À Vigàta, le yacht Vanna ramène au port un cadavre récupéré dans un canot à la dérive. C’est bien un meurtre : le Dr Pasquano, légiste, détermine que l’homme a été empoisonné, avant d’être défiguré. Il ne semblait pas être un marin. Le canot étant neuf, ça n’aide guère les experts de la police. Par contre, son trajet peut indiquer qu’il s’éloignait du port, y revenant à cause de la forte houle. Propriétaire du yacht Vanna, la presque quinquagénaire Livia Giovannini ne cache pas son agacement de devoir prolonger son escale à Vigàta. Cette riche veuve navigue avec équipage à longueur d’année, autour de la Méditerranée, jusqu’au sud de l’Afrique. C’est un peu le cas aussi du yacht voisin d’amarrage, l’As de Cœur. Le mort est bientôt identifié, un Français venant de s’installer dans un hôtel local.
Cette affaire-là, elle ne concernerait pas tellement Salvo Montalbano. Sauf que le matin même, sous une météo épouvantable, il a rencontré une jeune femme prénommée Vanna. La petiote prétendit être la nièce de Mme Giovannini. Vite, il comprit que c’était un mensonge. “[Elle] devait se bidonner intérieurement devant ce commissaire qu’elle manœuvrait comme une marionnette ! Mais pour quelle raison lui avait-elle raconté cette montagne de carabistouilles ? Un motif, elle devait bien en avoir un, mais lequel ?” S’il y a un marin qui s’appelle comme elle Digiulio sur le yacht, ça ne prouve rien du tout. Quand Salvo Montalbano fait la connaissance de la ravissante lieutenant Laura Belladonna, un officier du port, c’est le coup de foudre immédiat. Pourtant, leur relation sera assez trouble, car Salvo est quelque peu maladroit, et Laura parait ne pas vouloir s’engager.
C’est Fazio, l’adjoint de Montalbano, qui (au risque de se faire cogner) surveille l’équipage du Vanna, remarquant le cas d’Ahmed Chaikri. L’identité du Français, Salvo la découvre, et il réalise finalement d’où vient ce faux nom. Sûrement pas un type honnête, ce grand voyageur venu échouer là. Il y a bientôt une nouvelle victime, pas morte de façon si accidentelle qu’on veut le faire croire. Il faudrait s’infiltrer à bord du Vanna pour tenter d’en apprendre davantage. Une mission qui conviendra à Mimì Augello, collègue et ami de Montalbano, séducteur notoire. Le commissaire sent bien que le Questeur n’est pas à l’aise avec cette affaire, l’en déchargeant avant de la lui redonner. Tandis que Salvo s’interroge toujours sur sa relation avec Laura Belladonna, le retour de l’énigmatique petiote Vanna pourrait accélérer le dénouement de l’enquête…
Ne boudons pas notre plaisir, car c’en est un de retrouver périodiquement le petit monde de Montalbano, notre policier sicilien préféré. Dans cet épisode, Fazio n‘a rien perdu de son professionnalisme, Augello se plait à charmer une navigatrice mature, Catarella est toujours aussi approximatif, et le caractériel Dr Pasquano s’avère plus coopératif que souvent. En privé, Salvo est confronté à une subtile relation amoureuse bien incertaine, suscitant malgré tout une jalousie possessive. Humour et sentiments, évocation également des migrants espérant débarquer en Sicile, et même une vraie-fausse menace mafieuse. Néanmoins, Andrea Camilleri n’en oublie pas une intrigue polar diablement passionnante, un vrai suspense.
Si à cinquante-huit ans Salvo est encore athlétique, il reste un grand gourmand, chez lui comme au restaurant d’Enzo : “Il acommença par les hors d’œuvres de la mer. Comme le fretin frit était vraiment croquant, il s’en fit porter une petite assiette supplémentaire à part. Il continua par un robuste plat de spaghetti au noir de seiche. Et termina par une double portion de rouget et de marbré. Quand il sortit, il convint de la nécessité absolue d’une promenade nocturne jusque sous le phare…” Nous aussi, c’est en nous délectant que nous dévorons à chaque fois les enquêtes de Montalbano. Et celle-ci est aussi savoureuse que les précédentes.
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