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14 février 2018 3 14 /02 /février /2018 05:55

Anna Fox habite une maison de plusieurs étages à Harlem, sur Hanover Park. Voilà dix mois qu’elle a abandonné son métier de pédopsychiatre, et qu’elle vit séparée de son mari Ed et de leur fille Olivia, huit ans. Recluse, elle souffre d’une forme sévère d’agoraphobie, un syndrome d’enfermement qui relève davantage de la neurologie que de la psychiatrie. Le docteur Fielding lui prescrit un traitement médicamenteux assez lourd, alors qu’elle s’alcoolise plus que de mesure au merlot, ce qui est incompatible. L’infirmière-kiné Bina passe chez elle régulièrement, soutien moral plutôt relatif. Outre son chat Punch, Anna n’est plus complètement seule depuis deux mois. Elle a loué le sous-sol à David Winters, séduisant homme jeune, peu envahissant, qui gagne sa vie en bricolant çà et là.

Si elle aime jouer aux échecs sur Internet, où elle prodigue gratuitement des conseils de psychothérapeute, la grande passion d’Anna c’est le cinéma. Plus précisément, les vieux films policiers en noir et blanc, ceux d’Hitchcock en particulier. Elle connaît par cœur les meilleures répliques et les scènes-clés. Depuis qu’Anna s’est isolée, son autre plaisir consiste a surveiller le voisinage. Sans mauvaises pensées, mais c’est obsessionnel. Ainsi, quand la famille Russell s’installe au 207, elle les observe attentivement. Alistair Russell, ex-cadre dans une société de Boston, n’a pas l’air très chaleureux. Jane Russell apparaît bien plus cordiale. Et puis n’est-elle pas l’homonyme d’une grande actrice (1921-2011), partenaire de Marilyn Monroe dans “Les hommes préfèrent les blondes” ?

Les Russell ont un fils de seize ans, Ethan, dont la chambre donne en face de chez Anna. Il est agréable et même serviable, mais manque encore de caractère. Ce qu’Anna attribue au comportement strict d’Alistair Russell, le père. Quelques jours après une longue visite de Jane Russell chez Anna, la recluse croit entendre des cris chez ses voisins. L’effet des médicaments et de l’alcool absorbés, peut-être, car personne d’autre n’a rien remarqué. Un soir où elle regarde “Les passagers de la nuit” (1947) avec Humphrey Bogart et Lauren Bacall, d’après un roman de David Goodis, Anna assiste au meurtre de Jane, poignardée. Elle tente de sortir pour intervenir, mais elle est victime d’un évanouissement. Quand elle se réveille, Anna a été hospitalisée, et la police est présente.

L’inspecteur Conrad Little n’est pas mauvais bougre, mais sa collègue Val Norelli se montre plus dure. Quand il raccompagne Anna à son domicile, Little ne lui cache pas qu’il pense qu’elle était sous le coup d’hallucinations, car il n’y a pas eu de meurtre chez les Russell. La brune Jane Russell qu’Anna aperçoit lui est parfaitement inconnue ; ce n’est pas celle qu’elle a rencontrée. Elle est certaine de ne pas faire erreur, qu’Alistair Russell a supprimé son épouse. Soumis à son père, Ethan n’est pas causant sur cette affaire. David ne tient pas à s’en mêler, pour des raisons personnelles. Anna se renseigne sur l’ancienne activité de Russell à Boston, qu’il aurait quitté précipitamment. Elle parvient à sortir de sa maison pour tenter un contact avec la deuxième Jane Russell, qui le prend très mal.

Anna ne trouve guère d’alliés : Ethan est trop faible et David n’est pas forcément fiable. S’estimant victimes de harcèlement, Russell et sa femme ont alerté la police. L’inspecteur Little, qui s’est informé sur le cas pathologique d’Anna, reste bienveillant. Mais quand elle prétend que quelqu’un s’est introduit de nuit chez elle, il peine à la croire…

A.J.Finn : La femme à la fenêtre (Presses de la Cité, 2018) – Coup de cœur –

D’où venait ce cri ? Dehors, il n’y a que des flots de lumière dorée et le vent dans les arbres. Est-ce quelqu’un dans la rue qui…
De nouveau, ce même cri déchirant, frénétique, poussé à pleins poumons. En provenance du 207. Les fenêtres du salon sont grandes ouvertes, les rideaux voltigent sous la brise. "Il fait bon aujourd’hui, m’a dit Bina. Pourquoi ne pas ouvrir une fenêtre ?"
Je scrute la maison des Russell. Mon regard va de la cuisine au salon, monte jusqu’à la chambre d’Ethan, revient vers la cuisine. Alistair a-t-il attaqué Jane ? "Il a tendance à vouloir tout contrôler" m’a-t-elle confié. Je n’ai pas leur numéro de téléphone. Je tire mon IPhone de ma poche, le fait tomber par terre. Merde ! Je le ramasse prestement et appelle les Renseignements.

Un pavé de cinq cent pages, ça peut donner un roman intéressant, mais on n’est jamais sûr d’adhérer en continuité à l’ambiance, de garder sa concentration sur les détails du récit, aussi réussi soit-il. Même si les personnages ne sont pas exagérément nombreux, et s’ils sont bien dessinés, éprouvera-t-on une réelle empathie ? Quant au suspense, il n’est pas rare qu’il soit dilué dans d’improbables fausses pistes, ou dans une psychologie plus approximative que crédible. Certes, l’intrigue peut ici rappeler celle de “Fenêtre sur cour”, mais le film d’Hitchcock était adapté d’une nouvelle de William Irish, pas d’un long roman. Pourtant, on aurait grand tort de ne pas faire la connaissance d’Anna Fox.

On imagine aisément cette ex-pédopsychiatre, alcoolique isolée, confinée dans une grande maison quasi-vide auprès d’un plaisant square new-yorkais. Internet restant son unique fenêtre sur le monde, elle a sans doute besoin d’espionner son entourage, surtout les nouveaux venus. Comment ne pas être compréhensif envers Anna, puisqu’elle vénère les films policiers de légende ? Si elle est aussi mal dans sa tête, c’est dû à un traumatisme dont elle garde le secret. Son locataire, le séduisant David, n’a pas tout dit sur son passé, lui non plus. Quant aux voisins d’en face, les Russell, sent-elle dès leur arrivée une part d’obscurité chez eux ? Il est vrai que, de nos jours, la courtoisie n’est plus toujours de mise en matière de voisinage. Néanmoins, Anna devrait arrêter d’abuser du merlot.

