un service de déménagement assez efficace. Même si Boo fait appel à eux, il y aura comme toujours des complications. Parfois, le courage est dans la fuite. Il finit par découvrir plusieurs choses. Ce que cherchait Byron dans l’appart’ de Ginny et Dana. Que la chanteuse du club de jazz Blue Envy n’est pas ce qu’elle semble être. Et pas mal d’autres détails important sur tout ce qui est lié à la mort de Byron…

Todd Robinson : Une affaire d’hommes (Gallmeister, 2017) – Coup de cœur –

Alimentée par ma colère et ma tristesse générale, l’idée persista tandis que je m’étendais au maximum sur le petit canapé deux places qu’on avait trouvé dans la rue. Un meuble plus grand n’aurait pas tenu dans l’espace exigu que nous appelions un bureau. Une table placée dans la réserve d’alcools ne fait pas un bureau, mais un canapé aidait. Je posai ma tête sur le côté qui sentait le moins la pisse de chat et fermai les yeux.
Je repensai à ce qu’avait dit Luke. J’étais content qu’il ne me considère pas comme un mauvais garçon, même si le reste du monde ne semblait pas d’accord. Je ne parlais pas de moi en particulier, mais Luke avait asséné une autre vérité. Je n’incarnais peut-être pas les ténèbres ordinaires, mais j’aurais pu en être un avant-goût. Par chance pour mes démons et mon esprit imbibé de whisky, mon portefeuille me rentrait dans le cul, donc je le retirai de ma poche…

Dans le roman noir américain, il existe une tradition moins souvent respectée aujourd’hui, celle des scénarios à la fois percutants et jubilatoires. On aime le suspense psychologique ou sociologique, voire ethnographique avec ces bouseux de "rednecks". Mais on adore tout autant, peut-être davantage, les tribulations tumultueuses et drôles vécues par des héros confrontés à des situations critiques incessantes. Avec “Une affaire d’hommes”, nous voilà en plein dans ce genre d’histoires. De la castagne, du bourre-pif, de la bastion endiablée, c’est encore le meilleur moyen de régler certains différends. Une bonne "mise aux poings" assaisonnée d’une grosse dose d’adrénaline, ça défoule franchement même si l’on sait que ça ne solutionne rien. Nos protagonistes prennent des coups en tous genres, mais il ne sont pas avares pour en distribuer également. Pas de temps mort, de l’action !

On peut supposer que Todd Robinson est un véritable adepte de la "culture polar". S’il en a saisi les codes, s’il a choisi ce tempo effréné, c’est qu’il connaît fort bien ses classiques. En témoigne ce passage : “La petite voix qui me harcelait dans ma tête et qui avait lu trop de romans d’Ed McBain avait besoin de savoir […] J’ai bien mérité au moins un burrito en remerciement d’avoir récupéré le paquet. Voilà ce que me disait la voix qui avait lu toutes les aventures de Travis McGee par John D.MacDonald.” Ceci démontre qu’il ne suffit pas de savoir raconter, mais que posséder des vraies bases est un atout supplémentaire.

Ce qui n’empêche nullement de développer un style personnel, on le constate ici. C’est Boo Malone qui raconte, avec une belle part d’autodérision, les mésaventures traversées par ses potes et lui-même. Dans le pétrin, ils y sont jusqu’au cou. Leurs muscles peuvent les aider à ne pas sombrer, mais un brin de réflexion n’est pas à exclure. Des péripéties agitées et souriantes, où l’humour s’appuie sur une intrigue criminelle structurée. Un régal pour les lecteurs de noirs polars super-rythmés.

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18 février 2017 6 18 /02 /février /2017 05:55

Voilà bien longtemps qu’elle a décidé d’occulter son prénom qu’elle déteste, ne conservant que son patronyme : Blum. À Innsbruck, en Autriche, elle fut élevée "à la dure" par ses parents adoptifs. Ils possédaient une entreprise de pompes funèbres. Très jeune, Blum fut contrainte de les aider. À l’âge de vingt-quatre ans, elle décida d’en finir avec ce couple tyrannique, et les élimina impunément. C’est ainsi qu’elle rencontra Mark, qui est son mari depuis huit ans. Ils ont deux fillettes en bas âge, et Karl – son beau-père – vit avec eux. Mark est un bon flic, dans la lignée de son père, policier retraité. C’est lui qui fait engager Reza, un réfugié bosniaque, pour assister Blum aux pompes funèbres. Entre-temps, elle a modernisé l’entreprise de ses parents, et ne manque pas d’ouvrage.

