Ce n'est pas d'une auteure de polar dont il sera question cette fois. Née à Pékin en 1972, Shan Sa quitta la Chine en août 1990 après les manifestations de la place Tiananmen, avec une bourse du gouvernement français. En France, elle adopte la langue française pour écrire. Lauréate du Goncourt des Lycéens en 2001 pour “La joueuse de Go”, Shan Sa a été récompensée en 2005 par le Prix des lecteurs du Livre de poche pour “Impératrice”. Intéressons-nous à ses deux romans suivants. Le premier ne manque pas d'un certain suspense, le second est carrément fascinant...
"Les conspirateurs" (2005)
En 1989, la jeune Ayamei fit partie des leaders le la révolte étudiante, sur la place Tiananmen, à Pékin. Traquée pendant deux ans, elle se réfugia ensuite en France. Aujourd’hui, elle enseigne les arts martiaux et donne des cours de chinois. Elle milite pour les Droits de l’Homme en Chine. Son appartement parisien fait face au jardin du Luxembourg. Jonathan Julian, séduisant Américain, s’installe dans son immeuble. Cet informaticien voyageur semble attiré par Ayamei. Leur relation de voisinage devient vite plus tendre. Elle lui confie finalement son passé, si lourd à porter. Sur le plan intime, elle se pense frigide.
Jonathan fait partie du «Mandat terrestre», une sorte de secte s’attaquant aux corrompus. En réalité, il appartient à la CIA. Il doit «traiter» Ayamei, dont la mission sera de manipuler Philippe Matelot. La jeune femme donne des cours de chinois aux enfants de ce puissant conseiller du premier ministre français. Jonathan ignore ses vraies relations avec Matelot. Celui-ci profite sans complexe des commissions versées par Pékin pour ses services. Il estime que c’est utile pour son pays, tout en admettant être manœuvré par Ayamei. Il s’agit de brouiller les pistes, d’intoxiquer Jonathan avec des preuves truquées. Jaloux, Matelot trouve qu’Ayamei a changé, comme si elle espérait l’amour de Jonathan. Ce dernier rencontre à Pékin un riche Chinois ayant autrefois connu Ayamei. Elle fut l’amie de son défunt frère Min. Rentré en France, Jonathan offre à Ayamei un portrait d’elle peint par Min à l’époque. Elle a de quoi être troublée...
Un roman littéraire, pas un suspense étiqueté polar. Néanmoins, pour qu’une histoire d’espionnage soit convaincante, elle doit décrire des réalités humaines. De Tiananmen au monde actuel, le climat géopolitique est ici présenté avec justesse. Si l’amour est l’un des sujets abordés, le suspense est bien présent. Les faux-semblants sont habiles. Quant à l’écriture, le style est d’une agréable pureté. Voici une approche différente des luttes secrètes d’aujourd’hui.
"Alexandre et Alestria" (2006)
Prince macédonien, élève d’Aristote, Alexandre ne souhaite pas ressembler à son père, guerrier brutal. Pourtant, il incarnera la puissance, deviendra Alexandre le Conquérant. Assisté de son ami de cœur Hephaestion et de ses généraux fidèles, il soumet la Grèce et l’Egypte. Puis il attaque la Perse du grand roi Darius. Il est alors le maître de la paradisiaque Babylone. Se lassant vite de l’inaction, il veut continuer jusqu’à l’Indus. Mais il doit déjouer plusieurs conspirations, et motiver son armée qui renâcle. Alexandre a aussi besoin d’une reine, qui lui donnerait un héritier. Il rêve souvent à une femme qui serait son égale.
Dans les steppes de Siberia, vit une tribu nomade composée uniquement de femmes : les Amazones. Ces combattantes vivent en liberté, selon des règles excluant tout sentiment envers les hommes. La jeune reine Talestria et sa suivante Tania ont entendu parler de ce roi, qui impose son empire toujours plus loin vers l’Est. Talestria n’est pas inquiète, personne ne peut asservir les Amazones. Seul l’amour est un danger pour elles. Talestria va défier Alexandre. Il reconnaît en elle «une âme sœur taillée dans le même bloc de diamant». Il l’épouse à Babylone, lui offrant une vie fastueuse. Déjà, il espère qu’elle lui donnera un fils. Mais les filles de Siberia n’engendrent pas. Détestant Alexandre qui a envoûté sa reine, Tania retarde le moment où Talestria sera enceinte. Malgré l’aide d’un prince Indien, la conquête vers l’Indus est périlleuse...
Un roman au contexte historique, pas une biographie, alliance de romantisme et de péripéties. Grâce à une écriture subtile et inspirée, Shan Sa souligne la complexité psychologique de ses héros. Issue du légendaire peuple sans peur des Amazones, Talestria choisit son destin sans contrevenir aux traditions. Quant à Alexandre, maître du monde, ses facettes sont multiples. Poétique, sans être mièvre, ce livre passionnant est une bonne occasion de découvrir le talent et la finesse de Shan Sa.