La qualité première de cet authentique suspense, c’est sa fluidité narrative. C’est une histoire très vivante qui nous est racontée, sans la moindre lenteur, ni aucun passage superflu. En face d’Anna, que l’on admet fort perturbée, les autres protagonistes ont des réactions logiques et plausibles. Même l’inspecteur Little fait preuve d’une patience louable à son égard. Est-ce que, comme dans l’excellent “La femme au portrait” de Fritz Lang, (“The Woman in the Window”, même titre que ce livre), le final se dénouera grâce à une astucieuse pirouette ? On le verra, mais entre-temps, le scénario s’est ici avéré fascinant. Voilà un suspense vrai de vrai, à ne pas manquer.

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6 février 2018 2 06 /02 /février /2018 05:55

Été 1947, à Hollywood. Billie Dixon est une jeune femme brune venue du Texas. Elle se verrait bien scénariste, mais reste consciente que le monde du cinéma n’est ouvert qu’à une poignée de personnes. Elle a accepté un job pour la Producers Releasing Corporation, une société produisant des films de série B. La PRC assure la distribution de ses films grâce à des gens comme Billie, sillonnant les Etats-Unis pour vendre leurs produits. Pas de stars à l’affiche, mais des scénarios suffisamment distrayants pour plaire au public des cambrousses américaines. C’est ainsi que Billie arrive dans l’Arkansas, dans la région des Ozarks, à Stock’s Settlement. Dans cette bourgade de quelques centaines d’âmes, on ne va guère au cinéma. Très influent, le pasteur Obadiah Henshaw y a mis son veto.

Héros de la guerre du Pacifique, dont il est revenu aveugle, l’homme d’Église prône une intransigeante moralité. Alors que le cinéma est le vecteur de tous les vices, selon lui. Il ne fait pas exception en recevant Billie, rageant contre les films. À cette occasion, Billie est immédiatement fascinée par Amberly Henshaw, la magnifique épouse du pasteur. Si l’homosexualité est réprouvée par la loi, Billie n’a aucun mal à se trouver des compagnes d’une nuit quand elle réside à Los Angeles. Il existe des clubs assez discrets où elles se rencontrent. Qu’on l’ait baptisée William, qu’elle transforma en Billie, n’explique pas forcément cette attirance sexuelle pour les femmes. Amberly et elle deviennent bientôt intimes, l’épouse du pasteur se confiant sur sa vie – qu’elle n’a pas vraiment choisie.

Une autre femme de Stock’s Settlement impressionne Billie. Lucy Harington fait office de shérif ici, même si c’est son frère Eustace – déficient mental – qui occupe le poste. Elle ne manque pas de caractère, Lucy. Pour éviter une situation malsaine et compliquée, Billie va retourner rapidement à la PRC. Sans jamais cesser de penser à Amberly Henshaw. C’est ainsi que, quelques semaines plus tard, Billie revient dans l’Arkansas. Il semble que le pasteur souhaite avoir une conversation avec elle. En réalité, Obadiah Henshaw se montre très violent, exigeant même que Billie assassine son épouse, la menaçant de gros ennuis. Dès le lendemain, sur le chemin de l’église, il se produit un accident de voiture mortel : Billie renverse le pasteur. Bien qu’un peu approximative, sa version des faits est crédible.

Sans doute la shérif sans titre Lucy Harington a-t-elle envisagé une autre possibilité. Tant qu’elle ne découvre pas le rondin de bois avec lequel Billie a achevé le pasteur, tout va bien. Et puis, d’une certaine façon, Billie est "adoptée" par les paroissiens et bénéficie de la clémence générale. Elle ne doit cependant pas s’attarder à Stock’s Settlement. Mais elle ne partira pas seule, pour ce long trajet de retour vers Hollywood. Qui ne va pas du tout se dérouler comme Billie pouvait l’espérer. Elle n’en a pas fini avec l’Arkansas…

Jake Hinkson : Sans lendemain (Éd.Gallmeister, 2018) – Coup de cœur

En entendant mes pieds frotter sur le plancher, [le pasteur] dit :
— Cela ne sert à rien de courir. Si tu t’enfuis, je dirai ce que tu as fait. Il te sera impossible de quitter l’État avant qu’ils t’attrapent. La dépravation sexuelle n’est pas seulement un péché, tu sais, c’est un crime. Et Amberly ne prendra pas ta défense. Je te le garantis. Elle dira que tu l’as immobilisée, que tu l’as forcée. Que tu lui as infligé de mauvais traitements avec… avec quoi ? Une brosse à cheveux ? Ouais, je ferai en sorte qu’elle dise ça. Une brosse à cheveux. Réfléchis. Hollywood, fini. Le travail dans le cinéma, fini. Ton portrait à côté d’une photo d’une brosse à cheveux dans le journal et une longue peine de prison au pénitencier d’Eastgate. Si j’étais du genre à faire des paris, je parierais que les gardes là-bas se relayeront pour te sauter pour que tu renonces à ton vice. Ce genre de choses à prouvé son efficacité, dans le passé.

Qu’il est délicieux de lire un authentique roman noir, digne de la plus pure tradition ! Jake Hinkson connaît ses classiques, nous présentant là une remarquable intrigue. L’époque qu’il choisit, l’après-guerre, s’y prête à merveille. Le conformisme est la règle, s’appuyant sur un strict puritanisme d’inspiration religieuse. Le maccarthysme sévit à Hollywood. Être communiste ou être lesbienne, telle Billie, c’est à peu près aussi condamnable. Il est bon de préciser que la société PRC, qui sera rachetée et rebaptisée Eagle-Lyon, exista réellement. Elle faisait partie de ces studios sans prestige surnommés "poverty row", ne produisant que des films à petits budgets, diffusant ses films comme montré ici. Pourtant, PRC eut de bonnes réalisations à son actif, tel l’excellent “Detour” d’Edgar G.Ulmer, d’après le roman de Martin M.Goldsmith (Éd.Rivages, 2018).

Le décor principal, c’est un village rural, là où s’arrête le Midwest et où commence le Sud. Billie Dixon était prévenue : “Plus on s’enfonce dans les Ozarks, plus les gens deviennent bizarres… Ces péquenauds de l’Arkansas, ils sont méchants comme des teignes.” Dominé par son "Église baptiste du tabernacle racheté par le sang", c’est un endroit typique de l’Amérique profonde. Toute forme de modernité y est bannie, puisque fatalement inspirée par le Diable pour détourner le bon peuple de la Foi. Sans oublier que le patriotisme y est une valeur majeure, la 2e Guerre Mondiale étant terminée depuis peu. Mais Billie, si elle supporte au début les invectives du pasteur, n’est pas du genre à se soumettre à ses injonctions furibardes. Très beau portrait d’une femme assumant son libre-arbitre.

On peut affirmer que “Sans lendemain” est un des meilleurs polars noirs de l’année.