Blum a trente-deux ans quand, alors qu’il quitte leur maison, Mark est victime d’un accident mortel à moto. Le chauffard s’est enfui. Blum et ses proches sont sous le choc. Elle peut compter sur le soutien moral de Massimo Dollinger, collègue de Mark et ami du couple. De son côté, son épouse Ute étant stérile et alcoolique, il trouve ainsi l’occasion de changer d’atmosphère. Pilotant la puissante moto réparée de Mark, Blum songe un temps au suicide. À quoi bon survivre après cet amour fusionnel avec son mari décédé ? Dans les archives de Mark, elle découvre le témoignage d’une nommé Dunja, une Moldave sans-papiers. Elle fut employée clandestinement dans un hôtel du Tyrol. Puis elle fut enfermée dans une cave avec deux autres personnes, durant cinq longues années.

Quand Blum retrouve Dunja, elle finit par lui confirmer avoir été victime de violences et de viols, par un groupe de cinq hommes. Le Photographe, le Prêtre, le Chasseur, le Cuisinier, le Clown, c’est ainsi qu’elle les appelait, en fonction des masques qu’ils portaient. Les deux autres personnes avec Dunja sont mortes aujourd’hui. Blum se rend dans le Tyrol, où l’hôtel qui employait la jeune Moldave a été vendu depuis. L’ex-propriétaire est devenu responsable politique. Amer, l’ancien concierge floué n’oublie pas que le fils de son patron se prenait pour un grand photographe. Blum y voit une piste à suivre. Quand elle en parle au policier Massimo, il pense que Dunja n’est qu’une malade mentale ayant tout inventé. Blum se sent parfaitement capable d’agir seule pour punir le Photographe.

Elle approche l’ex-propriétaire de l’hôtel, mais son heure à lui n’est pas encore venue. Il n’est pas très difficile pour Blum de repérer le Prêtre pervers. Séquestrer et éliminer ses cibles n’est pas compliqué quand on opère dans le domaine funéraire. Encore faut-il que les proches de Blum ignorent tout. Peut-être sera-t-il nécessaire d’impliquer Reza, quand même. Lorsque ses adversaires s’attaquent à Dunja, que Blum a recueilli, il est temps pour elle de passer à la vitesse supérieure, de piéger les derniers monstrueux complices…

Bernhard Aichner : Vengeances (Éd.Pocket, 2017) — Coup de Cœur —

Trois heures plus tôt, Blum avait ouvert la porte de la chambre froide. Il était allongé entre deux cercueils sur la table d’aluminium. Avant de le déposer là, elle l’avait attaché, ficelé comme un paquet, craignant qu’il ne se réveille avant son retour, et caché pour le cas où Karl ou une des filles serait, malgré tout, entré par inadvertance dans la salle de préparation. Blum était seule avec lui.
Le monstre qu’elle avait attrapé était étendu là. Elle l’avait terrassé et tiré hors de la voiture comme un paisible morceau de viande ne présentant plus aucun danger. Elle l’avait emmené en catimini dans la salle de préparation, transféré sans difficulté sur la table d’aluminium, avant de le faire rouler jusqu’à la chambre froide. Un jeu d’enfant ; tout s’était déroulé comme elle l’avait imaginé…

Même quand on lit intensivement, il arrive que l’on rate des petits chefs d’œuvres à leur publication initiale. Heureusement, une réédition en format poche permet de se rattraper. Bel exemple avec ce “Vengeances” de l’auteur autrichien Bernhard Aichner. “La maison de l’assassin”, son nouveau roman vient d’ailleurs de sortir chez l’Archipel. On y retrouve son héroïne singulière, Blum. Nous faisons sa connaissance dans ce premier opus. Blum n’est pas un personnage cynique, qui tuerait pour s’amuser, animée d’un vice meurtrier. Elle éprouve des sentiments profonds, allant jusqu’à la hantise et aux cauchemars. Blum est compatissante, "ouverte aux autres", employant un Bosniaque, accueillant une Moldave. Forte mais avec ses failles, Blum est de nature humaniste.

Mais la mort hautement suspecte de son mari adoré a changé la donne. Elle légitime une sanction envers chacun des coupables, des actes de vengeance aussi cruels qu’ils l’ont été eux-mêmes. Élevée dans une rigueur excessive, Blum sait garder son sang-froid quand il faut sévir. Cette histoire ne prétend pas justifier la Loi du Talion. D’autant que Blum agit sur des indices et non sur des preuves concrètes. À l’instar des intrigues de William Irish (Cornell Woolrich), c’est la démarche punitive qui guide le récit. Au final, on verra si Blum était dans son droit, ou non. Ajoutons que la narration de Bernard Aichner est à la fois fluide et subtilement écrite. Un suspense de haut niveau, à lire absolument.