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21 janvier 2018 7 21 /01 /janvier /2018 05:55

Dans l’Amérique de 1826, William Wyeth est âgé de vingt-deux ans. S’étant fâché avec son père, il vit depuis quelques temps à Saint-Louis, Missouri. C’est de là que partent les expéditions de trappeurs. Le marché de la fourrure est florissant pour des Compagnies, qui engagent les plus téméraires des volontaires. Un métier dur, mais qui offre l’espoir de s’enrichir aux trappeurs. Si William Wyeth en est conscient, maintenant il se sent prêt. Le début du voyage est déjà harassant, car il faut traîner leur bateau sur la rivière pendant plusieurs longues semaines. C’est ainsi qu’ils atteignent le fortin leur servant de base arrière. Depuis ce point, ils montent ensuite des campements dans la Plaine, chassant et posant les pièges pour attraper les animaux dont ils garderont la fourrure.

Les Blancs s’entendent bien avec la plupart des tribus Crow, mais ils doivent être plus prudents envers les Indiens Blackfoot, qui pourraient les attaquer sans prévenir. William s’est inséré sans problème dans le groupe de trappeurs. Il a fini par sympathiser avec Walter Ferris, de l’Ohio, fils de médecin. Sans doute parce que les deux jeunes hommes sont plutôt cultivés. Ils savent écouter les conseils des trappeurs chevronnés. À la mi-mars 1827, commence vraiment la traque massive des animaux. Avec les Indiens Crow, les trappeurs vont chasser les troupeaux de bisons. Hélas, William est blessé par un tir accidentel. Il a frôlé la mort, mais on l’a soigné aussi correctement que possible. Il est envoyé en convalescence à la colonie de Fort Burnham.

Si William s’avoue moins motivé pour retourner avec son groupe de trappeurs, ce n’est pas seulement dû à sa grave blessure. Il a retrouvé là Alene Chevalier, qu’il connaissait à Saint-Louis. Entre-temps, celle-ci s’est mariée et est devenue veuve peu après. Bien qu’étant l’héritière de son défunt époux, il faudra qu’elle se batte si elle veut récupérer sa fortune. William s’improvise négociant en fourrures, traitant avec les Indiens, ce qui va lui apporter un certain pécule. Il s’inquiéte quand un nouveau venu se présente à la colonie. À Saint-Louis, le dandy désinvolte Henry Layton avait une réputation justifiée d’escroc. Ce peut aussi être un rival amoureux concernant Alene Chevalier. Layton est un type lunatique, peut-être capable du meilleur, mais surtout destructeur.

L’actuel projet d’Henry Layton, c’est de faire prospérer sa propre compagnie de fourrures, en poussant la chasse toujours davantage vers l’Ouest. Walter Ferris et la brigade dont fit partie William Wyeth ont choisi de suivre Layton, même si leur confiance en lui est assez relative. Avant que l’expédition soit lancée, William et Alene décident de se fiancer, ce qui ne surprend personne à la colonie. Les nouveaux territoires de chasse des trappeurs ne sont pas sans réels dangers mortels. Et le caractère instable de Layton ne favorise pas la cohésion du groupe. Outre les Indiens hostiles, ils vont être confrontés aux Anglais, qui braconnent depuis le Canada, et aux Mexicains qui surveillent leur propre frontière. En revenir vivant, pour quelques-uns d’entre eux, tient du miracle…

Shannon Burke : Dernière saison dans les Rocheuses (Éd.10-18, 2018) – Inédit – Coup de cœur

Il nous avait senti. Lentement, Ferris tendit la main vers son fusil, mais le geste fit craqueter le givre qui s’était formé sous son manteau. Alerté par le bruit, l’animal fit volte-face et s’éloigna. Nous sautâmes en selle et poussâmes nos chevaux à travers l’épaisse couche de neige molle. Au bout de deux milles, nous débouchâmes sur un bras de rivière gelé, balayé par le vent.
Nous vîmes l’énorme bête déraper sur la surface verglacée, tomber, se relever, glisser à nouveau, se redresser et retomber. Nous sautâmes à terre. Il ne nous semblait pas régulier de tirer sur du gibier sans défense. Nous l’observâmes pendant une bonne minute. Il grognait, battait l’air de ses pattes, incapable de se remettre debout. Alors, d’un même mouvement, nous levâmes nos fusils et fîmes feu. Il fit un bond désespéré en avant, chancela et s’immobilisa. Ferris rechargea son arme et tira une seconde fois. Les deux coups avaient atteint leur cible quasi au même endroit, juste au-dessus de l’épaule. Le bison, foudroyé, s’affaissa sur le flanc.

Il faut se souvenir que dans les années 1820, on n’en est encore qu’aux prémices de la conquête de l’Ouest. Les États-Unis sont loin de couvrir l’ensemble du pays, tel que nous le connaissons. Un gros tiers des territoires, du Pacifique au Golfe du Mexique, appartient au Mexique, et quelques frontières restent floues avec le Canada. Au-delà de Saint-Louis, qui compte moins de cinq mille habitants, s’étendent de vastes contrées quasiment pas explorées. Certes, les gouvernements successifs achètent ces terres, en promettant aux populations que chacun pourra s’y installer. Pourtant, ils ne sont sûrement pas nombreux à cette époque, ceux qui osent quitter les régions de l’Est. Partir pour l’inconnu, ça ne peut exciter que les plus aventureux, souvent jeunes et en quête de richesses.

Après “Manhattan Grand-Angle” et l’excellentissime “911”, au cœur de New York, Shannon Burke allait-il convaincre avec cette fresque historique, cette immersion dans le lointain passé de l’Amérique ? Peut-être risquait-il de parodier Fenimore Cooper et autres écrivains ayant célébré les premiers pas de ce pays, se développant au 19e siècle. Non, c’est un magnifique récit, diablement vivant, que Shannon Burke a concocté pour “Dernière saison dans les Rocheuses”. Voilà probablement le principal atout de ce roman, sa limpidité narrative. Si sont cités des éléments authentiques, des personnages qui ont existé, ils font partie du contexte sans jamais encombrer le sujet, ni ralentir l’action. En effet, à travers le héros William Wyeth, c’est une marche en avant inexorable qui nous est présentée.

Inclure une dose de romantisme peut sembler parfois artificiel dans ce genre d’histoires. L’auteur évite admirablement cet écueil, qui passerait peut-être pour une naïveté de son personnage central. La vie est rude, autant pour Alene Chevalier que pour William, et c’est ce qui les rapproche. Le jeune homme s’aguerrit progressivement au contact du groupe de trappeurs, mais également parce qu’il doit contrer un rival, le fantasque Henry Layton. Il acquiert de l’expérience, tout en gardant une sacrée humanité. Par exemple, il n’en veut nullement à celui qui l’a accidentellement blessé. L’amitié de Walter Ferris lui est précieuse aussi, de même que la solidarité entre hommes. Tous savent être des rescapés, dépassant les limites sans pour autant regretter leur choix.

Il ne s’agit pas d’un polar, ni strictement d’un western, mais d’un véritable suspense. On ressent rapidement une forte empathie pour les protagonistes. Et l’on frémit à chaque péripétie traversée, car le danger est sans cesse autour d’eux. L’auteur ne cherche pas le spectaculaire, respectant la justesse historique et celle des portraits nuancés. Un roman remarquable, qui mérite un vibrant "coup de cœur".

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22 novembre 2017 3 22 /11 /novembre /2017 05:55

Killarney est une petite ville au sud-ouest de l’Irlande. Comme chaque été, elle reçoit un grand nombre de touristes, surtout en ce week-end ensoleillé. Certains vont s’offrir une balade en calèche, conduite par un "jarvey". Par exemple, ils peuvent s’adresser à Bernard Dunphy, qui a presque trente ans et vivote de ce métier. Avec sa vieille jument Ninny et son éternel manteau noir, ce "jarvey" fait couleur locale. Bernard est plus causant qu’il ne l’a été pendant très longtemps. Il est le fils de John Dunphy, qui s’est noyé quand il était encore gamin, et de Brigid. Sa mère l’a toujours choyé, car c’était un enfant différent. Un peu simplet ou juste exagérément renfermé, souffrant d’un syndrome particulier ou plutôt sans envie de tant communiquer avec les autres ? Bernard vit dans son monde à lui.

S’il s’est amélioré depuis quelques années, c’est grâce à la musique. De son père John, il a hérité la passion du blues, et de la collection de disques paternelle. Il connaît tout sur le sujet, admire les Américains qui ont développé ce style musical. Il compose lui-même des chansons, à la manière du blues. Sans doute pas pour faire carrière, mais il adresse des cassettes de ses créations à Marian Yates, une des plus jolies jeunes femmes de Killarney. Il en est amoureux, de façon évidemment platonique. Malgré son léger handicap, Marian n’a rien à craindre de lui. Même si Bernard ne l’attire pas du tout, elle est tolérante envers lui. Ce qui n’est pas le cas de Cathy et Mags, les amies de Marian, célibataires et quasi-trentenaires elles aussi. Pourtant, ces péronnelles ne sont pas exemplaires, non plus.

Bernard subit encore les insultes et les brimades de quelques imbéciles du cru. Il a même été sévèrement cogné par Jim, le cousin de Marian, et sa bande d’alcoolisés. Depuis leur enfance, Bernard compte néanmoins un ami, Jack Moriarty. En fait, ce dernier supporte le "jarvey", mais ils sont d’une nature totalement opposée. Jack est un séducteur, un sportif, un macho égoïste. Il a tout pour plaire à des filles comme Mags ou Cathy. Cette dernière est sexuellement accro, soumise aux désirs dominateurs de Jack, mais cache la situation à ses copines. Leurs pulsions pourraient d’ailleurs mal tourner. Car, même dans cette région d’Irlande, existent des adeptes du "dogging". Ces voyeurs pervers regardant, en extérieur, des couples faisant l’amour, Jack les détestent plus que tout.

Il arrive que Bernard, depuis qu’il est plus ouvert, sympathise avec la clientèle. Surtout si on le laisse évoquer sa passion du blues. C’est le cas de Laura, une jeune touriste venue du Texas. Elle ne trouve pas contradictoire qu’un Irlandais adore cette musique. Étonnant au pays du bodhrán, de l’accordéon et du violon, mais Laura admet que ça peut sembler exotique à un homme pas tellement ordinaire tel que Bernard. Le dimanche soir, c’est rendez-vous au pub pour les trentenaires de Killarney. Linda et Mike animent le spectacle, la fête se doit d’être arrosée. Cette fois, Bernard y aura-t-il sa place, comme les autres ?…

Colin O’Sullivan : Killarney blues (Éd.Rivages, 2017) – Coup de cœur –

Bernard ne ment pas. Il l’adore. Il est fier quand [Killarney] grouille de monde en été. On dit qu’il y a moins de touristes, mais ils disent toujours ça, ils minimisent toujours. La ville est plutôt animée. Il aime voir les étrangers errer dans ‘ses’ rues, entrer dans les magasins qu’il connaît, respirer son air. Il adore les entendre chanter les louanges des montagnes quand ils passent devant, ou raconter à quel point ils ont aimé s’asseoir près de la cascade de Torc, apprécié la vue depuis Aghadoe, combien ils on adoré les cerfs imperturbables qu’ils ont vus au terrain de golf, leurs yeux doux, leurs flancs délicatement tachés de blanc. Ça lui hérisse les poils de la nuque. Cette fierté. Ce cœur qui gonfle. Il aime vraiment sa ville. Absolument. Il ira sans doute un jour à Chicago, ou à La Nouvelle Orléans pour Mardi gras, peut-être qu’il ira même voir B.B.King jouer en concert avant que ce grand homme ne s’éteigne, mais il reviendra toujours.

Les chansons de blues expriment la douleur, les facettes sombres de la vie, le mal-être qui peut aller jusqu’à l’autodestruction. Avoir le sentiment d’être né sous une mauvaise étoile, que les ennuis sont l’essence du quotidien, que la dépression ira de mal en pis… Le blues, c’est la voix du solitaire, de l’exclu, de l’incompris, du mal-aimé. Des gémissements, des plaintes, la folie guette peut-être, l’avenir est mort. C’est le vagabond qui ne va plus nulle part, c’est l’amoureux délaissé par sa belle, c’est la malchance ou la fatalité. Parfois, une lueur incertaine redonne un peu de force au pauvre bougre. Mais, au final, son destin n’est pas de rencontrer le bonheur. "Les plus désespérés sont les chants les plus beaux. Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots" écrivait déjà Alfred de Musset.

S’il aime la tonalité du blues, Bernard Dunphy n’est ni dépressif, ni désespéré. Son regard sur le monde n’implique pas qu’il se sente concerné par la complexité des caractères et des rapports humains. Il compose des chansons pour une jeune femme dont il sait qu’elle ne s’intéressera jamais à ses sentiments ; que son "ami" Jack soit un type prétentieux et violent, ça n’est pas l’image qu’il veut avoir de lui ; le métier de "jarvey" avec une jument à bout de souffle est plus que précaire… Tout cela, Bernard l’a enfoui dans un recoin de sa tête. C’est vrai aussi pour ce qui touche à son défunt père. Sa mère veillant sur lui, il se réfugie dans ‘sa’ musique, c’est plus simple et plus vibrant à la fois.