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22 novembre 2016 2 22 /11 /novembre /2016 07:08

Kwan Chun-dok fut considéré comme le meilleur policier de Hong Kong. Sa carrière, qui débuta en 1967, dura trente ans. En 1997, il était tout juste quinquagénaire, alors on créa pour lui un poste de conseiller spécial, afin qu’il aide les enquêteurs de son ancien service, la section B du CIB, sur des cas que lui-même choisissait. C’est ainsi que Kwan devient le mentor de l’inspecteur Lok, disciple qui le sollicite jusqu’à la fin. Car hélas, en 2013, le vieux policier est mourant. Dans un coma terminal, il gît sur le lit d’une clinique. S’il ne peut réagir, Kwan entend et comprend les propos tenus autour de lui. C’est pourquoi l’inspecteur Lok a réuni dans cette chambre cinq membres de la famille Yue, entre autres propriétaires de la clinique de la Charité.

Il s’agit de résoudre le meurtre dont a été victime de M.Yuen, le PDG de cette puissante entreprise familiale, gendre de son fondateur M.Yue. On a pu croire que c’est lors d’un cambriolage ayant mal tourné qu’il a été tué. Mais aucune trace n’indiquait qu’un voleur soit venu de l’extérieur. Et tout le monde ne sait pas utiliser l’arme du crime, un fusil de pêche sous-marine. En outre, l’assassin a agi autour d’une cérémonie à la mémoire de la défunte épouse de M.Yuen. L’inspecteur Lok comprend qu’il est bon de se pencher sur la vie de chacun des membres du cercle des Yue. Grâce à un bricolage informatique simple et efficace, Kwan Chun-dok transmet (par oui ou par non) ses impressions à son disciple. Néanmoins, les secrets des Yue sont complexes, rendant l’affaire épineuse…

Dix ans auparavant, l’inspecteur Lok avait succédé à Kwan en tant que chef du CIB. Après une opération de police ratée contre le banditisme hongkongais, il enquêta sur les grands patrons de deux triades majeures, la Société de l’Infinie Justice et la Tige de la Florissante Loyauté. Le fils acteur de Grand-père Ngok, un des caïds, fut agressé. Sans doute pour avoir trop approché Tong Wing, une jeune artiste de dix-sept ans, la protégée de Chor, le second caïd. Puis la police reçut une vidéo, bientôt diffusée sur Internet, où Tong Wing était attaquée par des malfaiteurs. Sur les lieux, Lok comprit que le cadavre de la jeune fille avait sûrement été emporté par les tueurs. Kwan Chun-dok était resté dans l’ombre, mais il suivait de près l’affaire, l’embrouillant même pour que la vérité soit faite…

C’est à l’époque de la rétrocession de Hong Kong à la Chine que Kwan quitta son poste au CIB, en 1997. Son adjoint Tsoy était son successeur légitime, Lok n’étant encore qu’un inspecteur de l’équipe. Tandis que Kwan va devenir "conseiller spécial", reste à traquer les frères Shek, des truands dont l’un d’eux s’est tout juste échappé de prison… En 1989, et dès 1977, Kwan Chun-dok montra sa perspicacité dans des dossiers compliqués. Mais il faut remonter en 1967 pour saisir ses motivations profondes. Vaguement employé et livreur, le jeune homme envisage d’entrer dans la police. Bien que ça ne paraisse pas un métier honorable à beaucoup de gens, et qu’il ne soit pas sans dangers.

À cette époque, surgissent de violents conflits sociaux à Hong Hong. Les policiers sont la cible des grévistes, en tant que symboles de la répression dirigée par les Britanniques. La tension est forte avec la Chine voisine, les partisans de Mao manipulant les ouvriers. Un jour, dans la chambre voisine de la sienne, Kwan Chun-dok entend une conversation entre comploteurs. Préparant un attentat sanglant, ils passeront très bientôt à l’action. Kwan en identifie l’instigateur, le nommé M.Chow. Il va donner un sacré coup de main à Ah Sept, l’agent 4447, un policier fréquentant son quartier. Ce qui lancera sa carrière personnelle…