Le pays du blues, c’est l’Amérique. Rien n’empêche Bernard de l’idéaliser. Mais quand on vit dans un décor naturel magnifique, à son propre rythme, entouré de natifs comme soi-même, pas la peine d’aller chercher ailleurs l’aventure. Cette histoire conte l’attachement à la terre d’Irlande, autant qu’une passion pour un genre musical, et l’évolution mentale de Bernard. Que l’aspect criminel ne soit pas essentiel, ça n’a aucune importance. Si des scènes s’avèrent plus agressives, Colin O’Sullivan a surtout écrit un roman d’une belle finesse, empreint d’humanisme. Peut-être quelquefois, y a-t-il quand même un brin d’espoir dans le blues ?

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22 septembre 2017 5 22 /09 /septembre /2017 04:55

Le policier Franck Bostik est depuis peu en poste à Autun, sous-préfecture de Saône-et-Loire. Venu de Paris, il connaissait déjà bien cette petite ville de quatorze mille habitants. À cause d’une affaire trouble, Bostik a été suspendu de son grade d’OPJ, se retrouvant quasiment flic de base. Par ailleurs, ça ne fonctionnait plus vraiment avec sa compagne Cécile. Néanmoins, il reste proche de leur amie Anaïs, une ex-junkie qui garde un mode de vie quelque peu marginal. Ici, dans le Morvan, on est au cœur des vestiges remontant à l’époque gallo-romaine. Autun fut jadis la capitale des Ẻduens, non loin du Mont-Beuvray et du site archéologique de Bibracte, métropole à l’époque des Romains. L’endroit se visite et on continue à effectuer des fouilles dans ses environs.

La disparition inquiétante d’une adolescente de quinze ans a été signalée lors d’un voyage organisé à Bibracte. Originaire de Tchéquie, installée avec sa famille à Calais, Kamilla n’a pas le profil d’une fugueuse. Sa sœur jumelle Hana est restée dans la région, avec une accompagnatrice de leur groupe. Par manque d’effectifs, c’est Franck Bostik qui est chargé de démêler cette histoire. Dès le lendemain, il se rend à Bibracte. Une des archéologues présentes sur le chantier de fouilles n’est autre qu’Olivia, qu’il a connu naguère. Elle va lui faciliter les constatations, le directeur du site se montrant assez hostile car la disparition perturbe les activités autour de Bibracte. C’est dans la forêt proche que le policier trouve le cadavre de la jeune Kamilla. Le SRPJ de Dijon s’occupera de l’enquête technique.

Il n’est pas absurde de supposer que la mort de l’ado ait un rapport avec trois cas de viols s’étant produits récemment dans le secteur. Bostik contacte une institutrice qui fut ainsi agressée, mais qui réussit à éviter le pire. Il fait bientôt la connaissance de Jeff, un ancien baroudeur belge. Il s’avère très coopératif, même si son environnement incite à se poser des questions. Il n’est pas exactement archéologue fouilleur amateur comme on le pense, mais possède des raisons personnelles d’examiner les terrains près de Bibracte. Bien qu’un suspect soit signalé, il ne correspond pas dans le cas de Kamilla. Par contre, son avocat a un autre nom de pervers à proposer.

Toujours très recherchés par des collectionneurs, les vestiges datant de l’ère gallo-romaine font l’objet d’un trafic difficile à contrôler. Ce que confirme un expert, déplorant que peu d’efforts soient faits pour traquer les pilleurs. Un casque gaulois a même été volé au musée de Bibracte, les jours derniers. Le policier se rend dans une foire réunissant des numismates, présentant peut-être une majorité de pièces sans valeur. Un vendeur de détecteurs de métaux s’y trouvant pourrait figurer parmi les suspects. Quand se produit une nouvelle disparition, ça signifie probablement que le criminel veut éliminer les témoins éventuels. Obstiné, Bostik persévère dans ses investigations…

Laurent Rivière : La diagonale du loup (Éd.du Toucan, 2017) — Coup de cœur —

Il suffit d’un quart d’heure aux archéologues pour déterminer l’origine sociale d’un squelette découvert dans une fosse. Le travail aux champs explique l’usure des rotules et des hanches, l’état des dents détermine la nature des aliments absorbés, riches ou pauvres en viande. Moi, il m’a fallu moins d’une minute pour retracer le calvaire de Kamilla. Sa langue avait gonflé et ne trouvait plus de place dans la bouche. Ses lèvres s’étaient mordues. La jeune fille avait été étranglée. Sur son cou, le sillon laissé par une corde était facilement reconnaissable, plus bas que lors d’une pendaison, il était moins marqué également, un étranglement étant plus bref. Des ecchymoses cervicales digitiformes prouvaient que l’homme avait d’abord essayé de l’étrangler à mains nues…

Il est probable que les charmes du Parc naturel régional du Morvan soient mal connus de beaucoup de nos compatriotes. “Ici, si tu ne possèdes pas un minimum de connaissances sur la culture celte, tu ne vois rien d’autre qu’une forêt” explique l’archéologue Olivia, qui ressent un certain aura de mystère planant sur la région de Bibracte. S’il s’agit là d’un territoire moins peuplé que la moyenne nationale, il reste caractéristique des régions françaises. Entre ruralité et petites villes, c’est la vie normale qui inspire l’ambiance de ce roman. Non sans évoquer le riche aspect historique de ce secteur géographique, bien sûr. On y croisera de gens plus ou moins ordinaires, y compris dans l’entourage du héros, mais également quelques personnages carrément singuliers.

Les facettes sociologiques ou documentées peuvent se rapprocher du roman noir. La forme choisie est celle du roman d’enquête. Au-delà de la fluidité du récit, atout déjà essentiel, c’est le réalisme naturel des protagonistes et des lieux qui offre une magnifique crédibilité à cette intrigue. Tout semble issu du quotidien, les réactions de chacun sont justes, ainsi que l’état d’esprit du policier Franck Bostik. Sa vie privée est esquissée, mais l’affaire en cours est prioritaire. Sur le terrain, il cherche des éléments, avance à bon rythme mais sans précipitation inutile. Il ne s’attarde pas sur les hypothèses, s’en tenant aux faits. Ce genre d’enquête policière, d’une lecture extrêmement agréable, s’inscrit dans la plus belle des traditions du polar. Laurent Rivière ne manque pas de talent.

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16 août 2017 3 16 /08 /août /2017 04:55

Avec ses vastes étendues rurales boisées, Trickum County est un coin tranquille dans le sud de la Géorgie, au sud-est des États-Unis. C’est bien pour ça que Willie et Javon ont été chargés d’éliminer Maya par ici, après l’avoir enlevée. Âgée de dix-huit ans, Maya est une jolie Black, prostituée depuis déjà quelques années. Encore mineure, elle fut achetée par Mexico, mafieux de la grande ville de la région. Celui-là ne risque aucun problème, car il transforme le pactole de la prostitution en activités légales, de façade. Et puis Mexico est très proche du Maire, presque son alter-ego. Le Maire, il est aussi populaire que carrément véreux. Et pervers avec les jeunes femmes. C’est ainsi que, tout en restant sous la coupe de Mexico, Maya fut conditionnée pour devenir la soumise du Maire, sa "favorite".