Chan Ho-kei : Hong Kong noir (Éd.Denoël, 2016) ― Coup de cœur ―

Le meurtre était confirmé, et la nouvelle redoubla l’attention que le public portait à l’affaire – plaçant les enquêteurs sur le gril par la même occasion. Lok et ses hommes devinaient qu’ils allaient bientôt voir l’état-major se pencher sur leur travail. Ils comptaient en particulier sur l’aide du bureau du crime organisé. Mais aucun policier n’aime à se voir dépossédé d’une affaire en cours ; il voit sa propre valeur rabaissée, celle de ses efforts passés niée. Aussi leur moral était-il au plus bas, et le découragement commençait-il à pointer à mesure que les pistes explorées se révélaient aussi improductives les unes que les autres. C’était la première fois que Lok était responsable en personne d’une enquête après dix-sept années dans la police, et la pression commençait à lui peser. Plus il s’angoissait, moins il parvenait à réfléchir sereinement.
Le lendemain de la découverte, il se retrouva à contempler la photo encadrée sur son bureau qui le représentait avec Kwan Chun-dok. Il décida d’aller le voir le soir-même pour accorder un peu de répit à sa propre cervelle torturée…

On peut hésiter à se plonger dans ce pavé de 660 pages. Et la perspective de situer les personnages aux noms asiatiques peut rebuter. Eh bien, on aurait tort. Car il s’agit d’un roman fascinant, le mot n’est pas exagéré. Un "roman", alors que six enquêtes nous sont présentées ? Oui, cette histoire se lit effectivement en continuité, et non comme une suite de nouvelles. Avec le policier émérite Kwan Chun-dok (et son adepte l’inspecteur Lok), on vit à l’heure de Hong Kong. Quelle ville étrange, énigmatique, à la géographie mal définissable, fourmillante de vie, mais aussi de trafics et de crimes, depuis bien longtemps sous l’emprise de triades mafieuses ! Au fil du récit, on va remonter le temps par étapes, en des années marquantes, d’aujourd’hui jusqu’à l’époque d’émeutes qui agitèrent ce qui était alors une colonie britannique.

Dans la postface, il est intéressant de lire l’explication par l’auteur de sa démarche. Entre romans “orthodoxes” (où prime l’enquête) et “sociétaux” (avec le réalisme des situations), il a choisi d’utiliser ces deux facettes, de ne pas en privilégier une d’elles. Il est vrai que nous découvrons des intrigues passionnantes, parfaitement conçues et racontées, autant qu’un contexte spécifique. De nombreux soubresauts jalonnent l’Histoire de Hong Kong, avec leur impact sur les forces de police. Telle une horloge détraquée, le mécanisme qui la fait fonctionner s’est parfois grippé, et ça continue à l’ère chinoise. Mais peut-être y a-t-il des habitants qui, à l’instar de Kwan et Lok, entretiennent les pièces défaillantes – en nettoyant les impuretés qui salissent Hong Kong.

Pour l’anecdote, on notera que les dictons ont leur place dans l’esprit des Chinois de cette ville. Sans oublier la notion de bluff, présente dans une grande partie de ces enquêtes. La police doit s’avérer plus rusée que les criminels, n’est-ce pas ? Ce qui introduit une part de complicité avec le lecteur. Loin d’un exotisme de pacotille, subtil et entraînant, “Hong Kong noir” est un remarquable roman à suspense, qui se lit avec délectation.

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4 novembre 2016 5 04 /11 /novembre /2016 06:02

En 1906, Le Touquet-Paris-Plage est une station balnéaire en pleine expansion sur la Côte d’Opale. À son retour d’Afrique, où il a passé dix années, c’est là que compte s’installer Armand Lamier. Âgé de trente-deux ans, il se nomme en réalité Rémi d’Andrézy. Après un passage dans le Légion, il partit pour le Transvaal, en Afrique du Sud, pour combattre aux côtés des Boers. Il y fut accusé du meurtre de son ami Jacob Joubert. Celui-ci possédait un exceptionnel diamant jaune, le "Jua Jicho", que le véritable assassin a dérobé. Ensuite, Rémi se joignit à une mission archéologique en Égypte, avant de regagner la France.

Au Touquet, la veuve de Jacob et leur fille Anne ont trouvé refuge chez un cousin, Herloff van Straaten, courtier en diamants. Il souhaite un prochain mariage entre son fils Ernst et Anne, dix-huit ans. Ernst n’est autre que le meurtrier de Jacob. Il est acoquiné avec les Liebmann, qui habitent un château près de Longwy. Ceux-ci sont des fabricants de canons prêts à livrer aux Allemands des secrets sur les nouveaux modèles. Ernst séjourne chez eux à cette époque. Si sa prudente mère Hortense approuve tant soit peu le mariage à venir de sa fille, Anne ne paraît pas enchantée par cette perspective.

Rémi d’Andrézy va habiter dans la maison de ses défunts parents. Son père adoptif a été condamné et exécuté pour un crime qu’il n’a pas commis. Rémi lui-même est toujours soupçonné du meurtre de Jacob. Il peut compter sur le soutien de Clarisse, l’employée de sa voisine, Mme Hoursine. Puisqu’on cherche un précepteur pour donner des rudiments de culture à Anne, Rémi se propose et obtient ce poste. Tous deux ne tardent pas à éprouver des sentiments amoureux mutuels. Néanmoins, la position de Rémi reste instable. Car des sbires d’Herloff van Straaten veillent, s’interrogeant sur le nouveau venu.

Une lettre posthume de sa mère laisse entendre que les origines réelles de Rémi ne sont pas ce qu’il croyait. Un certain Arthur Brisson est détenteur de mystérieuses informations, mais il est assassiné chez Rémi avant d’avoir pu les lui révéler. C’est alors qu’intervient le commissaire parisien Brochard. Il croit reconnaître le cambrioleur qu’il pourchasse depuis plusieurs années. Raoul d’Andrésy, se faisant aussi appeler Limézy, loge ponctuellement à la villa L’Arlésienne, au Touquet, où il est rejoint par son assistant, Grognard. Ni Raoul, ni Rémi ne savent qu’ils sont frères jumeaux. Leur famille ayant été autrefois ruinée, ils ont été élevés séparément. En Normandie ou au Touquet, des gens s’en souviennent-ils ?

Si le notaire qui employa naguère Rémi reste amical, d’autres lui veulent du mal. Il lui est bien difficile d’identifier ce joueur de limonaire (orgue de barbarie) présent lors des crimes récents. Quant au commissaire Brochard, il pense tenir son coupable. Grâce à Anne, Rémi parvient à s’échapper lors de son transfert en train vers Paris. Puis c’est Clarisse qui va l’aider à vivre dans la clandestinité. De son côté, sous le nom de Limézy, son frère Raoul fréquente la haute société de Paris-Plage, avant d’espionner ces industriels de l’armement qui semblent bien trahir la France. Le meurtre de la mendiante Maria dans la maison de Rémi, puis celui d’un tailleur de diamants d’Anvers dans le métro parisien, vont relancer l’enquête du commissaire Brochard…

Philippe Valcq : Le diamant jaune (Pôle Nord Éditions, 2016) — Coup de cœur —

Le jeune homme ne répondit pas tout de suite. Il réfléchissait. Le plan de ce fourbe était à la fois simple et machiavélique. Il épousait Anne et lui offrait le diamant jaune comme cadeau de mariage de la part de son père. Ainsi, dans l’hypothèse où d’autres personnes auraient eu connaissance de la destination de cette pierre, celle-ci ne pourrait pas alors être considérée comme volée.
Ce plan devait comporter une suite abominable. Une fois marié, il s’arrangerait pour se débarrasser des deux femmes et récupérerait le plus légalement possible le "Jua Jicho".
[Rémi] devait contrecarrer à tout prix ce dessein diabolique…

Philippe Valcq : Le diamant jaune (Pôle Nord Éditions, 2016) — Coup de cœur —

Il n’est pas rare que, chez de petits éditeurs, on déniche des romans d’excellent niveau. À cet égard, la collection "Belle Époque" de Pôle Nord Éditions apparaît fort prometteuse. Ce titre retient d’autant plus l’attention que l’on peut le lire comme une nouvelle aventure inédite d’Arsène Lupin. Il ne nous échappe pas que Raoul d’Andrésy n’est autre que le célèbre gentleman-cambrioleur, le nom de Limézy figurant parmi ses autres pseudonymes. Le prénom Clarisse fait également partie de la mythologie lupinienne : ce fut celui de la compagne d’Arsène. On sait encore que la jeunesse du futur roi du cambriolage comporte bien des zones d’ombres. On aura noté les initiales d’Armand Lamier (A.L.), fausse identité de son frère Rémi. Un jumeau ? Eh oui, pourquoi pas ? Aussi intrépide que lui, bien sûr.

Hormis les références à l’univers de Lupin, c’est le contexte utilisé par l’auteur qui offre un charme certain à cette intrigue. Que Philippe Valcq soit incollable sur cette région de la Côte d’Opale et sur Le Touquet-Paris-Plage, c’est l’évidence même, puisque cet érudit a bon nombre d’ouvrages à son actif sur ce sujet. En effet, à l’instar de Sable d’Or les Pins (en Bretagne) et de quelques autres, des stations balnéaires ont été créées "ex nihilo" dès la fin du 19e siècle. Les dunes du Touquet firent partie de ces expériences imaginées par des promoteurs d’alors. Par ailleurs, nous sommes à l’époque où Louis Blériot envisage de traverser la Manche en avion, où le préfet Lépine règne sur la capitale, et où les rapports avec nos voisins Prussiens s’enveniment de jour en jour. Un thème patriotique qui figure aussi dans certaines aventures d’Arsène Lupin, faut-il le rappeler ?