Trop confiant ou trop excité, le Maire confia à la prostituée un de ses projets secrets, espérant qu’elle l’oublierait bien vite. Sauf que Maya possède une mémoire d’éléphant, un vrai disque-dur qui retient tout. Alors, il est préférable de la supprimer, mission qui échoit au duo de sbires, Willie et Javon. Leur erreur, c’est de s’être introduits sur les terres de Leonard Moye pour faire disparaître Maya. Ancien bouilleur de cru clandestin, Leonard est un vieux misanthrope excentrique. Il vit seul avec un mannequin de cire, représentant Marjean, qui fut son épouse. À l’orée de sa propriété, un champ peuplé d’épouvantails est censé effrayer la population. Jamais aucun enquêteur ne trouva sur ses terrains la trace de son activité de bootlegger, ni de la fortune que ça lui rapporta.

Leonard supprime Javon, tandis que Willie parvient à fuir, en état de catatonie. Le policier local Jack Chalmers ne peut rien retenir contre lui, malgré l’allure pitoyable de Willie. Le sbire ne tarde pas à faire son rapport à son patron, Mexico. Ce dernier a l’adjoint qu’il faut pour l’aider à résoudre la question, Rodney Grimes. Et ils peuvent compter sur Prance, un flic véreux de Trickum County, pour avoir des infos concernant Leonard Moye. Pendant ce temps, Maya et le vieux bonhomme ont sympathisé. Il lui a acheté des produits d’hygiène et des vêtements ; elle a découvert le domaine partiellement sauvage de Leonard. Il lui a montré un tunnel sous la maison, pour se cacher ou fuir en cas de danger. Comme elle lui a raconté sa vie, Leonard se doute que les salopards vont revenir à la charge.

Le commando composé de Grimes, Willie et Mexico sera reçu sans pitié par Leonard. Seul Mexico s’en sort et retourne en ville. Lambert, le principal conseiller du Maire, sera son meilleur atout pour la suite, pense-t-il. Pendant ce temps, depuis qu’il n’a plus Maya à sa disposition, le Maire commence à filer un mauvais coton. Le brave policier Jack Chalmers est intervenu chez Leonard, lors des derniers événements. Malgré la réputation détestable du vieil homme, il ne voit pas de raison de l’enquiquiner, surtout que tout est redevenu calme. Bien que des indices le laissent à penser, Chalmers n’a pas encore de preuve que Leonard héberge la jeune prostituée. Au besoin, le policier prendra plutôt le parti du vieux marginal que celui de son collègue véreux, Prance. Car rien n’est terminé…

Peter Farris : Le Diable en personne (Éd.Gallmeister 2017) – Coup de cœur –

— Je sais pas ce que fait ce Javon, ou ce qu’il faisait, dit Leonard, désignant le monde au-delà de son terrain comme s’il lui était aussi étranger qu’un autre système solaire, mais personne se pointe par ici sans ma permission. Et, foi de Leonard, on fait pas de mal à une femme sur mes terres. Tu comprends ? Ma loi ici. Ma justice.
Maya faisait jouer ses orteils sur la terre, prenant conscience des marques laissées par les piqûres de fourmis sur sa cheville, ses pieds rougis par la terre battue et zébrés de coupures ou de bleus. Elle leva la tête, balaya la ferme du regard avant de reporter ses yeux sur Leonard malgré elle, mettant en balance l’hospitalité d’un psychopathe d’un côté et la vie cruelle à laquelle elle avait provisoirement échappé de l’autre. Chassée par un mac du nom de Mexico et chargée d’un lourd secret de son client le plus puissant…

Il est intéressant de connaître la "culture polar" de certains auteurs. Ça explique souvent les influences ou, plus précisément, la ligne dans laquelle ils s’inscrivent. Pour une interview de mai 2012 à mybookishways.com, Peter Farris cite quelques-uns de ses livres et écrivains préférés. Parmi eux, Harry Crews (La foire aux serpents), Larry Brown, Flannery O'Connor… “Je suis également un grand admirateur de Jack London, Cormac McCarthy, Ron Rash, Tom Franklin, William Gay (RIP), Dorothy Allison, Chris Offutt, Rick Bass, Daniel Woodrell, Joseph Wambaugh et James Ellroy pour n'en nommer que quelques-uns.” Pour les romans noirs "sudistes", il recommande la lecture de “Sanctuaire” de William Faulkner, de la “Nuit du chasseur” de Davis Grubb, de “L’assassin qui est en moi” de Jim Thompson, évoquant aussi des titres de James Lee Burke, Tom Franklin, Tim Gautreaux, Joe Lansdale… Il est clair que Peter Farris a lu la fine fleur des auteurs.

Le contexte, c’est cette Amérique profonde, si loin de l’image de perfection affichée dans ce pays. D’un côté, une ville gangrenée par le bizness du mafieux Mexico, dont les prostituées généralement mineures sont prisonnières, et par les magouilles du politicien qui dirige si mal sa petite métropole. Un duo qui défend âprement ses intérêts. De l’autre côté, un comté campagnard, avec un hurluberlu comme Leonard Moye, un peu inquiétant pour ses concitoyens, mais “tous les comtés en ont un comme ça”. Avec un bon flic et un autre, carrément pourri. Avec des relations entre habitants quelque peu complexes, dans certains cas. Et c’est ici que débarque une jeune paumée, que l’on aurait grand tort de prendre pour une imbécile. Leonard vient de trouver une fille digne de lui.

Considérant que la fiction criminelle n’est jamais trop sombre, ni excessive, Peter Farris ne s’interdit rien. Sans doute est-ce ce qui fait la force des meilleurs polars noirs. Puisqu’il y aura des cadavres, autant que ça soit spectaculaire et décomplexé. Ce qui, pour le lecteur, inclut une forme d’humour, dans la dérision de la mort : les victimes ne sont-elles pas venues la chercher ? De l’action, oui, mais l’auteur nous réserve çà et là des révélations, de petites surprises.

Un roman impeccable, franchement jouissif, à ne pas manquer !