La caractéristique principale des pionniers de la Littérature Policière, dont on publiait les romans en feuilletons, était de présenter une suite incessante de péripéties, captant ainsi l’intérêt des lecteurs. Du mystère, certes, mais des rebondissements à foison, du nouveau tout au long du scénario. Révéler quelques détails n’empêche pas d’attiser la curiosité, on sait déjà que la suite sera autant trépidante. C’est dans cet esprit que Philippe Valcq a conçu le présent récit, conformément à cette grande tradition. Un roman très réussi.

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10 octobre 2016 1 10 /10 /octobre /2016 04:55

Désormais, ce Jurassien est chef de la petite brigade de gendarmerie à Clairvaux-les-Lacs, assisté par Caro et Serge. Le petit groupe manque cruellement de moyens, se cantonnant à des missions de moindre importance. Mais pour le sous-officier, l’essentiel était de rester dans sa région natale. À l’âge de sept ans, il fut "initié" à l’esprit de la forêt, à son silence. Depuis cette époque, il se montra plutôt distant envers le monde extérieur, circonspect quant au tumulte agitant à présent la société. Par exemple, l’émission de télé racoleuse qui fascine en ce moment les Français, c’est exaspérant pour quelqu’un comme lui. Rien que du spectacle, éloigné des réalités du quotidien. Même les plus mystérieux des meurtres ne captivent plus une population indifférente à ce qui est moins médiatisé.

Pourtant, c’est bien l’œuvre d’un tueur en série, ces massacres auxquels sont confrontés le gendarme jurassien et sa modeste équipe. D’abord, du côté de Saint-Claude, il y eut la famille Sarella, trois victimes. Une affaire à laquelle s’intéressa aussi le journaliste local Thomas Servano, flairant un cas sortant de l’ordinaire. Ce ne sont ni d’éventuels témoins, ni les "autorités compétentes" qui vinrent en aide à cette brigade peu préparée au crime de cette espèce. Le monstre criminel a récidivé en assassinant le famille Fioretti, habitant aussi une maison isolée. Deux carnages visant des gens sans histoire. Quand il recense les dossiers des grands criminels de l’Histoire, hommes et femmes, il s’aperçoit que beaucoup d’entre eux étaient, comme leurs victimes, des personnes plutôt banales en apparence.

Les enquêteurs se demandent si, pour gagner la confiance des victimes, le tueur ne les a pas rassurés en portant un uniforme ? Le troisième massacre se passe vers Mâcon. Abattus avec un fusil, les Lamosse vivaient dans un lotissement, donc pas à l’écart. Sans doute s’agissait-il d’une famille plus instable que les précédentes. Jouant les ados rebelles, la fille Lamosse fréquenta des petits voyous des environs. Il est probable que ces marginaux soient mêlés à des trafics de drogue, ce qui ne signifie nullement que la jeune fille ait été impliquée. L’interpellation de ces frères délinquants et de leur oncle complice vire à la fusillade entre eux et les gendarmes. Non sans causer des victimes. Servano, le journaliste, va lui aussi subir les conséquences de série de meurtres. Le Jurassien finit par découvrir le véritable point commun existant entre ces crimes…

Patrick Eris : Les arbres, en hiver (Éd.Wartberg, 2016) Coup de cœur

Lorsque je m’assis sur un des bancs installés face au lac, une fois de plus, j’eus l’impression diffuse que cette affaire sanglante affectait la forêt elle-même. Comme si ces meurtres étaient des actes "contre nature", au sens le plus littéral du terme. Je n’aurai pas de mots pour l’exprimer autrement, même si ceux-ci sont bien réducteurs.
Les arbres n’étaient pas encore entièrement dénudés, et une première ligne de hêtres dépenaillés se découpait sur la crête sombre des conifères aux sommets déchiquetés. Le soleil apparaissait souvent entre des nuages échevelés d’un beau gris-bleu, et ses rayons illuminaient les flots tout en créant mille jeux d’ombre et de lumière dont la beauté me saisit les entrailles. Une légère brise ridait le lac, le reconfigurant constamment en mille visages en perpétuel mouvement, où se reflétaient partiellement les caprices des rayons dorés. Un tel décor donnait une idée de ce qu’était le sacré, même à un mécréant comme moi. Devant tant de beauté, on ne bougeait pas, on ne parlait pas, on respirait à peine. On contemplait.
À ce moment de communion, j’aurais dû trouver la paix intérieure. Et pourtant, non. Cette affaire ne me laisserait jamais tranquille, je le savais…

Bien que mal connu, Patrick Eris est un auteur déjà chevronné, capable d’allier la forme, le fond, et l’écriture. Ce roman adopte la forme du scénario à suspense, avec une enquête d’autant moins rectiligne que les gendarmes sont peu aguerris face à ces affaires. Non pas qu’ils soient ignorants des sujets sur les tueurs en série. Mais on ne va pas déplacer le gratin des experts scientifiques citadins jusqu’en pleine Plouquie pour quelques familles exécutées chez elles. Les investigations s’avèrent sinueuses, voire chaotiques. Même si notre héros anonyme n’en voit pas vite le bout, il progresse – et le lecteur avec lui.

À notre époque, et pire encore dans le proche avenir présenté par l’auteur, les médias décident de ce dont il faut parler. On délaisse les faits locaux, l’info sur la vraie vie de la majorité des Français. Ici est abordé le fond de l’histoire, son contexte social. Hypnotisés par des shows, conditionnés par de prétendus spécialistes, entraînés par une démagogie qui sépare de plus en plus les citoyens, le plus sale égoïsme règne en maître. Des crimes dans la cambrousse ? Ça ne retient plus guère l’attention générale. Une émeute ressemble davantage au cinéma, c’est plus excitant. Les crimes en Ploukistan, qui s’en soucie ?

C’est ainsi que le gendarme jurassien cultive logiquement sa misanthropie, se réfugiant dans ses forêts montagneuses quand il n’écoute pas les "Variations Goldberg" de Bach. Un comportement qu’on n’est pas loin d'adopter parfois, quand on observe le monde actuel. Pour faire partager ces états d’âme, ça passe par une écriture exprimant l’intériorité, le "ressenti", sans négliger la fluidité du récit. Jouant autant sur le mystère, l’aspect sociétal, et l’esprit du personnage central, le style harmonieux de Patrick Eris est fort séduisant. Un polar de très belle qualité, qui mérite évidemment un Coup de cœur.

© photo Claude Le Nocher

© photo Claude Le Nocher

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19 septembre 2016 1 19 /09 /septembre /2016 04:55

À Marseille, en mai 1981. Luc Rio est âgé d’une vingtaine d’années. Surnommé Louka, il est étudiant à la fac de Luminy. Il occupe une ex-chambre de bonne dans l’immeuble où habite sa grand-mère, Mamété, qui passe ses journées à écouter des chansons anciennes. La copulation avec sa voisine défraîchie n’excite plus guère Louka, qui préfère le petit cul rond de l’étudiante Lucie, vingt ans. Celle-ci appartient à la famille Barbelasse, membres de la bourgeoisie d’affaires phocéenne. Son oncle est politicien de droite, officiellement un modéré, mais entouré des gros bras du Service d’Action Civique gaulliste. Ça chauffe dans ce camp politique à la veille du 10 mai, d’autant qu’éclate le cas Maurice Papon. Ministre de Giscard, ex-Préfet de police contestable, il envoya jadis des Juifs à la mort.

Louka n’est pas vraiment politisé. Son parcours est déjà assez compliqué comme ça. Fils d’un truand abattu par la police, abandonné par sa mère, il a longtemps vécu dans des familles d’accueil, via la DDASS. Ce n’est qu’à sa majorité que Mamété s’est souvenue de lui. Il y a aussi "l’Ouncle", ancien complice de son père au temps de la French Connection, duquel Louka reste proche. Pas sûr que le vieux malfaiteur soit aussi rangé qu’il l’affirme, à vrai dire. C’est par son entremise que Louka va tenter sa chance au poker, et perdre une très grosse somme, à rembourser sans tarder. Néanmoins, le jeune homme ne compte pas renoncer à la Renault Fuego d’un jaune pétant qu’il vient d’acquérir. Sa combine pour se procurer du fric fonctionne encore, même s’il serait bon qu’il commence à se méfier.

En effet, Louka a trouvé une astuce pour détourner les versements des clients de l’agence bancaire où il est inscrit sous une fausse identité. Le directeur et deux spécialistes, des clones de Dupont et Dupond, examinent les mouvements bancaires et finiront sûrement par dénicher le fraudeur. Louka est déjà lancé sur une autre opération. Son ami Jeannot, traumatisé depuis la guerre d’Algérie, est employé aux Archives Départementales. Dans les documents transitant par lui, on retrouve des lettres de délation remontant à la 2e Guerre Mondiale. Faire chanter ceux qui, plusieurs décennies plus tard, ne voudraient pas que soit révélé cet aspect de leur passé, c’est jouable. Sans grands risques, puisque Louka utilise la boîte à lettres du voisin de sa grand-mère.