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10 août 2017 4 10 /08 /août /2017 04:55

Le village de Monteperdido se trouve sur le versant espagnol des Pyrénées, pas très loin du Cirque de Gavarnie ou du Pic d’Aneto. Dans la province d’Huesca, il est situé au cœur de la vallée entre Barbastro et Posets, au bord de la rivière Èsera. À l’ouest comme à l’est, la bourgade est dominée par deux parcs naturels montagneux et forestiers. Une région rude et isolée en hiver, touristique aux beaux jours. Cinq ans plus tôt, deux fillettes âgées de onze ans y ont été enlevées, Lucía et Ana. L’affaire bénéficia d’un large écho, on forma un comité – en grande partie basé sur une puissante association locale, la Confrérie. On ne retrouva jamais les gamines, malgré les efforts des habitants et de la garde civile.

Joaquín, le père de Lucía, reste très mobilisé malgré le temps passé, laissant son frère se charger de sa petite entreprise de transport. Son épouse Montserrat est toujours désemparée depuis. Quim, le frère de Lucía, essaie de mener sa propre vie dans ce contexte chargé. Il peut compter sur la bienveillance amoureuse de Ximenia, surnommée la Colombienne, la fille du singulier vétérinaire Nicolás, qui fut l’amie des disparues. Pour Raquel, à peine quarante ans, la mère d’Ana, cet enlèvement a eu pour conséquence la fin de son couple. En effet, son mari Álvaro fut sérieusement soupçonné d’être le ravisseur. Contre son gré, le père d’Ana s’est quelque peu éloigné de Monteperdido. Mais il n’est pas indifférent au sort de sa fille disparue, et éprouve toujours des sentiments pour Raquel.

Suite à un accident de voiture, Ana est retrouvée vivante et hospitalisée. Simón Herrera, le conducteur, est mort quand son véhicule est tombé dans un ravin. Dépanneur de son métier, il fut par le passé suspecté de pédophilie. Simplette d’esprit, son épouse Pilar ne croit pas que Simón ait mal agi. Mais ce couple est vu tels des marginaux, et la vindicte populaire risque d’amener Pilar à un geste fatal. Une nouvelle enquête est entamée, par trois personnes. Le quadragénaire Víctor Gamero est le chef de la garde civile locale. C’est un authentique natif de Monteperdido. Les deux autres policiers viennent de l’extérieur. Santiago Baín a environ soixante ans. La sous-inspectrice Sara Campos est une jeune femme compétente, mais cherchant encore son équilibre personnel.

Álvaro a rejoint Raquel, auprès de leur fille Ana. À l’hôpital, celle-ci est interrogée par Sara. Elle aurait été libérée par Simón, avant l’accident. Elle décrit le lieu de leur captivité, un refuge de montagne délabré, où Lucía et elle étaient généralement enfermées au sous-sol. Ana affirme ne pas connaître leur ravisseur, qui était masqué. La policière Sara pense que la jeune fille ne confie qu’une version édulcorée de sa séquestration. Avec Víctor, elle va bientôt retrouver l’endroit où l’on cacha les deux filles. Mais le ravisseur a tout incendié afin de ne pas laisser de traces. Pas de cadavre de Lucía, on peut en conclure qu’elle est encore en vie. Néanmoins, le père de celle-ci reste hostile envers la police. Santiago Baín cherche de son côté des indices, essayant de discerner le caractère des habitants.

Une piste se dessine quand sont découverts des casques de paintball. Ce qui pourrait bien rendre de nouveau suspect Álvaro, le père d’Ana. Celle-ci est de retour chez sa mère. Elle ne paraît pas se sentir en danger. Même si Raquel et elle se rapprochent de leur voisine et amie Montserrat, elles ne sauraient améliorer l’atmosphère autodestructrice régnant dans la famille de Lucía. Tandis que Sara et Víctor poursuivent seuls l’enquête, un indice prouve que le kidnappeur fait partie de la population de Monteperdido. Si Lucía est vivante, il est de plus en plus urgent de la retrouver. Mais d’autres drames ne sont pas à exclure…

Agustín Martínez : Monteperdido (Actes Noirs, 2017) – Coup de cœur –

Après le départ de Víctor, Sara feuilleta quelques papiers. Elle feignait de consulter un dossier, mais en réalité son attention était tournée vers ces gardes civils qui mangeaient des brioches et buvaient du vin. Ils riaient et plaisantaient en s’envoyant des coups de coude. Víctor faisait partie de cette famille.
Comment pourrait-elle encourager les soupçons dans un groupe aussi uni ? Les habitants de Monteperdido étaient tous liés. Parrains des enfants, au même pupitre à l’école, sœurs et copines qui avaient élevé leur progéniture ensemble, promenades communes, fêtes et hivers coupés du monde où ils avaient été privés de lumière, sans télévision, sans autre compagnie que celle des voisins, des montagnes et des animaux que celles-ci recelaient. Des cerfs, des sangliers et des chevreuils. Víctor lui en avait parlé. Quelques rares renards aussi. Ils vivaient dans les forêts des monts Ármos, l’Ixeia. À la fois, aimés et chassés. Animaux, hommes et femmes dont les vies s’imbriquaient. Pour devenir une seule et même vie. Celle de Monteperdido.
Un de ces hommes, sous ce casque noir, avait enlevé les petites…

Une intrigue située dans des paysages isolés, comme des îles ou des bourgades rurales mal desservies, c’est un décor classique pour une histoire policière. Parfois, le résultat est théâtral, jouant sur le confinement d’une poignée de protagonistes, victimes et assassins se côtoyant forcément. La réelle habileté d’Agustín Martínez consiste à ne pas se contenter d’une "liste de suspects", ni d’enquêteurs stéréotypés. Ici, à proximité des Monts Maudits, dans le magnifique paysage de la haute montagne pyrénéenne, les habitants forment une communauté avec ses codes, y compris par un patois spécifique : “Coupés du reste du monde, ils avaient fini par parler une langue comprise d’eux seuls, et ils avaient grandi à l’ombre de légendes que peu de gens connaissaient encore”.

On imagine aisément cette vallée, ces splendides décors naturels. On comprend que ces endroits restent en partie sauvages, d’autant plus isolés par la neige hivernale. Tout cela alimentant un climat où, malgré une certaine solidarité locale, se mêlent malédictions et rivalités. La vieille Caridad, qui pourrait passer pour la sorcière de Monteperdido avec sa démarche chancelante et son allure peut-être inquiétante, initie quelque peu Sara à cet état d’esprit qui anime les gens du village, dont beaucoup sont des chasseurs. Se fondre parmi eux serait illusoire, mais – après un début désastreux – l’enquêtrice est épaulée par Víctor, le garde civil. C’est sur ce duo que va reposer l’enquête.

Une double disparition de mineures, une affaire non-élucidée, le sujet criminel possède un impact plus fort dans ces conditions. Car les proches des kidnappées sont aussi victimes de la situation : ils ont chacun une réaction personnelle, résignée ou virulente, soulagée ou anxieuse. Pour ne prendre qu’un exemple, Álvaro, le père d’Ana, peut-il espérer un "retour à la normale" quand sa fille est sauvée ? Agustín Martínez explore avec subtilité le ressenti de tous, famille et villageois, dans un récit fluide et convaincant. L’ambiance ne tarde pas à captiver. Toutefois, si le paysage bucolique est empreint de poésie, les faits sont nettement plus sombres, malsains et même mortels. Excellent suspense.

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20 juin 2017 2 20 /06 /juin /2017 04:55

Ce roman est sélectionné pour le Grand Prix de Littérature Policière 2017.


Âgée de quarante-huit ans, Marion Sanders est médecin à Hambourg. À ce point de sa vie, elle ressent le besoin de s’éloigner de l’Allemagne. Marion doit faire un court séjour à Paris avant de partir pour une mission de Médecins Sans Frontières. Plutôt qu’en Afrique, c’est en Jordanie qu’on va l’envoyer. Entre-temps, elle s’installe chez de vieux amis parisiens. L’octogénaire Louise Bonnier et son mari Greg habitent rue Guynemer. Quand elle était enfant, sa propre mère l’ayant délaissée, Marion fut en partie élevée chez eux. Au musée Carnavalet, dans une expo photo sur l’exil, elle remarque celle d’une jeune femme qui lui ressemble beaucoup. Le cliché fut pris à peu près à l’époque de sa naissance.

Jean Morel est le neveu de Louise Bonnier. Son obscur métier l’entraîne depuis longtemps dans des régions du monde en crise, en guerre. Tel un conseiller international, Morel a noué bon nombre de relations dans les pays du Moyen-Orient. Parfois, il facilite la sortie de réfugiés menacés, comme c’est le cas actuellement en Syrie, où règne une guerre civile larvée. La petite Zahra, cinq ans, a été exfiltrée de ce pays, mais elle constitue un cas plus particulier. Car Morel connaît Elaine, la mère de la fillette, une Occidentale ayant épousé un haut responsable syrien. Afin de protéger la fragile et mutique Zahra, il la confie à sa tante Louise, qui a toujours eu un bon contact avec les enfants.

Claude Baptiste est un agent de la DGSE, les services secrets français. Quinquagénaire au grand sang-froid et à l’allure solide, il enquête sur les liens entre la Syrie et des personnes installées en France. Sur cette affaire, il est assisté de Leroux, un jeune agent de la DGSI, la sécurité intérieure. La mort de Zahit Ayan, réfugié syrien, et les coups de feu visant un enseignant d’Orléans, lui confirment le rôle nébuleux de Jean Morel. Que, dans l’immédiat, Claude Baptiste veut protéger afin d’en savoir davantage sur ses réseaux. S’étant rendu à Marseille, Jean Morel est impliqué dans un attentat commis à la frontière italienne, dont la cible était le ministre de l’Intérieur français. Une façon de faire pression sur Morel.

Tout en cherchant à résoudre l’énigme de la photo de son sosie, Marion Sanders s’occupe de la petite Zahra, car Louise est souffrante – et bientôt hospitalisée. Apprivoiser l’enfant n’est pas impossible, mais en a-t-elle le temps d’ici son départ ? Claude Baptiste s’invite chez les Bonnier, ne cachant pas qu’il recherche des informations sur Jean Morel. Il n’est pas le seul : Moshe Katzman, agent du Mossad israélien, voudrait débrouiller l’affaire, lui aussi. Sans doute existe-t-il des documents syriens ultra-secrets explosifs, dont quelques services veulent s’emparer. Ayant découvert des éléments sur son passé personnel, Marion part avec Zahra, direction une maison isolée en Bretagne, dans la région brestoise. Rien ne prouve qu’elles y seront en complète sécurité…

Alex Berg : La fille de la peur (Éd.Jacqueline Chambon, 2017) – Coup de cœur –

Quand Marion et Zahra prirent le chemin de la maison, sept heures sonnaient au clocher de Saint-Sulpice. Marion se demandait si elle devait raconter à Louise ce qui s’était passé dans le parc. Elle avait été profondément émue d’entendre chanter la petite fille et elle savait que Louise serait heureuse d’apprendre la nouvelle, mais en même temps elle craignait que la vieille dame ne mette trop la pression sur l’enfant.
La petite main de Zahra était dans la sienne, pleine de confiance, et Marion avait le sentiment que la fillette s’ouvrirait un jour à elle, à condition qu’elle soit plus souvent avec elle. Mais quand ? Ces derniers jours, malgré son maigre temps libre, elles avaient passé beaucoup d’heures ensemble, au point que Marion avait dû reconnaître que Zahra était une parfaite excuse pour éviter de s’occuper de ses propres affaires. Elle avait seulement pris le temps de retourner au musée pour s’informer de la provenance de la photo. La conservatrice s’était montrée serviable et professionnelle, mais ce professionnalisme n’était pas exempt de curiosité. Marion n’était pas la première à frapper à sa porter et à chercher des informations supplémentaires.

Ce qui apparaît vite frappant à la lecture de “La fille de la peur”, c’est le fait que plusieurs thèmes – complémentaires – y soient abordés. Le premier, c’est le cas de la petite Zahra, qui peut symboliser la tourmente de l’exil pour les réfugiés. Une partie ont la capacité de s’insérer, mais la plupart n’ont pas cette force de caractère, et deviennent fatalement des apatrides. Toutefois, le parcours de Zahra est, déjà, plus compliqué qu’il le semble…

Le deuxième thème concerne certains personnages dont on ne mesure pas l’influence, les fonctions. Louise Bonnier, quatre-vingt-deux ans, appartient aux sphères occultes proche du pouvoir, quel que soit le régime. Son neveu Jean Morel se situe dans des cercles aussi discrets, observateur international des conflits, diplomate sans titre exact. Ces experts géopolitiques de terrain, parfois appelés "négociateurs", existent-ils et agissent-ils en marge de nos Services de Renseignement ? On a tendance à le penser.

La troisième thématique, c’est la quête d’identité. Même avec un statut social avantageux – Marion Sanders étant médecin en Allemagne, on n’est pas à l’abri du questionnement. Le schéma familial standard ne s’applique pas dans tous les milieux. On évite de parler de tel cousin qui aurait fait un mariage consanguin, de telle tante dont on croit qu’elle a mal tourné, par exemple. Rien de bien grave, souvent. Mais des secrets plus surprenants ressurgissent quelquefois, installant un mal-être. Ou une envie de tourner la page.

Certes, “La fille de la peur” est un roman d’espionnage sur fond de contexte actuel. Mais Alex Berg nous présente une intrigue bien plus riche et subtile, avec des héros nuancés et empreints d’humanisme. Coup de cœur pour ce suspense d’excellence.

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