La dette de jeu serait remboursée sans trop de difficulté, s’il ne surgissait un problème. Ses amours avec Lucie, un moment contrariés, sont de nouveau au beau fixe. Ça se gâte du côté de "L’Ouncle", il fallait s’y attendre. Mamété écoute toujours en boucle ses vieilles chansons. Les électeurs giscardiens battus s’inquiètent pour leur argent, après la victoire de Mitterrand : le danger socialo-communiste les guettent. Tout en s’intéressant à la vie marseillaise à l’époque de l’Occupation, Louka est approché par Roland Barbelasse, oncle politicien de Lucie, en vue des prochaines Législatives. Quand un meurtre est commis dans son immeuble, et que son studio est saccagé, Louka sait qu’il doit être prudent…

Maurice Gouiran : Le printemps des corbeaux (Éd.Jigal, 2016) – Coup de cœur –

Je n’avais qu’un seul but dans l’immédiat : fuir, ne pas me faire cravater. J’ai senti que le directeur sortait de l’agence derrière moi et allait tenter de me poursuivre. Ce gars n’avait ni la santé, ni la tenue pour espérer me rattraper. Il s’est contenté de hurler à l’adresse de deux flics en baguenaude en haut de la rue de Rome :
— Arrêtez-le, c’est un voleur !
L’ignare… J’ignore sur quelle planète il avait vu le jour. Certainement pas la phocéenne, parce qu’ici les condés n’arrêtaient jamais les voleurs ! Les deux flics ne l’ont même pas calculé, ils ont poursuivi leur chemin comme si de rien n’était. Tandis que le pauvre directeur s’égosillait sur les dérives d’une société française dont les représentants de l’ordre s’avéraient incapables de protéger les citoyens, j’ai traversé la rue de Rome en me faufilant dans une circulation dense…

Ce roman entraînant de Maurice Gouiran possède une multitude de qualités. D’abord, par sa facette purement "polar", puisqu’il est question de banditisme, de chantage, et autres moyens illégaux de se procurer rapidement un maximum d’argent. Voilà trente-cinq ans, l’informatique balbutiante permettait des arnaques bien plus rentables que les braquages. Héritier de la truanderie paternelle, Louka teste ces méthodes nouvelles avec un certain succès. Ce qui n’exclut pas un meurtre, dans cette affaire. S’il veut mener à bien tout ce qu’il a en cours, le quotidien du jeune homme ne connaît pas de temps mort. Cela nous garantit un récit mouvementé, pour notre plus grand plaisir.

Une autre qualité essentielle, c’est le contexte. L’auteur évoque des épisodes méconnus ou oubliés du passé dans ses romans. Ici, l’Histoire de Marseille entre les années 1940 et 1980 apparaît en toile de fond. Les odieuses lettres de délation et le marché noir durant la guerre, les trahisons au sein des réseaux de Résistants, les compromis politicards qui sont de mise dans la cité phocéenne, la hautaine bourgeoisie financière qui ne vaut pas mieux que des petits commerçants magouilleurs, sans oublier les cadors du banditisme toujours aussi dangereux. Le portrait dressé par Maurice Gouiran n’a rien de démonstratif, ni de caricatural : la réputation malsaine de Marseille n’est pas un mythe, on le constate.

L’auteur nous invite à sourire : le pseudonyme utilisé par Louka pour son compte bancaire n’est pas anodin. L’atout ironique de cette intrigue réside dans la période choisie, en mai 1981. Ceux qui l’ont vécue se souviennent, aussi bien des espoirs suscités chez les uns par l’élection de François Mitterrand, que de la panique des autres face à une défaite qu’ils ne digéraient pas (devenus "l'opposition", ils se qualifiaient toujours "d'ex-majorité"). Si le personnage de Louka ne prend pas parti, par rapport aux nantis telle la famille de Lucie, il se sent quand même "de l’autre côté de la barrière sociale". Citons enfin l’évocation de la scandaleuse affaire Papon, rappelant aux Français la connivence scabreuse entre quelques grands notables politiques et le nazisme.

Avec “Le printemps des corbeaux”, le chevronné Maurice Gouiran nous présente un de ses meilleurs romans, un polar plein de péripéties et riche en rappels historiques.

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